La tête d'un ours en peluche doré souriant surplombait un petit restaurant de Hurricane, penché au dessus d'une énorme pancarte indiquant « Fredbear's Family Diner ». Il saluait mécaniquement les quelques personnes qui attendaient devant les portes de bois. L'annonce de l'inauguration était parue dans les journaux la veille et le téléphone n'avait cessé de sonner depuis pour réserver une table. La première pizzeria avec des robots qui géraient l'animation comme des humains, c'était une première dans le pays. Tout le monde voulait voir ça de ses propres yeux.
Mais il y avait quelque chose que les clients ne savaient pas. Derrière les rideaux qui masquaient la vue de ce qui se trouvait derrière les grandes baies vitrées, deux hommes couraient dans tous les sens, de plus en plus nerveux au fil que les minutes s'égrenaient. De temps en temps, l'un d'eux passait avec une chaise au-dessus de la tête, puis le deuxième avec un tas de pizzas en boîte. L'agitation des dernières minutes avant d'ouvrir ce qui était le résultat conjoint de trois ans de travail, entre paperasses, robots et achat de matériel neuf.
"Henry ! cria le premier. Tu as vu le nœud papillon de Fredbear ?
— Il était dans les coulisses ! Non, attends, se reprit-il, dans la cuisine !"
Le dénommé Henry Miller s'engouffra dans la salle de restauration, deux nouvelles chaises au-dessus de la tête. Malgré ses trente ans vigoureux, l'effort faisait couler quelques gouttes de sueur sur sa chemise rose pimpante toute neuve. Il plaça rapidement les chaises autour des tables et tira une grimace lorsque ses cheveux bruns mi-longs se coincèrent dans l'une d'entre elle.
De l'autre côté du carrelage en damier noir et blanc, William Afton tenait en équilibre fragile sur le bord du podium, l'énorme nœud papillon violet fuschia de la star du spectacle dans les mains. Fredbear était un ours-robot de deux mètres cinquante de haut et au moins autant de large. Son concepteur l'avait voulu de cette façon, grassouillet, pour attirer la sympathie des plus jeunes. Génie de la robotique, William l'avait conçu étape par étape, boulon par boulon, jusqu'à ce qu'il soit parfait et son intelligence artificielle suffisamment développée pour animer un spectacle. Fredbear pouvait chanter, danser, répondre à des questions basiques et, chef d'œuvre ultime, se déplacer librement dans la pizzeria. William n'avait pas encore révélé ce dernier prodige technologique et comptait bien sur la surprise qu'elle allait provoquer pour booster le bouche-à-oreilles.
Malgré sa grande taille, le roboticien réussit difficilement à rattacher le nœud papillon au cou de sa petite merveille. Il redescendit ensuite de la scène et lança un dernier coup d'œil à la salle. Les chapeaux festifs en carton recouvraient les tables devant chaque assiette plastique. C'était un rêve qui se réalisait pour lui, une revanche sur ses anciens professeurs qui le critiquaient sans arrêt sur son choix de mettre ses connaissances sur la mécanique au service de la restauration. "Ça ne fonctionnera jamais, il faut grandir un jour William." Il aurait tellement aimé qu'ils soient là pour le voir.
Le seul qui avait crû en lui se trouvait quelques mètres devant lui, deux larges auréoles humides sous sa chemise rose. Il avait presque oublié ce détail. Pour marquer le coup, Henry avait ramené deux costumes le matin-même : un rose et un violet, où leurs noms étaient brodés au dessus de la poitrine. Lui avait hérité de la chemise violette. Il détestait cette couleur qui ravivait le contraste de sa peau très pâle. Héritage génétique : chez les Afton, on ressemblait tous à des cadavres, très maigres et très blancs. Personne n'y avait échappé, lui compris.
"Tu es sûr que ça ne se verra pas ? demanda une énième fois William.
— Arrête de t'inquiéter, ils seront concentrés sur Fredbear, ils ne remarqueront rien."
"Ça" désignait la cinquantaine de pizzas congelées qu'avait commandé les deux gérants de l'établissement en catastrophe la veille. A trop penser aux robots, ils en avaient oublié l'essentiel : une pizzeria sans pizzas le jour de l'ouverture, ce n'était pas bon pour le commerce. Ils n'avaient pas débloqué les fonds suffisants pour que la cuisine soit pleinement fonctionnelle pour l'inauguration. Si Henry n'avait aucun remord, William voyait les choses légèrement différemment, persuadé que l'inspection sanitaire allait leur tomber dessus dès qu'ils ouvriraient les portes.
