Albane Beuron avait rencontré Riccardo Donnelli dans le restaurant «La Fossetta» de Lille. Elle y travaillait alors comme serveuse. Ce petit boulot servait de transition entre une licence d'anglais avortée et une reprise de formation dans l'hôtessariat. Riccardo, lui, avait pris pour habitude de venir voir son père dans ce café. En effet, comme lui, beaucoup d'Italiens d'origine prenaient plaisir à s'y retrouver. Le vieux Lorenzo, originaire de Trieste, avait rejoint sa femme française à Lille après son mariage précoce. Les parents de Riccardo avaient habité la France jusqu'à la troisième année d'étude de leur fils. Puis, ils avaient décidé d'abandonner le froid du presque-Benelux pour une retraite au rythme de la dolce vita italienne.
Albane avait eu un coup de foudre pour Riccardo, ou presque. Ce bel homme grand à la moustache fine et à l'élégance d'un dandy commandait toujours le même macchiato. Le beau brun faisait preuve d'une vraie politesse qui dénotait de son respect envers les autres, mais aussi de sa timidité. Son vieux père, lui, était plus farceur et s'essayait à des blagues parfois incompréhensibles à cause de son accent. Mais, Albane, compatissante, lui répondait quand même par un petit rire complice. La jeune femme rassurait en toute circonstance. C'était, selon Riccardo, cette même douceur un peu maternelle qui l'avait charmé. Sa beauté commune, cheveux châtains et yeux noisette renforçaient le sentiment de confiance qu'elle inspirait automatiquement. Après de nombreux mois à se regarder et à se saluer avec gêne, les deux jeunes gens avaient commencé à discuter. Riccardo était un homme cultivé. Ses goûts pour la musique du monde l'avaient directement rapproché de la jeune fille. Un jour, il lui avait proposé de venir écouter quelques chansons, chez lui, dans ce fameux appartement rue de la Halle, aux abords du vieux Lille.
Albane y avait emménagé seulement un an après leur rencontre. Elle s'était attachée à ce petit endroit. Il était composé d'une cuisine américaine donnant sur un petit salon, d'une étroite chambre où le lit double occupait tout l'espace, et d'un bureau, qui, étrangement, se trouvait être la plus grande pièce. Le bureau était bordé de nombreux placards. Sur chaque étagère, dans chaque tiroir courait une vieille moquette rouge bordeaux. Dès sa première visite, cette salle était devenue la préférée d'Albane. C'était sûrement due au fait qu'elle était aussi la plus mystérieuse. S'y imprégnait profondément l'univers Riccardo. Ce dernier y classait minutieusement chacun de ses travaux scientifiques. Il avait même, dans un des tiroirs, une collection de papillons africains qui émerveillaient Albane. Les papillons naturalisés avaient été offerts à Riccardo par un de ses collègues travaillant pour un laboratoire suisse. Il faut dire que les pairs de Riccardo l'admiraient beaucoup. Albane l'avait entendu de la bouche de l'un d'eux lors d'un repas entre confrères du laboratoire d'Anvers et leurs épouses. Dans ce petit restaurant chic, Albane avait compris que son mari était un scientifique compétent. Elle y avait d'ailleurs rencontré plusieurs hommes qui se disaient être ses disciples. Certains étaient même plus vieux que son compagnon. Riccardo restait, lui, assez discret par rapport à ses réussites. Comme la science n'avait jamais été le fort d'Albane, elle s'était bien gardée de lui poser trop de questions à ce sujet. Savoir qu'il était chercheur en génétique lui suffisait. Pour autant, le désintérêt de sa femme pour son métier n'avait jamais affecté Riccardo. Au contraire, comme le jeune homme passait nombre de ses journées fourré dans un laboratoire avec des vieillards aussi éminents que mornes, il appréciait la simplicité des conversations de sa femme. Elle était jeune. Elle était fraîche. Elle faisait des plans, rêvait de voyages, de belles plages bleues, pourquoi pas d'une lune de miel aux Cinq Terres italiennes. Elle avait toujours rêvé d'y aller. Elle pensait aussi aux futurs bébés. Elle les décrivait comme de petits Riccardo courant dans un jardin fleuri. Mais, à chaque fois qu'elle en évoquait l'idée, se posait le problème d'abandonner leur petite vie dans l'appartement lillois. En effet, le laboratoire où le scientifique travaillait se trouvait en Belgique, à Anvers ; « Antwerpen » en flamand. Malgré la proximité de Lille par rapport la Belgique, la route prenait à Riccardo au moins une bonne heure et demie. Albane n'avait pourtant jamais voulu quitter l'appartement cosy où son mari logeait depuis le début de ses études. Quitter ce cocon briserait le cœur de la jeune femme. Ses papillonnements s'évanouissaient sous son air pensif. Mais sa bonne humeur revenait bien vite, elle concluait toujours :
— Peut m'importe tant que tu es là, je n'ai besoin de rien d'autre ! Tu es toute ma vie!
Et, prise d'un doux rire, elle embrassait Riccardo.
*
Une nuit fraîche de novembre enveloppait Lille. Dans l'appartement, la chaleur cotonneuse couvait sa protégée. Riccardo n'était pas encore rentré. Albane était déjà au pays des songes. C'est alors que le combiné sonna. « Encore un publicitaire qui a dû délocaliser sa main d'œuvre à l'étranger », la jeune femme grommela et se retourna dans son lit. Elle tira la couette sur son visage. La sonnerie finit par s'arrêter. Albane se replongea dans son sommeil avec délice. Cependant, le téléphone se remit à sa chansonnette stridente. Albane, agacée, ne bougea d'abord pas. Puis, elle finit par quitter son lit. Elle se rendit dans le salon-cuisine en traînant des pieds, l'oreiller au creux du coude. Elle trouva son téléphone dans une rainure du canapé. Trop tard, le délai de sonnerie était passé. Elle consulta, les yeux mi-clos, le nom qui s'affichait sur l'écran du téléphone : « Donnelli ». Les parents de Riccardo ? Mais pourquoi l'appelaient-ils en pleine nuit ? Albane laissa s'échapper un petit cri, qu'elle étouffa avec sa paume de main : et si l'un des parents de Riccardo avait été transporté à l'hôpital... ou pire, si l'un d'eux avait été foudroyé par une attaque cardiaque ?
Prise d'une soudaine panique, elle rappela. Elle tomba sur le vieux Lorenzo Donnelli, qui la salua d'une voix enrouée. Même son accent chantant ne sauvait pas les apparences. Albane pensa directement qu'il avait dû arriver malheur à sa femme.
— Albane, il faudra être forte... murmura-t-il d'une voix d'outre-tombe.
— Quoi donc ? Qu'est-ce qu'il vous arrive ? balbutia Albane, impatiente d'être délivrée de ses inquiétudes.
— La police nous a appelés et... C'est... C'est Riccardo... Il... a eu un problème... enfin...
— Quel problème ? Quoi ? Il va bien ??
Riccardo ? C'est lui qui avait un problème ? Albane suffoquait.
— Il... il va bien.
Après un long silence, il reprit :
— Il est au ciel maintenant.
L'atmosphère est posée, les personnages sont bien caractérisés et tu vas tout de suite à l'essentiel avec cette annonce dramatique. On ne connaît pas encore beaucoup Riccardo, mais on l'apprécie déjà et même en connaissant le syno, l'annonce de sa mort fait un petit quelque chose haha
Bref, rien à redire sur ce très bon début, il est bien maîtrisé et maintenant, j'ai juste hâte de découvrir la suite !