Chapitre 1

Notes de l’auteur : Une nouvelle mise en page !

*

 

                                        Pirate

                                        

 

 

       Ils sont violents. Ils sont cruels et la pitié n’est pas leur fort.

       Ils sont fiers, téméraires, à la limite de la folie, jouant leur vie aux osselets, ils

aiment verser le sang et entendre la plainte des agonisants.

       Ce sont les « saigneurs » des mers. Les étendues liquides, vides, pures et solitaires

sont leur refuge et leur terrain de batailles, la ligne d’horizon, leur paysage, leur liberté et… leur prison.       « Elle sera ma prison. En montant sur le vaisseau pirate, j’ai choisi une vie sans

retour et un trépas sans tombeau. S’enrôler sur un vaisseau noir est aussi fatidique que

l’instant d’entrer dans les ordres pour une religieuse. Comme elle, je me voue à

l’absence, je m’efface, je disparais.

       En prononçant mes vœux dans la piraterie, je congédie les paysages de mon

enfance, jamais je ne les reverrai. On me rebaptise d’un nom qui pourrait bien en

terrifier plus d’un, si j’ai de la chance… J’emménage ainsi dans la vérité toute crue des

choses. Les voiles se gonflent, les cris de l’équipage tonnent au dessus du bruit du

ressac de l’océan qui caresse la coque grinçante du navire.

       Tortuga, le mont de la Longue-vue, la crique du Rhum, l’îlot du Squelette, une

croix rouge sur une carte au trésor, une bannière aux tibias entrecroisés, une jambe

de bois, un bandeau sur l’œil, un crochet au bout du bras, un perroquet nasillard et

grossier sur l’épaule, du sang versé, beaucoup de sang, des coffres remplis

d’émeraudes, le trône d’or d’un roi légendaire dans la cale d’un navire battant

pavillon noir…

       Les flots de rhum et l'ivresse qui coulent de cet univers s’installent dans les nuits

de tous les enfants du monde.

       Mais je ne suis pas que cela !!!

       Je suis la délicieuse école buissonnière, le défi à Dieu, le défi à Satan, la tentation

qui sommeille en chacun de vous.

       J’ai deux passions qui m’animent : une révolte absolue et la recherche d’un autre

monde, d’une autre terre. Ma bouche balbutie encore des jurons bien après avoir

déserté les océans de la planète, sacrebleu !

       Sans passé et sans avenir, je vis au jour le jour, je méprise les regrets et les

espérances. Je suis un homme de destin. Chacun de mes gestes est irrévocable, je ne

nourris aucun regret, ni nostalgie. Mon départ de la terre ferme est définitif. Je nie la

société tout simplement, je lui notifie mon congé.

       Moi, le pirate je suis un paradoxe à moi tout seul : j’ai résolu de faire de ma vie

une liberté mais je me suis inséré si étroitement dans celle ci qu’elle a pris la forme

d’un carcan. Je ne peux m’en évader, elle est ma tunique de Nessos, elle m’étreint

et me tue. Elle a la couleur de la mort, du pavillon noir.

       J’ai vomis les lois de a terre et les ai mis cul par dessus tête tel mon terrible

étendard. Pourtant je ne plaisante jamais avec la loi, pas quand cette loi est la mienne.

Sur le bateau pirate, l’ordre qui règne est parfait.

       La mort m’est si familière et mes journées si semblables que je fais du meurtre un

divertissement. Aujourd’hui vivant, demain mort. Que m’importe d’amasser les

richesses ! Je ne compte que sur le jour que je vis et jamais sur celui que j’aurai à vivre.

Mais si les chemins de la mort sont variés et imprévisibles, en revanche, une chose est

certaine, les hommes de fortune font rarement de vieux os. On meurt jeune dans notre

métier. On tombe au court d’un combat ou au court d’un naufrage. On nous abandonne

sur une île déserte avec une arme à feu, quelques balles, un flacon de poudre, une

bouteille d’eau, juste de quoi mourir honorablement.