Il prit une grande inspiration. Ne rien montrer, tout irait bien. Henry l'interrogea d'un signe de tête, William hocha la tête et se dirigea vers le boîtier électrique sur le mur. Il appuya sur quelques boutons et immédiatement, les rideaux s'ouvrirent en grand. La musique s'enclencha dans les hauts-parleurs et Fredbear commença à danser et chanter sur la scène. Henry ouvrit grand les portes et les premiers clients enthousiastes firent leurs premiers pas dans le tout nouveau Fredbear's Family Diner.
Deux enfants traversèrent la foule et accoururent dans la pièce où ils se jetèrent dans les bras de William qui les rattrapa en souriant. Elizabeth, petite fillette rousse pétillante de sept ans délaissa rapidement son père pour courir vers le bord de l'estrade où plusieurs enfants émerveillés regardaient déjà Fredbear. Des trois enfants de la fratrie Afton, elle avait toujours été celle qui témoignait le plus d'intérêt aux robots. William plaçait de grands espoirs en elle et entretenait secrètement l'idée qu'elle suive sa voie. Georges, le cadet de la famille, quatre ans à peine, resta accroché aux jambes de son père, plus méfiant devant cet ours gigantesque aux trop nombreuses dents. William lui offrit un regard rassurant et le prit dans ses bras. Il posa instantanément sa tête sur l'épaule de son père.
Une paire de bras supplémentaire vint encercler la taille de William. Il se contorsionna difficilement pour offrir ses lèvres à sa femme qui venait de le rejoindre avec Michael, dix ans, visiblement de mauvaise humeur et les bras croisés sur son torse.
"J'ai refusé qu'il emmène le chien, expliqua Maggie d'une voix lasse, en tendant les bras pour récupérer Georges.
— Mike, tu sais ce qu'on a convenu, non ? râla William. Pas de chien pendant le service."
L'aîné ne répondit pas et s'éloigna simplement vers la table la plus proche de la scène, rapidement rejoint par Elizabeth qui lui grimpa dessus pour avoir un meilleur point de vue sur le spectacle de Fredbear. William embrassa tendrement la chevelure blonde de sa moitié avant de les quitter pour rejoindre les cuisines où Henry s'activait déjà. William récupéra quelques boîtes de pizza déjà prêtes avant de se figer. Son regard avait buté sur une canette de bière vide posée sur le comptoir.
"Henry... Tu as recommencé à boire...
— Juste une seule, se justifia l'intéressé, dont le nez déjà rougi témoignait du contraire."
Contrarié, William ne répondit pas et quitta la salle. Henry avait un problème d'alcool qu'il ne parvenait pas à régler depuis plusieurs années maintenant. William pensait que la pizzeria lui ferait lâcher prise, mais il se trompait. Il se força à sourire en pénétrant la salle bondée de monde pour masquer son désarroi. Plusieurs enfants l'assaillirent immédiatement en criant pour obtenir une pizza, contraignant le gérant à tourner plusieurs fois sur lui-même pour décrocher les paires de mains insistantes de sa chemise.
"Il y en aura pour tout le monde ! dit-il en haussant la voix pour se faire entendre. Retournez vers vos parents s'il vous plaît !"
Il déposa les pizzas sur la table et ouvrit les boîtes. Quelques parents lui lancèrent des regards mi-interloqués, mi-colériques en découvrant la tête des pizzas, mais aucun ne fit de commentaire à son grand soulagement. Il s'apprêta à quitter la pièce quand il se rappela un détail important. Tout près de la scène, une boîte dont s'échappait des notes de musique se tenait à l'écart. William s'en approcha et souleva un petit boîtier sur le côté : quatre bracelets de surveillance sur dix avaient disparus, ce qui était plutôt bon signe. La locataire de la boîte se promenait un peu plus loin, vérifiant régulièrement si les très jeunes enfants étaient toujours dans les parages. La Marionnette était un système de surveillance intelligent. Les enfants en bas âges mettaient un bracelet et la Marionnette veillait sur eux le temps que leurs parents mangent une pizza. William n'aimait pas vraiment le design de l'Animatronique, une espèce de poupée noire aux bras et jambes striés de bandes blanches. Son sourire figé et ses yeux sans teinte avaient quelque chose de dérangeant, mais cela ne paraissait pas inquiéter outre-mesure les enfants qui riaient et s'amusaient avec elle.
William sourit et regagna les cuisines. Il eut la mauvaise surprise de ne pas y trouver Henry. Inquiet, il jeta un coup d'œil vers les poubelles à l'extérieur, sans le trouver davantage. Il serra les dents en découvrant, cachées sous les boîtes à pizza de la benne, cinq canettes vides de bière supplémentaires, plus anciennes. Combien en avait-il bu avant l'ouverture ? Le laisser dehors avec un taux élevé d'alcoolémie ne l'enchantait pas, mais il ne pouvait pas cesser le travail maintenant. Dans un soupir, il mit une nouvelle fournée de pizzas dans le four.
