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Pirate
Ils sont violents. Ils sont cruels et la pitié n’est pas leur fort.
Ils sont fiers, téméraires, à la limite de la folie, jouant leur vie aux osselets, ils
aiment verser le sang et entendre la plainte des agonisants.
Ce sont les « saigneurs » des mers. Les étendues liquides, vides, pures et solitaires
sont leur refuge et leur terrain de batailles, la ligne d’horizon, leur paysage, leur liberté et… leur prison. « Elle sera ma prison. En montant sur le vaisseau pirate, j’ai choisi une vie sans
retour et un trépas sans tombeau. S’enrôler sur un vaisseau noir est aussi fatidique que
l’instant d’entrer dans les ordres pour une religieuse. Comme elle, je me voue à
l’absence, je m’efface, je disparais.
En prononçant mes vœux dans la piraterie, je congédie les paysages de mon
enfance, jamais je ne les reverrai. On me rebaptise d’un nom qui pourrait bien en
terrifier plus d’un, si j’ai de la chance… J’emménage ainsi dans la vérité toute crue des
choses. Les voiles se gonflent, les cris de l’équipage tonnent au dessus du bruit du
ressac de l’océan qui caresse la coque grinçante du navire.
Tortuga, le mont de la Longue-vue, la crique du Rhum, l’îlot du Squelette, une
croix rouge sur une carte au trésor, une bannière aux tibias entrecroisés, une jambe
de bois, un bandeau sur l’œil, un crochet au bout du bras, un perroquet nasillard et
grossier sur l’épaule, du sang versé, beaucoup de sang, des coffres remplis
d’émeraudes, le trône d’or d’un roi légendaire dans la cale d’un navire battant
pavillon noir…
Les flots de rhum et l'ivresse qui coulent de cet univers s’installent dans les nuits
de tous les enfants du monde.
Mais je ne suis pas que cela !!!
Je suis la délicieuse école buissonnière, le défi à Dieu, le défi à Satan, la tentation
qui sommeille en chacun de vous.
J’ai deux passions qui m’animent : une révolte absolue et la recherche d’un autre
monde, d’une autre terre. Ma bouche balbutie encore des jurons bien après avoir
déserté les océans de la planète, sacrebleu !
Sans passé et sans avenir, je vis au jour le jour, je méprise les regrets et les
espérances. Je suis un homme de destin. Chacun de mes gestes est irrévocable, je ne
nourris aucun regret, ni nostalgie. Mon départ de la terre ferme est définitif. Je nie la
société tout simplement, je lui notifie mon congé.
Moi, le pirate je suis un paradoxe à moi tout seul : j’ai résolu de faire de ma vie
une liberté mais je me suis inséré si étroitement dans celle ci qu’elle a pris la forme
d’un carcan. Je ne peux m’en évader, elle est ma tunique de Nessos, elle m’étreint
et me tue. Elle a la couleur de la mort, du pavillon noir.
J’ai vomis les lois de a terre et les ai mis cul par dessus tête tel mon terrible
étendard. Pourtant je ne plaisante jamais avec la loi, pas quand cette loi est la mienne.
Sur le bateau pirate, l’ordre qui règne est parfait.
La mort m’est si familière et mes journées si semblables que je fais du meurtre un
divertissement. Aujourd’hui vivant, demain mort. Que m’importe d’amasser les
richesses ! Je ne compte que sur le jour que je vis et jamais sur celui que j’aurai à vivre.
Mais si les chemins de la mort sont variés et imprévisibles, en revanche, une chose est
certaine, les hommes de fortune font rarement de vieux os. On meurt jeune dans notre
métier. On tombe au court d’un combat ou au court d’un naufrage. On nous abandonne
sur une île déserte avec une arme à feu, quelques balles, un flacon de poudre, une
bouteille d’eau, juste de quoi mourir honorablement.
Mes derniers instants seront paisibles, je le sais, je perds rarement mon flegme. J’avance vers mon trépas comme vers une vieille connaissance.
J’ai joué un jeu d’enfer.
Longtemps j’ai gagné mais à présent, j’ai perdu, et puis voilà quoi !
J’aime le jeu pour le plaisir de jouer et non pour gagner. Je ne suis ni furieux, ni
étonné et je souris au moment du supplice. Je me présente au rendez-vous que je me
suis donné jadis en montant sur ce vaisseau avec la vérité des choses.
Au pied du gibet, ma journée est faite. Je quitte la mer, l’or et le soleil. Je ne
laisse derrière moi ni mémoire, ni mélancolie. Ma vie se défait et le vent efface mes
empreintes du sable que j’ai foulé et qui m’a déjà oublié. J’ai choisi de vivre et de
mourir sans mémoire.
Je ne meurs pas, je trépasse…
Peut être que ma férocité, mon extrémisme, ma malfaisance vont nourrir ma
légende si j’ai eu de la chance. Mais en définitive ne croyez vous pas qu’un doux rêveur
idéaliste se cache derrière la peau burinée du loup de mer que je suis ?
Les eaux que j’ai écumées se trouvent dans les contrées les plus belles du monde.
