L’homme, grand, vêtu de vêtements souples et élégants, d’un gris simple qui n’attirait pas l’attention, entraina Gaelyn vers l’avant du train. Sa main était assurée et la jeune femme n’avait que cet homme sur qui compter.
— Faites-moi confiance, lui murmurait-il avec un accent grave qui trahissait une origine des plaines centrales, nous allons traverser trois wagons, puis vous vous assiérez un instant… Lorsque nous aurons passé la place d’AusGourt, le train accélérera dans une fugue vive d’Endel. Au maximum de sa vitesse, nous sauterons.
Gaelyn voulut se retourner pour protester mais la main de l’homme dans son dos était ferme.
— Faites-moi confiance, vraiment… Je suis danseur alors le moment venu laissez-vous juste guider.
Gaelyn continua jusqu’à une place dans le quatrième wagon, s’assit et attendit. Elle prit le temps d’observer l’homme recommandé par la Guilde des Sens et à qui elle confiait sa vie. Un homme grand, élancé, un visage large, lunaire et des yeux plissés sous un front bas. Il devait avoir une quarantaine d’année et ses cheveux courts et raides avaient la même teinte grise que ces vêtements.
Un danseur travaillant pour la Guilde des Sens… Ça n’était pas logique. Et hérétique ou non, Gaelyn, en tant que joueuse, attachait beaucoup d’importance à la logique.
— Quel est votre nom déjà ? Et où devais-je vous rejoindre ? demanda-t-elle en tendant ses muscles dans l’attente d’une mauvaise réponse, prête à s’enfuir en hurlant à l’agression.
L’homme parut presque étonné par la question, il la regarda d’un regard vide, dénué d’expression puis il se pencha vers elle et lui offrit un sourire éphémère.
— Je suis celui que vous auriez pu retrouver au relais des Cinq Racines… Celui qui vous a recommandé de venir me voir s’appelle Hernst, c’est un vieil homme au regard encore vigoureux et qui laisse rarement la parole à son interlocuteur, il travaille au laboratoire des sensations tactiles de l’université.
L’homme s’arrêta pour regarder au dehors où ils en étaient.
— Cela fait des années que je me fais appeler Marco. Oui je suis bien un danseur… Pourquoi je travaille pour les senseurs ? Ca n’est pas important, faites-moi confiance c’est tout ce que je peux vous offrir…
Le danseur se redressa et regarda nonchalamment les alentours. Il laissa filer le temps puis dans un mouvement souple il tendit la main à Gaelyn.
— Nous allons bientôt descendre mademoiselle Hastin, permettez-moi de vous prêter ma main, dit-il d’une voix forte.
La jeune femme lui prit la main et il la remit sur pied avec douceur. La faisant passer devant lui en la tenant à nouveau par les reins, ils avancèrent jusqu’à la liaison entre deux wagons. Le train achevait un virage serré sur la place d’AusGourt et s’engageait dans une grande rue montante. Marco de sa main libre ouvrit la porte de leur wagon et invita la jeune chercheuse à sortir sur l’étroite plateforme d’une pression de la main.
Le conducteur du train avait commencé à changer le rythme de sa musique. Alors qu’elle évoquait la marche lente et puissante d’une colonne d’ours polaires, la musique de fugue que reprenait maintenant le musicien s’envolait en une multitude de saumons remontant une rivière avec vigueur. Le train accélérait pour grimper la rue alors que Gaelyn et Marco se serraient sur la plateforme grinçante et détrempée entre les wagons.
Marco assurait toujours l’équilibre de la jeune femme et lui tendit son autre main.
— Donnez-moi votre main s’il vous plait et laissez-vous guider.
Gaelyn hésita un instant puis tendit sa main au danseur. Elle espérait vraiment ne pas se tromper, mais elle avait définitivement plongé dans les ennuis en provoquant Elwin et en suivant l’homme de main des senseurs. Une nouvelle plongée du haut d’un tramway à pleine vitesse dans les bras d’un inconnu ne pouvait pas être bien pire…
Marco lui offrit à nouveau un sourire éphémère la tint fermement et l’entraina dans une lente rotation avant que leurs pieds ne quittent la plateforme et qu’ils ne soient hors du train. Le danseur fixait les yeux aux reflets auburn de la jeune femme alors qu’ils tournaient lentement et que le vent venait épouser leur forme en charriant de fines gouttelettes de pluie froides.
Le danseur atterrit en souplesse et se laissa entrainer par le mouvement pour se déplacer en petits pas vifs et élégants vers une rue adjacente, glissant avec légèreté sur les pavés. Les pieds de Gaelyn touchaient à peine le sol, elle se laissait porter par le mouvement en détournant le regard, gênée par le regard gris et fixe du danseur.
