Chapitre 1

Par Reven
Notes de l’auteur : Il s'agit d'une histoire courte écrite lors du Nanowrimo 2017. Avant de m'égarer avec Paroles de verre, je voulais écrire un recueil de nouvelles sur l'univers général de mes histoires. Je ne sais pas spécialement ce qu'elle vaut, mais elle ne sert à rien dans le coin d'ordinateur non plus, donc autant la mettre !
 L'aventure d'Hylaesilith n'est pas en lien direct avec Paroles de verre, on ne la croisera pas à Oséamune, malgré tout, il s'agit d'un de ces personnage de "background" auquel on s'attache !
Un grand merci à tout ceux qui se prennent le temps de lire ! 
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Hylaesilith réfléchit combien de fois elle avait réussi à se mettre dans le pétrin. Elle avait réussi à se coincer dans un arbre, à éparpiller son corps dans tous les sens, et à momentanément figer tout être vivant de plusieurs centaines de mètres à la ronde. Rien de bien grave en somme, des accidents dont on riait de bon cœur quelques siècles après. 

Vraiment dans le pétrin, elle ne l’avait été qu’une seule fois : quand elle s’était coincée ad vitam æternam dans un corps d’humaine. Elle avait pris un sacré temps à s’y habituer, invalide et handicapée pendant des siècles, le temps que son métabolisme s’adaptait !

Et ce n’était toujours pas tout à fait ça.

Elle songeait que malgré tout, cet évènement n’avait pas été si catastrophique, comparé à sa situation actuelle. Elle avait réussi à se surpasser. Félicitations, Hylae ! Elle méritait une assiette… non mauvais mot, une médaille pour cet exploit. Ces grosses pièces de monnaie brillantes que les humains offraient aux gens pour une performance hors normes. Ils faisaient des choses vraiment curieuses, ces humains ! Elle n’avait toujours pas compris l’utilité des médailles, et d’une ribambelle d’autres choses. Pourquoi rester plantés devant des éclaboussures de couleurs que quelqu’un avait encadrées — une lubie bizarre, ça aussi, les cadres — et accrochées au mur, pour lui trouver un sens philosophique abracadabrant ? Ah, mais les livres, ça, c’était une magnifique invention humaine pour rassembler le savoir collectif. Et les bibliothèques, ces merveilles ! Si maintenant l’humanité pouvait encore se décider sur une langue unanime… Hylaesilith avait certes l’éternité devant elle, mais pas l’envie à passer plusieurs millénaires à apprendre les moyens de communications humaines. Le temps qu’elle en maîtrisait déjà un, les humains en auraient créé des nouveaux, rapides comme ils étaient ! Elle pourrait passer sa vie à les observer.

Vie qui se trouvait d’ailleurs sur le point de se terminer. L’éternité était bien belle, mais elle ne servait pas à grand-chose face à la mortalité. Son cœur battait la chamade à la rendre nauséeuse alors qu’elle fixait le Néant. Misère, comment faisaient-ils, les humains, pour s’en sortir avec un corps aussi encombrant et réactif ? Elle n’y était toujours pas habituée. Quand on comptait sa vie en siècles, la vitesse avait un sens tout à fait relatif. Même le plus lent des humains lui paraissait en permanence trop agité. 

Comment le calmer, ce corps ? Elle prit quelques inspirations profondes, chaque muscle tendu. Respirer n’était toujours pas un réflexe acquis, son corps lui rappela avec douleur chaque oubli. 

Si elle lâchait ici et maintenant, elle signerait sa mort, même en tant qu’être éternel. Le maigre sort qui l’empêchait de tomber était tout ce qui la séparait d’un effacement total. Probablement… À vrai dire, elle n’avait pas la moindre idée ce qui se passait quand on tombait dans le Néant. Ses recherches menaient à une seule et unique conclusion : très mauvaise idée que d’y tomber ! Les possibilités de s’en sortir frôlaient le zéro de trop près. 

Elle avait épuisé la théorie depuis longtemps, il lui fallait hélas de la pratique ! Ce n’était pas pour autant qu’elle avait envie d’expérimenter tout et n’importe quoi. Elle avait préparé son excursion avec soin. Elle ne voulait jeter qu’un œil dans le Néant, et repartir. Plan simple et sûr, certifié Hylaesilith ! Comment aurait-elle pu se douter que la Liaison qu’elle avait ouverte, aller se fermer aussi sec derrière elle ?

Note mentale : mettre au point des Liaisons qui restent ouvertes.

