Chapitre 1

Par Adaline
Notes de l’auteur : Suite à mon petit coup de gueule concernant l'inspiration qui me faisait défaut, voici ce qui en est ressorti. J'espère que cela vous intéressera!

 

 

Un parapluie sillonnait le vent à la recherche d’un courant favorable pour l’aider à se poser. La toile jaune qui revêtait son armature, semblait vouloir se détacher à chaque secousse en guise de protestation. La pauvre n’avait toutefois pas le choix. Elle était reliée à ces tiges métalliques, rutilantes et solides, sans que personne ne lui ait jamais rien demandé. Elle avait été possédée par des mains trop lâches pour soutenir son poids à la moindre bourrasque. Des mains très certainement superficielles, pour ne pas accorder le moindre regard à son bien s’enfuyant, de manière narquoise presque, de sa soi-disante domination. Si seulement la pluie pouvait s’arrêter. Finalement, le vent se calma. La pierre mâte de la rue le recueillit en son sein, tâchant le tissu d’un mélange de terre et d’eau. Philibert à ses côtés poussa un soupir contrit. Ces jeux n’était définitivement plus si drôle qu’avant. La jeune propriétaire s’offusqua. Elle se précipita auprès de son parapluie, sa robe d’été légère voletant dans sa course. Elle le ramassa d’un air dégoûté. Il allait être compliqué de rattraper cette salissure. D’un regard furibond elle s’élança vers le petit garçon, lui donnant un soufflet magistral qu’il ne serait pas près d’oublier.

- Tu t’amuses bien ? Tu n’as rien de mieux à faire peut-être ? Va jouer ailleurs ! 

À ces mots, elle se détourna de lui, replaçant son parapluie à sa place et fendit la foule du marché ambulant pour continuer ses achats. Sur son passage, les autres passants l’observaient à la dérobé. Son attitude n’était pas si outrageuse pour mériter de tels regards désapprobateurs. Certaines femmes, semblaient même s’écarter d’elle subrepticement. D’abord étonnée par tant d’égards, la jeune femme finit par se retourner vers le petit farceur qui avait emporté son abri au gré du vent. Il l’observait avec émerveillement. La main sur sa joue, des larmes de joies commençait à perler au bord de ses yeux. Ce n’était pas réellement l’attitude attendu après une réprimande. À moins bien sûr qu’elle n’ait recommencé… La jeune femme retourna sur ses pas, fit signe discrètement à l’enfant de la suivre et se dirigea vers une ruelle sordide. Ses souliers résonnaient sur les pavés mouillés. Les bâtiments étaient si proches et la ruelle si longue que l’écho de ses pas l’entourait. Elle se retourna pour vérifier qu’elle était bien suivie. Le garçon, lui, n’émettait aucun bruit. Renfermant son parapluie et tapant ses chaussures sur le paillasson, elle poussa la porte d’une librairie et cria pour s’annoncer.

- C’est moi Argos ! Pas besoin de faire semblant de vendre quelque chose. Je viens d’en trouver un autre. 

Une pile de livre s’effondra sur la mezzanine. Avec un sourire aux lèvres, elle entendit jurer et tousser. Se précipitant dans l’escalier en colimaçon, elle se dirigea entre deux étagères pour aider un vieil homme à se redresser. Sa peau était parcheminée, sa barbe d’un blanc immaculé, ses cheveux ébouriffés, mais ses yeux encore pleins de vie, lançait des éclairs derrière ses lunettes. 

- T’étais pas censée apprendre les bonnes manières dans ta pension pour fille, Chanceline ? Tes parents devraient juste se résigner à faire de toi une poissonnière ! Au moins ton coffre servirait à autre chose qu’à effrayer un vieil homme.

            Le brin de malice qui perçait dans sa voix n’échappa pas à la jeune femme qui s’empressa de lui baiser la joue. Se penchant sur la balustrade, Argos s’éloigna de la jeune femme pour observer le petit garçon. Les bras ballants, il observait les meubles autour de lui plus anciens, sophistiqués et laids les uns que les autres. Des piles de livres s’amoncelaient et dégorgeaient de chaque endroit encore visible de la pièce.  La pluie ne l’avait pas touché. Pour être tout à fait exact, ce lieu en règle générale n’avait pas d’emprise sur lui. Sa coupe au bol et ses guenilles indiquaient de qu’elle époque il venait. 

