CHAPITRE 1 * JAMES * LE DIAMANT ROSE

 

LE DIAMANT ROSE

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J.L.C

 

ASCEND — DESKO

 

Nous sommes dans un putain de bar-club hype : le Diamant Rose. Pas très original. Je suppose que "rose" est un clin d'œil à la "ville rose", le surnom de Toulouse, la ville où je me trouve actuellement.

Je me suis laissé entraîner ici, alors que j'en avais foutrement pas envie. Merde. Il est blindé de monde. À notre gauche, une bande de mecs en costumes occupe des fauteuils en cuir bleu, dans une de ces alcôves à la lumière tamisée. Ils tiennent des verres de whisky à la main, et des filles à la beauté refaite sont pendues à leurs bras. Quel type de whisky consomment-ils ? Pas du Macallan, ni du Glenmorangie. Je me demande si Antoine et moi ne pourrions pas essayer de leur fournir du Lochranach - Essence du temps. Je ne veux pas me vanter, mais c'est de loin le meilleur.

Je reconnais ce genre de mec ; normalement, j'en fais partie, mais pas ce soir. Il y a pas mal de nanas aussi, trop ou pas assez vêtues, selon les goûts. Certaines se déhanchent au rythme de la musique, tandis que d'autres sont attablées en groupes, sirotant des cocktails multicolores Il paraît que les filles adorent ça, les trucs sucrés, dénaturés. Je sais ce qu'elles recherchent : du plaisir instantané, sans limites. J'en ai satisfait pas mal, des comme ça, qui se donnent à fond, désinhibées, fières, ambitieuses, libres. Je les préfère aux coincées timides, qui ne savent pas ce qu'elles veulent, qui ne savent même pas qui elles sont. Il y en a une ou deux plutôt mignonnes, je n'irais pas jusqu'à dire belles. Il n'y en a qu'une qui mérite ce qualificatif, et elle est là, quelque part dans cette ville, ce soir, sûrement accompagnée. Putain, ça me tue. Mais peu importe, il faut que je me la sorte de la tête. C'est fini avant même d'avoir jamais commencé. J'ai tout gâché. Quelle putain d'histoire de merde !

Ca fait des semaines que je rumine. Quel putain d'idiot ! Ma sœur me jette un coup d'œil à la dérobée, elle est penchée sur Antoine et lui susurre quelque chose à l'oreille. Il sourit. Ce petit veinard est foutrement amoureux. Ma sœur jumelle est une putain de guerrière et elle a jeté son dévolu sur lui. D'ailleurs, elle me lance coup d'œil sévère par-dessus son épaule. Son regard atterrit directement sur ma main. Je serre mon verre un peu trop fort, mes jointures blanchissent sous la pression. Je me force à me détendre. Je fais tournoyer le liquide ambré d'un geste machinal, porte le verre à mes lèvres et le bois d'un trait. On n'est pas là pour que je noie mon chagrin dans l'alcool. Une fois de plus. Mais je vais le faire quand même. L'alcool me brûle agréablement la gorge. Tant mieux.

Ce soir, ma sœur, Isla, et mon futur beau-frère, Antoine, - c'est sûrement pour bientôt, Noël peut-être ? - m'ont traîné ici pour fêter la signature de notre nouvelle franchise. Ça fait des mois que je bosse sur le dossier. Il y a eu des complications. Je n'aime pas ça. Mais j'ai pris ma décision. La meilleure depuis un sacré bout de temps.

Sur ma droite, un groupe de mecs baraqués, tous une bière à la main, entament un chant de supporters, comme ceux que j'ai déjà entendus quelques fois dans les stades. Ils doivent être "rugbymen". Putain, quels génies ces français ! Ce mot n'existe même pas en anglais.

Antoine fait du rugby, première ligne. J'en ai fait aussi au lycée, mais j'ai arrêté depuis longtemps déjà. Le regard qu'il porte à ma sœur est perçant, il la revendique. Avec ses traits marqués par la discipline et le sport, il incarne une beauté qui ne laisse pas ma sœur indifférente. Elle aussi est folle de lui, depuis plus de cinq ans déjà. Putain d'amour ! Je respecte ça ! Ils veulent avoir un bébé, Isla me l'a confié, il y a peu. Ils seront de merveilleux parents, je n'en doute pas. Je me demande si ma sœur n'est pas déjà enceinte ? Non, j'ai la réponse sous les yeux : elle a pris un verre de vin blanc, elle n'est pas inconsciente. Et voilà qu'ils s'embrassent. Encore. Merde, c'est ma sœur ! Un brin gêné, je détourne les yeux.

