Quand on veut bien faire, parfois ça nous pète au visage sans qu'on s'y attende. J'ai toujours détesté ça. Le meilleur exemple reste cette histoire de livre. Je ne suis pas un grand lecteur, au contraire, les BD m'ont suffit. Ça reste un plaisir de lire, mais je me suis toujours sentit dépassé par ces bouquins épais au texte interminable, parfois avec des termes à peine compréhensible. Ça me décourage.
C'est encore moins encourageant lorsque ce sont tes parents qui t'y obligent. Ils ne m'ont jamais lâché. C'est peut-être vrai que ces derniers temps, je me suis souvent isolé dans ma chambre, mais ils devaient bien se douter qu'en déménageant et en vendant mon vélo, je ne pouvais pas aller voir grand monde très loin, non ?! Et j'aime pas marcher en ville... Bref, ils s'acharnent à me rappeler que lire est très important et que je serais obligé de le faire pour mes études supérieures. Ils m'ont imposé un ultimatum. Si je ne vais pas choisir un livre maintenant, ils me laisseraient les corvées que je déteste le plus pendant un mois. Comme à mon habitude, j'ai cédé. Le ton cinglant de leur voix ôtaient en moi toute volonté de leur résister. J'ai pris l'argent et je suis parti.
Par un coup du destin – ou de malheur – la libraire est à quelques pas de notre immeuble. Plus vite ce sera fait, plus vite j'en serais débarrassé. Je suis devant la boutique, à la devanture fatiguée, le bois est craquelé et les vitres sales. J’ouvre la porte doucement. Le magasin est petit et en meilleur état. Ça sent les livres imprimés. Ce silence… c’'est la première fois que j'entre dans une librairie seul et... c'est étrange. C'est comme arriver dans un autre monde. Tout est différent de l'extérieur. Une ambiance fantastique chatouille mon nez et mon ouïe se repose de ce silence paisible. Malgré leurs airs d'ouvrage infini, les livres réunis m'ont fait connaître une nouvelle sensation par leur simple présence. Subjugué par ce sentiment, je suis resté bouche-bée devant l'entrée. Le libraire m'en extirpe avec sa grosse voix :
« - Je peux vous aider monsieur ?
- Comment ? Euh... oui, nan, je viens regarder par moi-même.
- D'accord, je suis là si vous avez besoin de quoique ce soit.
- Merci. Dis-je en m'éloignant encore dans mes pensées vagues. »
Une nouvelle question surgit. Quel genre de livre pourrait attirer mon attention ? Pas trop gros déjà et qui sors de l’ordinaire, peut-être. Je traverse les étagères d’un coup d’œil et de toutes les réponses, je ne m'attendais pas à ça. Une couverture noir, avec un seul titre : « La légende de l'humanité ». Ainsi qu'un sous-titre : « Quand toutes bonnes choses ont une fin ». Pas de nom d'auteur... rien d'autre. Il n'a pas l'air très épais. Et pourquoi pas. Il a attiré mon attention bien plus vite que les autres, et je veux me débarrasser de ce problème de lecture au plus tôt. Qu'à cela ne tienne, rentrons.
Une semaine et demi de lecture. Ça valait le coup. Je ne croyais pas pouvoir penser ça. Peut-être que la librairie m'a laissé une si bonne impression que je me suis sentit motivé ?! Peu importe, c'est fait, mes parents m'ont lâché. Il y a quand même quelque chose qui cloche. Me faire lire ne me fera pas sortir. Alors quel était le but ? J'ai envie d'y réfléchir, mais les chantiers tambourinent leur marteau-piqueur dans tout le quartier. Ça tremble et résonne. Un bourdonnement grésille dans mes tympans, me prive du peu de silence dont je pourrais me délecter, entre deux coups de marteau. Impossible. Il faut que je sorte. À me faire cogiter, ils ont réussi à me convaincre. J'espère que ça ne faisait pas partie de leurs attentes, je me sentirais bien bête.
J'aurais dû m'en douter, loin de tout, on se sent mieux. Je pensais être isolé dans ma chambre... c'est peut-être mieux dehors. Je crois avoir compris ce qui me tracassait lorsque je sortais avant. J'avance sans réfléchir. Mes pas s'allongent et appuient sur mes talons pour maintenir le rythme. Je suis dans mes pensées et je marche. Perpétuellement en train d'évoquer des mots, des paroles qui remplissent ce grand instant de marche, vide. Mais en ville, impossible de se concentrer.
J'ai atterrit dans la forêt. Cette grande étendue verte qui entoure ces trois petites villes, enfoncées dans ce qu'on appelle : le Cratère. Je suis né ici, et pourtant, je ne connais rien de ses sentiers battus. Mon chemin est tracé et j'ai un bon sens de l'orientation, je ne suis pas inquiet pour le retour.
On ne sent plus ses jambes à force. Heureusement, je croise un des rares banc que j'ai pu voir ici. S'ils sont tous dans le même état, je comprends pourquoi il y en a peu : tagué sur sa totalité et une bière ouverte de la veille faisait encore suinter son liquide jaunâtre sur le bois. Je m'assois où il n'y a pas de danger. Une petite poubelle en métal vert vomit sur le côté. Je peux me reposer, mais mon nez est à plaindre. Quelques minutes, pas plus.