- Et tu t’appelles comment petit ?

            Penaud, l’enfant murmura dans sa barbe, observant avec crainte et respect ces gens qui le toisaient. Avec un soupir, Argos descendit avec lenteur les marches de bois, faisant grincer les planches à chacun de ses pas. Refermant la porte restée ouverte, il s’agenouilla auprès de l’enfant avec difficulté.

- Parle mon garçon, personne ici ne souhaite te faire du mal.

            Observant à la dérobée, la dénommée Chanceline, l’enfant se frotta la joue d’un air absent avant de reprendre d’une voix un peu plus éclaircie.

- Je me nomme Philibert Drussand, monsieur. Je… vous me voyez vraiment ?

            Argos émit une sorte de gloussement, correspondant plus à l’idée que se faisait le jeune garçon d’un raclement de gorge et d’un grognement. Il tapota ses lunettes aux verres grisâtres.

- Je peux te voir grâce à ces verres et lire sur les lèvres est mon plus grand talent. Par contre la jeune demoiselle, ici présente, te voit et t’entend parfaitement.

            Dansant d’un pied sur l’autre, le jeune garçon osa enfin affronter le regard de la jeune femme.

- Veuillez m’excuser dame Chanceline pour votre ombrelle… je… je m’ennuyais plus tôt et comme personne ne semblait me voir et bien… je voulais juste m’amuser.

            Elle ne ressemblait pas vraiment à une dame. Toutefois, il lui sembla sage d’utiliser ce titre. Il avait fait l’erreur de croire qu’elle ne le voyait pas, il n’allait pas risquer de se compromettre à nouveau. Ce n’était pas parce que les cheveux de son chignon semblaient s’échapper malencontreusement de tous côtés ou que sa robe, trop courte, la faisait ressembler à une jeune fille du cirque, qu’il devait la dénigrer plus que de raison. D’ailleurs, elle ne semblait plus si méchante à présent. Il ne serait pas allé jusqu’à admettre que le petit chapeau jaune qui ornait sa crinière brune rendait son aspect légèrement ridicule. Peut-être se contenterait-il de la mention « originale ». Un sourire éclaira le visage de la jeune fille, et ses joues trop rondes, firent pétiller ses yeux noirs. 

- Ce n’est rien Philibert, je suis désolée de mon côté de m’être emportée de cette manière. Mais dis-moi petit ange, d’où viens-tu ?

            L’inquiétude se lisait sur les traits de l’enfant et un élan de panique lui fit parcourir les alentours d’un air apeuré.

- Où suis-je ? 

            Fronçant les sourcils, Chanceline claqua sa langue d’un air contrarié.

- Réponds d’abord à ma question.

- Je… je viens de Paris, je suis né en 1946 après de la guerre.

- Ah… Paris…

Le soupir rêveur de la jeune femme ne fit que renforcer le malaise de Philibert.

- Je suis désolée. C’est à cause de moi que tu te retrouves ici. J’ai tendance à ramener les âmes égarées par ici. Enfin, avec l’aide de mon parapluie, il s’ennuie un peu trop facilement.

            Écarquillant les yeux, le jeune garçon vit le parapluie, posé contre le chambranle de la porte s’ouvrir par à coup pour manifester son mécontentement.

- Où suis-je ?

            Le corps frêle de l’enfant se mit à frémir et frissonner, perdant peu à peu sa substance physique. D’un geste protecteur, Chanceline essaya de s’accrocher à son bras, mais même elle ne parvenait plus à le toucher. D’un air boudeur et triste à la fois, elle l’observait s’éloigner d’elle de plus en plus.

- Tu n’es nulle part de bien intéressant. En fait, lorsque tu retourneras d’où tu viens, tu nous auras très certainement oublié. J’espère réellement que tu nous rendras visite de nouveau !

- Je… je ne comprends pas.

