MOREL Clémence
97 rue Isambart
40000 Mont-de-Marsan
Beaucaire, le 1er août 1995
Clémence,
Et voilà, tu es partie. Tu me laisses derrière toi, seul, alors que tu t’envoles comme une hirondelle vers d’autres horizons. Depuis notre dernière étreinte à l’aéroport, je ne parviens plus à dormir et passe mes nuits sur la Sega.
Tout est tellement allé si vite. Il y a deux ans, tu as débarqué ici, à Beaucaire, au lycée, dans ma classe, dans ma vie. Ton militaire de père a été muté dans cette ville minable, morne, malheureuse, et dès que tu as posé le pied ici, tu as tout embelli, tout ensoleillé. La vie est devenue meilleure, plus belle, plus heureuse. Elle valait le coup de la vivre à fond, ensemble, c’était notre chance à toi et moi.
Cette dernière année a été la meilleure de toute ma vie, mais les prochaines s’annoncent insipides. Sans toi, je ne vois pas comment reprendre goût à la vie. J’ai peut-être la jeunesse, mais tu es partie avec une part de moi. Comment pourrais-je donc vivre pleinement ?
On savait ce qui allait nous arriver. Que ton père serait muté ailleurs. Que tu le suivrais. Parce que tu as 16 ans, et que tu as l’habitude d’être trimballée de ville en ville.
Je t’écris, et je continuerai jusqu’à ce que nous soyons réunis de nouveau, parce que je crois que la distance ne tue pas. Dans le hall de l’aéroport, on s’est juré que rien ne nous séparerait. Ce qui nous lie est si fort que rien ne peut l’abattre. Mes parents ne semblent pas prendre au sérieux ce que je ressens, ça m’énerve, ça me crispe. Ils ont tort. Notre amour est plus fort que tout.
Je ne pourrais être heureux que lorsque nous nous serons retrouvés.
En attendant, j’errerai comme une âme en peine, comme un homme à qui l'on a ôté toute raison de vivre. Je t’attendrai jusqu’au bout, quel que soit le temps que cela prendra. Je suis tien, tu es mienne. Pour toujours.
J’aimerais ne pas avoir à t’écrire, je préférerais mille fois t’avoir auprès de moi. Les mots ont-ils ce pouvoir d’enlacer quelqu’un qu’on aime ? Est-ce que tu sentiras cette proximité, tout ce flot d’amour que je te porte, tout ce que ton départ a déchiré à l’intérieur de moi, quand tu liras cette lettre ?
J’essaierai de te téléphoner rapidement, mais mes parents sont très attentifs à la facture France Télécom et ce n’est pas certain qu’ils me laissent ne serait-ce qu’une demi-heure avec le téléphone à cadran.
Avec regrets, je dois maintenant poser la plume.
J’espère que cette lettre te parviendra bien.
Que tu ne m’oublies pas, malgré l’éloignement, la distance, les aléas de la vie.
Que nous nous retrouverons très vite, par lettre, par téléphone, par n’importe quel moyen.
Retiens juste une chose : je t’aime atrocement, et jamais je ne pourrais accepter de vivre sans toi.
Lucas
ROUSSEAU Lucas
98 cours Franklin Roosevelt
30300 Beaucaire
12 août 1995, Mont-de-Marsan
À mon très cher Lucas,
L’ennui me gagne dans cette ville étape. Je n’y resterai guère longtemps et je manque de courage pour me lier d’amitié avec ceux qui m’entourent. D’ailleurs, je ne sors que très peu, n’en ayant pas l’envie.
Te rappelles-tu nos ballades en sortant du lycée, lorsque certains profs étaient absents ? J’y repense très souvent. Lorsqu’il faisait chaud et que l’on courait s’acheter une glace tous ensemble. Ici, je n’ai même plus envie d’en manger. Tu imagines ?! Moi qui adore ça. Mes parents en sont surpris. Mais je ne peux pas leur dire que le goût n’est pas le même.