       Mes derniers instants seront paisibles, je le sais, je perds rarement mon flegme. J’avance vers mon trépas comme vers une vieille connaissance.

       J’ai joué un jeu d’enfer.

       Longtemps j’ai gagné mais à présent, j’ai perdu, et puis voilà quoi !

       J’aime le jeu pour le plaisir de jouer et non pour gagner. Je ne suis ni furieux, ni

étonné et je souris au moment du supplice. Je me présente au rendez-vous que je me

suis donné jadis en montant sur ce vaisseau avec la vérité des choses.

       Au pied du gibet, ma journée est faite. Je quitte la mer, l’or et le soleil. Je ne

laisse derrière moi ni mémoire, ni mélancolie. Ma vie se défait et le vent efface mes

empreintes du sable que j’ai foulé et qui m’a déjà oublié. J’ai choisi de vivre et de

mourir sans mémoire.

       Je ne meurs pas, je trépasse…

       Peut être que ma férocité, mon extrémisme, ma malfaisance vont nourrir ma

légende si j’ai eu de la chance. Mais en définitive ne croyez vous pas qu’un doux rêveur

idéaliste se cache derrière la peau burinée du loup de mer que je suis ?

       Les eaux que j’ai écumées se trouvent dans les contrées les plus belles du monde.

Le cristal bleu de la mer des Caraïbes m’a ouvert ses plages de délices. Ces lieux n’ont

pas été choisis au hasard, je suis un affamé de paradis terrestres.

       Malheureusement, l’Eden et l’Enfer sont bien près l’un de l’autre. Ils se touchent

et s’enlacent. Un ouragan suffit pour que les sables et les voluptés du Bon dieu soient

déportés dans les platebandes de Satan.

       Ces périls ne m’émeuvent pas, j’étais résolu à aller de l’avant, je voguais vers les

lagons et tant pis si le plaisir s’est achevé en désastres. Morbleu !»

       Tel est le châtiment ou plutôt le plaisir du pirate. Plonger au fond du gouffre, au

fond de l’inconnu pour trouver de l’inédit et qu’importe si il rencontre l’Enfer ou le

Paradis.        De toutes les communautés humaines, qu’elles soient raffinées ou sauvages, celle

des pirates est l’une des seules à n’avoir jamais fondé un ordre, réaliser des décorations,

des croix ou des légions d’honneur, des bibliothèques, des villes, des monuments ou des

cimetières…

       Les pirates se fichent des roses et des larmes. Jamais, ils ne songent pas à conférer

noblesse ou émotion à leur départ vers l’au-delà. Un bandit s’en va, voilà tout, et nulle

postérité n’entretiendra sa mémoire.

       Ces hommes ont navigué un instant dans la beauté des choses, sous le scintillement

des étoiles et de la lune et ils n’ont laissé ni marbres, ni archives.

       Qu’ils aient été épouvantables ou fraternels, pervers ou miséricordieux, héroïques

ou lâches, ils sont admirables pour leur idéal de liberté, libres jusqu’à en mourir, pour

leur sens de l’aventure, pour cette véritable noblesse qui est celle de mourir sans vanité.        De leur repaire déserté, de leurs épaves au fond des océans, de leurs amours et de

leurs ivresses, il n’y a que le ressac du néant qui nous reste et il nous chuchote de bien

belles, étranges et terribles histoires….

