Chapitre 10

Par AliceH
Notes de l’auteur : Un nouvel épisode plein de bouleversements et de chansons.

Camille avait bien envie de demander à Noémie pourquoi elle lui tenait toujours la main au juste, mais elle avait peur que celle-ci n'arrête de le faire. Une fois le choc du meurtre de Philippe et de la rencontre fortuite avec les deux Death givers passé, la main de la jeune femme était devenue chaude, réconfortante. Elles restèrent comme deux ronds de flan tandis que Delphine avançait :

– Et si je mettais notre cadavre dans le coffre de la C4-

– Je refuse d'avoir un mec mort dans le coffre de ma voiture, à quelques centimètres de là où je mets le siège enfant de ma fille, intervint Véronique, les dents serrées.

– On va bien devoir le mettre quelque part. Vous voulez lui mettre une ceinture de sécurité et le foutre sur le siège passager peut-être ? releva Red right hand.

– Ça va saloper mon coffre. OK, soit. On met Philippe dans mon coffre. Qui conduit ?

– Toi, tu conduis la C4. Et une de nous part avec un des deux là, continua Delphine en désignant les deux hommes devant elle, pour qu'on soit sûres qu'ils complotent pas un sale coup. Pour plus de sécurité, ce sera une d'entre nous qui conduira la Porsche, histoire de maîtriser l'itinéraire.

– Ah non. Non, non, non, refusa The man in black en secouant la tête avec ferveur.

– Quoi, vous avez peur qu'on vous pique votre bagnole ?

– Non, c'est juste que vous êtes pas enregistrées sur l'assurance de la bagnole. Tuer quelqu'un, c'est une chose, rouler sans assurance, c'est une autre. En plus, si on se fait gauler, on va vite attirer de gros soupçons.

– Camille, Noémie, on peut vous demander d'aider un peu ? Ou vous allez rester dans les buissons à vous tenir la main comme des gosses de primaire qui se mettent en rang pour aller à la cantine ?

– Image très précise, nota Red right hand.

– Miro, ta gueule.

– Si on peut plus rien dire... Nous en étions à l'organisation suivante : Philippe va dans la C4, Roger va dans notre Porsche Cayenne. Un de nous va dans la C4, l'autre conduit le Porsche Cayenne.

– Pas la peine d'insister sur le fait que vous conduisez une Porsche hein, maugréa Noémie qui lâcha la main de Camille, à son grand regret.

– Donc, Véronique ici présente, bonsoir Véronique, conduirait la C4 avec moi comme passager, Roger dans le coffre, il reste encore cinq personnes à caser dans… une voiture et demie. Y compris dans notre Porsche Cayenne, insista-t-il. C'est mon frère qui la conduira car c'est lui qui est assuré et… Voilà. Organisez-vous pour savoir qui va avec qui.

Comme saisies par le même réflexe, les Death planners se regroupèrent telles une équipe de rugby en début de mêlée. Elles chuchotèrent à toute vitesse :

– Qui va avec moi et le plus vieux ? demanda Véronique.

– Moi ! L'autre me met vraiment mal à l'aise.

– Moi aussi, dit Nour. Je voudrais rentrer vite et entière revoir mes enfants.

– Ah ! Parce qu'on a pas d'enfants- commença Noémie avec colère.

– Pour le moment, releva Camille d'une voix morne.

– Pour le moment, on peut aller tranquillement en voiture avec un type qui a fait vingt mois de prison ?

– On peut faire ça à feuille, papier, ciseaux si tu veux.

– Non, non, pas la peine, le mal est fait, je vois que vous prêtez bien peu d'importance à ma propre vie de lesbienne célibataire sans enfants.

– Tu pourras toujours en avoir un jour tu sais, glissa Delphine tandis que Camille avait la sensation que l'ange des lesbiennes lui faisait un énorme clin d’œil. Certes, au vu de la butchitude assumée de Noémie, elle se doutait que cette dernière était lesbienne. Mais l'entendre le dire aussi clairement, ça lui donnait chaud au cœur.

– Je crois que le sujet dérive un peu là, si je peux me permettre ! rétorqua Red right hand au loin. Allez, on y va. On peut se faire choper à tout moment. En plus, notre sœur va se demander ce qu'on fout.

