Chapitre 1 – Une enquête ordinaire

Par David.J
Notes de l’auteur : Acte 1 - L’ILLUSION (Chapitres 1-10)

La pluie martelait le bitume, effaçant les derniers vestiges du jour. Des filets d’eau gonflaient les flaques avant de disparaître dans les égouts. Chaque goutte résonnait sur les carrosseries immobiles, accompagnée des échos lointains de la ville endormie.

Les gyrophares lacéraient la nuit, projetant des éclats rouges et bleus sur les façades défraîchies. Sur la chaussée détrempée, les ombres se tordaient et se rétractaient au gré des reflets, insaisissables. L’air, saturé d’humidité, portait une odeur métallique mêlée au bitume tiède. Une bourrasque souleva une bruine glaciale, s’accrochant aux vêtements, glissant sous la peau.

Étienne Larue coupa le moteur. L’habitacle bascula dans un silence compact, uniquement troublé par la pluie sur le toit. Il resta un instant immobile, les doigts crispés sur le volant. Son pare-brise embué laissait entrevoir des silhouettes mouvantes, découpées par les reflets des gyrophares. Les éclats lumineux dansaient sur son visage fatigué, lui donnant l’apparence d’un spectre figé hors du temps.

Il inspira profondément, mais l’air était lourd, chargé d’une tension sourde. L’odeur du cuir et du tabac froid collé à son manteau lui rappela que son dernier café remontait à des heures. L’espace d’un instant, il songea à rester là, dans cette bulle tiède, loin de ce qui l’attendait derrière la bande jaune.

Puis, d’un geste lent, il attrapa le col de son manteau et le releva. Il ouvrit la portière et fut aussitôt frappé par l’averse. Le vent s’engouffra sous son manteau, glissa le long de son dos comme une main invisible. Il ferma brièvement les yeux, rassembla ses pensées et s’avança vers la scène de crime.

— Inspecteur Larue, par ici !

La voix perça le tumulte de la pluie. Derrière la bande de sécurité, un jeune agent en uniforme se tenait droit, sa silhouette légèrement voûtée sous l’effet de l’humidité. Il leva une main gantée pour attirer son attention.

Étienne détourna son regard de la façade décrépite du vieil immeuble et fixa l’agent. Son expression parlait d’elle-même. Ce meurtre avait quelque chose d’anormal.

D’un pas mesuré, il s’approcha en évitant les flaques, sentant l’eau s’infiltrer insidieusement à travers ses chaussures. La façade du bâtiment se découpait sous les flashs des gyrophares, projetant des ombres tremblotantes sur ses murs lézardés. Il avait l’air abandonné, figé dans le temps. Mais ce soir, tout avait changé. Ce lieu insignifiant était devenu un point de convergence.

— Qui a découvert le corps ?

L’agent consulta rapidement son carnet.

— Une voisine. Elle a entendu une chute. Pas de bruit après. Elle a cru à un meuble renversé, mais quand personne n’a répondu, elle a appelé la police.

— Et ensuite ?

L’agent haussa les épaules.

— Aucune réponse. Elle a insisté, tendu l’oreille, mais tout était calme. Finalement, inquiète, elle a appelé la police. Quand on est arrivés, la porte était verrouillée de l’intérieur. On a dû la forcer.

— Nom de la victime ?

— Marc Lambert.

Étienne hocha la tête et franchit le cordon de sécurité.

Dès qu’il pénétra dans le hall, une odeur âcre l’assaillit. Moisissure, poussière, humidité incrustée dans les murs. L’air semblait épais, stagnant. Une goutte suinta du plafond lépreux et s’écrasa sur le carrelage. Le son claqua dans le silence pesant.

Il gravit lentement l’escalier. Chaque marche grinça sous son poids. Le néon du couloir clignotait, projetant des ombres mouvantes sur les murs fissurés. L’atmosphère changeait imperceptiblement. À chaque palier, l’air s’alourdissait, chargé d’une présence diffuse, indéfinissable.

Il atteignit enfin le troisième étage. La porte de l’appartement était entrouverte, la serrure brisée. L’encadrement portait encore les traces fraîches du forçage. Plusieurs agents s’affairaient autour de l’entrée. Un technicien, accroupi près du chambranle, relevait méticuleusement des empreintes. Son front perlait d’une fine sueur, malgré l’air glacial de l’étage.