J’ai tenté de leur faire part de mon projet de retourner à Beaucaire pendant une semaine. Charlotte et sa mère étaient même prêtes à m’accueillir chez elle, mais ce n’est pas au goût de mon père. Il me dit que je dois m’habituer à ma vie ici. Chose que je ne comprends pas puisque lui-même a demandé une mutation dans le Nord.
Oui, le Nord ! Tu as bien lu ! Ma mère veut se rapprocher de ses sœurs et de ses parents. Je n’ai aucune envie d’y aller. Je ne veux pas m’éloigner encore plus de toi.
Malheureusement, demain, je pars avec ma mère pour fêter la Sainte Marie dans les Ardennes. Souhaite-moi bonne chance. J’ai hâte de pouvoir contempler les vaches et les tracteurs.
Sinon j’ai déjà émis le vœu d’aller à l’université de Perpignan. J’espère qu’on pourra s’y retrouver là-bas. Mes parents n’étaient pas vraiment d’accord, mais le fait que le master d’Archéologie Préhistoire et paléo environnement se fasse là-bas les a légèrement rassurées.
J’ai tellement envie que tu sois près de moi, que tu me fasses rire, que tu me prennes dans tes bras. Chaque matin, j’espère que ce ne soit qu’un rêve et que je sois en fait toujours à Beaucaire, mais ce n’est pas le cas.
Je n’ai pas peur de dire que je t’aime profondément et que mon cœur est lié au tien.
Clémence qui t’aime.
PS : au cas où, je te donne l’adresse de ma grand-mère :
Mme Lesson
12 place de la Mairie
08380 AUGE
MOREL Clémence
42 rue Sadi Carnot
60100 Creil
Beaucaire, le 15 janvier 1999
Clémence, ma Clémence,
Je m’inquiète.
Je ne comprends pas – je n’accepte pas – ce silence qui me glace le cœur.
Voilà plus de trois ans que je n’ai plus aucun signe de vie de toi. Tu m’as oublié. Tu m’as désaimé.
J’ignore si je t’ai fait quelque chose de mal, si tu as rencontré quelqu’un d’autre, si tu t’es lassée…
Ignorer la raison de ce vide est la pire des souffrances.
J’ai tout fait pour te retrouver.
Je consulte bottin sur bottin pour guetter une adresse qui me donnerait l’espoir qu’on se retrouve un jour. Je téléphone partout, dans toutes les bases militaires même. Peu importe que je me fasse rembarrer. Peu importe que tout soit voué à l’échec. Je t’aime et je veux comprendre.
Après recherches, j’ai appris que ton père continuait à bouger. J’ai trouvé cette nouvelle adresse.
Je prie pour que cette lettre arrive à temps. Avant que tu ne disparaisses de nouveau. À croire que tu n’as jamais existé, comme si je t’avais toujours rêvée, toi, notre amour.
Chaque jour, je guette le facteur. Chaque jour, il m’adresse un signe d’impuissance, parfois sans même prendre le temps de s’arrêter devant ma boîte aux lettres. Au début, mon cœur bondissait d’espoir dans ma poitrine dès que j’entendais le pet-pet-pet de sa mobylette… Aujourd’hui, c’est un clou de plus qui s’y enfonce quand je le vois repartir sans déposer une lettre de toi…
Je suis tellement déchiré que je ne parviens pas à me réjouir de l’ordinateur dont mes parents ont fait l’acquisition. Cet engin nous vient tout droit du XXIe siècle, mais pour ma part, j’ai du mal à considérer ça comme la clé de mon futur (d’autant plus que mes parents ont refusé de prendre un abonnement AOL…).
Clémence, s’il te plaît, où que tu sois, fais-moi signe.
Je me sens démuni, meurtri par cet amour à sens unique.
Je t’en supplie une nouvelle fois, écris-moi.
Toujours, je t’aime.