- Personne ne comprend jamais. Surtout les adultes ! Surtout, n’oublie pas de continuer à rêver Philibert.

            Avec un geste d’au revoir, Chanceline disparut de son champ de vision, tout comme la librairie et le vieux monsieur. La jeune femme avec un soupir, aida Argos à se redresser. 

- Bon et c’était qui celui-là ? 

- Personne. Un écrivain en herbe qui ne publiera jamais rien. Mort de maladie avant d’être reconnu. 

- Tu devrais, rien qu’une fois essayer d’inspirer un adulte mon enfant. Ce n’est pas de cette manière que tes talents de muses seront reconnus.

-Mais Argos, nous vivons dans un monde où tout a déjà été fait ! D’ailleurs tout a tellement été déjà fait, que les hommes ne trouvent rien de mieux que réutiliser des idées complètement épuisées. 

- C’est le traitement qui prévaut. 

- Vas donc dire ça aux humains qui osent reprendre ton nom pour l’un de leurs satellites. 

- C’est un hommage.

- C’est une prison ! s’écria-t-elle.

            De colère, Chanceline envoya valser plusieurs ouvrages qui commencèrent à l’attaquer en protestant. Son chevaleresque parapluie vint à sa rescousse en s’interposant entre elle et les livres, crachant les gouttes de pluies restantes sur sa toile. Effrayés, les volumes voletèrent se réfugier derrière les meubles anciens, continuant malgré tout à ouvrir leurs langues de papier dans une cacophonie outrée. Le glorieux parapluie, heureux de son effet, se referma en se postant près de sa propriétaire, en chien de garde. La jeune femme se tourna, décoiffée et essoufflée vers son confident.

- Et surtout, ne me dis pas que c’est dans la contrainte que les hommes sont les plus créatifs. Les hommes ont perdu leur créativité en devenant trop terre à terre et en ayant peur de tout. 

            Argos enleva ses lunettes, laissant entrevoir ses multiples yeux à la jeune femme. Il la vit froncer les sourcils et essayer de déterminer où porter son regard.

- Tu ne comprends donc vraiment pas que les enfants sont les seuls encore capable de cette innocence d’esprit pouvant certainement raviver la flamme de notre monde ? Nous nous épuisons, Argos. Nous nous épuisons à force de ne plus quoi savoir dire.

            Toutes tensions disparues, la jeune femme se laissa aller contre une armoire de chêne, pourvue d’enjolivures représentant des mésanges frivoles. Les oiseaux s’empressèrent de changer de placard, ne souhaitant pas être pris pour cible. Argos, s’approcha d’un pas traînant de la jeune femme, dardant sur elle ses milles regards de glace.

- Tu es trop têtue pour être raisonnée, et trop défaitiste pour même essayer. Si ton existence n’a plus de sens, peut-être devrais-tu renoncer. Les muses humaines avaient plus d’utilité que toi. Il leur suffisait d’exister pour inspirer leurs protégés. 

            Le poids des reproches s’abattit sur Chanceline comme un sceau d’eau froide. Mais bien sûr ! C’était exactement ce qu’elle devait faire. Rayonnante à nouveau, la jeune femme étreignit le vieil homme de toutes ses forces.

- Tu as raison ! Je dois descendre sur Terre.

            Chanceline sortit de la librairie en un éclair, attrapant son parapluie à la volé. Argos ne savait pas encore très bien ce qu’il avait pu dire de travers. Un tel exil serait irréversible, et le vieil homme doutait terriblement que la jeune muse soit assez persévérante pour réaliser cette folle entreprise.

