Sur le chemin vers la salle dans lequel se déroulait l’exposition pour les enfants, Eleanor sentit son cœur battre une chamade presque douloureuse dans sa poitrine. Ses paumes devinrent moites, mais elle se maîtrisa tout le temps qu’il lui fallut pour tendre les trois tickets à l’employée du musée qui barrait l’entrée aux visiteurs sans ticket pour cette animation en particulier.
Cependant, dès son premier pas à l’intérieur, elle sentit une goutte de sueur froide rouler le long de sa nuque. Elle devait avoir l’air particulièrement pâle ; quand Samuel jeta un coup d’œil dans sa direction, il concentra son attention sur elle plutôt que de regarder ensuite Isobel comme il le faisait toujours. Ses sourcils légèrement froncés et ses lèvres pincées signifiaient qu’il réfléchissait intensément.
— Tu as peur des reptiles ! se souvint-il comme une illumination.
— Bien sûr que j’ai peur des reptiles, siffla-t-elle entre ses dents serrées. Ils ont des écailles.
Samuel se rapprocha d’elle tandis qu’elle essayait d’arracher son regard des reproductions de dinosaures très réalistes tout autour d’eux. Elle avait l’impression de se trouver devant un prédateur. Une dizaine de prédateurs. Tourner de l’œil lui semblait soudain tentant ; elle avait su que ce serait dur, mais pas à ce point.
— Eleanor, pourquoi est-ce que tu as proposé de venir voir cette expo ? Tu savais que tu aurais peur.
— Shhh ! Parle moins fort. Isobel adore les dinosaures.
La fillette paraissait en effet aux anges. Elle regardait tout autour d’elle, un immense sourire aux lèvres, comme si elle essayait d’enfermer le plus d’images possible autour de son esprit. Certains enfants se montraient intimidés face aux reproductions, mais pas elle. Elle déglutit puis avança dans la direction qui attirait sa fille. Bien sûr qu’il s’agissait du fichu T-Rex. Elle oublia quelques instants comment respirer avant que son instinct ne le lui rappelle.
— Tout ira bien, murmura Samuel.
Il se tenait soudain si près d’elle qu’elle sentait la chaleur de son bras contre le sien, de son souffle sur sa joue. Une animatrice du musée venait d’entrer dans la salle et rassemblait les enfants au premier rang. Malgré sa réticence, Eleanor lâcha la main d’Isobel et la laissa rejoindre les autres petits, sans jamais détacher son regard de ses boucles noires.
— Est-ce que je peux faire quelque chose ?
La question de Samuel la surprit. Elle réfléchit tout en combattant sa vague nausée, puis essuya sa main moite sur sa jupe et tâtonna à l’aveugle jusqu’à trouver celle du professeur. Aussitôt, il enveloppa ses doigts dans les siens et serra juste assez pour qu’elle sente la pression. Sa peau était toujours aussi douce, son toucher aussi prudent que quatre ans plus tôt. Sans jamais éloigner sa main, la jeune femme écouta d’une oreille les explications de l’animatrice, le regard rivé sur le dos de sa fille. Elle puisait plus de réconfort qu’elle ne voulait l’admettre dans le contact de Samuel.
L’animation dura deux heures. Il ne s’agissait pas seulement d’un cours sur les dinosaures : l’animatrice le ponctua très régulièrement de jeux et de questions aux enfants, tous ravis de participer. Eleanor crut qu’elle allait s’évanouir quand le T-Rex sous lequel elle se tenait rugit d’un coup, mais Samuel enroula un bras solide autour de sa taille et la maintint contre lui, aussi réconfortant et apaisant qu’il pouvait l’être sans que personne ne le remarque. Elle ferma les yeux quelques instants. Elle n’avait rien d’une fervente croyante, mais elle était d’humeur à prier, là, tout de suite.
Ils s’éloignèrent l’un de l’autre quand Isobel revint vers eux en sautillant presque d’excitation après la fin de l’animation. Eleanor se sentit mieux dès l’instant où ils sortirent de la salle et se dirigèrent vers le magasin de souvenirs au milieu du puits de lumière du rez-de-chaussée, les deux adultes encadrant la fillette. Le fantôme des doigts de Samuel s’attardait autour de ceux d’Eleanor, le souvenir de la chaleur de son bras contre sa taille également. Elle avait oublié comment son corps réagissait à son contact, mais réalisait désormais que cela n’avait pas changé.