– Une d'entre vous contacte Madeline et on se retrouve toutes... Pas au bureau vu qu'il y aura le personnel de ménage, se rappela Nour. On verra bien.

La tête basse, Camille et Noémie suivirent The man in black jusqu'à une énorme Porsche Cayenne aux vitres teintées après avoir réussi à rentrer le pauvre Roger dans l'immense coffre. Pendant qu'il mettait le moteur en route et que Camille se dévouait pour aller à l'avant, le silence n'était troublé que par quelques murmures provenant de la C4 de Véronique. Alors qu'ils faisaient tous attention à rester aussi silencieux que possible, la puissante stéréo de la Porsche beugla :

« If the music's pumping it will give you new life

You're a superstar, yes, that's what you are, you know it !

Come on, vogue !

Let your body move to the music !

Hey, hey, he- »

Le doigt toujours sur le bouton on/off de sa radio, The man in black s'éclaircit la voix pour demander :

– Où allons-nous ?

– Aucune idée.

– Alors ça, c'est super.

– Contentez-vous de suivre Véro, OK ?

L'homme marmonna dans sa barbe mais obtempéra. Camille sortit son téléphone portable pour voir que le groupe Whatsapp de l'équipe A des Deathplanners et de leur cheffe était en pleine activité.


 

Véronique :

Alors Mad, on a eu comme un incident...

Madeline :

Comme ? Un accident de la route ? C'est grave ?!

Véronique :

Non, pas vraiment.

Comment dire...

Nour :

Philippe est mort mais pas de la manière attendue, disons-le comme ça.

Madeline :

Pardon ??

Nour :

Il se trouvait que...

Il y avait une cible de Death Givers qui faisait son jogging pas loin et une chose en entraînant une autre...

Madeline :

PARDON ???!!!

C'est quoi ce bordel ?

J'appelle qui pour avoir toutes les infos ? Véro ? Nour ?

Et les stagiaires dans tout ça ??!!


 

Camille se décida à rejoindre la conversation.


 

Camille :

Noémie a l'air d'aller bien, mais je crois que c'est le choc qui fait qu'elle soit aussi...

Impassible ?

Madeline :

Et les corps dans tout ça ???!!

Où est Philippe ??

Véronique :

Dans le coffre de ma C4.

Madeline :

PARDON ????!!!!!


 

La discussion stoppa net. Camille soupçonna que Madeline était au téléphone avec une de ses collègues. En dehors du bruit de ses doigts tapotant l'écran de son smartphone, l'intérieur de la voiture était silencieux. Elle ne s'en plaignait pas : elle avait toujours préféré le silence à une conversation de façade creuse et sans intérêt. Elle n'avait jamais fait partie de ces gens que le silence mettait mal à l'aise. Ce n'était pas le cas de Noémie. Celle-ci pépia nerveusement depuis la banquette arrière :

– Et du coup, vous vous habillez vraiment tout le temps en noir ou bien y'a des jours où...

The man in black fut si surpris par ce début de conversation soudain qu'il en manqua de griller le feu rouge. Il le remarqua à la dernière seconde : un énorme crissement de pneus se fit entendre quand il enfonça la pédale de frein. La C4 devant eux ne les remarqua même pas et continua son chemin sans faire mine de ralentir. Tandis que Camille se remettait un peu d'ordre dans les idées, elle entendit l'homme répondre :

– Non. En fait, j'aime bien les imprimés colorés.

– C'est un choix assez ironique du coup... répondit Noémie qui n'en menait pas large.

– Même Johnny Cash ne portait pas toujours du noir, c'était pour le symbole. Moi, c'était pour lui rendre hommage. J'aurais pu m'appeler Cocaine Blues mais bon, ça aurait fait mauvais genre.

– Pourquoi vous avez des surnoms d'ailleurs ? demanda Camille qui avait réalisé que c'était le moment idéal pour poser les questions qu'elle s'était toujours posées concernant les Death givers.

– Pour montrer qu'on forme un groupe, une entité, liée par un mission commune. Disons que c'est plus ou moins ce que la Mort nous a demandé. Et puis, c'est toujours bien d'avoir une image de marque. Hortense tiendra sans doute notre Instagram officiel, comme les anglais ont. Ou certains américains. Les DG new-yorkais sont au taquet là-dessus.

– Ah, parce que la Mort est venue vous voir personnellement ?

