Chapitre 10 : L’investisseur

- Pourquoi ? demanda-t-elle une fois sur le parvis du temple. Vous détestez Thomas à ce point ?

- Même si ce prêtre prétentieux et tatillon qui a dénoncé nombre de mes cultistes me sort par les trous de nez, je ne lui ai jamais voulu le moindre mal, se défendit Chaak. Je pensais qu’il ne saurait jamais qu’il avait, à son insu, participé à un sacrifice. Je n’avais absolument pas prévu un tel retournement de situation.

- Pourquoi m’avoir fait tuer ce bébé en votre nom en passant par Thomas ?

- Les bébés n’ont pas le droit à un enterrement religieux. En me le confiant, j’ai pu l’accueillir dans mon royaume. Il avait envie de venir me rejoindre. J’ai épargné énormément de souffrance à son âme. Et puis, merde ! Je n’ai pas à me justifier devant toi.

Syola baissa les yeux. Elle se sentait tellement mal ! Elle venait de perdre ses amis et surtout : Thomas. Plus jamais il n’accepterait de lui adresser la parole. Par sa faute, il venait de perdre ce qui lui tenait le plus à cœur. Jamais il ne le lui pardonnerait.

La mine basse, elle retourna à l’herboristerie. Elle perçut le regard lourd d’Adeline sur elle, qui l’amena à stopper.

- Quoi ? cracha-t-elle.

- Je ne veux plus de toi ici, annonça Adeline. Demain, à l’aube, tu devras être partie.

Syola se figea un instant avant de retrouver sa chambre à l’étage. Elle observa ses possessions : presque rien.

- Je suis content qu’elle te mette à la porte. Elle ne te mérite pas, lança Chaak.

- Je n’ai plus nulle part où aller, rappela Syola. Vous croyez que je vais pouvoir réaliser de l’huile de millepertuis en dormant dans la rue ?

- Tu as largement assez de noms dans ton carnet d’adresse pour t’en sortir. Encore faut-il que tu te sortes les doigts du cul.

Ce disant, il disparut et Syola sentit qu’il s’était beaucoup éloigné. La jeune femme renifla. Son carnet d’adresse ? Pas les résidents du temple en ville, en tout cas. Si Chaak pensait aux cultistes au palais, il était évident qu’ils lui offriraient volontiers le gîte et le couvert en échange de ses préparations mais il était hors de question de s’approcher de Teflan Stylus et encore moins de lui devoir quoi que ce fut.

Syola se rendit au seul endroit où elle avait réellement envie d’être. Depuis que monsieur Burley lui avait transmis la passion des plantes, Syola ne rêvait que d’assister un guérisseur. Quoi de plus noble que de fournir en produits ceux prenant soin des autres ?

Syola s’arrêta devant le temple citadin d’Artouf, le dieu de la vie. Ses prêtres soignaient les gens, le plus souvent avec des plantes, dans le pire des cas à l’aide d’un sacrifice. Devenir assistante de guérisseur était la promesse de revenus confortables. En choisissant un temple en plein milieu de la capitale, Syola s’assurait une sédentarité qu’elle appréciait.

Elle frappa à la porte. Une femme portant une longue tunique blanche à col court ouvrit. Elle plissa les yeux et remua le nez d’inconfort en voyant Syola.

- Bonjour, lança Syola en tentant de paraître avenante. Je suis herboriste et j’aimerais proposer mon assistance à un guérisseur.

- Aucun ne vous acceptera, répliqua l’adepte. Vous puez la mort à plein nez.

La femme lui ferma la porte au nez. Syola resta figée. Elle n’en revenait pas. Son rêve venait de voler en éclat. Elle ne pourrait jamais atteindre l’objectif tant désiré à cause de sa nature de créature de Chaak. Quel rapport ? Tout ça parce que Teflan Stylus lui avait gravé quatre marques dans le dos ? Syola passa de triste à colérique, avant de fondre en larmes.

Elle s’éloigna en sanglotant. Où pouvait-elle aller ? Ses pas la portèrent au quartier Bez. Il fallait dire qu’elle s’y rendait souvent pour soigner le prêtre Gudje. Elle restait souvent après, juste pour discuter et le vieil homme, presque tout le temps seul, bavardait volontiers avec elle. Syola était certaine que sa présence égayait les jours de ce vieux prêtre fatigué.

Lorsqu’elle se présenta devant sa porte et frappa, ce fut davantage par routine que parce qu’elle avait une idée derrière la tête. Il l’accueillit volontiers.

- Je ne suis pas malade, dit-il.

- C’est moi qui ne vais pas bien. Je suis à la rue.