J'en profite pour observer la salle. Nous sommes installés dans une des alcôves en face du bar principal, légèrement en contrebas. L'ambiance ici est feutrée et intimiste, les murs de briques rouges derrières nous captent les vibrations profondes de la musique, créant une résonance presque palpable dans l'air.

Installé au comptoir, je note un mélange hétéroclite de gens. Une bande d'amis, garçons et filles, probablement des habitués du coin, se laisse emporter par l'enthousiasme de leur soirée. Ils partagent des histoires avec une chaleur familière, échangent des accolades et se tapent dans les mains, leurs rires résonnant dans la pièce comme une véritable bande-son de convivialité. Tous sont habillés de manière décontractée, leurs vêtements reflétant leur confort et leur aisance dans cet espace qu'ils semblent connaître par cœur.

Derrière, un couple est plongé dans l'écran d'un téléphone, leurs visages illuminés par la lueur bleutée de l'apparei. Ils sont assis sur des tabourets en acier avec des assises en cuir bleu. La femme porte une robe hyper courte très suggestive qui en dévoile un peu trop à mon avis. Le mec, vêtu d'un costume sombre avec un t-shirt blanc méga décolleté, est concentré sur ce qu'il découvre à l'écran. C'est fascinant, cette façon qu'ont les gens de s'échapper dans le virtuel, même quand le réel se trouve juste en face d'eux. Moi, je préfère largement profiter du moment présent., enfin en ce moment, j'ai plutôt envie de profiter d'un autre verre de whisky. Mais, je vais quand même tempérer mon envie, j'en suis à mon quatrième déjà.

Bon, quoi d'autre ? Ah...Une fille aux cheveux teints en bleu entre dans mon champ de vision. Elle arbore un style vestimentaire tout aussi audacieux que sa chevelure, se fraye un chemin parmi les clients accoudés pour passer commande. Elle est accompagnée d'un jeune homme élancé à l'allure taciturne, dont les bras sont ornés de tatouages colorés.

Je me surprends à réfléchir à mes propres envies de tatouage ; j'ai en déjà quelques-uns, certains plutôt discrets, un autre un peu plus imposant qui part de mon épaule droite jusqu'au coude, mais je pense à m'en faire un autre et j'ai déjà une idée précise...

J'imagine un design complexe, et imposant qui mêlerait symbolisme et esthétisme, quelque chose qui aurait une signification personnelle, mais aussi offrirait une visuelle captivante. Je voudrais qu'il soit dans la continuité de celui que j'ai déjà, sur l'avant-bras ou sur le torse peut-être. Je me demande si, comme d'autres, cette envie de me marquer la peau n'est pas en réalité un moyen de graver dans le tangible un besoin plus profond, une quête silencieuse d'identité ou de changement. Exactement, ce dont j'aurais besoin ces temps-ci. Je vais pour prendre une gorgée de whisky. Mon verre est vide. Je ferais mieux d'aller m'en chercher un autre.

En me levant, je regarde mes partenaires du soir pour voir si quelqu'un veut encore quelque chose. Mais les deux couples sont déjà occupés, la langue de l'un dans la bouche de l'autre. Je pense que ça ira.

Le bar est en acier chromé. Les étagères de derrière, faites du même matériau, sont impeccablement ordonnées. Chaque bouteille est alignée avec une précision méticuleuse, créant un mur de liquides scintillants aux nuances ambrées, vertes et rouges qui captent et réfléchissent parfaitement la lumière. Le comptoir, large et lisse, dégage une impression de modernité avec une pointe de luxe, grâce à ses finitions polies. Les sièges hauts, sont disposés le long du comptoir, offrant une assise confortable et sophistiquée qui complète parfaitement le décor raffiné.