Fière, intrépide et déterminée, la jeune muse se lança à l’assaut des rues de la capitale. Une horloge au loin sonna l’heure pleine tandis que la ville s’éveillait. Les rues, tantôt pavées, tantôt goudronnées, en nuages moutonneux ou en verre glissant, semblaient prêtes à tout pour ralentir son approche. La ville entière se jouait d’elle. Déformant les perspectives et créant des impasses là où de grandes avenues auraient dû apparaître, Chanceline commençait à douter de sa décision. Si la cité de la création et de l’imagination elle-même l’empêchait d’atteindre la première étape de son plan, il allait être difficile de s’y tenir. Elle poussa un soupir rageur qui lui valut bientôt d’être la cible d’un nuage pleureur. Excédé, le parapluie eut tôt fait de le percer, révélant une cascade violente et glacée. Trempée jusqu’aux os, les cheveux dégoulinant, Chanceline recracha quelques poissons rouges et foudroya littéralement son fidèle acolyte. Non mais, quel idiot ! Le parapluie s’ébroua, déconfit et comme s’il s’agissait d’un signal d’alarme, s’élança dans les airs en transportant à bout de manche sa maîtresse. La jeune muse poussa un petit cri de surprise en sentant ses pieds quitter la terre ferme et s’accrocha des deux mains à sa poignée. 

            Les cieux malheureusement, n’était pas le terrain le moins dangereux. Sitôt rassurée, de brusques rafales secouèrent la jeune muse. Son chapeau s’agrippait tant bien que mal à sa chevelure, épinglant ses barrettes avec la force du condamné. Un vaisseau spatial venait de les dépasser, suivit de près par un avion de ligne enflammé qui menaçait à tout instant de s’écraser. Le parapluie, évitait chaque obstacle avec souplesse et discernement, sans prendre gare toutefois à sa passagère prise de nausées.  Même si l’imagination avait parfois du bon, tout rassembler dans un même lieu était risqué. D’autant plus que Chanceline, ne faisant partie que de la plus basse classe des muses, était sujette à toutes ces intempéries et ne pouvait pas se permettre de les ignorer. Ça, la cité en était bien consciente, et s’amusait plus que de raison. Au moins la jeune femme était-elle sèche à nouveau. Au loin, elle pouvait apercevoir le Mémorial se détachant, majestueux et immuable, à travers la folie dont la ville avait le secret. Il semblait si proche et si loin à la fois… Mais si la jeune muse comptait parfaire sa vocation, il était temps qu’elle l’atteigne. Bien entendu les phénomènes imaginaires deviendraient de plus en plus incontrôlables à mesure de son approche.

Sifflant à perdre haleine, elle ordonna à son parapluie de se stabiliser. Elle se balança ensuite d’avant en arrière pour obtenir l’élan suffisant et s’élancer dans les airs en se rattrapant sur son sommet. Son chapeau voulu se faire la malle, mais Chanceline, imperturbable, le rattrapa au vol et le flanqua hâtivement sur sa tête. Elle agrippa les bords de son embarcation improvisée et fila à travers cieux, descendant à la limite des toitures de toutes les habitations confondues. Observant les cheminées qui s’amoncelaient sur son chemin, un sourire brillant de malice s’étira sur son visage. La jeune femme, au grand damne des autres occupants du véhicule, entra dans la plus proche pour ressortir dans la précédente, 300 mètres en arrière… Finalement, ses calculs n’étaient pas si pertinents. Nullement découragée, elle retenta l’expérience pour se retrouver pleine de suie, mais bien plus proche du Mémorial. Continuant ainsi son jeu de saute-mouton, évitant les montgolfières, deltaplanes et autres engins préjudiciables, elle atterrit en douceur devant le pont levis du merveilleux sanctuaire. 

Son accoutrement était alors désastreux. Même les écuyers n’auraient pas accepté de la voir entrer dans leurs écuries. Ses cheveux, déjà durs à dompter, partaient dans tous les sens. Son pauvre chapeau se rattrapait à ses pointes tant bien que mal. Sa robe tombait sur ses épaules et son parapluie gisait à ses pieds, sans la moindre envie de se redresser. Et c’était sans parler de la suie qui la recouvrait de la tête au pied. Heureusement, les Inspiratrices se doutaient que leurs braves visiteurs puissent avoir du fil à retordre pour arriver devant leur porte. Inébranlable, Chanceline se tenait aussi droite que possible lorsqu’elle se dirigea vers les douves. Son reflet lui renvoyait une image cataclysmique. En quelques clignements des yeux, son allure retrouva toute sa splendeur. Enfin, disons plutôt sa singularité. Sa robe bouffante, ses bottines blanches, son chignon bas et son chapeau de guingois lui donnaient l’air d’une poupée baroque à tendance sixties. Lissant par coquetterie les plis de sa jupe, elle attrapa son parapluie pour le glisser dans l’eau à son tour. Il retrouva sa vigueur et son mauvais caractère, et s’abattit sur la tête de Chanceline sans autre formes de procès. La jeune muse caressa son crâne endolori et adopta une mine de circonstance.