- Oh, souffla le prêtre. Je vous accueillerai volontiers mais je ne dispose que d’une seule couche et je suis certain de ne pas pouvoir me contenir si je passe une nuit auprès de vous, Syola.

La jeune femme rougit de la tête aux pieds.

- Vous êtes splendide. On vous l’a déjà dit, n’est-ce pas ?

Syola s’en figea de pudeur.

- Les jeunes hommes ! souffla Gudje. Il leur suffirait pourtant d’un mot gentil pour vous faire sombrer. Ils ne savent plus séduire de nos jours.

Syola en serra les jambes de honte.

- Si vous cherchez une chambre, nul doute que Crado vous en fournira une en échange d’un emploi, proposa Gudje en désignant le plafond.

Syola n’ignorait pas que le prêtre fut installé en dessous d’une maison de passe déguisée en auberge.

- Ça ne sera pas du grand luxe, poursuivit Gudje, mais c’est toujours mieux que dehors.

- Je n’ai aucune envie d’offrir mon corps ! s’exclama Syola.

- Non, évidemment que non ! se défendit Gudje. Ces pauvres femmes auraient bien besoin que quelqu’un prenne soin d’elle. Les maladies sont monnaie courante parmi elles et les guérisseurs répugnent à soigner des prostituées.

Syola s’adoucit à ces mots.

- Ça sera avec plaisir, bien sûr !

- Allez voir Crado et dites-lui que vous venez de ma part. Il sera conciliant.

Syola se leva.

- Merci, Gudje. C’est bien le prêtre Merlin qui vous avait révoqué ?

- En effet, pourquoi ?

- Ses révocations n’ont-elles pas été suspendues en attendant que le prêtre Killurn les réexamine ?

- Vous êtes bien informée, Syola ! s’étonna Gudje. Le prêtre Killurn est passé en effet… et a confirmé ma révocation. Rien de bien surprenant.

- Et le temple palatial ? Vous avez des nouvelles ?

- Soi disant pas assez de preuves aux yeux de Killurn. Une grosse bourse pleine d’or rendrait n’importe qui aveugle.

Syola sentit la satisfaction de Chaak. La jeune femme trouva le procédé injuste. Gudje n’avait pas les moyens alors il restait rejeté. Vie de merde. Elle sortit du petit sous-sol servant de maison au prêtre révoqué pour retrouver, dans la rue parallèle, la porte de l'auberge appartenant à Crado.

Elle s'avança et les hommes gardant l'entrée la laissèrent passer sans aucun problème. Gudje lui avait dit que ces hommes ne feraient rien. Syola n'y avait pas cru, mais voir que le prêtre avait eu raison la rassura.

Elle poussa la porte de la taverne et entra dans la salle enfumée. De la musique s'élevait, harpe et flûte. L'air chargé de fumée provenant des pipes sur les lèvres d’une bonne quantité de clients piquait les yeux de l'herboriste. Des femmes – Syola n'était pas certaine de savoir s'il s'agissait de serveuses ou de prostituées – tournaient de table en table. Toutes habillées de robes moulant leurs charmes et au décolleté plongeant, elles laissaient volontiers les mains des clients vagabonder sur leurs courbes.

Syola s'avança vers une table, tentant de passer outre les dizaines de regards avides qui se posèrent sur elle lorsqu'elle traversa la salle dans toute sa longueur. Elle s'arrêta devant une table autour de laquelle étaient assis trois hommes. Ils jouaient aux dés en riant. Devant chacun d'eux était posé un verre en argile que les serveuses remplissaient régulièrement de ce qui sembla être à Syola de l'hypocras.

Syola attendit patiemment que l'homme devant elle lève les yeux et lui propose de parler. Elle suivait à la lettre les conseils de Gudje et dans cette auberge remplie d'hommes peu recommandables, elle espéra avoir placé sa confiance en la bonne personne.

Après avoir fait un excellent lancé de dés, l'homme releva ses yeux marrons et les posa sur Syola. Les cheveux gras qu’il avait probablement coupés lui-même au couteau, les chicots marrons, les ongles bruns, la barbe pleine de restes de nourriture et de boisson, la moustache gluante de morve, il méritait en effet bien son nom. Ses lèvres craquelées s’étirant, Syola supposa qu’il appréciait ce qu'il voyait.

- C'est oui, dit Crado en ne cessant de sourire.

Cela, Syola ne s'y attendait pas du tout.

- Pardon ? dit Syola.

- Je vous prends. Vous êtes magnifique.

Syola comprit. Elle secoua la tête et annonça :

- Je viens en effet demander à travailler pour vous, mais pas de cette manière. Je viens de terminer mon apprentissage et on m'a dit que je pourrais trouver un emploi ici.