L'atmosphère qui règne ici est à l'image du lieu : soigneusement orchestrée, où chaque détail compte. Derrière le comptoir, les barmans et barmaids prolongent cette esthétique, accomplissant leur travail avec une précision presque artistique. L'une d'entre elles, une brune aux cheveux courts, jongle habilement avec les bouteilles et sert des cocktails pétillants et roses à deux nanas qui viennent de s'installer. Ses gestes sont précis et fluides, chorégraphiés. Elle sait capter l'attention. Sacré spectacle. Moi aussi, je l'aurais embauchée. Le barman à côté, c'est un autre style. Il est là pour rameuter les filles. Son sourire espiègle et son regard enjôleur semblent attirer les regards admiratifs des clientes, prouvant qu'il connaît parfaitement son métier.

Je franchis les deux marches qui me séparent du coin bar, me faufilant entre les clients qui se précipitent vers la piste de danse, et j'attends que l'un des barman/barmaid se libère pour prendre ma commande.

Alors que je patiente, je remarque sur la gauche une porte qui doit mener aux cuisines. Un serveur en sort, habillé de ce même tablier noir bien ajusté que j'ai remarqué sur d'autres employés, portant un plateau de tapas délicatement disposés devant lui. À droite, il y a un escalier en colimaçon qui descend probablement vers la cave où sont stockés les vins et les spiritueux. Juste à côté de cet escalier, séparé par une cloison au design épuré en acier industriel, se trouve les vestiaires. Un homme et une femme s'y affairent avec une efficacité silencieuse, prenant et restituant les manteaux et sacs des clients avec une courtoisie professionnelle.

Un changement de musique ambiante me fait soudain tourner la tête vers l'estrade située en retrait, au fond de la piste de danse, sur la gauche du bar. Là-bas, un DJ est installé aux platines, mixant des tubes entraînants avec une expertise notable. La musique est un mélange subtil de deep house et d'électro, avec des basses puissantes qui font vibrer le sol et des mélodies hypnotiques et groove qui captivent la foule sans devenir envahissantes. Chaque transition est fluide, chaque drop est calculé pour faire monter l'énergie d'un cran. Ce DJ maîtrise son art avec brio, évitant les remixes bas de gamme qu'on entend trop souvent.

Soudain, je m'aperçois que le barman au sourire rieur s'adresse à moi. Je commande une nouvelle bouteille de scotch avant de retourner à ma table. Tandis que je prends à nouveau place dans mon siège, ajustant ma tenue au passage, je reprends mon inspection des lieux.

De part et d'autre de la table de mixage, des danseurs et des danseuses font le show. Bien qu'ils semblent amateurs, leurs mouvements sont précis et synchronisés. Leurs corps ondulent et se plient avec une grâce envoûtante, rendant la performance exotique et langoureuse, mais sans tomber dans la vulgarité. Les lumières stroboscopiques accentuent les courbes et les gestes, créant un spectacle visuel aussi captivant que la musique elle-même.

Parmi eux, il y a cette fille, avec une putain de minirobe vert pomme et une longue queue de cheval haute qui lui arrive au-dessus des reins. Je me demande si elle a conscience du pouvoir qu'elle exerce sur le public autour d'elle, hommes comme femmes confondus. Ses mouvements fluides et assurés captivent l'attention de tous. Son regard déterminé et son sourire espiègle suggèrent qu'elle sait parfaitement ce qu'elle fait, jouant de son charme avec une aisance naturelle. Elle me plait bien, je la fixe encore quelques secondes, avec une pointe d'intérêt manifeste, avant de me recentrer sur l'atmosphère de la soirée. Je ne suis pas là pour ça, putain ! Et j'en ai même pas envie en vérité.

Quelques minutes plus tard, un serveur arrive avec la bouteille que j'ai commandée, accompagnée de verres impeccablement polis et d'un seau de glaçons. Le service est rapide et soigné, ici. Bon point. Finalement, ce bar me plaît assez. Il y a une sophistication dans l'organisation, une attention aux détails que j'apprécie. Peut-être qu'on pourrait changer un peu nos habitudes après tout, même si le propriétaire du Paladium est un des meilleurs amis d'Antoine. Ce nouveau lieu, avec son atmosphère unique et sa touche de luxe, offre une expérience différente qui me séduit, et je me demande si je ne pourrais pas élargir mes horizons.

Moi qui étais réticent à quitter Édimbourg, cette ville pourrait finalement me convenir. Enfin, ce n'est pas vraiment moi qui ai choisi. Penser que c'est le destin serait trop mélodramatique. Disons plutôt que c'est la ville qui m'a choisi. Isla vit ici depuis deux ans, ou trois peut-être. C'est la ville de... putain, faut que j'arrête de penser à elle !