– Ouais.

– Elle était comment ?

– Plutôt sympa jusqu'à ce qu'elle colle une baffe mystique à mon frère.

– Ah.

– Ah, répéta Camille.

– Ah, répéta également The man in black. Le v'là qui appelle, remarqua-t-il quand l'écran de bord afficha « Appel entrant : Miro ». Oui ?

 

_____

 

«... Et j'ai sifflé tant que j'ai pu

J'ai attendu, attendu, elle n'est jamais venue

Zaï zaï zaï zaï... »

– Ça lui apprendra à oublier sa carte de fidélité, lança Camille à personne en particulier.

– Est-ce une sombre référence à un monument de la BD française ? releva Noémie.

– Exact. Maintenant se pose la question de : pourquoi cet endroit, bordel ?

Une soirée karaoké géante. Ils se trouvaient tous les sept dans une soirée karaoké dans un club à deux étages, au milieu d'une foule passablement alcoolisée et rigolarde qui possédait globalement peu de don pour le chant. Il y faisait chaud, il y avait beaucoup de monde et on s'entendait à peine.

– Parce qu'il y a tellement de monde qu'on s'en tape de notre présence. Ensuite, parce qu'on s'entend à peine et que ça nous arrange, répondit Delphine qui avait eu cette idée. Par contre, on meurt de chaud.

– Clairement, avec votre veste en moumoute pastel, vous risquez pas de mourir de froid ici, souleva The man in black.

– Il est toujours chiant comme ça ?

– C'est le plus jeune, offrit-il en guise d'explication. Bon, je vais chercher à boire. Bière pour tout le monde, sauf... Machin ?

– Camille. Un jus d'ananas, s'il y a. Sinon, orange.

– Pareil pour moi, lança Noémie.

– Notre cheffe ne va pas tarder et votre sœur non plus, je crois bien, exposa Nour avant de filer dehors prendre un appel. Je reviens !

Quelques minutes plus tard, tous étaient devant leurs boissons et écoutaient Jean-Michel Dontespikhainegliche et son acolyte Jean-Michel Findephrase massacrer allègrement un morceau de Coldplay. Camille, qui pensait que la musique de Coldplay constituait déjà en soi un massacre de la musique, du bon goût et de la convention de Genève même, avait presque envie de les féliciter pour leurs efforts. Une femme très grande aux cheveux rasés la surplomba soudain. Elle faillit se faire pipi dessus quand elle la vit. Pas de doute, c'était la grande sœur de Red right hand et The man in black. Elle dégageait une impression impossible à définir, comme ses deux frères : elle avait une aura à la fois menaçante et magnifique. Le plus menaçant chez elle à cet instant était son regard, qui envoyait un message clair. Celui-ci était : « Ça va chier ». Elle fut soulagée quand elle réalisa que ce regard était destiné aux deux Death givers assis juste derrière elle. Alors que la fratrie se disputait à voix pas-si-basse, elle entendit des éclats de voix :

– Il faut vous inscrire pour une chanson ou vous pouvez pas rester.

– Mais on va pas rester longtemps de toute façon ! s'écria Madeline qui apparut dans son champ de vision.

– Vos amis sont déjà là depuis un moment sans chanter. Ou vous chantez ou vous partez maintenant, exigea un jeune homme qui arborait un badge.

– Bon, inscrivez-nous pour une chanson alors.

– Laquelle ?

– Décidez. Un truc de comédie musicale française, tiens. Il voulait pas me lâcher le cul c'ui-là, maugréa Madeline qui prit place à côté de Nour. Bonsoir.

– Je m'excuse très sincèrement des actes de mes frères et de leur comportement, avança l'aînée, Alligator 427. C'était une terrible erreur, et nous ferons tout pour vous aider à...

– À la couvrir.

– C'est ce que j'ai compris.Vous pouvez comprendre qu'au vu de nos propres fonctions et de la réputation de mon plus jeune frère, exposer cette bavure nous mettrait dans une situation délicate.

– Vous comprenez tout de même que nous ne gagnons rien à vous couvrir ?

– Si, éviter d'être tuées par vengeance dans notre sommeil, releva Noémie.

– On va pas se mettre à tuer des gens gratuitement quand même. Dans quel monde vivrait-on ?