Crado fit la moue et d'un geste, lui proposa de continuer, ce qu'elle fit.

- Je suis herboriste et je crois que vos filles ne cracheraient pas sur des soins… Et je suppose que vos clients apprécieraient également d'avoir des filles en pleine forme plutôt que des nids à maladies…

Crado dévisagea Syola, comme s'il la voyait pour la première fois. Il resta un moment silencieux, puis annonça :

- Herboriste, hein ? Je préférerais un guérisseur…

- N'ayez pas d'inquiétude, je sais reconnaître les plantes et faire des remèdes, mais je sais aussi à quoi ils servent. Je suis capable de déterminer le mal dont souffre une personne et de la guérir. Je ne dis pas que je saurai le faire dans tous les cas, je ne suis pas experte, mais disons que j'y parviens dans une majorité des cas…

- Qu'en savez-vous si vous venez à peine de finir votre apprentissage ? demanda Crado.

- J'ai eu l'occasion de soigner de nombreuses personnes durant mon apprentissage.

- Qui donc ?

- Je sais me montrer discrète et mes patients apprécient.

Crado allait la renvoyer mais Syola le prit de vitesse.

- L’un d’eux, toutefois, m’a permis de le mentionner devant vous. Il ne vit pas loin, juste en dessous pour être précise.

Crado plissa les paupières et pencha la tête.

- Vraiment ? Chacha ! Va vérifier auprès de notre ami !

L’homme assis à droite du propriétaire de l’auberge se leva et fila vers le fond de la boutique, proposant probablement une trappe dissimulée menant directement aux appartements de Gudje. Syola attendit, tentant de dissimuler sa gêne face aux multiples regards la déshabillant des yeux.

Chacha revint rapidement. Il s’assit et se contenta de hocher la tête.

- Surprenant, annonça Crado. Combien me demandez-vous en échange de ce service ?

- Être nourrie et logée. J’ai de plus besoin d’un jardin pour y faire pousser des plantes.

- La piaule et la bouffe, pas de souci. Pour le lopin de terre, je ne suis pas paysan. J’ai pas ça en stock. T’auras dix pièces de bronze par fille soignée.

Syola grimaça. Si elle soignait trop bien les demoiselles, elle n’aurait plus d’argent. Elle en viendrait à espérer que l’une d’elle tombe malade. Ça ne lui convenait pas.

- Je veux cinq pièces de bronze par fille en bonne santé à chaque nouvelle lune, le contra Syola.

- Elles sont toutes malades, répliqua Crado. Tu ne gagneras rien.

- C’est ma mission de faire en sorte qu’elles se portent bien.

- Soit, dit Crado. Chacha, trouve-lui une piaule.

- Grande. Je vais devoir dormir mais aussi et surtout créer et stocker mes produits. J’ai besoin de place.

- La plus grande disponible, précisa Crado.

Syola soupira d’aise. La pièce, munie de meubles simples mais fonctionnels, offrait une vue sur la ruelle sombre et malodorante menant au sous-sol de Gudje, deux étages plus bas. Syola s’installa puis se rendit auprès d’un propriétaire terrien qui lui proposa la location d’un bout de lopin en ville contre une pièce d’argent par lune. Syola refusa la proposition, bien trop chère pour elle. Elle sortit de la ville. Dans les prés et bois environnants, elle trouva de nombreuses plantes utiles. Sauf qu’elle était dépendante de la nature. En soupirant, elle prit le chemin du retour.

Lorsque la lune ronde revint, dix filles déclarèrent se porter à merveille. Cinquante pièces de bronze. Bien maigre revenu. Pas de quoi faire la fête. Rien que le terrain coûtait dix pièces d’argent. A ce rythme, il lui faudrait des années pour se le payer. Quant à une officine, autant ne pas y penser. Syola, comme à son habitude, laissa faire les choses, partageant son temps entre ses clientes, la nature et Gudje, avec qui elle dînait et jouait aux dames tous les soirs.

- Je te rappelle que je souhaite que tu fournisses mes cultistes en produits, lança Chaak alors que Syola revenait d’une virée à la campagne.

La cueillette avait été bonne. Elle allait pouvoir préparer de nombreux baumes pour ses clientes.

- L’argan coûte cher, prévint Syola en apercevant les hauts murs de la capitale. Je fais de mon mieux mais la plupart des filles sont quand même malades. Je ne peux pas faire de miracle non plus. Je mets de côté ce que je gagne mais vous devez vous montrer patient.

- À ce rythme, tu seras morte avant d’avoir atteint l’objectif.