Sans attendre, je me sers un verre de whisky, observant la teinte ambrée qui brille doucement sous la lumière tamisée. Je prends une gorgée, laissant les arômes se libérer : la tourbe terreuse et fumée se mélange au parfum sucré du miel de bruyère, tandis qu’une note de vanille, héritage des fûts de chêne, s’insinue délicatement. Je le bois d’un trait, sentant la chaleur familière s’installer dans ma gorge. Le liquide effleure mon palais, dévoilant des saveurs de fruits secs et de caramel brûlé. Je regrette la pointe de sel marin manquante et qui évoque tellement l’air frais des Highlands. Pour un whisky écossais, celui-ci n’est vraiment pas le meilleur. Ce single malt est supposé m’aider à apaiser mon chaos intérieur, donc je ne vais pas chipoter. J’espère juste que ça va finir par anesthésier mes pensées, parce que je ne vais pas tenir toute la soirée sinon.

En laissant mon regard vagabonder autour de la salle, je remarque la piste de danse. Elle n'est pas très grande, mais elle est bondée de monde. La musique pulse avec intensité et entraîne la foule : du groupe d'amis qui se bouscule en riant, et qui sautent de joie, en passant par les couples qui se frôlent, flirtent timidement, ou se tripotent carrément – voire reproduisent quelques gestes ô combien suggestifs. Même ceux qui dansent seuls semblent absorbés par un monde de rythme et de mouvements, perdus dans leur propre univers. Je n'ai pas envie de danser ce soir. Je soupire.

Un peu plus loin, je repère une sortie. Depuis mon arrivée, j'ai remarqué un incessant va-et-vient de personnes avec des paquets de cigarettes à la main. C'est sans doute l'espace réservé aux fumeurs, donnant sur la rue. Je pourrais aller y taxer une clope. Je ne fume qu'occasionnellement, mais, je me dis que ce soir, si l'envie me prend, j'irai peut-être m'en griller une.

Soudain, je vois ma sœur se lever, entraînant Antoine avec elle, vers la piste de danse. Avant de partir, elle se tourne vers moi avec un sourire complice 

  • "Arrête de t'apitoyer sur ton sort, Jamie ! Viens danser !", me lance-t-elle.

Je lui fais un superbe doigt d'honneur en réponse et elle rit. J'observe les deux se mêler à la foule, tandis que moi, je savoure ma boisson en m'enfonçant un peu plus dans mon siège.

Ma sœur et Antoine se déplacent ensemble avec une aisance naturelle. Ils sont en parfaite harmonie avec la musique, leurs gestes joyeux dégageant une énergie communicative. En les regardant, j'éprouve un pincement au cœur. Je ne peux m'empêcher de penser à quel point, depuis peu, j'espère partager ce genre de connexion avec quelqu'un qui m'attire vraiment. Ce n'est pas la proximité physique que j'envie, mais émotionnelle. Comme ce que j'ai ressenti quelque mois plus tôt. L'idée de trouver une telle intimité me semble à la fois séduisante, mais désormais franchement inaccessible, et la soirée semble soudainement un peu plus froide.

Je détourne le regard, cherchant quelque chose pour me distraire. De l'autre côté de la piste, des canapés offrent un espace de détente pour ceux qui souhaitent se reposer après avoir dansé ou se peloter, je remarque. Je détourne les yeux. À droite, le long du mur jusqu'à l'estrade, un escalier métallique monte vers le premier étage. Au-dessus de l'estrade du DJ, un renfoncement abrite des tables et des tabourets hauts, alignés le long d'une rambarde en verre. La vue est partielle, et je ne peux pas distinguer ce qui se trouve plus loin dans cette partie de la pièce.

De l'autre côté, une mezzanine en verre domine le club. C'est sans doute la loge VIP. De là-haut, les privilégiés doivent avoir une vue imprenable sur la salle. Des rideaux épais en velours bleu nuit délimitent l'espace, ajoutant une touche d'élégance et de mystère. Dans la loge, les fauteuils, semblables à ceux où nous sommes installés, sont disposés autour de tables qui débordent de verres et de bouteilles d'alcool. Les touches de doré dans la décoration captent la lumière des lustres, créant une ambiance à la fois sophistiquée et chaleureuse. Je remarque un gigantesque bouquet de fleurs bleues qui trône sur l'une des tables, ses pétales éclatants contrastant élégamment avec les éléments dorés. Il semble que la loge ait été soigneusement préparée pour un événement spécial ce soir. Il y a seulement quelque personne dans la loge, et...putain c'est pas vrai !