Le cristal bleu de la mer des Caraïbes m’a ouvert ses plages de délices. Ces lieux n’ont
pas été choisis au hasard, je suis un affamé de paradis terrestres.
Malheureusement, l’Eden et l’Enfer sont bien près l’un de l’autre. Ils se touchent
et s’enlacent. Un ouragan suffit pour que les sables et les voluptés du Bon dieu soient
déportés dans les platebandes de Satan.
Ces périls ne m’émeuvent pas, j’étais résolu à aller de l’avant, je voguais vers les
lagons et tant pis si le plaisir s’est achevé en désastres. Morbleu !»
Tel est le châtiment ou plutôt le plaisir du pirate. Plonger au fond du gouffre, au
fond de l’inconnu pour trouver de l’inédit et qu’importe si il rencontre l’Enfer ou le
Paradis. De toutes les communautés humaines, qu’elles soient raffinées ou sauvages, celle
des pirates est l’une des seules à n’avoir jamais fondé un ordre, réaliser des décorations,
des croix ou des légions d’honneur, des bibliothèques, des villes, des monuments ou des
cimetières…
Les pirates se fichent des roses et des larmes. Jamais, ils ne songent pas à conférer
noblesse ou émotion à leur départ vers l’au-delà. Un bandit s’en va, voilà tout, et nulle
postérité n’entretiendra sa mémoire.
Ces hommes ont navigué un instant dans la beauté des choses, sous le scintillement
des étoiles et de la lune et ils n’ont laissé ni marbres, ni archives.
Qu’ils aient été épouvantables ou fraternels, pervers ou miséricordieux, héroïques
ou lâches, ils sont admirables pour leur idéal de liberté, libres jusqu’à en mourir, pour
leur sens de l’aventure, pour cette véritable noblesse qui est celle de mourir sans vanité. De leur repaire déserté, de leurs épaves au fond des océans, de leurs amours et de
leurs ivresses, il n’y a que le ressac du néant qui nous reste et il nous chuchote de bien
belles, étranges et terribles histoires….
Je ne vais pas te répéter ce que je t'ai déjà dit, sinon ça ferait redondance : j'ai adoré cet hommage qui m'a ramené une foulée de vieux souvenirs ;)
D'ailleurs, comme je t'ai dit dans mon MP, j'ai eu l'occasion de repenser à ce texte en lisant la BD dont je te parlais ! Elle te plairait, j'en suis certaine !
Un grand bravo, la miss, et montre-nous tes prochaines merveilles : ton nouveau projet ne m'inspire que du bon !
Reponse de l'auteur: *se jette dans les bras de Cristal qui tombe à la renverse. \r\n\"Un extrait mystère c\'est lourd hein ^_^ !\"\r\nMerci pour tes encouragements et pour la BD, c\'est comme si elle était déjà dans ma bibliothèque :-p.
Cet hommage à la gente pirate m'a ramené un nuage de souvenirs, du temps où nous écumions nos mers à nous ;) J'aime beaucoup cette poésie en prose qui reflète de la piraterie un romantisme d'une autre sauce que ce que l'on nous sert d'habitude : tu n'essayes pas de voir de bons sentiments là où il n'y en a pas, mais une vérité faite de paradoxes. La liberté et l'aliénation, l'anarchie et l'obéissance à la règle, l'enfer et le paradis perdu...
La mise en page est peut-être un peu hâchée menue (tu sautes systématiquement à la ligne), ce qui empêche la lecture d'être linéaire, par un phénomène purement optique. Il est vrai que tu ne racontes pas ici une histoire, ce n'est donc pas vraiment gênant, mais mon oeil a eu parfois du mal à trouver son chemin.
C'est ma seule réserve ^^ Il y a vraiment de très beaux passages et de fort jolies trouvailles : on sent que tu as choisi tes mots avec soin et que tu te penches avec tendresse sur un univers qui t'a souvent fait rêver ! Par ailleurs, j'ai le sentiment que ton écriture a beaucoup évolué depuis ces dernières années : pour quelqu'un qui n'a pas beaucoup de temps pour écrire, tu me souffles ^^' En tout cas, ça me donne très envie de lire un jour de toi une histoire de longue haleine !
Reponse de l'auteur: Une mise en page \"Hâchée menu\" pour un texte de pirate c\'est la moindre des choses ^_^ lol. \r\nMais je me range à ton avis, tu as tout à fait raison. D\'ailleurs quelque chose n\'allait pas pour moi dans ce texte mais je n\'arrivais pas à mettre le doigt dessus. J\'ai hésité un peu avant de le mettre en ligne, il me plaisait beaucoup de par son sujet mais lorsque je le lisais il m\'étouffait, j\'avais l\'impression de perdre mon souffle, sa trop grande aération sans doute qui causait ce malaise. Un paradoxe de plus ;-). Ces derniers temps je me penche sur une histoire de longue haleine, c\'est assez flippant de se lancer là dedans, je prie pour qu\'elle ne me laisse pas sans souffle elle aussi ^_^. En tout cas un grand merci ma Cricri de m\'avoir remise sur les rails. \r\nPS : Une pensée émue pour la maman de CET. \r\n