– Miro, chut. C'est vrai, reconnut Alligator 427. Mais-

– « LE MONDE EST STONE » POUR LA DAME DÉSAGRÉABLE EN TRENCH JAUNE ET SES ACOLYTES, DANS UNE MINUTE ! clama une voix amplifiée par un micro.

– Merde, déjà ? Qui y va ? Je vais pas quitter une conversation pareille pour aller chanter du Starmania !

– J'y vais, offrit Camille qui se sentait étouffer. Allez.

Elle se sentait comme prête à déborder, imploser et exploser en même temps. Toutes les émotions qui l'avaient traversée cette dernière heure, cette grossesse qui continuait malgré elle, les sentiments naissants pour Noémie qu'elle ne voulait reconnaître qu'à moitié, son boulot, tous ces gens, ce bruit, ces odeurs, cette musique mal chantée, sa vie qui lui semblait vide de sens, encore plus vide de sens dans cette cohue, tout ça lui semblait devenir un fardeau énorme. Peut-être que s'éloigner un peu d'une partie de la cause de ses soucis aiderait. Peut-être que chanter très fort et probablement très faux aiderait aussi, même si elle connaissait à peine Le monde est stone. Quand les premières paroles apparurent à l'écran, elle sentit sa gorge se nouer, ériger un dernier barrage contre les larmes qui ne demandaient qu'à sortir d'elle avec perte et fracas. Sa voix était à peine audible quand elle commença :

« J'ai la tête qui éclate

J'voudrais seulement dormir

M'étendre sur l'asphalte

Et me laisser mourir... »

Elle lutta pour ne pas fuir en hurlant après avoir jeté le micro sur Jean-Michel Findephrase et amorça le refrain :

« Stone

Le monde est stone

Je cherche le soleil au milieu de la nuit... »

Sa voix lui manqua et elle se sentit trembler de tous ses membres. Heureusement, son émoi ne fut pas visible par la foule autour d'elle qui continua :

« J'sais pas si la Terre qui tourne à l'envers

Ou bien si c'est moi qui m'fais du cinéma... »

Si sa vie actuelle n'était qu'un cinéma, il fallait rapidement éjecter la bobine. Si on lui avait dit quelques mois auparavant qu'elle finirait enceinte, à chanter du Starmania dans une soirée karaoké géante pendant que ses collègues discutaient avec des Death givers, elle ne l'aurait pas cru. D'ailleurs, Camille n'y croyait toujours pas. Elle en rata le : « Qui m'fais mon cinéma ». Quand la partie instrumentale de milieu de morceau débuta, elle se dit qu'elle pourrait très bien amorcer une fuite stratégique. Personne n'oserait bloquer le passage à une femme enceinte pour la forcer à finir de chanter un classique de comédie musicale française, si ? Peut-être que si. Camille ne faisait plus vraiment confiance au monde qui l'entourait à présent. Les paroles apparurent de nouveau à l'écran tandis qu'elle cherchait toujours dans la foule quelqu'un pour la tirer de là. Sous la lumière verte de stroboscopes, elle vit un homme qui la fixait et elle se figea.

Non...

« Stone... »

J'hallucine.

« Le monde est stone... »

Timothée ?!

Elle entendit des gens lui dire que la chanson reprenait. Elle eut envie de leur répondre que putain, elle s'en fichait un peu, il y avait un mec mort qu'elle avait tué et dont elle était enceinte planqué derrière un palmier en plastique juste là-bas. Une voix la rejoignit : elle tourna la tête pour voir Noémie lui adresser un regard entendu. Tandis que la jeune femme chantait (beaucoup mieux qu'elle selon Camille), celui qui semblait être Timothée se faufilait parmi la foule en direction de la sortie.

« J'ai plus envie d'me battre

J'ai plus envie de courir... »

Camille quitta la petite estrade et voulut forcer le passage. Mais comme elle le soupçonnait, tout le monde sembla vouloir  bloquer le passage à la femme enceinte qu'elle était, pour qu'elle finisse de chanter « Le monde est stone ». L'incongruité de la situation la frappa de plein fouet, réveilla les dizaines d'angoisses qui la taraudaient. Elle resta figée face à ce mur humain. Elle ouvrit la bouche pour hurler mais rien n'en sortit. Elle ouvrit à nouveau la bouche pour tenter de prendre une goulée d'air salvatrice, en vain.