Mon cœur s'arrête immédiatement. ELLE est là !

Victoria.

Vêtue d'une robe bleue, presque noire, foutrement moulante, qui dévoile tout de ses courbes généreuses, ses cuisses élancées, son ventre souple et ferme à la fois, ses seins parfaitement arrondis, ses épaules dégagées, ses clavicules délicates. Putain, je rêve ! Ses cheveux détachés ondulent au rythme de ses mouvements, descendant jusqu'au milieu de son dos. La robe, échancrée, laisse entrevoir un bijou délicat niché au creux de sa colonne vertébrale, juste au-dessus d'un tatouage représentant une nuée d'oiseaux.

Elle danse avec un verre dans la main droite, la main gauche posée sur l'épaule d'un homme que je ne vois que de dos. Elle sourit. Non, elle rit. Elle rejette ses cheveux en arrière d'un mouvement fluide, comme elle le fait souvent. Elle penche la tête, gorge déployée, et rit encore. Le mec se colle encore plus à elle, sa cuisse entre ses jambes, sa tête dans le creux de son cou. Je ne sais pas s'il l'embrasse, la lèche, ou la dévore, mais ça me rend fou. Putain ! Elle est là, dans les bras d'un autre, et putain elle a l'air heureuse. Et merde...
Victoria.

C'est vraiment elle, putain ! Je me doutais bien que j'allais finir par la croiser. J'ai même soigneusement évité tous les lieux qu'elle pourrait éventuellement fréquenter depuis mon arrivée à Toulouse.

Je prends une profonde inspiration pour calmer l'agitation en moi. Ça fait très exactement 61 jours que je l'ai laissée, ce matin-là, sur le palier de sa porte, encore à moitié endormie, emmitouflée dans son petit peignoir blanc. Son corps langoureux blotti contre le mien, ses lèvres douces posées au creux de mon cou, son souffle chaud caressant mes paupières. Elle m'avait embrassé tendrement en glissant ses mains dans mes cheveux, chatouillant de sa langue ma bouche déjà crispée de regrets. Parce que je ne voulais pas partir, je ne voulais pas la quitter. Et merde putain !

Nous avions fait l'amour toute la nuit, avec passion, en y mettant toutes nos émotions. Une putain de nuit de baise torride et sauvage. Une putain de nuit d'amour tendre et nostalgique que je suis loin d'avoir oublié. Que je n'oublierais jamais, même.

Et maintenant, des semaines plus tard, elle est à nouveau là, devant moi.

Le gars, un grand métis au sourire flamboyant, se détache d'elle, il la retourne et la plaque sur la rambarde. Il est derrière elle, une main enroulée autour de sa taille. Elle pose sa tête contre son torse et ses hanches bougent en rythme contre les siennes.

J'ai l'impression de tomber en arrière, bien que je sois fermement assis dans mon fauteuil. Mes mains se crispent sur les accoudoirs alors qu'une rage soudaine m'envahit. Merde, on dirait qu'ils baisent, putain ! Les lèvres de Victoria sont entrouvertes comme quand elle jouit putain ! Ses paupières sont à demi-closes, elle lève son bras libre et pose sa main sur la joue du mec.

Putain, putain, putain.

Je détourne le regard et jette des coups d'œil alentour. Putain, trop tard. Impossible de rester concentré sur ce qui se passe autour de moi, alors que Victoria est juste là. Je la fixe à nouveau, totalement hypnotisé par sa silhouette de rêve, son déhanché sulfureux, son visage qui rayonne. Je secoue la tête, et passe une main sur mon visage, essayant de me détacher de cette image, mais elle persiste. Elle semble si libre, si joyeuse, c'est une foutue reine, merde !

Sa vision me donne la gaule. Je porte distraitement la main à ma queue, la réajuste dans mon pantalon soudain trop serré, et je me redresse pour tenter de reprendre contenance.

Ma sœur et Antoine sont soudain à nouveau assis sur les fauteuils à ma gauche. Isla me regarde dubitative et, instinctivement, je détourne mon regard de Victoria. Mais pas assez vite. Elle tourne sa tête dans la même direction que la mienne et se fige. Puis, elle me regarde à nouveau et sourit en haussant les épaules.

