La Dame du Périgord
J'ai toujours conservé, depuis que je suis petite, un livre que je n'ai jamais lu. Que je sache, ce n'est ni un roman, ni une bande dessinée, ni autre chose qu'un grand bouquin avec une solide couverture, du papier glace, et de belles photos de paysages à l'intérieur. C'est le Livre du Périgord.
Ce n'est pas le genre de livre que mes parents m'auraient offert pour un quelconque évènement, et de toute façon, il ne vient pas d'eux. Il vient d'une personne qui n'a probablement pas une aussi grande place dans mon cœur que celle de ma mère, mais pour qui j'ai grand estime.
C'était une vieille dame. Une vieille dame dont la seule compagnie se résumait à un chien. Et moi. Je crois me rappeler qu'elle avait un ou deux enfants, mais si je ne me souviens pas de les avoir vus, ça veut probablement dire qu'elle-même ne les voyait pas souvent. Elle vivait seule, et comme je le disais, elle n'avait que son chien et moi. De mon côté, je n'avais pas d'amis. Comme ça, on se comblait l'une l'autre. Et c'était parfait.
Le seul lien qui nous unissait était celui de voisine. Elle habitait au dernier étage ; il n'y avait pas d'ascenseur, et elle grimpait, chaque jour, toutes ces marches grisâtres avec beaucoup de courage et de détermination. Je vivais juste au-dessous de son HLM, et contrairement à elle, j'avais l'avantage de la jeunesse.
Je suis restée dans cet appartement un an. La première fois que je l'ai rencontrée, dans l'escalier éclairé par la lumière du jour, je l'ai trouvée extrêmement gentille et sympathique. Elle m'avait invitée chez elle, et me répétait que je pouvais venir n'importe quand. Ma mère me poussait à monter l'étage qui me séparait d'elle, parce qu'elle pensait que c'était une bonne chose pour moi. Mais j'étais timide avec cette vieille dame, parce que j'avais peur de ne pas être assez distrayante pour elle. J'étais terrifiée par son jugement, par l'hypothèse qu'elle ne me trouvait pas assez bien à son goût.
Je me rendais donc peu souvent chez elle, mais les rares fois où j'y allais, j'y allais avec le cœur. Jamais un HLM n'avait été aussi chaleureux que celui de cette vieille dame. Une fois qu'on s'asseyait sur ce bon vieux canapé de cuir couleur coquille d'œuf, recouvert d'une couverture de grand-mère, on ne voulait plus se relever et rentrer chez soi.
Son chien (je ne me souviens plus son nom) était un caniche noir. J'aime les chiens, mais j'en ai toujours eu peur (sait-on jamais si l'un d'entre eux décide un jour de m'arracher une main). Mais celui-là était comme sa maîtresse : adorable.
À chaque fois que je montais l'étage qui nous séparait, elle m'offrait quelque chose. Des bonbons, des oranges... Elle prenait soin de moi comme si j'étais sa petite-fille et je l'appréciais autant, voire plus, que mes propres grands-mères. Je me confiais à elle, je lui racontais mes angoisses, le divorce de mes parents, mes problèmes à l'école avec mes camarades si peu gentils avec moi. Elle m'écoutait, me conseillait, et chaque fois je me demandais pourquoi j'avais peur d'aller chez elle.
Peu avant mon déménagement, j'ai décidé d'aller la voir une dernière fois, un soir, alors que je revenais de la piscine municipale.
- Oh ! Tu as pris des coups de soleil ! fut la première phrase qu'elle prononça après m'avoir saluée.
Elle m'avait entraînée dans sa cuisine blanche comme neige, et s'était précipitée sur son frigo pour en ressortir un énorme citron jaune vif coupé en deux. Avant que je puisse dire quoique ce soit, elle m'avait barbouillée le visage avec le liquide acide, tout en m'expliquant les bienfaits du citron sur les coups de soleil.
Quand elle estima que je sentais assez le citron, nous nous sommes installées dans le salon, comme à notre habitude. C'était l'été, et comme il faisait une chaleur étouffante dans notre contrée du Sud, une porte au fond de la pièce qui donnait sur le balcon était restée ouverte pour faire courant d'air.
- Alors, tu t'en vas ?