- Désolée…

            Satisfait, son parapluie se pendit à son avant-bras tandis que sa maîtresse s’avançait vers l’entrée du Mémorial. Le garde en faction observa Chanceline s’approcher d’un œil critique et pour le moins bienveillant. La jeune femme lui fit un salut militaire qu’il sembla apprécier, car d’un tour de manivelle, le pont levis s’abaissa. Franchissant une grille qui s’ouvrit spontanément sur son passage, elle déboucha dans une cour à ciel ouvert. Un chemin sinueux accueillait ses visiteurs, les obligeant à admirer le complexe végétal qui les entourait. Un subtil mélange de jardin à la française et de jardin zen, entretenait une plénitude profonde. Chanceline n’osait pas marcher trop vite et tenait plus que tout à s’imprégner du paysage. L’endroit semblait immense et pourtant trop petit pour avoir la chance de s’éterniser. Un puit en pierre trônait au centre de l’arrangement floral, donnant juste ce qu’il fallait de rustique à la cour pour la rendre romantique. Un sourire aux lèvres, la jeune femme monta les quelques marches qui lui permettait enfin d’accéder à l’édifice. Ses derniers soucis semblaient s’être envolés comme par magie. Elle déboucha dans une énorme entrée somptueuse et élégante. Un valet l’attendait de pied ferme, l’ayant très certainement rangée dans la catégorie « première visite », au vu du temps qu’elle avait mis pour visiter le jardin. Il serait malheureusement impossible de vous décrire l’architecture de l’endroit en lui rendant toute sa splendeur. Après tout, c’était l’imagination réunie de milliers d’hommes qui l’avait façonnée. Trois portes immenses apparaissaient de chaque côté, chacune possédant une file d’attente des plus impressionnantes. Le style architectural était plutôt désaccordé, tentant certainement à refléter les personnalités de chacune de ses occupantes. Pourtant, l’harmonie de l’endroit ne faisait aucun doute. En s’avançant un peu plus, le valet toujours sur ses talons, Chanceline pu admirer le grand escalier de pierre qui se séparait en deux pour déboucher sur les méandres du palais. En dessous des marches, une dernière porte de même envergure que ses sœurs se dressait majestueusement. La jeune muse non seulement admirative, avait pénétré dans le sanctuaire sacré du Mémorial, et son excitation répondait de concert avec la solennité du moment. 

            Elle savait, pour l’avoir étudié dans sa pension pour jeunes muses, que derrière chaque porte se trouvait l’une des grandes Inspiratrices. Le symbole qui les surplombait annonçait l’Art qu’elles illustraient. Ainsi, une équerre posée sur un plan était liée à l’Architecture, le burin et l’argile à la Sculpture, le crayon et la palette aux Arts Visuels, la clef de sol emmêlée dans un saxophone à la Musique, la plume sur un livre ouvert à la Littérature, le chausson de ballerine et le masque de comédie aux Arts de la Scène et enfin la pellicule et la caméra au Cinéma. Se dénombrant au nombre de sept, les catégories d’Arts définies par les Hommes étaient alors représentées. Devant chaque porte, aussi bien des œuvres que des matériaux, des muses ou des personnages, attendaient patiemment que sa requête fut entendue. Que faisons-nous donc des nouvelles formes d’art ? La bande-dessinée, les médias, les jeux vidéo, la cuisine ou encore l’art floral ne mérite-t-il pas une reconnaissance similaire ? Malheureusement non, mais c’est un débat pour un autre jour.  

            Un raclement de gorge, fit retomber Chanceline à l’instant présent. Le valet semblait des plus mécontent. 

- Chère apprentie, puis-je avoir la raison de votre venue ? La cérémonie d’attribution des Arts n’est pas prévue avant plusieurs créations. 