Syola grimaça. Elle ne pouvait pas lui donner tort. Syola passa à côté les soldats en poste devant la porte sud de la capitale de l’empire Beera. Ils ne l’interpellèrent pas. Ils avaient l’habitude de la voir aller et venir.

- J’ai besoin d’argent, répéta Syola. Le travail chez Crado ne m’apportera pas assez pour répondre à vos exigences.

Chaak l’attrapa par le bras. Syola fit volte face en plein milieu de la rue. Nul ne sembla s’en soucier.

- Préfères-tu que je t’en donne l’ordre ? gronda Chaak.

- Non, dit Syola en fixant intensément le sol. Je vous explique simplement que ce que vous demandez est impossible.

- Ton carnet d’adresse contient des gens riches prêts à t’aider. Il te suffit de le leur demander.

- Vous sous-entendez les conseillers de l’empereur ? s’étrangla Syola.

- Ils te fourniraient le matériel, le jardin, les locaux, murmura Chaak en penchant la tête. Tu ne travaillerais jamais que dans d’aussi bonnes conditions. Ceci dit…

- Comment osez-vous ? Ces hommes m’ont arrachée à ma famille, à mon avenir, à…

- À ce mariage arrangé que ton père qui battait ta mère mettait en place avec un porc de trois fois ton âge ? la coupa Chaak.

- Ils m’ont tout pris ! répliqua Syola.

- Ils t’ont libérée, la contra Chaak. Si tu étais restée à la cordonnerie, tu serais actuellement enfermée dans une cuisine, juste bonne à faire le ménage, la vaisselle et à recevoir les coups d’un connard ivre mort. Grâce à eux, tu te déplaces librement. Tu vas où tu veux, sans rendre de compte à personne.

- Je ne suis pas libre, rétorqua Syola qui avait l’impression qu’on lui arrachait le cœur. Je suis la créature du dieu de la mort. Les guérisseurs ne veulent pas de moi à cause de ça. Thomas a tout perdu à cause de ça. Vous croyez que c’est simple ?

- Syola ! s’exclama Chaak d’un air inquiet.

La jeune femme manquait d’air. Que Chaak ose réduire ainsi sa souffrance, sous-entendre que cette torture avait été bénéfique pour elle la mit littéralement à terre. Elle tomba à genoux, le souffle court. Chaak s’avança d’un pas pour la consoler mais deux prostituées délaissèrent les gardes pour fondre sur elle.

Les jeunes femmes se retrouvèrent autour de Syola, s’inquiétant de son état, la recouvrant d’un châle, la ramenant à l’auberge, lui offrant un bol de vin chaud. Lorsque Syola se sentit mieux, elle se rendit dans sa chambre devenue l’arrière boutique d’une herboristerie, pièce qui ne s’y prêtait absolument pas et dans laquelle régnait un désordre total.

- Bien sûr que non, je ne pensais pas à mes cultistes impériaux, précisa Chaak.

- Alors qui ? Qui ? Je n’ai pas de proches riches ! Je suis une simple fille de cordonnier qui…

- Sors-toi les doigts du cul ! s’exclama Chaak, maintenant carrément agacé.

La solution lui apparut, limpide, claire, évidente. Elle disposait en fait de plusieurs options, certaines plus ardues que d’autres. Toutes nécessitaient qu’elle sorte de sa réserve et ose se mettre en avant en se vendant. Pour réussir, elle allait devoir arrêter de subir et agir, actrice et non plus spectatrice de sa propre vie. Un sacré défi mais Syola se sentait étrangement de taille, comme si le monde lui appartenait.

- Oh c’est ma faute ! hoqueta Chaak en prenant Syola dans ses bras. J’annule mon dernier ordre. Fais comme s’il n’avait jamais existé.

Syola replongea en pleine tourmente et les nuages revinrent tout obscurcir.

- C’est ça que ça fait, d’être courageux ? bredouilla Syola.

- Quoi ? demanda Chaak qui la berçait tendrement.

- Un instant, je me suis sentie légère et capable de dévorer le monde. C’est ça que ressent Thomas ? Ça doit être agréable.

- Tu veux que je te redonne mon ordre ?

- Non ! s’écria Syola. Je suis moi et mes peurs font partie de moi. Je dois apprendre à les dompter. Vous m’avez permis de voir que c’était possible. À moi maintenant de surmonter mes démons intérieurs. Vous avez raison : je peux le faire.

Chaak sourit.

- Je suis vraiment heureux de t’avoir pour créature.

Syola en ronronna de plaisir entre ses bras chauds et réconfortants.

