Chapitre 1 Où Même Les Voies Toutes Tracées Se Perdent Dans La Nuit

Notes de l’auteur : Londres, 2018, un homme brave le froid automnal pour se rendre en secret chez un hôte...

Chapitre 1

Où Même Les Voies Toutes Tracées Se Perdent Dans La Nuit 

Par un soir d’octobre sombre et brumeux comme une nuit d’hiver, une silhouette encapuchonnée se hâtait dans les rues londoniennes. Elle déboucha sur un square composé de plusieurs petits espaces verts séparés quadrillés de voies carrossables au centre, et sur les côtés d’imposantes demeures d’une blancheur fantomatique. L’homme traversa le croisement en-dehors des passages cloutés, évitant sans mal les rares voitures indécises et myopes par ce brouillard. Il remonta l’allée de somptueuses maisons avec perrons solennels, colonnades, terrasses, buis décoratifs et suspensions en fer forgé. Il exhuma sa baguette de sa poche, marmonna une formule entre ses dents et un faible point lumineux se mit à clignoter faiblement à son extrémité. Successivement, les numéros 37, 38 et 39 en gros chiffres de cuivre scintillèrent faiblement sur leur colonne respective, chacune postée avec sa jumelle de chaque côté d’une large porte noire et close. Le mystérieux noctambule s’arrêta devant le numéro 40. Un petit halo lumineux parcouru les gros chiffres de cuivre plusieurs fois, puis suivirent le contour de la grande porte arrondie, suivirent la ligne des jardinières vides en cette saison, et remontèrent pour s’immobiliser sur la plaque scellée dans le mur.

 

Phineus Prym            Conseiller en orientation magique            sur rendez-vous uniquement

 Lorsque la sonnette du 40 Eaton Square résonna dans le rez-de-chaussée, Mr Prym n’en cru pas ses oreilles. Il lui fallu quelques secondes pour se détendre de nouveau et se replonger dans son livre en croisant les doigts pour que ce soit une illusion due à la fatigue. Un deuxième coup de sonnette réfuta sèchement cette possibilité et chaque vibration sonore en provenance de l’entrée lui sembla s’insinuer dans ses oreilles pour tuer le maigre espoir qui était né sans trop de convictions de passer une soirée tranquille.   

                    Phineus alla ouvrir, déclenchant l’éclairage à détecteur de mouvement. L’homme qui se tenait dans l’encadrement de la porte éteignit sa baguette au moment où la suspension en fer forgé l’inonda d’une lueur jaunâtre. Il rejeta sa capuche de sweat-shirt en arrière, et s’excusa pour l’heure tardive.               Mr Prym ne cilla même pas, le débarrassa de son sweat moite et lui indiqua courtoisement la première porte donnant sur l’entrée.

             Mrs Prym, alertée, rejoint son mari au moment où l’inconnu disparaissait dans la pièce plongée dans les ténèbres. Elle reteint son mari par la manche.

« Tu as un rendez-vous à cette heure-là ?

— Bien sûr que non.

— Alors qui est-ce ? dit-elle, l’air interloqué.

— Je ne peux pas faire attendre monsieur, je t’explique tout à la fin de la consultation. Fais-nous un thé, si tu veux bien.

Et il referma derrière lui la porte de son bureau de consultation.

             Phineus agita sa baguette et le bureau s’illumina d’abord timidement d’une myriade de bougies colorées tremblotantes ; le lustre solaire autour duquel orbitaient des orbes en tissu translucide clignota avant d’éclairer les deux visiteurs nocturnes de dizaines de taches multicolores ; des lampes somnolentes, l’abat-jour reposant sur leurs pattes avant, se redressèrent avec zèle en projetant des ronds de lumière bondissants sur les murs. Habitué à ce remue-ménage lumineux, Mr Prym présenta une confortable bergère fleurie au large dossier à son client muet qui s’assit au bord, comme prêt à repartir d’où il était venu. Sur les poutres apparentes, étaient calligraphiées des citations, dont une qui ne manquait d’attirer l’attention car elle était entourée d’étoiles scintillantes :

 

Dum Polus Sidera Pascet(tant que le pôle emmènera paître les étoiles)

 

                  Mr Prym s’installa dans son fauteuil à roulette ergonomique et croisa les mains sur la table.

« Que puis-je pour vous, monsieur ? 

L’homme hésita un instant.

— Je cherche une nouvelle voie. Personne ne doit l’apprendre avant que mon avenir soit à nouveau assuré.

— Bien sûr, le rassura Phineus. »

On frappa à la porte. Mr Prym alla ouvrir à sa femme, et le parfum envoûtant d’un thé aux épices flotta dans le bureau. Mrs Prym ne posa aucune question, et se contenta d’être charmante avant de s’éclipser au meilleur moment.

Les deux hommes sirotèrent un instant leur thé en silence.

« Je vous ai apporté mon curriculum, reprit soudain l’homme en fouillant dans la poche de son jean.

— Inutile, l’arrêta Phinéus, je ne m’en sers jamais.

Son client le considéra avec intérêt.

— Mes méthode sont très… personnelles. Vous verrez le moment venu.

— Quand commençons-nous ?

— Tout de suite, si vous êtes prêts. »

L’homme se redressa dans sa bergère fleurie. Mr Prym ouvrit un tiroir de son bureau et posa un parchemin plié en quatre devant son client.

« Ne l’ouvrez qu’une fois rentré. Nous en discuterons lors de notre prochaine rencontre. Êtes-vous disponible le 31 octobre à la même heure ?

L’homme était justement disponible. Ils réglèrent encore quelques menus détails puis ils se séparèrent. Ils ne mentionnèrent à aucun moment les honoraires. Lorsque Mr Prym salua du pas de la porte son client nocturne, une bourrasque souffla sa capuche et un réverbère impudique révéla, l’espace d’un instant, la présence sur son front blanchâtre d’une cicatrice en forme d’éclair.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Vous lisez