Chapitre 1 : L'Ordonon

Notes de l’auteur : (En cours)

L’Ordonon 

 

I

 

Dans les premières lueures de l’aube,  les artisans se hâtèrent pour reprendre les derniers préparatifs de la fête de la flamme noire, l’Adrenastias, qui célèbre sa fondation depuis aussi longtemps que fût posée sa première pierre. Chaque habitation, des modestes maison à l’ossature de bois et surmontées d'une toiture plate, aux plus grandes bâtisses à plusieurs étages portées par de massives colonnes blanches et engravées d’écritures de teinte noire et bordées de rouge vermeil, toutes étaient décorées pour l’occasion. Il avait été monté de longues toiles brodées et soyeuses, aux vives couleurs dorées et rougeâtres, sur les toitures de tous ces bâtiments devenus majestueux qui faisaient en ce jour plus que jamais la fierté des zarastolites. Les monuments furent repeints une dernière fois, les autels pour les offrandes nettoyés et partout ou il fût possible de poser le regard, la joie des habitants et l’engouement pour l’Adrenastias étaient perceptibles. 

La mélodie des embarcations caressant la surface de l’eau dans le port étouffait le bruit des vagues venues s’écraser sur la côte. Dans le scintillement de la mer lointaine, d’autres navires encore s’apprétaient à rejoindre les quais, avec à leur bord davantage de voyageurs venus de contrées aussi lointaines que l’île d’Ashkra tout au nord, ou des régions plus isolées du sud du Vardem.  Le nombre de navires était toujours important durant cette fête, et aujourd’hui ne fit pas exception. Sur le marché bordant les portes de la grande cité, à l’opposé de là, l’on fit déjà rouler des tonneaux le long des rues, porter de lourdes caisses remplies de tissus, de peaux, de viandes séchées et de légumes. 

Les éleveurs, les agriculteurs, les marchands ou les voyageurs venaient déjà depuis quelques jours affluer massivement dans les rues de la cité, qu’ils viennent de la mer ou des innombrables routes menant vers la cité majestueuse. Sur les marches menant au palais, une procession se dirigeait quant à elle vers lui sur de magnifiques tapis au sol, marqués des histoires de la fondation de la cité. Aucune des personnes présentes dans le groupe qui s’était rassemblé là ne prêtait plus attention à ces tapis, certains marchant sur leur propre tête décorée au sol, tous bien trop occupés à discuter en amont de la réunion qui allait débuter bientôt. Ils se rassemblaient sur ces marches les ordonanciens qui s’apprêtaient à poursuivre, au pied levé, les préparatifs de la fête. L’immense porte du mur ouest résonna pourtant dans un grincement à son ouverture inattendue, son vacarme seulement étouffé par les murmures bruyants des habitants qui se pressaient déjà dans les rues. 

 

II

 

Le sol fut frappé par le cavalement frénétique des armées de Zarastol qui s’en revenaient de campagne. La guerre aura duré vingt ans. Vingt années de sièges, de conquêtes, de victoires comme de défaites, avant que ne tombe finalement Sinstralis, la dernière grande rivale de Zarastol. Dans ce matin calme, pourtant, rien ne laissait croire que l’Adrenastias serait fêtée au retour de ses héros qui, quelques saisons auparavant, rencontraient toujours des difficultés pour repousser les sinstralites de l’autre côté du col de la Route du Sang.Ce chemin, devenu depuis le début du conflit l’endroit le plus mortel de tout l’empire zarastolite, était la dernière voie qui échappait à son contrôle. Il ne pouvait donc n’être de plus glorieuse nouvelle que celle-ci, et se murmurait désormais dans la brise matinale que Sinstralis, la cité à la rouge muraille, était finalement tombée. Tout, pourtant, laissait à croire que l’Adrenastias serait à nouveau fêtée dans le sang, comme depuis le début du conflit. Durant la cent-quatrième saison de son prédicat, le Grand Rhéarque Teodras envoya une missive 