Elle semblait à la fois contente pour ma mère d'avoir trouvé autre chose ailleurs, et mélancolique à l'idée de me quitter. Je partageais le même sentiment, en réalisant moi aussi l'ampleur de cette petite journée ensoleillée. C'était la dernière fois que l'on se voyait.
Nous avons parlé, de tout, de rien, comme le voulait notre routine. Pourquoi changer le rythme de nos entretiens pour notre dernier tête-à-tête ?
Tout en discutant, je l'observais ; parfois mon regard planté dans le sien ; d'autres fois, du coin de l'œil lorsqu'elle se levait pour faire le tour de son salon, jaune comme son canapé. Je connaissais la pièce par cœur, j'aurais su m'y déplacer les yeux fermés. Au fond à droite, un peu avant la porte ouverte donnant sur le balcon, était posé une table en bois recouverte d'un tissu beige, pouvant accueillir environ six personnes. Ce genre de table était très commun dans les maisons méditerranéennes. Il en ressortait un léger parfum de campagne mélangé à l'image d'un berger allongé dans une plaine d'un vert pimpant, aux côtés de ses pseudos moutons. C'est une vision ridicule, je sais, mais les tables de l'époque offrait ce sentiment à n'importe quel individu qui s'y asseyait.
Devant le canapé jaune d'œuf, une table basse coupée dans le même bois que la table précédente. Et sur cette table, il y avait des dizaines de choses pas intéressantes pour tout le monde, mais qui captivaient la majorité de mon attention, et que je désirais prendre dans mes mains. Des livres. Des fascicules. Même le journal télé me fascinait. J'avais envie de tous les ouvrir, et de tous les lire. J'étais dotée d'une très grande soif de lecture à cet âge-là, et j'avais même été nommée « Meilleure lectrice » et « Lectrice qui a emprunté le plus de livre » l'année qui suivit (cela fut d'ailleurs la cause de l'arrivée des lunettes dans ma vie)
Hélas, il n'y en avait que trop, et je ne savais où me donner de la tête. Et de toute façon, je n'avais jamais osé toucher à toutes ces reliques qui ne m'appartenaient pas.
Ce jour-là, cette dernière entrevue, ne ressembla pas à ce que j'attendais. Je pensais que tout se déroulerait comme d'habitude, mais la vielle dame en avait décidé autrement.
- Si c'est la dernière fois que je te vois, je veux te faire un cadeau, avait-elle dit en se levant péniblement de son canapé.
- Non, non, vous n'êtes pas obligée de...
Elle ne m'avait pas écoutée, et s'était dirigée dans la chambre d'ami. La superficie et la forme de cette chambre était calquée sur la mienne, puisque je dormais juste en-dessous. Tout ce que je sais de cette pièce, c'est qu'elle n'était ni grande, ni petite. Juste moyenne. N'ayant jamais osé la suivre jusqu'à cette chambre, je n'ai jamais su ce qui s'y cachait. Peut-être une table de repassage, ou divers bibelots sans grande importance.
Elle en revint fièrement, avec un grand livre dans les mains. Elle ne me le donna pas tout de suite. Non... Avant ça, il y avait quelque chose de plus important à accomplir.
- Attends deux minutes... Je cache le prix, m'annonça-t-elle, en saisissant un feutre indélébile.
Enfin, quand cette tâche importante à ses yeux fut terminée, elle me le tendit, ce fameux livre. Je l'observais, en silence. Sa couverture était faite d'une immense photo, représentant une maison au milieu d'un champ verdoyant. Il n'y avait pas de logo d'une quelconque maison d'édition qui se ventait d'être à l'origine de la fabrication de ce livre. Tant mieux. Je n'avais pas forcément envie d'un livre issu d'une stratégie commerciale.
- Merci beaucoup.
Je le feuilletais rapidement. Des paysages, des grottes, des tonnes de textes racontant l'histoire, les origines, les choses à voir d'une même région : le Périgord.
- C'est là d'où je viens, me confia-t-elle. C'est beau, hein ?
- Oui.
- Si un jour, tu as l'occasion d'y aller, tu penseras à moi. Et j'espère qu'en lisant ce livre, tu ne m'oublieras jamais. Allez, va, maintenant. C'est l'heure de manger, ta maman va s'inquiéter.