Il ne remarqua pas, derrière lui, l'affolement soudain de la Marionnette, claquant dans la vitre, encore et encore, sans jamais réussir à atteindre le bracelet qui bippait à l'extérieur.
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"Qu'est-ce que tu fous là ? grogna Henry à l'attention d'une petite fille aux longs cheveux noirs, prise sur le fait en train de faire une bêtise."
D'un doigt tremblant, elle pointa la salle du doigt, de l'autre côté de la vitre.
"J'ai voulu sortir mais... Mais la porte s'est refermée sur moi. Tu peux m'ouvrir, Pa... Papa ?"
Tout dans sa voix et ses gestes trahissait sa peur. Elle savait ce qui allait se passer, parce qu'elle l'avait déjà vécu, encore et encore, à chaque fois que son papa vidait les bouteilles de bières à la maison. Depuis le départ de sa maman, il avait changé. Il lui faisait peur. L'homme tituba dans sa direction, menaçant, une canette à moitié vide dans la main.
"T'as... T'as voulu sortir et la porte s'est fermée, dit-il en imitant sa voix de manière mauvaise. Tu as tenté de t'échapper, Charlie ! Voilà ce que tu as fait !
— Non, pleurnicha t-elle. Non, Papa, je te jure, je voulais pas, je..."
Elle frémit au contact du mur dans son dos. Elle n'avait plus d'échappatoire. Effrayée, elle cacha son visage de ses bras. Cela ne la protègerait pas longtemps, mais sauverait peut-être son visage. Henry leva son poing et lança l'offensive. L'alcool dévia sa course et son poing cogna durement dans le mur. La fillette profita de la diversion pour courir vers le restaurant. Dedans, il n'oserait pas lui faire de mal, elle le savait, elle voulait en profiter.
Alors qu'elle atteignait la porte et s'acharnait dessus pour l'ouvrir, une main lui saisit brusquement le bras. Henry jeta la fillette derrière lui de toutes ses forces. Elle tomba à la renverse et s'écroula au sol. Il entendit à peine le craquement discret de sa nuque contre le trottoir, placé malheureusement sur la trajectoire. Une seconde elle était là, l'autre, elle était morte.
Les yeux exorbités par la surprise et la mort qu'elle n'avait pas vu venir, la fillette ne bougeait plus. Henry crut qu'elle cherchait à abuser de sa patience et la souleva violemment par le col. Il la secoua violemment, mais elle retomba au sol sans un bruit. Son cœur se serra avec force quand l'adrénaline l'avertit brutalement qu'il venait de commettre l'irréparable.
"Oh... Oh non. Oh non, chuchota t-il. Charlie ? Charlie !"
Il souleva la fillette une nouvelle fois, mais elle restait là, inanimée. La porte du restaurant s'ouvrit. Paniqué, Henry abandonna le corps et se jeta derrière une poubelle. Là, dans la lumière, la Marionnette tourna mécaniquement la tête vers sa position. Elle s'approcha lentement de la fillette, et s'abaissa à son niveau. Quelque chose se produisit. Il ne saurait dire quoi. L'animatronique s'effondra au sol, la main sur le petit bracelet que portait le poignet de la fillette, l'autre l'enlaçant dans la mort.
Henry sortit doucement de sa cachette. Il ne pouvait pas laisser le corps ici. Son regard buta sur Fredbear, de l'autre côté de la vitre. Le temps que William découvre l'impensable, il sera déjà loin. Personne ne pourrait l'accuser. Mais pour ça, il devait attendre la fermeture. Encore embrumé par l'alcool, il se laissa tomber près du robot et de ce qui était sa fille quelques secondes encore plus tôt. Sa tête bascula lentement contre le mur et il ferma les yeux.
William tomberait avant lui, il en était certain.
Je ne suis pas déçu, je connais l'univers de Fnaf et l'histoire a peut près jusqu'au 5. C'est hyper intéressent de voire cette vision que tu as de l'univers, ça nous donne même une explication sur certain point trop floue dans le jeu.
Je vais continuer car j'ai bien envie de savoir la suis de Purple man.
Je ne connais les jeux que de nom, donc j'ai un avis extérieur par rapport à ça ^^
Quand j'ai vu le titre et la couverture (le haut de tête de lapin qui peut faire penser à un masque), j'ai tout de suite pensé au manga Doubt.
Ce premier chapitre est alléchant, hâte de lire la suite ! J'ai juste eu un peu de mal avec les nombreux personnages (j'en ai compté 7 (et oui j'ai compté Fredbear)), du coup pour les situer c'est pas évident au début.
C'est pas commun le parcours pro du William en tout cas !
Il y a pas mal de personnages au début, oui, mais ça rétrécit par la suite.