« Laissez-moi me débattre

Venez pas me secourir... »

 Venez plutôt m'abattre

Pour m'empêcher d'souffrir... »


 

Le reste de sa soirée, Camille la vit plutôt qu'elle ne la vécut. Elle sentit qu'elle tombait par terre et pleurait, que quelqu'un venait la chercher, la réconfortait. Elle vit ses collègues courir vers elle pour créer une muraille entre elle et la foule curieuse, Madeline conclure précipitamment la conversation avec Alligator 427 par un : « Je dirais Starmania », être conduite sur le parking puis à l'intérieur d'une voiture puis jusqu'à chez elle et enfin, être mise au lit, sans avoir la sensation d'être vraiment là. Le lendemain, elle se réveilla avec l'impression qu'on lui martelait le ventre. Elle grimaça avant de porter la main à son nombril. Bon, ce n'était pas qu'une impression. Sa tête tournait et plus que tout, elle était mortifiée à la pensée que ses collègues l'aient vue dans un tel état. Camille avait toujours fait au mieux pour éviter les crises d'angoisses, qu'elle qualifiait plus justement de crises de terreur, en public. Elle n'en avait pas fait d'aussi énorme depuis longtemps et elle reconnaissait les signes post-crise :

1/ Vertiges.

2/ Impression de suffoquer.

3/ Envie pressante de posséder le petit engin de Men in black afin d'effacer la mémoire de tous les témoins.

Par contre, le fait de sentir une odeur de crêpes était tout nouveau. Après avoir cligné des yeux, elle réalisa qu'elle entendait également des bruits émaner de sa cuisine. Elle se leva du lit, croisa son reflet dans le miroir, préféra ne pas l'avoir fait, puis avança à petits pas vers la cuisine. Elle se sentait comme une intruse dans son propre appartement. Son chat la vit s'approcher et fila se frotter contre ses mollets en ronronnant. Mais Camille ne lui prêta aucune attention, trop occupée à enregistrer le fait que Noémie retournait une crêpe, que Noémie était dans sa cuisine, que Noémie avait les mêmes vêtements que la veille,que Noémie donc dormi chez elle et que Noémie l'avait vue faire une crise de larmes... puissante.

– Salut ! Ça va mieux ? J'espère que tu as faim, l'accueillit-elle avec un sourire.

– Ouais, répondit Camille qui avait la bouche pâteuse et réalisait seulement qu'elle mourait de faim.

Plutôt que de poursuivre, elle préféra se servir un grand verre d'eau. Elle sortit également la pâte à tartiner qu'elle posa sur la table ainsi qu'un autre verre et une bouteille de jus d'orange. Noémie prit place en face d'elle avant de répondre aux questions qu'elle n'osait pas poser :

– Oui, j'ai dormi ici. Sur ton canapé. Ton chat m'a tenu compagnie.

– C'est un petit pot de colle.

– Comment il s'appelle ?

– BB-8.

– Comme le droïde de Star Wars ?

– Oui. Car il est rond et blanc et orange. Et... Désolée. Pour hier. Enfin, je...

– N'y repense pas, lui répondit Noémie d'un ton qui suggérait que c'était un ordre.

– Mais c'est que... J'ai dû passer pour une hystérique, marmonna Camille qui plongea son visage entre ses mains. Devant tout le monde ! Madeline, Nour, toi ! Les Death givers ! J'ai eu l'air d'une conne finie !

– Tu es toujours aussi dure envers toi-même ?

– Souvent pire.

– Eh bah. Ça arrive. À plein de gens. Je ne sais pas ce que ça fait, mais j'ai déjà vu ma grande sœur faire ce type de crise. Tu vas juste finir par encore plus t'angoisser si tu y repenses. Ce sont des choses qui arrivent et c'est tout.

– Comme tomber enceinte par accident.

– Ah, c'était pas voulu ? s'étonna Noémie qui rougit. Désolée, je veux pas...

– Je pensais qu'on te l'avait dit.

– J'ai bien vu que tu n'en parlais pas mais je ne voulais pas être intrusive.