La jeune femme lui lança un sourire embarrassé. Elle s’était laissée porter par la majesté du lieu et semblait avoir oublié la raison de sa présence ici. Sa discussion avec Argos lui revint brusquement, et la jeune femme fut frappée par son idiotie. Pensait-elle vraiment être capable d’inspirer qui que ce soit ? Et pour cela, avait-elle réellement besoin de descendre sur Terre et ainsi s’exiler à tout jamais de ce lieu ? C’était pour ainsi dire, complètement absurde. Pourtant, Chanceline ne pouvait pas reculer. L’heure était grave. Il fallait absolument que les Hommes retrouvent une certaine fraîcheur dans leurs œuvres afin de maintenir le monde des Muses à flot. Ce n’était pas tant le manque de création réalisée qui faisait défaut. Plutôt le manque d’originalité. Ce n’était pas un problème que Baz Luhrmann décide de détourner l’œuvre de Shakespeare pour la rendre moderne. C’était toutefois un comble de reproduire 3 fois « Une Étoile est née » en moins d’un siècle. Un comble de voir des humoristes se plagier. Un comble enfin de surfer sur la vague d’un effet de mode pour se faire connaître. Ce n’était pas ça l’Art. C’était un besoin irrépressible de réaliser quelque chose. C’était une inspiration, une folie qui empêchait de dormir tant que l’œuvre ne serait pas finie. C’était une réponse que l’auteur recherchait par des moyens détournés sur son existence. Les déviances humaines devenaient toutefois affligeantes, donnant à leur jeunesse – leur avenir au bas mot -  l’envie de ressembler aux effigies de téléréalité.  Vous vous souvenez du débat sur les nouveaux arts à intégrer ? Voilà, l’une des raisons pour lesquels certains étaient bannis. Les muses vivaient pour inspirer l’humanité, pas pour la détruire. 

- Je souhaiterais déposer une requête auprès des Inspiratrices. 

            Le valet haussa un sourcil broussailleux.

- Auprès de toutes les Inspiratrices ?

- Eh bien, comme vous l’avez si gentiment signalé, je n’ai pas d’Art attribué. Je n’ai donc pas d’autres choix que de m’entretenir avec toutes les Inspiratrices.

            Avec un râle de mépris, le jeune valet la conduisit derrière un large comptoir d’où il sortit un carnet de note. Chanceline devait bien admettre que l’utilité d’un objet pouvait parfois excuser le manque d’originalité. 

-  Prénom, statut et ordre de la requête je vous prie ?

            La politesse feinte avec laquelle ce valet la servait énerva passablement la jeune femme. Elle n’allait toutefois pas se laisser intimider par un énergumène de la sorte. Un sourire moqueur s’étira sur ses lèvres lorsqu’elle anticipa sa réaction à la suite de sa réponse.

- Chanceline, apprentie muse. Je souhaiterais me rendre sur Terre.

            Le serviteur en perdit son stylo, sa contenance et la couleur de son épiderme. Elle fut surprise de le voir regarder de tous les côtés pour vérifier que personne ne faisait attention à leur discussion. Avec une véhémence et une animosité nouvelle, il se précipita de sortir de derrière son comptoir pour la jeter dehors sans autres formes de procès. 

- Et n’essayez pas de revenir !