Des gouttes de sueur perlaient sur son front alors qu’elle cherchait une solution à son problème. Terrible, ce corps. Mais fascinant aussi. Il produisait de l’eau…, enfin, non, pas vraiment. La sensation de soif était sincèrement affreuse. Dire que les humains la vivaient tous les jours ! Et puis, les menstruations… il n’y avait pas de mot pour décrire une horreur pareille. Entre ça et la digestion, elle ne savait pas lequel était le pire cauchemar. 

Elle s’égarait. Mauvaise idée, elle avait d’autres chats à fouetter.

Le Néant était le vide qui séparait les mondes. Quelque chose d’insaisissable. Même si elle se voyait elle-même comme illuminée en plein jour, il lui était impossible de savoir si le Néant était du noir absolu, ou bien du blanc trop blanc, ou encore une quelconque autre couleur. Il défiait tous ses sens à lui causer une migraine. Son être tout entier réalisait l’absurdité du Néant, et en même temps saisissait son évidence. Un vide qu’elle ne savait pas vide, mais qui affronta son corps humain et sa nature magique qui n’arrivaient pas à le comprendre. Ses yeux ne savaient pas ce qu’ils regardaient, ses oreilles ne percevaient même pas les sons de son cœur en folie, rien au toucher, aucune odeur, rien pour ses sens magiques non plus.

« Rien » était son doute une bonne définition du lieu. Le Néant n’était rien. Mais un rien qui, quelque part, avait une masse. Un rien qui « existait », tout en étant insaisissable. Elle estimait prudent de partir du principe qu’elle deviendrait elle aussi du rien si elle lâchait le sort qui la maintenait hors du danger. Un état équivalent à la mort. Là aussi, de la théorie. Peut-être devrait-elle pousser Seybern à se jeter dans le Néant pour l’expérience. Il l’aurait bien mérité, lui !

Maintenir son sort lui coûtait bien en force. Théoriquement, il suffisait de se retourner, et de rouvrir la Liaison. Théoriquement, son monde ne devait pas avoir bougé, ou du moins, le sort de passage qu’elle avait créé. Théoriquement. C’était bien beau, la théorie !

Dans la pratique, elle ne trouvait ni la concentration ni la force pour bouger si ce n’est le petit doigt. Elle craignait de perdre son sort au moindre mouvement. Cet endroit, aussi vide qu’il lui parût, avait un côté terriblement menaçant. Il instaurait en elle une peur glacée. Son instinct lui chuchotait qu’elle ne devait pas se trouver ici. Le Néant n’était pas fait pour qu’un être vivant s’y baladât. L’endroit tout entier le lui faisait sentir jusqu’au plus profond de son âme. Malheureux intrus qui avait osé défier les lois naturelles ! Mais si d’autres mondes existaient à côté du sien, elle avait envie de les voir !

Ah, elle et ses fichues expériences empiriques.

Le plus grand défaut d’Hylaesilith était la curiosité. Cette dernière l’avait menée à se coincer dans un corps humain. Elle avait voulu savoir ce que cela faisait, d’être un humain. Sauf qu’elle avait manqué de réaliser que son métabolisme allait pédaler dans la semoule pendant longtemps. Incapable de bouger, il lui fallait de longs mois — ou de longues années ? Si difficiles à différencier, les humains comptaient dans des unités trop insignifiantes — pour en tant soit peu savoir marcher. Sa magie ? Elle était revenue, au bout d’un siècle ou deux. Ou plus. Gentiment, lentement. Enfin « revenir »… elle n’était jamais partie. Juste emprisonnée au fin fond d’un corps qui n’en avait aucune utilité. Et pour l’éternité à venir, son corps d’humaine allait la brimer. Pour un être qui n’était que magie, il n’y avait pas pire cauchemar. Le sommeil avait aussi été une découverte terrifiante pour elle. Misère, la puisse d'un rêve ! 

Elle avait cru que cet évènement lui avait servi de leçon. Ne jamais s’engouffrer dans une situation sans avoir au moins une porte de sortie.

Où était-elle, à présent, sa porte de sorte ?

Derrière elle, forcément. Si le Néant était rien, la Liaison ne pouvait pas avoir bougé, n’est-ce pas ? Le Néant ne se déplaça pas, logiquement rien ne bougeait. Le Néant n’avait pas la place de se mouvoir non plus, il remplissait parfaitement l’espace entre les mondes. À se demander quelle masse elle y prenait elle, pauvre Hylae dans son corps d’humaine.