Ton Lucas
ROUSSEAU Lucas
98 cours Franklin Roosevelt
30300 Beaucaire
30 mars 1999
Lucas, mon cher Lucas,
Ta lettre m’est bien parvenue et pourtant j’ai laissé filer le temps. Je crois que je manquais de courage. Ne crois pas que mes sentiments ont disparu. Je les ai juste enfermés depuis si longtemps que je n’ose pas les laisser sortir.
Souvent, je me suis demandé pourquoi tu ne m’avais pas répondu. J’ai espéré longuement. Attendant avec hâte une lettre, peu m’importait qu’elle m’arrive chez moi ou chez ma grand-mère tant qu’elle venait jusqu’à moi. Mais il n’en a rien été.
J’ai tenté d’oublier en me concentrant ce qui m’entourait. J’ai pensé que tu pouvais avoir rencontré une autre fille à l’université. Je l’imaginais déjà : grande, de magnifiques cheveux noirs ; souriante et intéressante. Le genre de fille qui t’évite de penser au passé. C’était sûrement mieux pour toi.
Et moi dans tout cela ? J’ai souri, j’ai ri, j’ai vécu, mais je ne parvenais pas à t’oublier. Je t’ai écrit des dizaines de lettres, mais je n’ai jamais trouvé le courage de t’en envoyer une. Trop de temps était passé et je craignais d’avoir l’air stupide. À quoi bon envoyer une lettre de reproche et de désespoir ? Tu avais parfaitement le droit de faire ta vie sans moi. Même si j’avais mal, je voulais te voir heureux.
Même si tu m’en veux ou que tu ne m’aimes plus autant qu’avant, je voudrais te revoir. Cependant, je crains ton regard : que penseras-tu de moi ? Ne te diras-tu pas que cette fille que tu aimais auparavant est devenue bien fade ?
Viendras-tu me voir ? Je l’espère, mais si ce n’est pas possible, je comprendrais.
Et en même temps, je t’admire pour ta ténacité. Mais tu pouvais m’écrire chez ma grand-mère. Ne t’en fais pas, j’ai toute confiance en elle.
Je t’aime toujours. Tu es là au fond de mon cœur.
Clémence, qui a eu les larmes aux yeux quand elle a découvert ta lettre.
Ci-joint une ébauche de lettre pour que tu comprennes pourquoi je n’ai pas écrit :
À mon très cher Lucas,
22 janvier 1996
Je ne comprends pas pourquoi tu ne me réponds pas. Ou plutôt j’ai peur de le comprendre. Il y a sans doute quelqu’un d’autre. La rentrée a dû apporter son lot de nouveautés, je ne t’en veux pas.
Bien sûr que si, je t’en veux ! Pourquoi tu m’as fait ça ?! J’avais confiance !
J’ai pleuré, j’ai souffert et personne ne me comprenait. Je souffre encore ! Je…
À quoi bon… Je ne t’enverrais pas de lettres et je ne vois même pas l’intérêt d’écrire ce ramassis de pleurnicheries.
MOREL Clémence
42 rue Sadi Carnot
60100 Creil
Beaucaire, 15 avril 1999
Clémence,
Je n’ai pas de mots pour exprimer ce que j’ai ressenti quand j’ai découvert au fond de ma boîte aux lettres ta lettre que je ne t’attendais plus.
Cela a été une explosion de bonheur et d’espoir dans mon cœur.
J’aurais voulu te répondre tout de suite, mais ma main tremblait chaque fois que je commençais à écrire.
Comment peux-tu ?
Comment peux-tu penser, ne serait-ce qu’une seule minute, que je t’ai oubliée, que je suis passé à autre chose, que je peux aimer, ni même regarder, une autre fille que toi ? Ces dizaines et dizaines de lettres, toutes envoyées, sans réponses, ne t’ont-elles jamais rien appris ?
Ma foi, ta première lettre a dû se perdre... C’est elle la responsable de nos malheurs…
Voilà quatre ans que tu n’as jamais quitté mon cœur, quand bien même tu as quitté ma vie. Cela fait si longtemps que tu es partie, et pourtant je garde tellement de souvenirs précis de toi : ton parfum sucré, la douceur de tes bras, ta joie de vivre, ta tendresse… Tout ça me manque Clémence, et cette terrible attente doit prendre fin ! Maintenant !