Je l'ai embrassée et remerciée une dernière fois. J'ai redescendu l'étage qui nous séparait. J'ai retenu mes larmes, et pour une fois, j'ai réussi. Ceci dit, j'ai été très affligée par cette séparation et mon départ de cet HLM. Elle m'avait pourtant dit que je pouvais revenir la voir n'importe quand. Mon nouvel appartement n'était pas très loin en plus ! Je n'ai jamais osé. Je passais devant le porche de mon ancien appartement en vélo, mais je ne m'y arrêtais jamais. J'avais peur de la voir. Ou peur qu'elle ne soit plus là. Et maintenant... Je regrette. Qui sait ce que j'aurais pu partager avec elle, à nouveau ?
Ma mère la voyait parfois au ED où elles faisaient toutes les deux leurs courses. La Dame du Périgord lui demandait de mes nouvelles. Et puis...plus rien. Désormais en 2008, cela fait dix ans, que je ne l'ai plus vue. Et même si je ne me l'avouerai jamais, j'aurais pu la revoir encore. Tout ne tenait qu'à moi.
Maintenant, c'est foutu. Je ne veux pas l'imaginer, mais je sais qu'elle est décédée. Et ça me fout le cafard.
Pour arranger la situation, j'ai envoyé un texto à mon frère à midi, alors que je projetais de ranger mes livres sur mes nouvelles étagères. Évidemment, l'absence du Livre de la Dame du Périgord s'est fait remarquer.
« Hey, c'est pas toi qui a mon livre du Périgord ? »
Réponse immédiate (étonnant de la part de mon frère).
« Non »
« Mais si, c'est toi qui l'a, je te l'avais prêté quand tu allais partir dans le Périgord ! »
Pas de réponse. Merci Séb, j'ai compris le message. Tu as perdu une précieuse relique d'une précieuse dame. On te refera pas, va, frère indigne...
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Sérieusement la prochaine fois que tu dis ca de tes textes je te les FAIS MANGER PAR LES OREILLES mouhahahaha. Il est merveilleux j'ai énormement aimé et t'invite à aller sur le forum voir une description un peu plus développée que ce amas de débilités. Je te n'ème du fond du coeurrrrrr BRAVOReponse de l'auteur: Alors comme ça, j'ai pas le droit de m'auto-critiquer hein ? ;P Mais j'ai mes bonnes raisons, que tu connais déjà.
Merci en tout cas d'avoir lu et donné des précieux conseils.
Biyou.
Bon, je te le concède, tu n'as pas axé tout ton texte autour d'un travail de description mais ce n'en est pas un hors-sujet pour autant. La description est bien là (l'appartement et l'immeuble de la dame du Périgord : les couleurs, les objets), c'est juste qu'elle n'occupe pas toute la place...<br />
L'histoire qui est au coeur de cet endroit, de ce souvenir, est tellement émouvante, tellement vraie qu'elle m'a profondément touchée.<br />
Je te trouve formidable, Clo. Je ne peux pas te promettre de te faire une critique très détaillée ce soir sur le fofo (je suis vraiment fatiguée ^^') mais tu n'as pas à rougir de ton travail : il est merveilleux. Je vais m'endormir avec cette dame du Périgord, sa bienveillance et son caniche, son appartement tout chauffé de soleil, son canapé couleur coquille d'oeuf et le vieux plaid de grand-mère enroulé autour de moi ;)Reponse de l'auteur: T_T Ah Cricri...C'est pas que je dénigre cette "merveille", mais je sais juste qu'elle n'est pas adaptée au thème de l'atelier. J'ai l'impression de raconter une histoire, d'avoir écrit un récit autobiographique, plutôt que le texte descriptif qu'exigeait Shishoune. Ca correspond très peu à ce qu'elle demandait, et c'est pour ça que bon... Bref. Je n'ai fait qu'une description minime.
Sinon, merci beaucoup d'avoir lu et commenté malgré ta fatigue et tout ce que tu as à faire. Plein de gros bisous, et bon dodo avec le vieux plaid de la Dame ! ;)
Remerci, et vive ton retour parmi nous ! ^___^
Quand je suis venue pour lui rendre, il m'a dit de le garder. Le monsieur s'est suicidé peu après, et j'ai conservé précieusement le chapeau.
Sinon, le texte manque un peu des descriptions physiques.
Je suis contente d'avoir pu partager cette petite anecdote avec toi, etqu'elle t'ait rappelé des souvenirs à toi aussi... :)
Merci et bien des bisous.