— Ma puce, tu peux choisir une peluche dinosaure. N’importe laquelle. D’accord ?
Isobel, aux anges, acquiesça frénétiquement et se tourna aussitôt vers la multitude de peluches présentes dans cette section du magasin. Le stock s’adaptait aux expositions et animations temporaires, en plus de toujours mettre à disposition des articles en rapport avec les salles permanentes. Peut-être Eleanor allait-elle acheter le prochain livre d’énigmes de la collection éditée par le musée… Pile comme elle considérait l’idée, Samuel attira son attention en lui effleurant le coude.
— Tu sais qu’elle va probablement te ramener une peluche plus grande qu’elle ?
La jeune femme haussa les épaules, posant sur sa fille concentrée sur son but un regard attendri.
— Je m’en doute, oui. Ce n’est pas grave, ça lui fera un objet auquel elle tiendra très longtemps. J’avais une peluche de ce genre quand j’étais petite, un labrador à taille réelle. Je pense qu’on l’a encore dans un carton…
— Imagine qu’elle te ramène un diplodocus à taille réelle.
Elle ne put s’empêcher de ricaner, s’appuyant légèrement sur Samuel dans leur hilarité partagée. Il accueillit son contact avec aise, sa main s’attardant durant le plus bref instant au creux de son dos. Même en pleine lumière, quatre ans plus tard, les souvenirs de leur nuit ensemble la percutèrent avec toute la délicatesse d’un uppercut, envahissant ses sens sans la moindre pitié.
— Tu veux que je vous ramène ? proposa Samuel une quinzaine de minutes plus tard. Tu vas avoir du mal dans le métro avec la peluche.
La peluche, oui. La fameuse peluche. Eleanor s’était attendue à ce qu’Isobel choisisse quelque chose d’énorme ; elle avait même prévu un budget pour ce cadeau à sa fille dès le moment où la sortie avait été décidée. Ce que la jeune femme n’avait en revanche absolument pas envisagé, c’était que le dinosaure gris et blanc aux yeux jaunes – comme Archie, bien entendu – soit presque aussi grand qu’elle. L’adulte. L’adulte plus petite que la moyenne d’une bonne dizaine de centimètres, mais tout de même. Elle serrait la monstruosité d’une douceur incroyable dans ses bras qui peinaient à en faire le tour, luttant pour que sa queue ne touche pas le sol.
— Tu as un rehausseur dans ta voiture ? demanda-t-elle malgré tout d’une voix étouffée contre l’épine dorsale de la peluche.
Un petit sourire joua sur les lèvres de Samuel. Il essayait très fort de ne pas rire, elle le devinait sans difficulté, mais elle l’autoriserait personnellement à se moquer d’elle toute la journée tant qu’il ne lâchait pas la main d’Isobel, qu’elle ne pouvait pas tenir. Elle aurait préféré échanger leurs charges respectives, mais la fillette avait insisté : puisque son dinosaure ressemblait à Archie, qui était le chat d’Eleanor, c’était elle qui devait le porter. La jeune femme n’avait rien trouvé à répondre à ça. En fait, elle cherchait encore une réponse pertinente.
— J’en ai demandé un à prêter à un collègue, au cas où. Il a quatre enfants qui sont tous assez grands pour s’en passer, mais il n’a pas voulu le revendre parce qu’apparemment c’est un objet plein de souvenirs.
— Alors oui, je veux bien que tu nous ramènes. Est-ce que la peluche rentre dans le coffre ?
— Si tu prends le carton à pizza sur tes genoux, sans problème. Enfin, il faudra peut-être pousser un peu…
Avec un grognement approbateur, Eleanor suivit Samuel et Isobel en direction du parking. Elle ne voyait pas vraiment où elle allait, mais les gens semblaient le remarquer et s’écarter de son chemin bien avant qu’elle risque de les heurter. Elle remercia pour la millième fois la civilité londonienne quand un visiteur qui entrait leur tint la porte à tous. Enfin, elle put déposer la titanesque peluche dans le coffre de Samuel – en effet, ils durent pousser un peu – puis récupérer la pizza, la poser sur la banquette arrière et attacher Isobel sur le rehausseur.