Dans l’entremissure de la porte, à plusieurs lieues de là, les habitants observaient les troupes de pardasiens qui s’en revenaient de la guerre, après ces cent-soixante saisons d’un conflit acharné avec la grande rivale de l’autre côté des montagnes, Sinstralis. La fraîcheur du matin s’éclipsa pour laisser place à la chaleur des acclamations de la foule rassemblée, dans les éclats de rires et les nerveuses larmes que méritait cette attente enfin terminée. Cent-soixante saisons de désastres, de famines et de massacres insoupçonnés à la gloire de Zarastol qui pouvait désormais accueillir ses héros armurés les bras ouverts, dans le plus glorieux de ses jours. Dans la silhouette lointaine du Pardas, son armée, flotta une banderole ocre et dorée contourée d’un rouge vif comme le sang des vaincus et marquée d’une écriture noire plus lisible à chacun des pas fatigués des guerriers la portant avec une fierté non dissimulée, bien malgré leur teint blafard et leurs traits exténués. Le cliquetis métallique des armures éprouvées retentissait avec plus de vigueur à mesure que l’armée, revigorée par les cris enthousiastes et encourageurs des habitants extatiques au bout de leur finale destination, se faisait plus visible sur la route. Un vent tranquille faisait flotter la banderole, toujours plus fièrement portée par les pardasiens. 

Devant les portes grandes ouvertes, entre ces deux foules rejointes, une communion chaleureuse empris le coeur de tous face à la devise de Zarastol, la cité victorieuse, qui flottait-là sereinement dans l’air conquis : A Qora En, J’unis le Peuple. Pendant ces cent-soixante saisons, équivalent à vingt cycles pour les huit saisons composées de quarante jours chaque, soit un total de six mille quatre-cent jours passés loin de leurs familles, amis et obligations, les pardasiens avaient brandit leur lame en scandant cette devise au nom des leurs, jusqu’en ce jour du retour dans l’apothéose triomphale de l’union proclamée. Sinstralis était tombée. Il restait encore difficile à croire, pour les zarastolites, que le monde avait changé. Les routes rocailleuses n’avaient pas changé, elles, ni que les bâtiments somptueux de leur dominante cité natale n’avaient aucunement perdu de leur superbe non plus. Jusque dans le nord, sur les routes menant à Pensalis ou Nesraleth, ou même dans le sud dans l’ancien sanctuaire d’Amaeleth, l’hégémonie de Zarastol était déjà acquise. La chute de Sinstralis ne pouvait plus que consolider la grandeur du peuple qui parvint à dominer tous les autres, et tous pourraient désormais scander une même devise le long des routes du sang. Aux portes de Zarasol, en ce début de la saison de l’Haut-Ciel, le changement était pourtant bien là. La victoire était totale.

 

III

 

Chargés sur les mules, amassés dans les sacs en toiles épaisses qui pourtant peinaient à supporter le poids de leur contenu, les nombreux butins qui furent ramenés-là par le Pardas couvraient de leur trimballement le bruit de la marche des troupes victorieuses, de leurs armures effritées et rustiques comme de leur chant de guerre célébrant le retour. Ils avaient tant à raconter, de leur longue marche de l’autre côté des montagnes, des dangereuses créatures qui protègent les chemins, des histoires du lac sacré de Sastrana. Le peuple de cette cité étrangère n’était pas comme de ce côté-là du monde, bien sûr, même s’ils étaient tout aussi similaires physiquement qu’eux : carrure imposante, une peau mat et dorée, des yeux profondément noirs ou ambrés, des chevelures souples aux couleurs de l’écorce lisse des stigiers,... Mais les sinstralites ne vivaient pas comme les zarastolites. Et qui ne vivait pas comme un zarastolite dans ce monde, ne vivait pas selon la loi du Peuple, la loi des Constellaires eux-mêmes. La commandante de la garde de la porte sud, Galdyr, a fait un long voyage. Elle avait grandit sur le champs de bataille et la vie de la cité lui paraissait maintenant si peu familière, elle qui passa ces vingt années à attendre ce retour triomphale dans l’enceinte de ses murs. Toute cette foule de visages inconnus qu’elle protégea depuis aussi longtemps que son bras pouvait brandir une lame, désormais la dévisageait comme une inconnue. Dans les caravanes, débordant des sacoches de toutes ses mules, les trésors de la Sinstralis vaincue attirait plus l’attention qu’elle. Une pointe de regret éclairait son regard sombre comme la nuit sur le désert. Sa silhouette svelte ne laissait bien sûr pas transparaître son incroyable habileté au combat, mais l’on pouvait lire dans son regard que les flots du sang avaient forgés sa féminine bravoure. 

(...)

“Kars !” lança-t-elle. Un messager vint à elle.

(...)

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