Une rue plus loin l’homme laissa les pieds de la jeune femme se poser sur le sol. Elle se sentit soudain plus lourde, à nouveau totalement soumise à la gravité. Sans un mot le danseur la fit passer dans une petite cour, puis monter dans un vieil immeuble jusque sous les toits. Dans une chambre de bonne humide.
— Voici mon refuge. Ce n’est pas le relais des Cinq Racines comme vous pouvez le constater, mais vous tardiez à venir alors j’ai préféré changer d’endroit et venir moi-même à votre rencontre.
Gaelyn pénétra dans la chambre et en étudia le mobilier très succinct et les affaires laissées à la hâte par le danseur.
— Il me faut ma cornemuse ! dit-elle soudain.
— L’instrument dont vous parliez avec le jongleur ? demanda incrédule Marco.
— Le jongleur ? Elwin est jongleur ?
— Oui vous ne le saviez pas ? reprit surpris le danseur, je croyais que vous vous connaissiez mieux que ça.
— Je croyais connaître beaucoup de choses mais j’ai l’impression au contraire de ne plus rien savoir…
— En tout cas on ne peut pas aller récupérer votre instrument, vous avez habilement manœuvré pour pouvoir vous enfuir en entrainant votre ami dans cette course mais je ne pensais pas que vous voudriez vraiment la gagner…
— Vous ne comprenez pas…, répondit Gaelyn vexée, je ne pense pas que ce soit pour ma belle chevelure que votre guilde envoie son « danseur » me récupérer, c’est plutôt mes recherches qui les intéressent et c’est dans cet instrument qu’elles se résument.
Elle ne laissa pas à Marco le temps de répondre et poursuivit.
— D’un côté c’est habile, vous êtes danseur, qui penserait vous voir travailler pour les senseurs ? Vous êtes rapide me semble-t-il pourquoi ne seriez-vous pas capable de vaincre mon ancien camarade à la course ?
Marco marcha jusqu’à la petite lucarne de la chambre.
— C’est vous qui ne comprenez pas… Vous sous-estimez les joueurs si vous pensez qu’avec un tel retard je pourrais arriver avant eux à l’université. Et puis j’ai bien pris soin de me faire voir, de vous tourner autour depuis quelques temps et de les faire danser à ma suite. Comme vous dites, qui croirait que je travaille pour les senseurs ? Pourquoi d’ailleurs la Guilde des Sens s’intéresserait à vous ? Par contre je crois bien que vos amis craignent encore plus que je puisse venir de la Guilde des Musiciens…
Gaelyn s’assit sur la petite chaise raide au bord du lit.
— Alors c’était ça l’idée ? Vous détournez l’attention vers la Guilde des Musiciens et vous pouvez m’enlever sans problème ? Mais je suis désolée je crains quand même que ce ne soit vous qui ne compreniez pas… Ma cornemuse n’est pas à l’université… Je l’ai laissé en pension avec quelques affaires chez une connaissance en ville.
Surpris le danseur se retourna pour dévisager la jeune femme.
— Vous êtes plus fourbe que je ne le pensais…
— Je suis une joueuse après tout, je vais prendre ça pour un compliment.
J'ai enchainé, c'était trop intriguant.
Un homme qui l'incite à lui faire confiance, (3 fois ) et l'emmène dans sa plaque alors qu'elle est "suivie".
Je dirais que cela incite plutôt à la méfiance XD.
J'ai quelques zones de questionnements lors de mes lectures :
"la jeune femme n’avait que cet homme sur qui compter"
Elle fait confiance à un type qu'elle vient de rencontrer. Etonnant dans sa situation. Dans toute la scène elle ne fait preuve d'aucune méfiance ce qui est troublant. elle hésite bien à un moment pour sauter dans le vide mais cela peut être plus induit par l'action que par le personnage.
"il la regarda d’un regard vide" : on a une redondance ici, de plus vide (= ailleurs/indifférent/absent/comme tu dis dénué d'expression) n'est pas facilement associable à "étonné" mentionné juste avant.
"plateforme grinçante et détrempée entre les wagons", pour quel raison est-elle détrempée ? la rivière n'est pas métaphorique mais réelle ?"
"Gaelyn hésita un instant puis tendit sa main au danseur." ;
J'aime bien le fait qu'elle tend elle même sa main au danseur au lieu de la prendre après qu'il l'ait invité comme dans le rituel de danse si l'on peut dire. Tu peux appuyer cet élément par une autre petite phrase peut être.