Étienne inspira profondément et s’avança vers la porte entrouverte. Une impression désagréable s’insinua en lui, une sensation sourde, viscérale.

— Un cambriolage qui tourne mal ? suggéra-t-il.

Debout près de l’entrée, un homme en costume sombre observait la scène avec un calme apparent. Son vêtement impeccablement ajusté contrastait avec l’humidité ambiante. Il leva un sourcil, esquissa un sourire en coin. Un tic qu’Étienne connaissait bien.

— Trop facile, répondit David Morel, son coéquipier depuis plus d’une décennie.

Sa voix portait une pointe d’ironie, mais ses yeux restaient froids, méthodiques. Il était comme ça, David. Cynique, parfois désinvolte, mais d’une acuité implacable.

Étienne pénétra dans l’appartement exigu, son regard balayant chaque recoin avec minutie. Tout semblait parfaitement en place. Aucun meuble renversé, aucun tiroir fouillé. Pas le moindre signe de lutte. Pourtant, quelque chose clochait. Il le sentait.

Un silence trop lourd. La pièce n’attendait pas, elle écoutait, figée dans une tension invisible. Une pression familière lui serra la nuque, le forçant à ralentir, comme si un regard pesait sur lui.

Puis, il vit le corps.

Au centre du salon, désarticulé, la tête légèrement de travers. Ses yeux grands ouverts, vitreux, fixaient un point invisible au plafond. Pas juste un mort. Quelqu’un qui avait vu… quelque chose.

Une horreur insaisissable.

Sa mâchoire était entrouverte dans un dernier souffle inachevé. Ses pupilles, dilatées, injectées de sang, marbrées de veines éclatées. Son visage crispé en un rictus d’effroi absolu, figé dans une terreur muette.

Mais ce qui frappa Étienne, ce furent ses mains.

Les doigts, recroquevillés avec une force anormale, s’étaient refermés sur ses paumes, les ongles enfoncés profondément dans la chair, traçant des entailles sanglantes.

Comme s’il s’accrochait à lui-même.

Comme s’il repoussait l’invisible.

Un frisson lui remonta la colonne vertébrale. Ce n’était pas une mort ordinaire.

Il n’aurait peut-être pas voulu être ici ce soir.

— Cause du décès ? demanda-t-il, la gorge légèrement nouée.

Accroupie près du cadavre, la légiste releva lentement la tête. Son expression fatiguée trahissait une perplexité qu’elle peinait à masquer. Elle effleura le poignet inerte du défunt, cherchant un indice sous la peau glacée.

— Il était là… et puis plus rien, souffla-t-elle. Pas d’attaque, pas de crise.

Elle haussa les épaules, secoua la tête.

— On dirait qu’il est… mort de peur.

Étienne fronça les sourcils.

— Une crise cardiaque ?

— Peut-être. Mais rien ne colle. Pas d’antécédents médicaux alarmants, pas de substances suspectes. Et surtout… aucun symptôme précurseur.

Elle se redressa légèrement, croisant les bras.

— Ce type était en parfaite santé hier encore.

Elle hésita, pinça les lèvres avant d’ajouter :

— Mais il y a autre chose.

Lentement, elle écarta le col de la chemise de la victime. La lumière crue dévoila une marque circulaire, profondément ancrée sous le sternum. Parfaitement nette. Aucune cloque, aucune rougeur, aucun tissu carbonisé.

Comme si elle avait été imprimée dans la chair… sans jamais brûler la peau.

Étienne sentit son estomac se nouer. Un écho diffus résonna dans sa mémoire, une impression fugace, trop floue pour être comprise.

— Depuis combien de temps cette empreinte est là ? murmura-t-il, son regard figé sur la marque.

La légiste effleura le tracé du bout des doigts, le visage tendu.

— C’est ça qui est troublant, répondit-elle après un instant. À première vue, je dirais une semaine. Mais c’est cloués à lui.. Pas d’inflammation, pas de cicatrisation avancée. C’est comme si elle était apparue d’un coup. Exactement dans cet état.

Étienne plissa les yeux. Un frisson lui parcourut l’échine.

— Ce n’est pas une brûlure normale, murmura-t-il.

Il connaissait ce symbole.

Il en était certain.

Mais d’où ?

Un livre ? Un dossier ancien ? Un dessin griffonné dans un rapport oublié ? Ses pensées s’entrechoquaient sans parvenir à saisir l’image complète.

