Chapitre 1

 

   Un jour, on m’a dit que j’avais du talent pour écrire, j’écrivais des poèmes de temps à autres. Mais là ça sera pas un poème, ni de la romance. Je vais juste dire que mon père est mort, il y a vingt ans. Il s’est pendu. Maman le frappait chaque fois qu’il n’était pas d’accord avec elle. Alors il a fini par se tuer avant qu’elle ne le tue. Demain je sors de prison, ça fait vingt ans que j’y suis. J’ai brûlé la maison avec ma mère dedans après avoir trouvé mon père inerte, accroché à un arbre dans le jardin. Ça m’a rendu triste. Pas de tuer ma mère, mais de brûler la maison. C’était celle de mon enfance, la seule que j’ai connue.

   J’avais dix-huit ans. J’avais trouvé un petit job dans une boucherie pas loin. On n’a jamais eu beaucoup d’argent, alors dès que j’ai pu, j’ai travaillé pour aider mes parents à payer les factures. Ma mère travaillait dans un bureau, elle était secrétaire. Mon père lui, il travaillait pas. Ma mère a toujours refusé qu’il quitte la maison. Le soir quand elle rentrait, parfois très tard, elle réveillait mon père pour le battre parce que le repas qu’il avait prévu pour elle ne lui allait pas. Elle le forçait à cuisiner, même si c’était la nuit. Pendant ce temps, j’étais à genoux dans les escaliers, quand ma mère allait se coucher je vérifiais si mon père allait bien. Il dormait en bas, sur le canapé. Elle disait qu’il ronflait trop.

   Demain, je sors de prison. Je n’ai plus de famille, plus de maison, plus de travail. Je sors d’ici pour aller à la rue. Ici au moins,  j’étais quelqu’un, j’étais considéré. Dehors je suis rien. Paris, c’est une ville pour les gens qui ont les moyens de vivre convenablement. On veut pas d’ancien taulard dans ses bureaux, devant une caisse, ou pour ranger des articles en rayon. Ça présente mal. J’avais que dix-huit quand je suis arrivé ici. J’ai pas vraiment eu le temps de construire une vie professionnelle. Pendant toutes ces années j’ai travaillé un peu à la bibliothèque de la prison. Je pouvais lire des bouquins du genre trop chers pour moi, et j’apprenais en même temps. J’ai pas passé le bac alors mon niveau scolaire, c’est pas trop ça. Boucher c’était bien pour moi, j’aimais bien faire ça. A cette époque, je présentais bien, mais la prison ça vous change. Maintenant j’ai  quarante-huit ans, à la base je suis brun mais je perds mes cheveux à moitié, je me suis rasé pour que ça se voit moins. J’ai pris du poids, quelque chose comme vingt-cinq kilos. J’ai jamais été très grand, mais j’ai l’impression d’être encore plus petit qu’avant. Quand je me regarde dans le miroir je me demande pourquoi je me suis pas tué moi aussi. Mais j’ai pas envie de rejoindre ma mère. Et puis j’ai pas rencontré assez de femmes encore. J’adore les femmes. J’aime pas tant faire l’amour avec elles. Mais j’adore les chérir. Elles sont douces. Je devrais les détester pourtant. Mais je peux pas toutes les haïr à cause d’une seule. Et puis elles me tiennent compagnie aussi.

   Demain, j’ai pas peur de sortir. J’ai peur de me retrouver seul avec moi-même. Ici y’a toujours quelqu’un,  toujours du bruit pour bercer mes nuits.  Dehors y’a du bruit aussi, mais y’a surtout l’alcool comme compagnie. L’alcool j’ai toujours aimé ça, au début je buvais juste une bière ou deux le week-end. Mais après, j’aimais bien avoir l’impression de planer. Comme si y’avait plus rien de grave. Alors j’étais devenu un peu alcoolique. En prison on boit pas alors ça m’a calmé. Mais demain je sors, et j’ai envie de boire pour oublier que je suis tout seul. C’est triste. De toute façon, j’ai jamais été très gai. Si, peut être quand j’étais petit dans le genre deux, trois ans. Quand je me rendais pas compte de l’horrible personne qu’était ma mère.  J’ai jamais touché à la drogue. Un ou deux joints quand j’étais plus jeune. Mais ça m’a jamais fait oublier quoi que ce soit.  J’ai jamais été un gros fumeur de cigarettes. J’aimais bien en griller une de temps à autre avec mon café, mais je suis pas du genre accro. Ça fait quelques temps de je pense à écrire ma vie. Y’a  pas grand-chose d’intéressant, mais les gardiens ont accepté de me donner un stylo et des feuilles. Au début ça m’occupait puis j’ai fini par y prendre goût. C’est drôle parce qu’on se rend pas ce compte de ce qu’est notre vie avant de l’écrire.  On est en novembre, le temps est morose,  moi ça me donne envie d’écrire. J’aurais dû commencer plus tôt d’ailleurs.                                                

— Max, on va manger. Me crie mon collègue tolard.                                                    

— J’ai pas faim.

   En vrai je m’appelle Maxime, Maxime Borgne. Mais Max ça fait plus classe. Quand j’étais gosse, mes parents m’appelaient comme ça. Un jour j’au même cru que c’était mon vrai prénom. Il est dix-neuf heures et j’ai faim. Mais j’ai envie d’écrire. Je mangerai mieux demain, ça me fera pas grand mal.  Enfin, si je trouve à manger. J’ai plus d’argent, vingt ans de prison ça m’a laissé le temps de le dépenser clandestinement en clopes et autres récréations.

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