Elle était têtue. Un trait de caractère à double tranchant. Autant, elle s’enfonçait tête première dans des situations abracadabrantes, autant son entêtement lui permettait de sortir des pétrins les plus improbables. Sa détermination l’avait poussée à maîtriser un corps qui ne devrait pas l’être par quelqu’un comme elle.

Sa détermination allait l’aider à retrouver son monde. Coûte que coûte. Elle était morte trop souvent déjà pour renouveler l’expérience de sitôt, et définitivement. 

Elle s’était mise dans la tête de prouver au monde entier ne pas être une pauvre chose invalide à prendre avec des pincettes et à couvrir avec des regards de pitié. Elle n’avait pas besoin d’une gentillesse qui la mettait à part, barrière sociale des plus impitoyables. Bande d’hypocrites, voilà tout ce que son peuple était !

Elle devait revenir à ses moutons. Elle pouvait s’exciter sur sa condition de paria autant qu’elle le voulait une fois en sécurité, loin du Néant. 

Inspirer, expirer — s’étonner encore qu’un corps humain n’était vraiment pas convenable — se concentrer sur son sort. Bien. Maintenant, détacher lentement, très lentement, un peu d’attention. Encore un peu. Doucement. Comme ça.

Se retourner à la vitesse d’un escargot sur le pavé chauffé au soleil de midi.

Bien. Repos. Se concentrer à nouveau sur le sort, le stabiliser. Jubiler intérieurement de cette petite victoire. Encore un peu de repos.

Elle avait cherché à expliquer la magie aux humains plusieurs fois pour se heurter douloureusement à la barrière linguistique. Comment leur faire comprendre quelque chose qu’ils ne voyaient pas ? Avec ses yeux d’humain, elle avait vu pendant longtemps le monde sans magie, jusqu’à ce que son métabolisme réussît à s’adapter. Une expérience merveilleuse et effrayante à la fois, une impression de cécité constante. Aucune couleur et aucune lumière ne correspondait. Comment faire comprendre que le vert de l’herbe n’était pas vert mais d’une nuance colorée inexistante pour un humain ? Elle les avait toutes vues à présent. Elle savait différencier un bleu d’un loyan et un rouge d’un saoni. Elle arrivait à saisir l’insaisissable, grâce à son corps humain. Elle voyait le monde magique, et le monde ordinaire. Sa plus grande fierté !

… qui ne lui servait strictement à rien si elle n’arrivait pas à se concentrer sur sa tâche. Survivre, Hylae, occupe-toi à survivre, extasie-toi après sur ta condition de vie, se réprimanda-t-elle, pause finie !

Il fallait refaire le même processus qu’avant. Elle lâcha doucement une partie de son attention pour se concentrer sur le noir devant elle. Elle se posait brièvement la question si le Néant n’avait pas une forme, des couleurs, quelque chose, intangible à ses sens magiques, invisible à sa vue humaine. Pour un autre sens tout entier que les siens, le Néant ressemblait peut-être à quelque chose.

Chercher la Liaison, sortir, maintenant. Elle pouvait réfléchir sur son aventure au calme, roulée en boule entre les racines du vieux chêne. 

Toujours aussi exécrablement lente, elle leva le bras d’un geste scrupuleusement mesuré. Il était toujours plus facile de concentrer sa magie sur un point quelconque. Note pour sa seconde virée dans l’entre-mondes : amener un bâton, ou autre chose qui pouvait lui servir de point d’appui.

Sésame ouvre-toi ! Comme elle avait lu dans un conte humain. La magie n’était pas si facile à manipuler, hélas. Toute une science à part entière, incompréhensible pour les humains. Elle devait avancer sa magie, comme des bras invisibles pour ouvrir une porte elle aussi imperceptible. Quand rien ne se passa, malgré la magie qu’elle envoya à l’avant, elle s’arrêta net. Elle ne trouvait pas la « poignée de porte ». Perplexe, elle délaissa un peu plus son sort de survie pour mieux saisir ce qui se tramait devant elle.

C’était le néant absolu, littéralement.

La Liaison qu’elle avait ouverte n’existait plus. Aucun signe de son existence.