— Je préfère monter à l’arrière, dit-elle quand l’homme voulut débarrasser son siège passager du tas de copies qu’il y avait déposées. Au cas où elle serait malade en voiture.
Ce n’était pas encore le cas, mais la jeune femme avait lu que ce genre d’affliction venait, passait et revenait avec l’âge. Elle ne voulait pas être prise au dépourvu si un jour Isobel se mettait à vomir partout dans la voiture de quelqu’un. Avec un petit soupir soulagé, la jeune femme s’assit, s’attacha et prit le carton contenant le reste de la pizza de la fillette sur ses genoux avant de tourner la tête vers elle :
— Ça t’a plu, ma puce ? Tu t’es bien amusée ?
— Oui ! Merci pour Dino, Maman.
Le cœur d’Eleanor fondit sans doute pour la centième fois depuis le début de la journée. Isobel adorait qu’on lui fasse des cadeaux, bien entendu, mais à chaque fois qu’elle remerciait la personne qui lui remettait un présent, celui-ci devenait soudain la chose la plus précieuse de son monde. Elle tendit la main et caressa les boucles noires de sa fille, bien consciente du regard de Samuel qui, dans le rétroviseur frontal, avait intercepté le geste.
— De rien, ma puce. On verra où on peut le mettre dans ta chambre, d’accord ?
Tant que ce n’était pas sur le lit… L’idée qu’un énorme gardien, certes en peluche, veille depuis une petite distance sur le sommeil de sa fille plaisait à Eleanor. Isobel avait besoin d’une veilleuse pour réussir à s’endormir, mais peut-être que la peluche aiderait. Si ce n’était pas le cas, sa petite pouvait bien garder sa veilleuse aussi longtemps qu’elle en aurait besoin ou le voudrait : la priorité, aux yeux de sa mère, restait son confort.
Eleanor soupira de soulagement quand Samuel se gara devant son complexe d’appartement. Garder la fenêtre de sa portière entrouverte n’avait rien fait pour chasser sa nausée. Elle se détacha puis, quand Samuel affirma se charger d’Isobel, alla récupérer la peluche dans le coffre. Elle dut également demander au professeur d’attraper ses clés perdues au fond de son sac à main en bandoulière ; impossible d’ouvrir la porte avec le champ de vision et les mains totalement envahis de la sorte.
— Je vais vous laisser, annonça Samuel quand elles furent installées, avec la peluche qu’Archie reniflait attentivement, dans le salon. Hermione m’attend.
Eleanor s’approcha jusqu’à devoir lever la tête pour le regarder dans les yeux. Elle sentit ses joues se réchauffer légèrement, un sourire s’imposer sur ses lèvres – le regard de Samuel s’attarda brièvement sur elles.
— Merci d’être venu. Fais attention sur le chemin du retour, d’accord ?
Il leva la main et, quand elle ne s’écarta pas, lui effleura la joue d’une caresse qui s’attarda pour elle bien après que le contact eut été rompu. Elle n’était donc pas la seule à ressentir le mélange d’attirance et de nostalgie qui la poussait vers lui à chaque fois qu’ils se trouvaient à proximité l’un de l’autre.
— Je ferai attention, promit-il. Merci à toi, surtout. Je t’enverrai un message quand je serai rentré.
Pendant un instant, il hésita, comme s’il voulait se pencher et l’embrasser. Elle n’était pas sûre de sa réaction s’il avait essayé : elle avait envie de se convaincre qu’elle aurait refusé, mais elle n’aimait pas entretenir ses propres illusions. Finalement, il s’écarta d’un pas puis fit volte-face, son manteau bleu nuit tourbillonnant comme une cape derrière lui, avant de quitter l’appartement.
C'est tout mignon ^^
(j'ai juste l'impression de me répéter chaque fois :p)
La peur des dino vs l'envie de faire plaisir à sa fille, elle est adorable !
Et la peluche !
Dès que j'ai lu "n'importe laquelle", ouch ! (ça coûte hyper cher par contre, j'aurais + tiqué sur la note ^^).
Du coup j'ai adoré la réaction de Samuel, et la sienne aussi par ailleurs.
