Le vieil autocar électrique roulait vers le Sud. Il transportait une trentaine d’enfants et quelques adolescents, encadrés par une poignée de militaires. Les nids de poule secouaient régulièrement l’habitacle mais personne ne bronchait. Malgré le jeune âge de la majorité des passagers, le silence régnait.
Depuis le départ, à l’aube, des nuages sombres poursuivaient l’autocar. Soudain, une pluie fine se mit à tomber, troublant à peine le silence. Puis la pluie se fit plus forte. Et encore plus forte. Enfin, une pluie torrentielle s’abattit sur le véhicule qui dût ralentir son allure, puis rouler au pas.
- Je vais m’arrêter, annonça le chauffeur.
Il connaissait le trajet par cœur; il devina le panneau qui désignait l’aire d’autoroute la plus proche et l’autocar bifurqua doucement sous le déluge pour aller se garer.
C’est là qu’un des gamins assis derrière Damian tira sur son sweat-shirt. C’était Léon.
Il chuchota : - Je veux faire pipi.
- Hein ? Mais non ! C’est la pluie qui te fait cet effet, ça va passer.
- Non, non ! Je veux faire pipi depuis longtemps. Là, maintenant, je dois faire pipi !
Léon se tortillait sur son siège sous le regard atterré de son voisin. Damian se leva en soupirant et se déplaça à l’avant du car.
- Monsieur, excusez-moi de vous déranger. Un des petits de mon groupe a besoin d’aller aux toilettes ; ça semble urgent. Est-ce que je peux l’accompagner dehors avant qu’on reprenne la route ? Quand la pluie se sera calmée un peu.
L’adjudant prit tout son temps pour répondre. - Accordé, finit-il par dire.
- Merci Monsieur.
Rester poli, pensa Damian en retournant s’asseoir. Respirer profondément… Rester poli… Dès qu’il devait regarder un militaire en face, Damian sentait la colère monter en lui, mais il s’efforçait de rester calme ; des militaires, il en voyait tous les jours depuis bientôt cinq semaines.
- Moi aussi z’veux faire pipi.
Cette fois, c’était sa voisine de siège qui s’adressait à lui d’une toute petite voix.
- Ah non alors !
Damian avait répondu à voix basse mais en lançant à la gamine un regard terrible. La petite baissa la tête et regarda ses chaussures d’un air contrit mais elle n’insista pas. Derrière eux, Léon se tortillait tant qu’il pouvait.
Le bruit de la pluie se fit plus doux sur les vitres, on pouvait de nouveau voir à travers : l’aire de repos spartiate, l’autoroute vide, un bloc à quelques mètres de là ; des toilettes ?
- Léon, on y va.
L’enfant suivit le grand à petits pas, en serrant les jambes.
- Monsieur, s’il vous plait ?
L’adjudant fit un geste au chauffeur qui ouvrit la porte en disant :
- Dépêchez-vous, les enfants ! On décolle dans deux minutes.
Dans un geste de mauvaise humeur, Damian enfonça la capuche de sa veste sur sa tête. La pluie faiblissait, oui, mais elle mouillait quand même. Marchant à grandes enjambées vers le bâtiment, il s’adressa au petit :
- Grouille-toi !
Crispé, Léon suivait comme il pouvait, en serrant les jambes et en tirant autant qu’il pouvait sur les bretelles d’un petit sac à dos.
Damian demanda, agacé : - Mais pourquoi t’as pris ton sac ?
- Je veux pas que Tom fouille dedans !
- Y a rien dedans !
- Si !
- Pfff…»
Les WC délabrés étaient hors d’usage depuis des lustres, mais derrière le bâtiment se trouvait un bosquet sauvage.
- Bon, vas-y, là !
…
- ça y est ?
…
- Mais qu'est-ce que tu fabriques ? C’est le bouton du pantalon, c’est ça ?... Léon, allez, dépêche-toi !
Caché derrière un arbre, vexé de ne pas pouvoir se rhabiller seul, Léon refusait de répondre. Il finit pourtant par se montrer, la mine boudeuse, le pantalon ouvert.
- Je veux pas y retourner ! J'ai mal au ventre.
En soupirant, Damian aida Léon à boutonner son pantalon.
- On n'a pas le choix.
C’est alors que plusieurs véhicules déboulèrent sur le parking dans un vacarme de moteurs et de crissements de pneus. D’abord figé, Damian se reprit et saisit Léon par les épaules, l’obligeant à s’accroupir avec lui dans les buissons.
- Chut !