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Cricri Administratrice
Posté le 07/10/2008
Dans mes bras, nouvel extrait mystère !
Je ne vais pas te répéter ce que je t'ai déjà dit, sinon ça ferait redondance : j'ai adoré cet hommage qui m'a ramené une foulée de vieux souvenirs ;)
D'ailleurs, comme je t'ai dit dans mon MP, j'ai eu l'occasion de repenser à ce texte en lisant la BD dont je te parlais ! Elle te plairait, j'en suis certaine !
Un grand bravo, la miss, et montre-nous tes prochaines merveilles : ton nouveau projet ne m'inspire que du bon !
Reponse de l'auteur: *se jette dans les bras de Cristal qui tombe à la renverse. \r\n\"Un extrait mystère c\'est lourd hein ^_^ !\"\r\nMerci pour tes encouragements et pour la BD, c\'est comme si elle était déjà dans ma bibliothèque :-p.
Liné
Posté le 25/09/2008
Je veux bien prendre le large, la liberté et l'aventure, mais je te laisse la malfaisance et les crimes de pirates ! xD Que dire de spécial ? Une fois encore, j'adore ce petit côté "merveilleux" que tu donnes à ton texte... pas merveilleux dans le sens "conte de fées", mais juste... simple, libre, enthousiaste =) Bref, à bientôt j'espère !Reponse de l'auteur: Merci LinE. J\'adore également les pirates pour le grand large, la liberté et l\'aventure :-=. Le romanesque malheureusement est une vue de l\'esprit et la réalité est souvent bien plus cruelle et sanglante. Heureusement que notre imagination enjolive les choses car il est vrai que la piraterie n\'a pas que des bons côtés, c\'est peut être pour cela aussi qu\'elle nous attire, c\'est le côté obscur de la force ^_^...
Cricri Administratrice
Posté le 24/09/2008
Voilà, la miss, je te lis depuis chez la maman de CET ^^
Cet hommage à la gente pirate m'a ramené un nuage de souvenirs, du temps où nous écumions nos mers à nous ;) J'aime beaucoup cette poésie en prose qui reflète de la piraterie un romantisme d'une autre sauce que ce que l'on nous sert d'habitude : tu n'essayes pas de voir de bons sentiments là où il n'y en a pas, mais une vérité faite de paradoxes. La liberté et l'aliénation, l'anarchie et l'obéissance à la règle, l'enfer et le paradis perdu...
La mise en page est peut-être un peu hâchée menue (tu sautes systématiquement à la ligne), ce qui empêche la lecture d'être linéaire, par un phénomène purement optique. Il est vrai que tu ne racontes pas ici une histoire, ce n'est donc pas vraiment gênant, mais mon oeil a eu parfois du mal à trouver son chemin.
C'est ma seule réserve ^^ Il y a vraiment de très beaux passages et de fort jolies trouvailles : on sent que tu as choisi tes mots avec soin et que tu te penches avec tendresse sur un univers qui t'a souvent fait rêver ! Par ailleurs, j'ai le sentiment que ton écriture a beaucoup évolué depuis ces dernières années : pour quelqu'un qui n'a pas beaucoup de temps pour écrire, tu me souffles ^^' En tout cas, ça me donne très envie de lire un jour de toi une histoire de longue haleine !
Reponse de l'auteur: Une mise en page \"Hâchée menu\" pour un texte de pirate c\'est la moindre des choses ^_^ lol. \r\nMais je me range à ton avis, tu as tout à fait raison. D\'ailleurs quelque chose n\'allait pas pour moi dans ce texte mais je n\'arrivais pas à mettre le doigt dessus. J\'ai hésité un peu avant de le mettre en ligne, il me plaisait beaucoup de par son sujet mais lorsque je le lisais il m\'étouffait, j\'avais l\'impression de perdre mon souffle, sa trop grande aération sans doute qui causait ce malaise. Un paradoxe de plus ;-). Ces derniers temps je me penche sur une histoire de longue haleine, c\'est assez flippant de se lancer là dedans, je prie pour qu\'elle ne me laisse pas sans souffle elle aussi ^_^. En tout cas un grand merci ma Cricri de m\'avoir remise sur les rails. \r\nPS : Une pensée émue pour la maman de CET. \r\n
Sunny
Posté le 22/09/2008
Beau texte... presque poétique, à défaut d'un mot plus approprié... J'ai bien aimé.Reponse de l'auteur: Merci beaucoup :-)
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