Et puis on a eu le 1er contact ! Merci la peur, finalement :p
Samuel, homme parfait, a tout prévu, qu'il est touchant ! Et il sait qu'il doit l'apprivoiser pour ne pas la faire fuir ^^
Bon, plus qu'à patienter voir où tout cela les mène ^^
C'était à peu près mon sentiment tout le long du chapitre xD
Isobel est vraiment 😍, même si je sais que je le répète à chaque fois x)
Samuel et Eleanor... J'ai pas de mots, ils sont adorables, super touchants ! J'espère vraiment que la jeune femme va le laisser prendre plus de place, aussi bien dans la vie d'Isobel que la sienne, même si je doute que ce sera si simple 😅
Et je trouve que le fait qu'Eleanor ait peur mais le fasse quand même pour faire plaisir à sa fille la rend encore plus extraordinaire et touchante ^^
J'aime aussi beaucoup le fait que chacun se souvienne, de temps en temps, de petites choses sur l'autre comme ça, ça rend leur relation encore plus douce et nostalgique ^^
Hâte de continuer ! ^^
Je suis contente qu’Eleanor et Samuel aient fini par se retrouver, même si ce n’étaient pas franchement les retrouvailles auxquelles je m’attendais. Je les voyais plus... chaleureuses ? Pour autant, ça colle parfaitement au caractère d’Eleanor, à son amour protecteur pour Isobel et au fait qu’elle ne désire l’aide de personne ! C’était quand même très doux :) Samuel est vraiment un amour olala. Et Janet alors, un vrai sucre elle aussi ! Comme ça fait plaisir, ces petites doses d’amour ♥
On en apprend aussi un peu plus sur ce qu’il s’est passé dans la famille d’Eleanor... Je comprends mieux pourquoi elle a tant de mal à s’attacher, après être sortie de relations toxiques comme ça... Je suis contente que son papa soit resté à ses côtés et l’ait soutenue tant qu’il pouvait. Il avait l’air d’être un sacré pilier dans sa vie !
Juste une petite note : à la fin du chapitre 6, il n’est pas précisé clairement que le repas est terminé et que Lachlan ramène les filles. Aussi, j’ai trouvé ça un peu déconcertant de se retrouver directement face à un « elle sortit de l’habitacle ». Voilà, je voulais juste noter ça, il y a sûrement un moyen de le rendre plus clair ^^ (Par contre qu’est-ce que Samuel fout dans des plates-bandes ptdrr) (Ahhh oui c’est vrai qu’il avait un chien, j’avais déjà oublié ce détail XD bon allez retournons au commentaire général.)
Trop mignon cette petite note qu’elle s’endort en pensant à Samuel (et en le stalkant sur insta haha) Eleanor a l’air de plutôt bien gérer ces changements dans sa vie, ça fait plaisir à voir. Finalement, laisser rentrer de nouveau Samuel est plus simple que ce à quoi je m’attendais ! Tu vends du rêve et de l’amour comme ça *-* (Mention spéciale pour les dates au musée, vraiment la meilleure chose au monde)
J’ai trouvé ça très attendrissant qu’Eleanor accompagne Isobel voir les dinosaures alors qu’elle a peur des reptiles, ça traduit tellement son amour pour elle ! Tout de même, il faudrait qu’elle apprenne à se faire passer avant les autres, de temps en temps... C’est important qu’elle ne s’oublie pas :( Argh quand même, elle est à la limite de s’évanouir quoi !
Aww, mais qu’est-ce qu’ils sont cute tous les deux ahhh. Je veux un Samuel tout mignon et respectueux comme ça moi aussi. Je veux aussi une gigantesque peluche dinosaure à câliner.
Il me fallait bien cette dose de mignonnerie ce soir, merci beaucoup ♥
sa relation avec samuel évolue de plus en plus
isobel la petite fille est trop mignone
continue a écrire , j'ai hate de lire la suite
Pas seulement parce que je comprends parfaitement Eleanor et son aversion pour les dinosaures, mais aussi parce que sa relation avec Samuel vient de faire un gros bon j'ai l'impression, et c'est trop génial!
Isobel est adorable, comme d'habitude, c'est un vrai petit ange, je l'aime trop <3 Merci pour ce super chapitre!