— J’ai déjà vu ça quelque part…, souffla-t-il plus pour lui-même que pour les autres.

Il releva les yeux vers David. Son regard disait la même chose : ça ne collait pas.

Un verre à moitié rempli de whisky trônait sur la table basse. Le liquide ambré vibra légèrement sous un courant d’air imperceptible. Étienne observa la condensation sur le verre. Trop récente pour être anodine.

Puis, un son attira son attention.

Un tic-tac. Lent. Irrégulier.

Il écarta quelques papiers sur la table et découvrit une montre, presque cachée sous un carnet usé. Le bracelet était cassé. Le cadran, arrêté.

23h13.

Un fragment de temps. Un avertissement silencieux.

— C’est la sienne ? murmura David, sa voix plus basse.

La légiste secoua lentement la tête.

— Non. Il n’en portait pas.

Un silence flotta entre eux. Si cette montre n’appartenait pas à la victime… alors à qui ?

Un bruit sourd brisa la tension.

Ils échangèrent un regard, puis Étienne s’avança vers la chambre adjacente. Une fenêtre battait doucement sous l’effet du vent. Il s’approcha pour la refermer… et s’arrêta net.

Sur le rebord, de légères traces humides.

Comme si quelqu’un s’était appuyé là.

Une sensation désagréable s’insinua sous sa peau, comme si l’air lui-même vibrait.

— On dirait que quelqu’un était là, murmura-t-il.

David s’approcha, sceptique.

— Depuis le troisième étage ? Peu probable.

Étienne ne répondit pas. Ce n’était pas seulement l’humidité. Ni la marque sur la peau du cadavre. Ni la montre brisée.

C’était autre chose.

Un malaise primitif, viscéral.

Il referma la fenêtre d’un geste sec. Son regard glissa sur les gouttes éparpillées sur le rebord. Toujours fraîches. Trop fraîches.

Rien dans la pièce n’avait changé.

Pourtant, il savait.

Quelqu’un avait été là. Tout à l’heure. Juste avant lui.

Mais la sensation persistait.

À la sortie du salon, il s’arrêta près de la légiste.

— Le labo peut analyser la marque sur sa poitrine ?

Elle releva la tête, l’air troublé.

— Je vais envoyer des prélèvements dès ce soir, dit-elle. Je n’ai jamais vu un symbole pareil.

Étienne hocha la tête, mais son regard resta sur le cadavre. Une intuition lourde et inéluctable lui broyait la poitrine.

Il quitta l’appartement.

Un grincement ténu résonna derrière lui.

Il se retourna.

Rien.

Juste la pénombre oppressante.

Il inspira profondément et s’éloigna de l’immeuble.

Mais il savait déjà qu’il allait y revenir.

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Cherry Fig
Posté le 25/03/2025
J'aime beaucoup ce début d'histoire : l'atmosphère est installée, le suspens présent, les personnages sont intéressants... C'est vraiment un thriller comme on les aime, où on sent qu'on sera face à une intrigue soigneusement élaborée, qui nous tiendra en haleine du début à la fin.
Hâte de lire la suite !
David.J
Posté le 25/03/2025
C’est pile ce que je cherchais à créer : un vrai thriller avec tension et mystère bien dosés. J’espère que la suite saura te tenir en haleine jusqu’au bout… et peut-être même te surprendre.
La suite arrive très vite !
Fidelis
Posté le 23/03/2025
Ta plume évolue bien, on voit la différence, c'est dingue, l'ambiance est bien décrite, on comprend bien ce que tes personnages ressentes, c'est cool beau boulot mec, puff je suis bluffé, continue.
David.J
Posté le 24/03/2025
Merci infiniment Fidelis !
Ton message me fait vraiment plaisir. Je travaille beaucoup justement sur l’ambiance et l’émotion, alors savoir que ça se ressent, c’est hyper motivant. Je suis encore en train de faire évoluer tout ça et j’ai même l’intention de retravailler L’Étage Interdit en format roman pour aller plus loin dans l’atmosphère et la psychologie. Merci pour ton soutien!
sakumo91
Posté le 22/03/2025
Excellent premier chapitre, j'apprécie les informations données de façon logique au compte goutte. Je n'apprécie pas tellement les romans policiers d'habitude mais la tu m'as accroché. Bien joué.
David.J
Posté le 23/03/2025
Merci beaucoup ! Heureux d’avoir réussi à t’embarquer dès le début.
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