- Dites-moi : les sacrifices que fait Gudje nécessitent qu’un prêtre officie pour fonctionner, pas un simple adepte. Le grimoire mentirait-il aussi sur ce point ? demanda Syola.

- Non. Un prêtre est en effet nécessaire.

- Mais Gudje n’est plus prêtre, rappela Syola. Il a été révoqué.

- Par qui ? Je me fiche de ce que pensent les résidents du grand temple. Ils ne sont pas foutus de transmettre correctement mes paroles et se permettent de chasser et dénoncer mes cultistes. Gudje est prêtre. Le mot révoqué n’a aucun sens à mes yeux.

- Je comprends, dit Syola.

Ainsi, Thomas était toujours prêtre, aux yeux de son dieu en tout cas et n’était-ce pas là le plus important ? Cela la rassura. Il n’avait pas fait tout cela pour rien. Elle reprit ses créations, l’esprit plus léger.

Le lendemain, à l’aube, Syola se rendit au marché où elle acheta quelques bases peu chères puis réalisa ses premiers produits. Au zénith, elle put déguster un bon repas chaud à l’auberge de Crado. Elle commença ses visites aux filles ensuite. La plupart portaient un cocktail de petits maux faciles à résoudre. Syola répéta ses conseils basiques d’hygiène que les filles reçurent avec le sourire.

Après le souper, Syola descendit au sous-sol pour rejoindre Gudje. Tandis que le prêtre révoqué sortait le damier et les pions blancs et noirs, Syola luttait contre ses démons intérieurs. Il ne s’agissait pourtant que de demander. Que risquait-elle ? Ton seul ami, répondit une petite voix intérieure. Elle la repoussa. Même s’il disait non, rien ne changerait. Elle ne faisait que demander. Il n’y avait rien de mal à ça !

L’esprit ailleurs, Syola peinait à se concentrer sur la partie.

- Arrête de me laisser gagner, grogna Gudje. Tu sais que j’ai horreur de ça.

- Est-ce que vous avez de l’argent ?

- Quoi ? grommela-t-il avait de décoller les yeux du plateau pour constater que Syola venait de lui poser une question sérieuse. Est-ce que j’ai de l’argent ? Comment ça ?

- Vous êtes riche ou pas ? Je sais que vous êtes payé pour effectuer des sacrifices. Cela vous rapporte-t-il ?

- Oui, répondit-il. C’est à toi de jouer !

- Pas assez riche pour corrompre le prêtre Killurn, répliqua Syola.

- J'aurais largement pu m'offrir sa tête, répliqua Gudje. À quoi bon ? Je suis heureux ici. Ma vie me convient. Je réalise les sacrifices envers mon dieu en toute sécurité. Certes, je dois payer Crado pour cela et alors ? Je vis, j'ai chaud, je mange, je bois et j'ai même de la compagnie féminine d'excellente qualité... et je ne parle pas que de toi.

Syola rougit.

- Pourquoi me demandes-tu cela ? interrogea-t-il, soupçonneux.

- J’ai besoin d’un investissement de départ pour lancer mon affaire. Le généreux donateur sera remboursé, avec intérêt, bien évidemment !

- Tu as besoin de combien ?

- Entre trois et dix pièces d’or, maugréa Syola.

Gudje hocha la tête. Il se redressa péniblement de son tabouret bas, souleva une fiole sale et Syola aperçut un reflet brillant. Plus loin, il plongea son bras derrière un baquet et un éclat jaune se refléta sur l’eau qu’il contenait. Il déplaça une échelle et redescendit de la haute étagère, la main plus lourde. Sous un tas de linge puant dont Syola ne se serait approchée pour rien au monde, il tira un autre disque doré. Un crissement métallique désagréable en fit apparaître un autre derrière un seau lourd. Des biscuits – dont un se retrouva entre les dents du prêtre gourmand – dévoilent un sixième coquin.

Gudje déposa nonchalamment le tout sur le damier, le doré jurant au milieu des galets noirs et blancs. Syola resta interloquée. Jamais elle n’aurait imaginé que ce taudis renfermait un tel trésor. Elle transperça Gudje des yeux. Il se rassit tout en mâchouillant son biscuit. Son calme apprit à Syola qu’il possédait plus, beaucoup plus. Syola ramassa les pièces.

- Je vous rembourserai et avec intérêt ! promit-elle.

Un simple « hunhun » lui répondit.

- Bon, tu joues maintenant ?

Syola rangea le trésor dans son aumônière avant de déplacer un pion. Gudje ronchonna.

- T’as gagné, admit-il.

- Il semblerait, en effet, répondit Syola et les deux amis partirent dans un long fou rire.

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