Ce fut un mélange de cris, de vociférations ; une confusion de sons glaçants… Au bout d’une éternité, les véhicules repartirent en vrombissant. On entendait que des pleurs. Damian, chancelant, une boule dans la gorge, se leva lentement. Léon était cramponné à son sweat-shirt. Il réussit à articuler : - Lâche-moi Léon. At..attends-moi ici. Je, je reviens tout de suite.
Léon, paniqué, retenait ses larmes par peur de faire du bruit. Il lâcha la veste de l’adolescent pour s’accrocher à une branche d’arbrisseau. Damian, rasant les murs, contourna le bâtiment et jeta un coup d’œil prudent en direction du car. Il fut pris de nausée en voyant, à quelques mètres de lui, les corps sans vie des militaires et du chauffeur, baignant dans leur sang. Une dizaine d’enfants, terrorisés, désemparés, avaient été laissés là, sûrement par manque de place pour les emporter. Les autres enfants et les adolescents avaient disparus. Damian avait déjà entendu parler d’attaques de ce genre. Les pirates de la route avaient besoin de sang neuf, de forces vives. Ils attaquaient des familles, et même des villages. Ils pillaient les biens, les adultes étaient tués et les jeunes étaient emportés et embrigadés.
Aujourd’hui, ils s’en étaient pris à un convoi de jeunes recrues de l’armée. Des hommes étaient morts ou mourants, des enfants venaient d’être faits prisonniers et d’autres sanglotaient, complètement perdus, mais au milieu des sentiments d’horreur et de peur, Damian sentit naître un sentiment d’espoir. Cette attaque, c’était sa chance…
- Léon, tu peux venir.
Léon, tout tremblant, sortit de derrière le bâtiment des toilettes. En voyant le chaos, il ne put pas retenir ses larmes plus longtemps.
- Léon, écoute-moi. Tu vas rejoindre le groupe. N’aie pas peur ! Les méchants pirates sont partis et les secours vont venir et… je…je vais aller les chercher….
Sur ces paroles, Damian laissa Léon en plan et s’éloigna à grands pas. Mais quelques mètres plus loin, Léon était là, accroché à sa jambe.
- Je veux venir avec toi !!!
- Non, Léon ! Je ne peux pas t’emmener ! J’irai plus vite tout seul. Tu dois rejoindre notre groupe.
- Non !
Le petit s’accrochait à Damian de toutes ses forces.
- Arrête ! Léon ! Lâche-moi ! Je te dis que je ne peux pas… je ne veux pas t’emmener !
Damian le repoussa violemment, l’enfant tomba. Mais il se releva aussi vite qu’il put pour poursuivre l’adolescent qui repartait à grandes enjambées.
- Tu vas pas revenir ! Tu vas nous laisser ! Nooonn !!!
De nouveau, Léon était accroché aux jambes de Damian. Damian voulait quitter l’autoroute au plus vite. Il craignait que les autres enfants le repèrent, que les secours arrivent trop vite, que les pirates reviennent… Damian se pencha vers l’enfant et lui saisit les épaules : - Ok. Ok. Tu es têtu. Et bien trop bruyant. Tu viens avec moi. Mais écoute-moi : tu te tais et tu m’obéis. Tu as compris ?
- Oui.
Damian avançait au pas de course et Léon devait courir pour rester à sa hauteur.
- Et les autres, qu’est-ce qu’ils vont faire ?
- Je te l’ai dit. Les secours vont arriver.
- Les pirates, ils vont revenir ? Pourquoi les autres enfants, ils viennent pas avec nous ?
- Léon, tu m’as dit que tu te tairais.
- Pourquoi tu vas pas chercher les autres enfants?
- Léon, ça suffit. Je ne peux pas les emmener. Déjà, toi, j’ai pas envie mais tu ne me laisses pas le choix. Mais dix ou quinze enfants, c’est hors de question ! Je ne peux rien faire pour eux !
Les deux garçons marchèrent derrière la glissière de sécurité pendant une dizaine de minutes. Point positif, la pluie avait complètement cessé. Point négatif, le taillis serré entremêlé au haut grillage qui bordait l’autoroute les empêchait de la quitter. Damian s’attendait à ce qu’un véhicule ennemi surgisse à tout moment. Il avançait tendu, les mains enfoncées dans les poches, les mâchoires crispées, le regard fixé sur le grillage.
- Si la biche passe, nous aussi on peut passer.
- Hein ? Qu’est-ce que tu racontes ?
- Là-bas. La biche !
A une vingtaine de mètres, un chevreuil les observait, planté au milieu de la voie. Et hop, en trois bonds, le chevreuil rejoignit le bas-côté et s’enfonça dans la végétation.