Putain de merde ! Elle savait. Je lui lance un regard noir et insistant.

On n'était jamais venus ici auparavant. On a l'habitude d'aller au Paladium, pas loin du Capitole. "Il paraît que c'est super. Des amis m'en ont parlé. Le proprio est le fils d'un gars qui a fait fortune dans les énergies renouvelables, je crois. On m'en a dit que du bien.", avait-elle expliqué pour justifier notre venue dans ce nouveau club. Je me demande comment elle était au courant que Victoria serait là ce soir, mais, connaissant ma soeur jumelle, il n'y a aucun doute là-dessus : elle a tout planifié.

Putain de merde...c'est un putain de coup monté ! Je me suis fait prendre comme un con. Mon regard se fait sombre, mon cœur martèle dans ma poitrine. Je lui lance les mots chargés de tension :

  • "Tu savais ?"
  • "Savait quoi ?" me répond-elle.

Putain ! Elle feint l’ignorance ! Je la fixe. J’ai la voix tendue mais je me maîtrise.

  • "Victoria".

Je bouillonne à l'intérieur. Elle n'a aucune idée à quel point ça fait mal de prononcer son prénom.

  • "C'est son anniversaire aujourd'hui", me lance-t-elle, d'un ton presque désinvolte.

Elle ne me dit pas "Tu le saurais, si t'avais pas merdé, grand frère !".

Fait chier !

Puis, elle se tourne vers Antoine et ils reprennent leur conversation comme si de rien n'était. Mais avant, je remarque furtivement un regard désolé de la part de mon futur beau-frère, comme s'il voulait dire : "Je n'y suis pour rien, mec."

Je focalise mon attention sur les gens autour de moi. On est venu avec un autre couple. Cléa, une copine de boulot de ma soeur, avec qui j'ai baisé, une fois, ou peut-être plusieurs. Mais c'était avant qu'elle soit avec son nouveau mec, Maxence, qui travaille dans l'aéronautique. Ils sont en train de se rouler des pelles avec une gourmandise presque grotesque pendant qu'Isla sert un whisky à Antoine qui lui caresse tendrement les cheveux.

Putain, fait chier ! Me voilà à jouer la troisième roue, tandis que la fille la plus irrésistible que j'ai jamais rencontrée, celle qui me rend dingue depuis des mois, est en train de s'envoyer en l'air dans un foutu club, au beau milieu de tous ces foutus gens ! Façon de parler.

Je n'ose même pas lever les yeux à nouveau vers la loge VIP. Je m'affaisse dans mon fauteuil, en attrapant furieusement mon verre, envahi par une vague d'amertume. Même le whisky qui coule à présent dans ma gorge ne suffit pas à chasser le nœud qui s'y est formé. C'est mon quatrième, non, mon cinquième verre ? Je sens que je vais devoir m'en servir quelques autres, voire, m'envoyer une bouteille à moi tout seul, pour digérer ce que je viens de voir.

Je scrute la loge néanmoins, hésitant à lever le regard complètement, mais je ne peux pas lutter. Je dois la revoir. Sa silhouette est gravée dans mon esprit, sa façon de bouger, ce sourire éclatant, cette connexion palpable avec le gars qui est avec elle. Tout cela me torture, m'attire et me brise en même temps. Ma main tremble légèrement en portant le verre à mes lèvres, l'alcool brûle, comme toujours, et je grimace. Je sais d'avance que ça n'apaisera pas le tourbillon de sentiments qui m'envahit.

Il faut que je sorte d'ici, que j'aille prendre l'air. Putain, j'ai rien pour me défoncer, rien pour l'oublier. Putain, jamais je pourrais l'oublier. Mais Victoria n'est pas pour moi. Je lui ai brisé le cœur, j'en mets ma main à couper. Elle ne voudra plus jamais me revoir. Putain de merde, c'est moi qui suis baisé là, littéralement !

Je me dis que c'est le moment idéal pour aller fumer une clope, mais quelque chose attire encore mon attention dans la loge. Un type, grand brun, cheveux rasés de près, avec un piercing à l'arcade, arrive derrière le gars qui est collé à Victoria. L'autre lui empoigne les cheveux, tire sa tête en arrière et mord violemment son cou. En tout cas, c'est ce qu'il me semble. Putain, c'est quoi ce bordel ?