Elle sait être obstinée et tenir tête à ses supérieurs. Elle possède une certaine trempe de caractère mais arrive à lâcher prise avec un inconnu tant qu'elle a le sentiment de maitriser quelque chose ici, prendre les devant en montrant qu'elle est active et choisit de sauter du train. ( J'ai peut être surinterprété )
Sinon l'action n'a pas l'air de la marquer plus que ça XD.
Il affirme qu'il la surveillait aussi. Donc elle aurait pu remarquer au moins une personne sans l'identifier totalement dans les parties précédentes. Cela l'aurait incité à se méfier aussi.
Globalement ici, Gaelyn semble effacée par rapport à ce qui lui arrive, ce qui donne un détachement étrange. Et l'homme a plus de présence et la fait passer au second plan.
C'est drôle car je dis un peu le contraire de commentaire précédant.
en tout cas ce sont des détails, des points d'ajustements.
Bravo pour ce chapitre !
Oh elle n'est pas du tout confiante! Ce nouveau venu n'a rien de rassurant, mais derrière elle, elle a des poursuivants, et elle ne veut surtout pas être rattrapée!
Elle n'a que lui sur qui compter donc elle choisit de le suivre.
Et tu verras que quand Gaelyn a pris une décision, bonne ou pas, elle va jusqu'au bout.
Par contre elle n'est pas du tout dans son élément, ça l'a rend forcément un peu moins présente. Marco, lui, est par contre totalement dans le sien, et d'après les retours que j'ai, il a un charisme certain!
Tu me diras pour la suite, mais il y a un certain nombre de moments où elle ne peut pas être au devant de l'action. Elle est clairement indispensable à l'histoire mais pas capable de gérer toute seule toutes les situations. Je comprends que ce ne soit pas toujours satisfaisant, mais pour moi c'est plus réaliste. Elle est chercheuse et capable à bien des points de vue, mais elle démarre une aventure pour laquelle elle n'a aucune expérience.
Merci pour ton retour en tout cas !
Merci aussi pour Gaelyn, je lui transmettrai ta sympathie. Bon, comme elle risque d'être gênée de tant d'attentions, elle va sûrement seulement gromeler un merci en détournant le regard, mais ça lui fera plaisir quand même !
Pour la suite, on change de décor, on s'en va vers de plus grands espaces, j'espère que ça te plaira aussi!
Les événements sont bien amenés, c'est bien écrit et très visuel.
Je suis bien contente que Gaelyn ait pensé à cacher son instrument ailleurs, même si elle pourrait bien avoir entraîné son amie de la ville dans les ennuis.
Le petit passage de vol dansant me fait penser au passage du Chateau ambulant où Sophie survole la ville avec Auru ^^.
Petit détail mais qui me travaille, d'un côté je trouve ça chouette de ne pas découvrir le personnage de Marco par un pavé descriptif sur son physique, mais j'ai l'impression que mon cerveau n'a pas eu assez à croquer (j'ai peut-être déjà oublié les éléments donnés dans la partie d'avant?). J'ai du mal à me l'imaginer et du coup j'ai aussi du mal à enclencher la machine à anticiper la suite (ex si je savais mieux dans quelle tranche d'âge il est, je pourrais déjà me dire que ce sera un ami, ou un mentor, ou un potentiel love interest... quitte à être surprise ensuite évidemment, mais sans anticipation pas de surprise snif)
Alors pour Marco j'ai mis ça en début d'épisode : Un homme grand, élancé, un visage large, lunaire et des yeux plissés sous un front bas. Il devait avoir une quarantaine d’année et ses cheveux courts et raides avaient la même teinte grise que ces vêtements.
Ça reste léger j'en conviens mais il a bien une quarantaine d'années et un visage qui pourrait faire penser à une personne originaire d'Asie centrale dans notre monde.
Gaelyn, elle, a quelque chose comme 23 ans.
Je te laisse donc conjecturer pour la suite sans en dire plus pour ne pas t'influencer !
Ce qui est certain, c'est qu'ils vont faire un petit bout de chemin ensemble!
Merci pour ton commentaire :)
Je suis prise dans l'histoire, je ne m'en lasse pas !
Oui Gaelyn, il y a un moment où, quand on pousse trop, on active une réaction irréversible... Et l'impact est généralement au delà des attentes.
Ça risque de revenir!
Pour Marco... Il est meilleur dans l'action que la stratégie, mais il a quand même de la ressource le coquin!
Oh! Cette petite Gaelyn n'est au final pas si naïve que cela ! Quelle fourberie de sa part!