À la hauteur où l’animal avait disparu, le grillage était complètement défoncé. Damian et Léon découvrirent une piste étroite mais praticable, tracée par les chevreuils, peut-être, ou par d’autres animaux ; ou par des hommes.
- On va par là ? demanda Léon.
Damian acquiesça d’un petit signe de tête.
L’écologie est un sujet qui me tient à cœur depuis des années maintenant et je la vois assez rarement mise en avant sur Plume d’Argent. J’étais donc très intriguée par ton histoire et je me suis laissée tentée.
Ce premier chapitre est déjà bien rythmé et tes descriptions efficaces. On a compris qu’on allait suivre Damian durant cette histoire et que son but est de retrouver une certaine forme de liberté, du moins c’est que l’on peut supposer à la fin de ce premier chapitre. Je me suis très vite attachée à ce petit Léon. On l’imagine bien et ses réactions sont très réalistes. J’ai hâte de voir où tu vas nous emmener par la suite :)
Quelques petites remarques :
- « Depuis le départ, à l’aube, des nuages sombres poursuivaient l’autocar. » : cette phrase que tu as placée en début de deuxième paragraphe me paraîtrait plus pertinente en fin de premier paragraphe puisqu’elle continue à nous planter le décor et que tu utilises l’imparfait dedans. Les phrases qui suivent sont au contraire au passé simple puisque tu nous décris des actions qui s’enchaînent. Ce qui dégage donc deux ensembles à mon sens.
- « Il chuchota : - Je veux faire pipi. » : ici tu as deux options de mise en page. Soit tu places la phrase de Léon entre guillemets « Je veux faire pipi. » mais dans ce cas, pas de tiret. Soit tu as recours au tiret et tu vas donc à la ligne. Pour les tirets, on utilise en général le tiret cadratin ou semi-cadratin plutôt qu'un tiret simple.
- « L’adjudant prit tout son temps pour répondre. - Accordé, finit-il par dire. » : même remarque.
- « Damian demanda, agacé : - Mais pourquoi t’as pris ton sac ? » : idem.
- « Il réussit à articuler : - Lâche-moi Léon. At..attends-moi ici. Je, je reviens tout de suite. » : idem.
- « Damian se pencha vers l’enfant et lui saisit les épaules : - Ok. Ok. Tu es têtu. Et bien trop bruyant. Tu viens avec moi. Mais écoute-moi : tu te tais et tu m’obéis. Tu as compris ? » : idem.
- « - Hein ? Mais non ! C’est la pluie qui te fait cet effet, ça va passer. » : j’imagine que c’est ici Damian qui répond à Léon, mais comme j’ai un peu hésité, je te suggères de nous le préciser.
- « La petite baissa la tête et regarda ses chaussures d’un air contrit mais elle n’insista pas. » : pour moi il n’y a pas d’opposition dans cette phrase. Si la petite fille a cet air contrit, c’est logique qu’elle n’insiste pas. Donc je pense que le « mais » n’est pas nécessaire ici.
- « - Mais qu'est-ce que tu fabriques ? C’est le bouton du pantalon, c’est ça ?... Léon, allez, dépêche-toi ! » : Les trois petits points ne sont pas nécessaires. Si tu veux insister sur un silence, tu peux plutôt les intégrer à la narration.
- « - Tu vas pas revenir ! Tu vas nous laisser ! Nooonn !!! » : je comprends que tu veuilles rendre le cri désespéré du petit Léon, mais je ne pense pas que les trois points d’exclamation soient nécessaires pour que l’on comprenne. Il me semble qu’en général on a plutôt recours aux majuscules pour rendre cette idée-là.
Je serai au rendez-vous pour le chapitre 2, à bientôt !
Je viens de découvrir ton histoire ! Ton résumé m'a beaucoup intriguée :) Le fait que ça se passe en France, les passeurs, cette armée...
J'ai beaucoup aimé tes descriptions, j'imaginais facilement ce qui se passait. J'avais même l'impression d'être avec Damian et Léon, d'avoir peur avec eux... D'ailleurs, je ne saurais pas dire pourquoi, mais j'aime déjà ce Damian ! J'ai hâte d'en savoir plus sur lui :)
Au plaisir de lire la suite !
Merci pour ton commentaire.
J'espère publier la suite très bientôt. Et j'espère que tu n'hésiteras pas à me dire ce qui fonctionne... et ce qui ne fonctionne pas :-)
Je vais refaire un petit tour sur ta page pour te laisser un petit message.
À très vite !