Son sort flancha. La panique la prit de suite, et lui sauva la mise. Son instinct de survie prit le dessus et elle stabilisa le sort. Elle resta chancelante sur son petit îlot entre la vie et la mort, le corps tremblant, le cœur en folie à lui faire mal à la poitrine. Comment calmait-on efficacement cette enveloppe charnelle encombrante ?! Combien de temps se passait-il avant qu’elle ne réussisse enfin à retrouver son calme ? Le temps, existait-il seulement dans ce genre d’endroit ? Probablement, elle sentit son corps s’affaiblir, trop de magie qui coulait dans son sort de survie, trop peu pour alimenter sa forme physique. 

Voilà quelque chose de très curieux qu’elle n’avait pas encore remarqué. Elle-même était en parfaite santé. Son énergie était abondante. Pourtant, elle devait être en manque d’Allié. Songeuse, elle se demandait si son Allié abstrait ne la sauvait pas d’une mort certaine. En fin de compte, elle devrait envoyer Samsevan dans le Néant, pour voir s’il arrivait à survivre. Son Allié était très physique, après tout. Allait-il s’en sortir sans renards dans le Néant ? Si oui, le Néant n’était décidément pas si « rien » que ça, en fin de compte.

Elle écarta à nouveau ses pensées parasites. Il était urgent qu’elle cherche à sortir d’ici. Si son corps allait s’affaiblir encore plus, il allait lui coûter trop de concentration pour le maintenir, et, en conséquence, signer sa rencontre avec le Néant de sa mort.

Reprenons. Elle était dans le vide qui existait entre les mondes, l’ouverture qu’elle avait créée s’était magiquement envolée comme si de rien n’était, ce qui la laissait seule, au milieu de rien, flottant sur une fine couche magique qui lui coûtait la misère à garder stable, alors que son corps tremblait de plus en plus. Elle allait tomber, incapable de se tenir sur ses jambes, incapable aussi d’élargir son sort assez pour éviter une chute fatale. Elle devait sortir d’ici avant de s’écrouler.

Elle établit une hypothèse. Plus un vœu désespéré qu’une vraie hypothèse : Les mondes ne bougeaient pas. On pouvait cartographier le Néant, et les différents mondes qui s’y trouvaient. Sûrement. Certainement. Absolument. Le Néant pouvait faire disparaître tout corps étranger comme sa Liaison, mais il ne pouvait pas se débarrasser de ce qui s’y trouvait de son plein droit ! Ça signifierait que son mode était à portée de main et que créer une Liaison allait suffire pour s’en sortir. Créer une porte d’entrée, quoi.

Si ce n’était pas le cas, son existence allait prendre fin.

Sauf que créer une Liaison n’était pas une mince affaire. Sa seule solution lui était impossible à réaliser, ses jambes ne la tiendraient pas assez longtemps.

Elle pouvait s’asseoir. 

Cette réalisation la frappa soudainement. Elle n’avait que rarement eu besoin de reposer ses jambes depuis sa naissance. Ce n’était pas un réflexe acquis. Si son sort était assez grand pour tenir ses pieds, elle pouvait aussi bien y poser ses fesses. Doucement. Tout doucement. Un pied dans le vide. Un autre. Glisser soudainement.

Avec un hurlement, elle élargit le sort pour se rattraper. Elle se dépêcha de se redresser, son attention lâchant la surface en trop aussi rapidement qu’elle l’avait créée. Elle se recroquevilla sur elle-même, la poitrine douloureuse, l’estomac retourné. Calmer, calmer, calmer. La gorgée nouée, les larmes aux yeux, elle se frotta les bras, ses pieds balançant dans le vide.

Elle était glacée et elle ne pouvait rien y changer, pas habituée au froid. Elle respectait les humains à un tout nouveau niveau depuis qu’elle était prisonnière de ce corps.

Elle était si près du but ! Juste un peu ! Il lui fallait juste un peu de courage et de détermination ! Elle se déplia lentement, relevant un peu la tête. Son monde devait être à son niveau maintenant. Combien de place un monde prenait-il dans un endroit aussi incompréhensible que le Néant où il n’y avait pas de haut ou de bas, de gauche et de droite, aucune mesure de taille ?

Elle n’avait pas la moindre idée, donc elle partait du principe que cela n’en prenait pratiquement pas. Mieux elle visait, mieux ses chances de s’en sortir. Comme elle n’arrivait plus à lever ses bras trop épuisés — elle en avait encore besoin, il lui fallait ménager ses frocs — il lui restait comme solution de fixer un point imaginaire, en espérant que ce n’était pas trop éloigné de son but, et qu’elle ne déviait pas trop sa magie malencontreusement. Cela arrivait tellement vite ! Un bâton, il fallait décidément un bâton pour servir de point d’ancrage.