– Version courte : j'ai découvert que j'étais lesbienne et j'ai paniqué, lui apprit Camille qui fut surprise de ce que à quel point le mot « lesbienne » était sorti naturellement de sa bouche. J'ai revu un type que j'ai connu dans mon enfance dans le cadre du boulot. J'ai couché avec lui. Je l'ai euthanasié quelques semaines plus tard. J'ai appris que j'étais enceinte après un peu plus de six mois de grossesse, j'ai dépassé le délai d'avortement autorisé partout et je suis donc coincée avec un voyageur indésirable ainsi qu'une énorme crise existentielle.

– Tu m'étonnes que ça te fasse beaucoup à porter sur tes épaules. Tu vas le faire adopter ? demanda Noémie dont les joues rosirent promptement sans réelle raison.

– Ouaip'. Accouchement sous X.

– Si tu as besoin d'être accompagnée aux rendez-vous médicaux ou quoi, je suis là.

Camille regarda l'horloge sur le mur, réalisa qu'elle était très en retard pour le travail, puis regarda à nouveau Noémie qui venait de calmement prononcer ces mots. Elle avait proposé cela comme si c'était tout naturel alors qu'elles se connaissaient depuis moins d'un mois. Elle la vit bâiller et se dit que même avec ses vêtements froissés et les yeux encore un peu collés, elle était foutrement belle, de l'intérieur comme de l'extérieur. Le poids qui lui pesait sur le ventre sembla se dissoudre pour laisser place à un chaleur dont la douceur était telle qu'elle avait envie de pleurer. Elle répondit le seul mot qu'elle pouvait dire face à autant de gentillesse, et elle le dit avec le plus sincèrement possible :

– Merci.

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Nanouchka
Posté le 15/01/2023
C'est tout douuuuux, c'est tout drôle, ça se lit comme on mange des céréales sans lait. J'y pense de plus en plus souvent, à ce texte, avec une envie d'y retourner, d'y plonger : je me sens bien avec ces personnages.

Au fil de la lecture :
• Pourquoi il y a branle-bas de combat d'illégalité alors que de toute façon on avait le droit de le tuer, le vieux monsieur veuf ? Certes, il s'est fait tirer dessus, au final, mais c'est à peu près la même chose, non ?
• J'adore les questions-réponses entre Noémie et The Man in Black. Je trouve que c'est typiquement dans ce genre de dialogues comiques que ta plume brille le plus. C'est intelligent, vif, précis, drôle et tendre.
• Je mettrais peut-être autre chose que des tirets pour la liste de symptômes, parce que comme ça aucune confusion possible avec les dialogues (je sais que c'est pas les mêmes tirets, mais la différence est mince).
• "Car il est rond et blanc et orange,." Virgule en trop.
• "J'ai du passer" dû
• "Tu m'étonnes que ça te fasse beaucoup à avoir le dos." Je ne connais pas cette expression... avoir le dos ? avoir sur le dos ? porter sur les épaules ?
• "Merci.ns" Le n et le s sont venus s'incruster ?
AliceH
Posté le 16/01/2023
Merci de souligner les fautes de frappe, y'en a masse ici ! Je devais pas être en forme quand j'ai écrit...
AliceH
Posté le 16/01/2023
Pour l'illégalité, c'est vrai que c'est pas très clair dans ce chapitre, tu me le fais réaliser. Mais en gros, les DP ne peuvent tuer que par... *cerveau de grippe* par médicament. Donc s'ils ramènent un corps qui est tout pété, c'est un énorme problème parce que le thanatopracteur va le voir et le dire, et la famille aussi va réaliser que la fin de vie attendue (y'a eu contrat signé qui stipulait que la fin de vie allait être médicamenteuse) et ça va mal se passer si ça se sait. Bref, je suis encore moins claire que mon chapitre mais en gros. DP = mort propre obligatoire, DG = on fait ce qu'on veut avec ses cibles, on touche pas aux autres (ce qu'ils ont fait là par accident, donc c'est moche pour eux aussi)
Nanouchka
Posté le 16/01/2023
Okéééééé, ça fait sens, merci pour l'explication !
H.Monthéraut
Posté le 08/09/2022
Bonjour 👋

Je retrouve Camille avec plaisir.
C'est toujours autant décalé ! Et drôle.

Le point central reste la crise d'angoisse de Camille. C'est effectivement angoissant ! Sa vision, sa sensation d'étouffer... c'est réaliste.
AliceH
Posté le 25/10/2022
Ça me fait plaisir de te revoir aussi, merci !
Vous lisez