Chapitre 1 : Le Réveil

     Le crépuscule étendait son manteau de ténèbres sur le paysage, et les derniers rayons du soleil semblaient glisser lentement sous l’horizon, emportant avec eux la chaleur et la clarté du jour. C’est dans cette lumière déclinante que Marc Dufresne émergea d’un profond abîme de silence. Son esprit, engourdi, cherchait désespérément à retrouver ses repères. Une sensation étrange s’empara de lui, mélange d’étrangeté et de familiarité, comme s’il était à la fois chez lui et en territoire inconnu.

Il était allongé sur un sol froid, humide, la peau en contact avec quelque chose qui ressemblait à de la pierre polie, mais qui dégageait une énergie étrange, presque vibrante. Un léger brouillard flottait autour de lui, enveloppant chaque recoin de ce lieu singulier d’une douceur vaporeuse. Marc se redressa lentement, ses muscles raides protestant contre ce mouvement soudain, comme s’ils n’avaient pas été utilisés depuis une éternité.

Ses yeux scrutèrent l’environnement qui l’entourait. C’était un cimetière, mais pas un cimetière ordinaire. Les pierres tombales qui parsemaient le paysage étaient d’une matière étrange, translucide, et semblaient émettre une faible lueur, illuminant légèrement la brume environnante. Chaque pierre portait des inscriptions floues, indéchiffrables, qui semblaient se mouvoir au gré de la lumière changeante, donnant l’impression que les mots étaient vivants, qu’ils dansaient sur la surface des pierres.

Marc se leva, ses pieds nus sentant la froideur du sol, et un frisson parcourut son échine. L’air était saturé d’une odeur de terre humide, avec une note subtile de quelque chose d’indéfinissable, presque surnaturel. Il n’y avait pas de vent, mais la brume se mouvait lentement, comme guidée par une force invisible. Il fit quelques pas hésitants, son esprit embrouillé tentant de saisir une réalité qui semblait lui échapper.

C’est alors qu’il aperçut une silhouette qui se découpait nettement à travers le brouillard, comme une tache blanche dans un océan de gris. Un homme se tenait là, immobile, vêtu de blanc, une figure sereine et mystérieuse. Il semblait l’attendre, patient, sans la moindre trace d’impatience. Marc sentit une vague de soulagement le traverser, mêlée à une pointe d’anxiété. Il n’était pas seul.

L’inconnu s’approcha de lui avec une démarche fluide, presque irréelle, et lorsqu’il fut à quelques pas, Marc put distinguer ses traits. C’était un homme d’un certain âge, bien que son visage ne portait aucune ride, ses yeux, d’un bleu intense, brillaient d’une sagesse profonde, presque insondable. Il lui sourit doucement, un sourire qui réchauffa légèrement l’atmosphère froide du cimetière.

— Bienvenue, Marc, dit-il d’une voix calme, empreinte d’une chaleur inattendue. 

Il prononça ces mots comme s’il accueillait un vieil ami, quelqu’un qu’il n’avait pas vu depuis longtemps mais dont il connaissait l’âme.

—Je suis ici pour t’aider à comprendre ce qui t’arrive.

Marc ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit au début. Ses pensées se bousculaient, chaotiques, mais une question réussit à émerger au-dessus de ce tumulte mental.

 — Où suis-je ? demanda-t-il finalement, sa voix brisée, comme s’il avait oublié comment parler. Pourquoi suis-je ici ?

L’homme inclina légèrement la tête, comme s’il avait déjà entendu cette question mille fois auparavant. 

— Tu es entre deux mondes, Marc. Les limbes. Entre la vie et l’au-delà. Et tu cherches à comprendre comment tu es arrivé ici, n’est-ce pas ?