Le gars lève soudainement la main qui encercle la taille de Vi, repousse l'autre et se jette sur lui. Je me prépare à assister à une putain de baston en direct, les poings serrés et le cœur battant la chamade. Merde, Victoria pourrait être en danger ! Malgré moi, je sens mon corps qui se tend, prêt à fendre la foule qui nous sépare, gravir ces putains d'escaliers en courant et faire de mon corps un rempart contre ce qui risque d'arriver. Mais je suis pris de court par la suite des événements.

Victoria chancelle légèrement lorsqu'elle perd appui, mais se rattrape à la rambarde. Elle se retourne, l'air étonné, mais finit par éclater de rire en levant son verre à moitié plein, qui se renverse sur elle. Elle est carrément bourrée. Ce qui me surprend, c'est la scène inattendue qui se déroule derrière elle.

Loin de la bagarre que j'avais envisagée initialement, les deux gars ne sont absolument pas en train de se coller des droites en pleine poire. Non, ils sont en train de s'embrasser à s'en décrocher la mâchoire ! Le brun au piercing se tourne alors vers Victoria et vient la prendre dans ses bras. Elle saute de joie, comme une gamine excitée, et envoie un baiser de la main au gars qui, quelques secondes auparavant, était en train de frotter sa queue sur ses fesses, du moins c'est ce que je croyais.

Putain de cerveau de merde ! Toujours à interpréter sans discerner. Il faut que j'arrête de penser avec ma bite, putain ! Je me rends compte à quel point je suis stupide de croire que tout est une histoire de sexe et de passion brute. Peut-être que c'est juste un moment entre amis, peut-être qu'il y a une explication à tout ça. Mais la vue de Victoria, si détendue et joyeuse, dans ce décor de fête où je me sens ce soir complètement décalé, m'ébranle plus que je ne veux l'admettre.

J'ai besoin d'elle. Je le sais depuis que je l'ai rencontré des mois en arrière. Comment peut-on tomber raide dingue amoureux de quelqu'un en une putain de semaine ? C'est hallucinant.

Voilà en quoi se résume notre histoire aujourd'hui : deux rencontres manquées, une semaine de folie pure, un putain de goût d'inachevé, 61 foutues jours de manque insupportable, et 28 jours de torture mentale parce que j'ai déconné, sans lui donner d'explications, parce que putain, aucunes ne pourraient réparer ce que j'ai fait.

Putain de merde d'enfoiré de mes couilles !

Je me passe une main dans les cheveux, je me racle la gorge soudain sèche et je ravale ma salive avec peine. Je prends une grande inspiration et bombe le torse. Il faut que je me ressaisisse. Mais déjà en moi, des souvenirs que je connais par cœur refont surface. Des souvenirs d'elle, de nous qui me hantent encore et encore.

Soudain, ma soeur se penche vers moi :

  • "James, va lui parler", me glisse ma sœur.

Mais putain ! C'est quoi son regard ? De l'encouragement ? Elle compatit ? Hors de question !

Je ne pourrais jamais plus la regarder en face !

Allez c'est bon, je vais aller me la griller cette foutue clope. Je me lève en direction de la sortie fumeur, mais je me peux m'empêcher de regarder une dernière fois vers l'étage. La fille en robe vert pomme, celle que j'ai vu danser près du DJ tout à l'heure, est maintenant à côté de Victoria, accompagnée d'une autre fille en robe rose. Elles l'entraînent doucement vers les escaliers. Je m'arrête au beau milieu de la piste.

Victoria semble réticente et elle les repousse gentiment en secouant la tête de gauche à droite. Mais finalement, elle se laisse emporter par leur enthousiasme, riant à gorge déployée. Les trois femmes descendent ensemble les marches, disparaissent momentanément dans la foule, puis refont surface près de l'estrade où des types les aident à monter près du DJ. La musique s'élève soudain et les premières notes d'un remix de I Will Survive de Gloria Gaynor résonnent dans la salle.

La chanson emblématique remplit l'espace avec ses vibrations puissantes et entraînantes. Victoria et ses amies prennent le devant de la scène, leurs mouvements synchronisés avec les rythmes effervescents de la chanson. Leurs rires et leur énergie communicative transforment l'instant en une célébration vibrante. Victoria chante à tue-tête, elle connait les paroles de la chanson par cœur. C'est une putain de chanson qui proclame la survie après une rupture. Les mots me déchirent l'esprit.