Happé par l'aspect insalubre des lieux, je n'ai pas remarqué la présence d'une lettre sur le couvercle de la poubelle. Elle est propre, très bien soignée même, comme si on l'avait posé là juste avant mon arrivée. L'aurait-on oublié ? Ce serait dommage. Je la saisit du bout des doigts et tente de découvrir un nom. « Max ». C'est le premier nom qui est écrit, le seul, tout seul, c'est le mien. L'enveloppe est soigneusement scellée à la cire. Tout me dit qu'elle m'est adressée, mais ce ne serait pas étonnant si un autre Max habitait dans le coin. Comment faire pour en être certain ? Mise à part, regarder le contenu de l'enveloppe.
Je deviens parano. Si la lettre m'est bien adressée, c'est flippant. Je ne sors jamais, je n'ai aucun itinéraire précis. Donc on m'a suivit depuis le début. Je me sens mal. J'ai peur d'abîmer la lettre avec ma sueur qui glisse sur mes paumes. Je tremble en changeant de main pour me les essuyer. Il faut que je me décide. Je l'ouvre et je met fin à ce malentendu, je dois me convaincre que c'est faux. Sceaux arraché et lettre ouverte, un mot :
« - Cours. »
Ce mot lu dans ma tête a résonné dans une autre voix. Ma panique m'a déconnecté, je n'ai pas vu arriver ce colosse. Un homme tout en noir, une peau sombre, des lunettes de soleil. Il vient de dire le mot qu'il y a sur la lettre, avant même que j'ai pu le lire et l'assimiler. Qui est-il ?
« -Tu sais pas lire ?! Me demande-t-il plus intimidant encore.
- Je... euh... Bafouillés-je stoïque.
- Tu sais pas parler non plus, parfait. Te débat pas trop, j'ai pas que ça à faire. »
J'ai à peine le temps de réaliser ce qu'il dit, que sa grande main attrape ma jambe pour me traîner au sol. Mon T-shirt est balayé, mon ventre exposé à la terre graveleuse. Cailloux et brindilles se logent dans ma peau, mon torse brûle et se déchire. Ma main attrape quelque chose dans ma panique, et par instinct, plante ce bâton de fortune dans la jambe de mon kidnappeur. Il m'a lâché. Maintenant !
Fuir et où aller ? C'est une torture de courir avec la peau du torse arrachée. J'ai besoin d'une pause. Mon bras s'appuie machinalement sur un tronc d'arbre exposé sur le chemin. J'y reprend mon souffle avant d'être attiré par une affiche, accrochée au bois. C'est ma tête. Pourquoi ma tête serait sur une affiche ?
''Max Rani, recherché pour détention d'informations confidentielles et dangereuses, récompense de la mise à mort : quarante mille francs ou le double s'il est ramené vivant.
Signalement : Jeune homme de 18 ans, 1m70, cheveux châtain mi-longs, yeux gris, mince, il s'accommode souvent de sa chemise chétive grise, d'un gilet noir, d'un jean et de baskets noirs.''
C'est quoi ce bordel !? C'est quoi cette histoire d'informations confidentielles et dangereuses ? Le seul truc inhabituel que j'ai fais c'est lire un livre, ne me dites pas que c'est ça !? Encore une fois ! Encore, je fais un foutu effort et ça m'éclate au visage ! Encore ! Ma vie est un jeu et je la trouve encore sur mon chemin. Quelle colère. Mes tiraillements aux ventres ne viennent plus de ma peau meurtrie, mais de mes tripes qui hurlent.
La même voix que tout à l'heure. Il m'a rattrapé. Je veux me retourner et faire face, mais ses deux mains s'accrochent à mon cou et m'entraînent au sol. Je heurte la terre le souffle coupé, mon agresseur ne me laisse aucun répit et m'étrangle. La colère est toujours là. Il va me tuer. La colère monte. Elle se démène et pousse mon corps dans un dernier effort de survie. Un nouveau bâton de fortune se glisse entre mes doigts, et pris par l'adrénaline qui regorge de mes boyaux endolories, je le plante à la gorge.
Je n'ai pas perdu connaissance, mais j'ai l'impression d'avoir passé une éternité allongé là, sur le sol froid. Un homme qui en voulait à ma vie s'est vidé de son sang, à coté de moi, son meurtrier. Pour un simple livre, j'en suis venu à tuer quelqu'un. Quelque chose me dit que ce ne sera pas le dernier. Je dois partir.
Quatre jours. Mon corps a froid. Il a mal. Mes vêtements sont fichus. Je pue le chien mouillé. Plonger dans la rivière pour échapper aux flics... je ne pensais pas que ça pouvait être une bonne idée. J'avais récupéré ma bourse, la voilà émiettée, arrachée par le fleuve et ses pièces éparpillées. J'ai laissé le livre chez moi, trop de malheur dans un si petit objet. Combien de temps je vais pouvoir tenir sans manger, ni boire ? Je n'ai jamais eu la réponse... c'est peut-être marqué dans un livre... je ne me sens pas bien... j'ai besoin de repos.
Ma route s'achève encore dans la forêt, sur un banc à l'abri des regards ou des passagers nocturnes. Dans quelques jours, je vais peut-être m'endormir sans jamais me réveiller. Autant en profiter...et faire une longue nuit.