            D’un mouvement sec, il referma les battants de la grande porte et tourna la clef. La jeune muse s’attendait bien évidemment à une réaction, mais pas aussi brutale. Peut-être avait-elle eu tords de présumer qu’il serait aussi simple d’obtenir une audience. Abattue, mais non moins déterminée, la jeune femme remonta les marches pour accéder de nouveau au hall d’entrée du Mémorial. Elle appuya une première fois sur la poignée pour entrer, mais rien ne se produisit. Insistant de plus belle dans un flot incessant, elle se dit que son opiniâtreté finirait par rendre ce chien de garde de valet fou, l’obligeant à devoir l’écouter. Chanceline sentit son parapluie se balancer doucement sur son avant-bras, s’inquiétant très certainement de l’attitude de sa maîtresse. Le caressant distraitement, elle s’acharna une nouvelle fois, donnant quelques coups de pieds supplémentaires au vitrage de la porte. Elle eut alors un sursaut, lorsqu’elle sentit un projectile sur son omoplate. Se retournant brusquement, elle ne vit rien que la verdure merveilleuse du jardin. Aucun être, pas même le vent, ne semblait troubler la volupté de la cour. Un « psst » sonore, attira son attention. Sur sa gauche, un buisson s’ébroua. Curieuse mais poltronne, Chanceline s’approcha à pas lent, mettant un pas devant l’autre avec précaution et brandissant son parapluie au-dessus de sa tête. Un papier s’échappa soudainement des feuillages pour se poser lentement sur le gravier. Tout en continuant de fixer l’étrange phénomène, la jeune femme se baissa afin de le ramasser. 

- J’ai tout entendu là-dedans. Dites-donc mademoiselle, vous avez un sacré culot ! Allez à cette adresse, vous comprendrez.

            Une ombre informe sortit précipitamment de son abri pour se diriger vers la sortie. Chanceline fixa le bout de papier et le retourna dans tous les sens. Rien, il était vierge. La jeune muse essaya de rattraper l’individu et crier son nom, quand elle réalisa qu’elle ne le connaissait pas. Elle referma la bouche, perplexe. Immobile, devant le pont levis, elle entendit le garde l’apostropher.

- Jeune dame, vous devriez utiliser la navette pour retourner en ville. Le chemin sera très certainement moins chaotique.

            Elle devait avoir une mine incrédule, car le garde eu un sourire plein de compassion avant de lui désigner un socle de métal.

- Téléportation dernière génération, annonça-t-il avec fierté, comme s’il en était le créateur.

            Chanceline se sentit idiote pour la seconde fois de la journée. Bien sûr, elle aurait dû y penser, ça lui aurait éviter bien des désagréments… Serrant le papier vierge, la jeune femme monta à bord, essayant de connaître la prochaine marche à suivre.

 

 

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Hinata
Posté le 01/04/2019
 Un énorme potentiel selon moi ! L'écriture est très bien dans l'ensemble même si quelques formules demanderaient une petite reprise du texte ... J'aime beaucoup certains mots que tu utilises ("chevalresque, poltrone...") 
 Sur la structure du passage : le début est génial, on est entraîné de surprises en surprises de la première ligne jusqu'à ce que l'enfant soit parti. Les dialogues sont bien, mais le passage où Chanceline se déplace est un peu confus (même si je comprends que ce soit voulu) et surtout trop long selon moi. Il faudrait peut-être esssayer de garder un peu plus longtemps la dynamique du début
Adaline
Posté le 01/04/2019
Coucou Hinata!
 
C'est noté, j'y ferais attention, je m'en suis aussi rendue compte la dernière fois, quand ma cousine a commencé à faire la lecture à voix haute...
Par contre c'est dommage pour la confusion et la longueur du passage où Chanceine traverse la ville :/ Il va donc falloir rattrapper tout ça... je trouvais pourtant ça dynamique... Il va falloir que j'arrive à éviter de faire sortir le lecteur de l'histoire et améliorer tout ça! 
 
En tout cas merci beaucoup de ton retour! Je suis super contente d'avoir ce genre de commentaires pour m'aider à progresser!! 
Litchie
Posté le 29/03/2019
Bonsoir (ou bonjour comme tu veux :D) !
J'aime beaucoup ce petit extrait, burlesque à souhait. Je sens une certaine influence Mary Poppinsesque dans Chanceline (dont j'aime beaucoup le prénom tiens) qui colle parfaitement à l'univers. Des virgules un peu mal placées à gauche et à droite, mais rien d'insurmontable à corriger :D 
Adaline
Posté le 29/03/2019
Hello! :)
Merci beaucoup de tes remarques :D Il va de toute façon falloir que je reprenne quelques parties^^' Au fur et à mesure j'arrête pas de modifier la syntaxe au lieu d'écrire le chapitre 2... En tout cas, merci beaucoup! Ton commentaire fait vraiment plaisir :D 
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