Les mots de l’homme résonnèrent en Marc, écho d’une vérité qu’il n’était pas encore prêt à accepter. Les souvenirs de l’accident revinrent brutalement, l’aveuglement soudain des phares, la sensation d’un impact violent, puis le silence total, profond, inaltérable. Il sentit son estomac se nouer, une nausée le saisir alors qu’il réalisait ce que tout cela impliquait.

— Je suis… mort ? murmura-t-il, plus pour lui-même que pour son mystérieux interlocuteur.

L’homme en blanc le regarda avec compassion, son expression calme contrastant avec la tempête qui faisait rage à l’intérieur de Marc. 

— Oui ,répondit-il, sa voix douce semblant envelopper Marc d’un réconfort inattendu. Tu es ici parce que ton âme a besoin de réponses, de comprendre ce qui s’est passé, de faire face à certaines vérités que tu as peut-être ignorées ou enfouies profondément en toi.

Marc regarda à nouveau autour de lui, observant les pierres tombales qui parsemaient ce lieu énigmatique. Chaque pierre semblait l’appeler, murmurer des secrets qu’il n’était pas encore prêt à entendre. 

— Qu’est-ce que ce lieu ? demanda-t-il, son regard retournant vers l’homme en blanc.

— Ce cimetière est un miroir de ton existence, expliqua l’homme. Les pierres tombales représentent les fragments de ta vie, des souvenirs, des regrets, des moments de bonheur que tu as vécus. Ici, tu vas devoir affronter ces fragments, les comprendre, et en tirer les leçons nécessaires pour avancer.

Marc sentit une vague de panique le submerger. Comment pouvait-il affronter ce qu’il avait passé une vie entière à éviter ? 

— Pourquoi moi ? demanda-t-il, sa voix tremblante. Pourquoi dois-je faire cela ?

L’homme s’approcha un peu plus, posant une main rassurante sur l’épaule de Marc.

— Parce que ta mort n’est pas une fin, Marc. C’est une transition, une opportunité de rédemption, de paix intérieure. Tu n’es pas ici pour être puni, mais pour apprendre, pour comprendre la valeur de ton existence, pour te réconcilier avec ce que tu as été.

Ces mots résonnèrent en Marc, perçant les couches de peur et de confusion qui obscurcissaient son esprit. Une étrange clarté commença à s’installer en lui, une compréhension naissante de ce qu’il devait faire. Mais il savait aussi que ce voyage ne serait pas facile, que les vérités qu’il allait découvrir pourraient être douloureuses, déconcertantes.

Il regarda à nouveau l’homme en blanc, cherchant du soutien dans son regard. 

— Et toi… qui es-tu ?

L’homme sourit, un sourire empreint de mystère. 

— Je suis ton guide dans cette transition, Marc. Je suis ici pour t’accompagner, pour t’aider à naviguer dans cet espace entre les mondes. Je ne suis ni un ange, ni un démon, juste une présence qui t’aidera à trouver ton chemin.

Marc hocha la tête, acceptant cette explication, même si elle soulevait plus de questions qu’elle n’en résolvait. 

— Et maintenant ? demanda-t-il, se préparant mentalement à affronter ce qui l’attendait.

Le guide fit un geste vers le cimetière qui s’étendait devant eux. 

— Maintenant, Marc, il est temps de commencer ton voyage. Chaque pierre, chaque chemin que tu prendras ici te conduira à une part de toi-même que tu dois découvrir ou redécouvrir. Ce sera un voyage introspectif, mais aussi une quête de rédemption.

Marc inspira profondément, sentant le poids de ce qui l’attendait. Mais quelque part au fond de lui, une flamme d’espoir commença à brûler. Ce voyage, aussi effrayant soit-il, était peut-être ce dont il avait besoin pour enfin trouver la paix qu’il n’avait jamais connue de son vivant.

Il fit un pas en avant, se dirigeant vers la première pierre tombale qu’il aperçut, tandis que son guide le suivait en silence, prêt à l’accompagner dans cette exploration de l’âme. L’éclipse de son être venait de commencer.