Le texte parle de se relever après la douleur, de retrouver sa force intérieure malgré les épreuves, de recoller un cœur brisé. Je suis le témoin direct de la résilience de Victoria et je réalise qu'elle est en train - ou a déjà - tourner la page. Cette prise de conscience me laisse un goût amer dans la bouche.

Autour de l'estrade, et partout ailleurs aussi, les gens sont fascinés par ces trois femmes en train de danser corps et âme et de s'amuser avec une énergie contagieuse.

Il y a la brune avec sa robe verte et sa longue queue de cheval. Elle incarne à la fois la Madonna distante et la diablesse provocante, dégage une aura de confiance inébranlable, inaccessible et légèrement hautaine. Il y a aussi une fille au teint doré et au corps athlétique, cheveux clairs, vêtue d'une robe fluide rose remontée sur ses cuisses, et qui jette des regards fréquents vers le bar. Et puis, il y a Victoria, et je vois les regards des mecs qui la fixent, leurs yeux traînant sur son corps avec une convoitise à peine dissimulée. Ça me rend fou.

La jalousie gronde en moi comme un putain d'ouragan. Je ne supporte pas de voir ces bâtards affamés qui bavent sur elle. Je veux les éloigner, les faire fuir. Je veux les éclater putain. Non... ce que je veux vraiment, c'est la revendiquer, la faire mienne à nouveau, monter sur cette putain d'estrade et l'embrasser férocement, passionnément !

Je me force à respirer profondément, à garder mon calme. L'impulsion de traverser la foule pour leur faire regretter de poser les yeux sur elle est presque irrésistible. L'impulsion de traverser la foule et de balancer Victoria sur mon épaule me démange carrément. Au lieu de ça, je me concentre sur la scène, la manière dont Victoria se laisse porter par la musique. Elle est radieuse et cette vision est à la fois douloureuse et magnifique.

Je déglutis. Je suis affamé d'elle, assoiffé, les deux à la fois. Mais je ne suis qu'un putain d'enfoiré égoïste. J'ai laissé filer quelque chose de précieux, de rare, sans même comprendre ce que j'avais entre les mains. Chaque jour, je me reproche mes faiblesses et ce putain de texto de couille-molle que je lui ai envoyé à la figure, gratuitement.

Et je me rappelle cruellement à quel point j'ai été lâche de recoucher avec Elaine, et avec toutes les autres qui ont suivi, dans un engrenage sans fin de débauche, de sexe, d'alcool et surtout de drogue. Alors que je n'en avais strictement rien à foutre de ces filles, putain ! Elaine, les autres, des filles que je ne voulais même pas, des instants vides qui n'ont fait qu'amplifier mon désespoir. Ça fait deux ans que je laisse ma putain de queue régir ma putain de vie, comme un trou du cul.

Victoria m'a donné en une semaine ce que j'ai attendu toute ma putain de vie.

J'ai bientôt 30 ans, des tas de merdes derrière moi, des fiançailles brisées par une putain de garce qui m'a presque laissé devant l'autel avec le goût de la bite d'un autre sur la bouche ! Merde, au fond de moi, je le savais putain. Mais, j'avais tracé un chemin et j'avais mis des œillères parce que, oui, je ne suis qu'un putain de lâche trop fier pour faire face à la vérité, aussi évidente soit-elle.

La vérité, là tout de suite, aujourd'hui, c'est que je suis tombé amoureux de Victoria il y a des mois. En à peine quelques jours, elle a chamboulé ma vie, mes croyances, mes désirs, tout ! C'est brutal, c'est clair et sans retour en arrière.

Maintenant, le regret me ronge, me rappelle sans cesse à quel point j'ai échoué. Je me déteste pour avoir laissé passer ma chance. Voilà ma putain de vérité, ma putain de connerie !


Et s'appelle Victoria Rubi Silva de Saint Clair.

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epousemerefemme
Posté le 31/10/2024
J'adore votre premier chapitre.
La description du lieu nous fait plonger instantanément dans l'ambiance, j'avais l'impression en tant que lectrice d'être spectatrice des lieux, de tout ressentir (l'ambiance, les lumières, la musique, les verres savourés).
J'ai hâte de lire la suite...
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