Détacher à nouveau sa concentration, tout doucement, avec toute la prudence du monde.

Elle tâta en avant, avec ses sens. Cela… devait être ici… probablement. Elle n’avait pas d’autre choix que de risquer le tout pour le tout. Sa Liaison n’allait pas être très grande, elle était incapable de créer plus qu’un trou à travers lequel ramper, et encore…. Elle réduisit son sort au strict minimum, se concentra… et d’un coup perça le Néant.

Son sort lâcha. Elle hurla, et jeta les bras en avant. 

Elle accrochait quelque chose. Il lui fallait quelques instants avant de réaliser qu’il s’agissait du bord de trou qu’elle avait percé…

… et qui se renfermait déjà.

Paniquée, elle jeta sa magie en avant pour le garder ouvert, elle-même balançant dans le vide. Que c’était lourd, un corps humain ! 

Elle releva l’autre bras, le passa à travers le trou. 

Elle toucha le sol ! Elle voulait pleurer de joie, mais elle n’était pas encore sortie de l’auberge. 

De l’herbe. Si la Liaison s’était ouverte sur l’endroit dont elle était venue… sûrement. Elle tâta en avant. Un peu à droite. Ses doigts sur l’autre main se cramponnèrent de toute leur force à l’ouverture. 

Une sensation étrange se fraya un chemin jusqu’à sa conscience, alors qu’elle chercha de quoi s’accrocher. Son arbre devait se trouver tout près. Son merveilleux arbre avec de nombreuses racines tordues !

Elle sentait… Non. Elle ne sentait plus.

Elle ne sentait plus ses pieds.

Le « rien » s’élargit et toucha ses jambes. Le Néant prit le dessus.

Hylaesilith tenta le tout pour le tout encore une fois. De sa main agrippée, elle se hissa d’un coup en haut pour avoir un peu d’élan. Son bras lâcha. De l’autre main, elle agrippa fermement l’endroit où devrait se trouver une racine.

Ne s’était-elle pas trempée ? L’arbre ne se trouvait-il pas vers la gauche ?

Ses doigts heurtèrent la racine douloureusement. Elle la tenait fermement et passa l’autre bras à travers la Liaison pour s’agripper à une autre.

Elle l’élargit pour passer à travers et escalada en suivant les racines, puisant dans ses dernières ressources d’énergie. Le corps humain était capable de prouesses étonnantes en cas de danger de mort !

Elle s’écroula dans l’herbe après quelques instants qui lui parurent une éternité et demie.

Le vacarme la terrifiait. Les oiseaux qui chantaient, le vent dans les feuilles, les battements de son cœur, sa propre respiration saccadée. Le Néant était si silencieux qu’il avait même mangé le bruit de sa circulation sanguine. L’odeur de l’herbe et de la terre manquait de lui retourner l’estomac. Dans le vide entre les mondes, aucune odeur ne survivait.

Elle se roula sur le dos, aveuglée par la lumière du jour.

Puis, la douleur la transperça. Elle hurla à s’arracher les poumons.

Sous une nouvelle vague de panique, elle s’agrippa aux racines pour se mettre debout. Elle tomba misérablement, réalisa lentement que la sensation de rien qu’elle avait eu dans les jambes était remplacée par une douleur perçante à la faire pleurer. Jamais de la vie, elle n’avait vécu quelque chose d’aussi puissant. Elle se hissa en position assise en prenant appui sur son arbre. À bout de force, elle glissa contre le tronc.

Elle fixa ses jambes d’un regard mystifié, le temps que son cerveau réalisait l’ampleur des dégâts.

Elle n’avait plus de jambes. Cette constatation s’ancrait très lentement dans sa conscience. Le Néant avait fait disparaître sa jambe gauche jusqu’au genou, alors que la droite se finissait au mi-mollet. Le sang coula à flots. Fascinant. Revenir dans un monde tangible avec une partie du corps détruit par le Néant, revenait donc à une amputation sauvage ?

Elle se disait que, heureusement, ce n’était que son enveloppe de fausse humaine. Elle l’avait probablement protégé à finir amputé de ce qu’elle était vraiment ! Merveilleux corps humain !

Puis, elle réalisa…, elle n’avait pas la moindre idée comment traiter de telles blessures. Elle tomba dans un fou rire incrédule, étrangement amusé par sa propre situtation.

Seule, au beau milieu d’une forêt sauvage.

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