Un vent de fraîcheur sur un passage d'action gravitationnelle qui ne laisse pas indifférent. On en ressent presque une certaine poésie dans cette valse sensuelle que lui offre Marco.
Cette féerie se rompt d'une manière abrupte qui nous plonge à nouveau dans l'intrigue. Les réelles intentions de la guilde se dévoilent peu à peu. Sa motivation que tu distille au compte-goutte laisse l'envie d'en savoir plus. Les actions de Gaelyn renforcent ce sentiment.
A bientôt
En effet elle a un côté filoute qui devrait se retrouver ici ou là...
Le pourquoi la Guilde embête tant cette chère Gaelyn est révélé pas mal plus tard (chapitre 5), mais si tu as des idées à ce sujet, je suis toujours curieux!
Merci beaucoup pour ton commentaire et à la prochaine!
Curieux ? Assigné homme a la naissance ? Ou est-ce une erreur grammaticale ? 😅
J'imagine que puisque le ciel reste le dernier endroit que les guildes n'exploite pas, celle qui mettra la main sur le prototype peux potentiellement s'accaparer un nouveau marché ? A moins que quelque-chose se cache dans les cieux ? Des îles,d'où nouvelles ressources ? Un danger qu'il ne faut pas chatouiller ?
La lecture me le dira...
A bientôt !
J'ai effectivement été assigné homme à la naissance et ma foi je m'en accommode.
C'est vrai que je n'ai pas donné plus de détails que ça dans mon profil auteur me concernant mais c'est drôle de constater que tu es au moins la troisième personne à être surpris de mon genre.
Je ne sais pas si c'est mon poney à la chevelure flamboyante, le fait de s'appeler "Plume de" ou que j'ai plutôt des héroïnes dans les histoires postées ici. Ou bien un mix de tout ça.
Ce nest pas bien important dans l'absolu.
Merci pour tes propositions, très intéressantes ma foi ! Pour des choses cachées dans les cieux, sache qu'il y a bien des jardins suspendus dans les nuages (grâce à de prodigieux jardiniers) loin au sud, auxquels on accède grâce à des tapis volants qu'il faut savoir dresser.
Assez peu de gens y sont déjà allés (l'un des persos de cette histoire l'a fait mais elle arrive bien plus tard), mais ce n'est pas spécialement un secret.
Je crois que la vraie réponse est trop tordue pour que ça soit envisageable...
Merci pour ta lecture en tout cas et à plus!
Le mystère s’épaissit autour de Marco et des intentions réelles des Guildes… Tu distilles bien les infos petit à petit, c’est frustrant juste comme il faut !
Juste un petit mot sur la mise en forme (je sais, je te l’ai déjà soufflé héhé) : je pense que ça mettrait encore plus en valeur ton écriture si tu justifiais le texte et ajoutais quelques sauts de ligne pour aérer un peu les gros paragraphes. C’est tout bête, mais ça rend la lecture plus fluide, surtout dans les moments d’action ou de dialogue.
En tout cas bravo pour cette fin de chapitre 1 ! Je suis à fond pour la suite, surtout avec cette histoire de canards à l’orange et d’édredon de combat… j’ai des images en tête maintenant :)
Pour la mise en forme, il faut que je fasse l'effort de reprendre tout ça sur les chapitres postés sur Plume d'Argent. Je vais m'y mettre mais j'ai eu la flemme jusque là je l'avoue.
Haha tu t'es faite avoir par mon spoil! Attention à l'édredon, c'est une arme douce mais rudement efficace!
Merci pour ta lecture et ton commentaire :)
Pour la suite on prend la mer. Possible que ça s'agite un peu aussi...
Parce que j'en ai usé des artifices dans ma vie, mais sauter d'un train en disant à une belle, ne vous en faites pas, je suis danseur, ça jamais...
Après il faut savoir jouer avec ses atouts te dirait Gaelyn, le Marco a bien des défauts, mais il faut l'admettre, en danse, il se défend plutôt pas mal.
C'est marrant que tu dise 'le beau Marco' (ce qui peut tout à fait être une tournure de phrase qui s'insère bien dans ton propos) car on m'a déjà parlé de lui avec cet adjectif alors que dans mon esprit il ne l'est pas tant. Évidemment chacun ses gouts mais il ne transcende généralement pas les foules avec son minois. Par contre il a clairement de l'élégance dans le mouvement. Et évidemment chaque lecteur redéfinit ce genre de chose à son envie.
En tout cas si je peux te rassurer, ça ne va pas suffire à rendre Gaelyn plus amicale à son égard.
Merci pour ta lecture encore une fois!