Mes parents m’ont offert un téléphone portable pour mon anniversaire. Un Nokia 5110.
Voici mon numéro : 06.10.22.30.45.
S’il te plaît, appelle-moi. Tu as tellement papillonné de lieu en lieu que je ne connais plus ton numéro, ni le moyen de te joindre pour qu’enfin, nous nous parlions de vive voix.
Appelle-moi dès que tu reçois cette lettre.
Il faut qu’on se parle. Qu’on organise nos retrouvailles.
J’ai travaillé cet hiver, j’ai des économies. Rien ne m’arrêtera, ton absence a été trop douloureuse pour retarder encore plus le moment où je pourrai à nouveau te serrer dans mes bras. S’il faut que je traverse la France pour te retrouver tout là-haut, dans le lointain Nord, je le ferai, crois-moi.
Appelle-moi vite, Clémence.
Nous ne pouvons plus attendre.
Nous avons assez attendu.
Je t’attends et je viendrai.
Je t’aime encore et je t’aimerai toujours.
Lucas
CLÉMENCE MOREL & LUCAS ROUSSEAU
Sont heureux de vous convier à leur mariage le 26 juin 2001
à 14 h à la Mairie de Beaucaire.
Il s’en suivra des festivités au restaurant la Fleur du Printemps.
Nous vous attendons pour partager notre bonheur.
J'ai été juste un peu gêné par le fait que vous ajoutiez "cadran" à téléphone et le genre de portable, ainsi que de faire remarqué que l'ordi est un truc moderne, je ne pense pas que sur le coup les personnages n'y prennent garde. Pour c'est normal, donc pourquoi le souligneraient-ils ?
Mais sinon j'ai adoré, ça m'a replongé à l'époque où on ne s'envoyer pas des mails et où la distances en était vraiment une.
J'étais un peu paumée au bout d'un moment mais quand on apprend que la lettre de Clémence s'est perdue, tout s'éclaire. Trois ans de silence, c'est rude, elle a de la chance qu'il se soit tant acharné (parce qu'elle, finalement, elle n'avait pas le courage d'insister)
Les petits détails de l'époque sont sympas aussi ! Même si j'ai trouvé certaines notions introduites de façon un peu maladroite (la marque du Nokia notament, savoir qu'il a eu son premier portable nous renvoie de suite à l'année où ça se passe), c'était une bonne idée !
Encore bravo ! L'amour triomphe encore sur PA !
Et pour une fois, ça finit bien ! C'est tout mignon, vraiment.
Je crois que c'est la correspondance que j'ai préférée jusque là :') Ils sont tellement adorables tous les deux, tellement vrais, j'en ai des étoiles plein les mirettes *o*
Mwo et les petits détails de l'époque m'ont fait me sentir vieille xD La vache, 95, c'était il y vingt piges. L'arrivée des ordinateurs, d'internet, des portables... et la communication par courrier postal :') Mwo mwo mwo.
Oui, je ne suis que guimauve et je m'en vais dégouliner ailleurs <3
Bravo !
Merci pour cette chouette lecture !
Tant d'émotions dans ce texte, la fin tombe un pic c'est trop beau <3
Vos deux plumes se marient (c'est le cas de le dire) très bien, la lecture est fluide et agréable... un grand BRAVO!
Je suis tellement content que ça se finisse bien, et par un mariage en plus !! Youpi !!!
Bravo à vous deux !! :)
Cette histoire d'amour entre deux adolescents, tellement réaliste, et le carton de mariage à la fin, c'est vraiùent super bien corqué <3
C'est tellement dur d'imaginer ce qu'ils endurent à travers cette correspondance... du coup, ça fait vraiment du bien de savoir que ça se termine comme ça ! ^^
Bravo et merci !
Merci pour cette histoire.