À la lueur des étoiles, le chasseur est à la recherche de sa proie. Il explore la forêt depuis plusieurs jours. Il ne peut pas rentrer maintenant. Sa douce épouse est enceinte de plusieurs mois. Son appétit s’est attisé, mais les animaux se font toujours plus rares. Bientôt, l’hiver viendra revêtir les terres d’un épais manteau neigeux. Bientôt, la famine risque de s’inviter dans sa chaumière. Si cela se produit, la mort la suivra pour emporter les siens, loin de lui.
Cette idée lui est inacceptable. Alors, il traque sans relâche. Il abat les animaux, qui ont le malheur de croiser sa route. Il ne leur laisse aucun espoir pour renforcer la sienne et celle de la famille. Il n’est question que de survie, nul état d’âme pour la pauvre biche tuée sous les yeux de son petit. Ce dernier a eu la chance de s’échapper, mais il le retrouvera.
Il le sait. Il le doit.
Il suit sa trace, puis ses empreintes jusqu’à un amas de buissons. Il ralentit son pas, devient plus prudent pour ne pas effrayer sa proie. Il la cherche du regard, voit une femme, surprend le faon en train de boire. Puis il l’oublie pour revenir vers la vision de l’inconnue. Elle se tient là, à quelques mètres de lui. D’où il se trouve, il découvre une créature à la beauté surnaturelle...
De longs cheveux argentés masquent un corps totalement nu. Ils encadrent un visage aux traits délicats, habité par d’immenses yeux bleu nuit. Ils illuminent sa peau à la blancheur éclatante. Le chasseur la prend pour une nymphe dont il ne peut détacher son regard. Il reste là à la contempler durant de longues minutes jusqu’à ce qu’elle tourne enfin la tête vers lui. Un sourire se dessine sur ses traits. Ses doigts fins l’invitent à venir jusqu’à elle…
Il obéit sans l’once d’une hésitation.
Sa chasse oubliée, il plonge dans l’eau fraîche de la rivière. Il rejoint la jeune femme à la chevelure argentée. Il voudrait s’adresser à elle, mais aucun son ne parvient à sortir de sa bouche. Comprenant son désarroi, elle se rapproche. Ses deux bras viennent l’enlacer alors que ses lèvres s’emparent des siennes dans un baiser sauvage.
Enivrante est leur étreinte. Le chasseur s’y perd. Il découvre des sensations inconnues. Sa femme n’est plus qu’un lointain souvenir. Il lui a trouvé une remplaçante au corps de rêve et aux caresses bien plus douces. Il lui fait l’amour comme il ne l’a jamais fait. Il recommence sans éprouver la moindre fatigue.
Mais un craquement vient les interrompre.
Surpris, le chasseur se détourne afin de contempler les environs. Pourtant, personne n’est là à les observer, à constater son coup de canif dans le contrat. Rassuré, il se retourne vers sa tendre amante aux cheveux argentés. Elle lui sourit...
Puis la douleur jaillit. Brutale.
Quelque chose est en train de le brûler à l’intérieur. Un cri s’échappe de ses lèvres. Il implore sa princesse de l’aider, mais n’obtient qu’un rire mélodieux. Si mélodieux...
Ma lune, mon unique amour, je te retrouve enfin...
Cette voix résonne dans la tête du chasseur, qui ne comprend pas. Sa vision se trouble. Une lumière éclatante s’abat sur lui. Ses yeux brûlent jusqu’à le rendre totalement aveugle. La voix s’est tue, mais le rire demeure...
Puis il cesse brutalement.
Le temps suspend son envol. Le silence s’instaure. L’obscurité reste. Puis la lumière jaillit à nouveau. Toute de noire vêtue, la Mort tend la main au malheureux.
– Ton heure est arrivée…
Incrédule, le chasseur hésite. Ses yeux contemplent les alentours. Il découvre son propre corps calciné. Sa vision le pousse à s’écrouler à genoux. La nausée l’envahit, mais dans la mort elle ne peut s’accomplir. Il pleure doucement durant quelques instants. La Mort vient poser sa main glacée sur son épaule, puis sa voix résonne avec gravité.
– Tu n’as plus rien à faire ici...
– Que m’est-il arrivé ?
Son regard va chercher celui de la femme. Il l’implore de lui répondre. Un soupir s’échappe de ses lèvres. Depuis des siècles, chaque année, il lui faut ramasser les âmes brûlées par l’amant de la Lune, ceux par lesquels le Soleil se doit de passer pour s’unir à sa douce compagne, ceux qu’il condamne à une mort douloureuse…
– La passion t’a envahi pour mieux te détruire.
Ses sourcils se froncent. La mort soupire à nouveau. Ses métaphores ne sont bonnes que pour les contes de fées.
– Coucher avec la Lune est une chose merveilleuse, mais elle a un coût : la mort.
– Pourquoi ?
– Parce que chaque année, une nuit par an, la Lune vient sur Terre pour assouvir son désir. Elle attire une âme perdue pour offrir un corps au Soleil afin qu’ils puissent s’aimer le temps de quelques heures, puis retrouver leur existence où jamais ils ne se croisent...
– Je ne comprends pas...
– Vous ne comprenez jamais rien, réplique la Mort, agacée. Suis-moi et cesse de geindre. Tu n’es pas le seul être que j’ai à ramasser.
– Mais ma femme et mon enfant ?
Pendant quelques secondes, la Mort fixa l’âme d’un air impassible.
– En hiver, tu les retrouveras, car celui qui devait les nourrir a préféré se vautrer dans le lit de la Lune.
– Elle m’a séduite.
– Ils disent tout cela, tranche la Mort.
Lassée par ses êtres incapables d’assumer leur vice, la Mort abat sa faux sur l’âme perdue. Elle la regarde se débattre, puis disparaître sans sourciller, l’ombre d’un sourire sur son visage pâle. Maintenant que le chasseur a rejoint son Au-delà, elle se doit de reprendre sa route, car son emploi du temps est chargé. Nombreux sont les hommes à mourir en ces temps troublés. Néanmoins, avant d’aller chercher la prochaine âme sur sa liste, la Mort laisse son regard s’attarder en direction du ciel...
La Lune est revenue éclairer les ténèbres nocturnes. Sa douce lueur n’a jamais été aussi éclatante et écarlate...
Unique souvenir d’une nuit d’amour et de sang. Car tel est le prix de sa relation avec le Soleil.
J'ai beaucoup aimé ta nouvelle bien que cruelle !
C'est ce prénom Séléné qui m'a attiré car je l'utilise moi même dans mon histoire et je constate d'ailleurs quelques similitude à venir ! C'est fou comme les prénoms peuvent nous inspirer :)