La louve obligeait Lucy à maintenir une cadence rapide. Ralentie par l’épaisse poudreuse, la jeune fille avait l’impression de patauger sans jamais avancer. Si son guide animal restait à quelques mètres devant elle, bien visible, elle savait que la meute les suivait. De temps à autre, du coin de l’œil, elle apercevait une ombre élancée se glisser entre deux sapins, ou une silhouette à la démarche souple bondir par dessus une congère. Le bruit feutré de leur pas produisait un concert doucereux, à la fois inquiétant et envoûtant. Lucy ne savait pas si elle devait se sentir rassurée par cette escorte ou au contraire être terrorisée. Elle était seule, dans cette immensité immaculée, mais les loups lui offraient une compagnie étrange et silencieuse.
La nuit ne tarda pas à tomber, et malgré ses mouvements la jeune fille sentit le froid l’accabler, couplé à la fatigue. Lorsqu’elle sentit un point de côté la tirailler, elle s’arrêta.
Elle s’assit sur un rocher enneigé avec un soupir. Près d’elle, un ruisseau courageux s’était extirpé de la glace pour couler librement. Un silence ouaté était tombé sur la forêt, exacerbé par le doux ruissellement qu’il produisait.
La louve s’était retournée en constatant qu’elle n’était plus suivie. Elle revint sur ses pas, considérant Lucy de ses yeux argentés d’un air insistant.
- Je suis trop fatiguée… , souffla cette dernière en se sentant soudain paresseuse.
L’animal exhala un nuage blanc, agacé, mais finit par se coucher au pieds de la jeune fille.
En sentant le contacte tendre de la fourrure, Lucy eut une envie folle de la caresser, mais se retint. La lumière de la lune faisait scintiller les poils blancs qui semblaient recouverts de poussière d’étoiles. Elle leva la tête vers le ciel, contemplant ces astres opalescents qui veillaient sur elle de leur œil aiguisé. Une sereine brise lui ébouriffa ses cheveux, rendus éclatants par la blancheur de la nuit.
Épuisée, Lucy se coucha contre la louve et s’endormit aussitôt.
Elle fut réveillée par un coup de langue vivifiant.
- Debout, marmotte, crut-elle entendre.
La louve frotta contre elle son pelage doux tandis qu’elle ouvrait les yeux. La lumière pâle de la lune éclairait toujours la forêt tapissée de ses rayons. Lucy n’avait aucune idée du temps qu’elle avait perdu.
La louve la poussa du bout du museau, elle semblait pressée de repartir. La jeune fille se leva péniblement. Elle avait faim mais n’avait rien à se mettre sous la dent. Tous les vivres avaient été chargés sur le traineau que tirait Oka, elle n’avait rien sur elle. Elle jeta un œil envieux au ruisseau, la langue sèche, mais tremper ses doigts déjà gourds dans l’eau glacée était le meilleur moyen de les perdre. Résignée, elle se remit en route.
Alors que la fatigue la gagnait de nouveau, les pensées s’entremêlaient dans son esprit.
Qu’est-ce que je fais ? se demanda-t-elle. Je suis peut-être en train suivre l’assassin de Wolfheim…
L’évocation de ce nom la fit fléchir. Si Katharina contrôlait réellement les loups, alors Wolfheim était peut-être…
Elle secoua vivement la tête, se perdre en interrogations ne servait à rien. Néanmoins l’espoir qui naquit en elle se logea au fond de son esprit, agitant les probabilités tel un drapeau victorieux.
Elle avait perdu la notion du temps. La fatigue rendait ses membres lourds et son esprit vagabond, tandis qu’elle marchait raidement tel automate. La louve se retournait régulièrement pour constater qu’elle ralentissait encore et encore. Mais elle n’en pouvait plus, cette nuit lui paraissait interminable. Les loups, imperturbables, l’accompagnaient toujours.
Lorsqu’elle perçut les premières lueurs de l’aube, elle crut voir venir la délivrance, mais l’ombre pâle qu’était son guide ne daigna pas jeter un œil au soleil affleurant l’horizon.
Les contours se précisaient et la blancheur éclatante du paysage reparut, triomphante. Lucy pouvait apercevoir les silhouettes des fauves danser à l’ombre bleutée des sapins, ils semblaient s’être rapprochés d’elle.
Alors que le jour s’était levé depuis longtemps, elle perçut en face d’elle une lueur aveuglante. Elle plissa les yeux, interdite. Elle semblait faire face à un miroir gigantesque, tapi à la lisière de la forêt. Elle ne comprit que lorsque le miroir se mit à se mouvoir doucement.
Lucy émergea du couvert des arbres, fixant d’un œil émerveillé les flots tranquilles de la mer mouchetés d’îlots de glace. Cette vision majestueuse, elle l’avait déjà contemplée, réalisa-t-elle quand elle posa les yeux sur l’écume affriolante. Le ciel ouvrait l’horizon, étirant le regard à l’infini, elle eut l’espace d’un instant un vertige. Le grincement des cordages et l’odeur des embruns lui revinrent en mémoire.
Bouche-bée, elle tenta de ramener à elle ce souvenir, mais comme à l’ordinaire, il lui échappa. Elle tourna la tête vers la louve, restée prudemment à l’ombre de la forêt.
- Où allons-nous, maintenant ? demanda Lucy en la voyant immobile.
L’animal la fixa de son regard clair indéchiffrable, et tourna le museau vers la droite. Lucy aperçut au loin la silhouette d’un élégant voilier.
- Mais ce n’est pas le refuge…
Elle se retourna vers la louve, mais celle-ci avait disparu tel un fantôme. La jeune fille fouilla la forêt du regard et l’appela, mais plus aucune ombre n’était visible entre les congères.
Cela doit être le bateau de Klein… tant pis commençons par ça. Je rejoindrai le refuge à partir de là.
Situé dans une petite crique, le navire avait jeté l’ancre. Sa coque heurtait avec douceur quelques plaques de glaces formées ça-et-là, tanguant nonchalamment au rythme de la houle.
Le pont s’agita lorsque Lucy approcha. Elle vit avec soulagement des silhouettes humaines se profiler à bord, la pointant du doigt en s’exclamant.
Quand elle arriva en face du bateau, une barque était déjà en route pour la berge.
- Qui êtes-vous ? fit un homme à peine arrivé à terre.
C’était un petit marin rond et rougeaud à la barbe aussi blanche que les cheveux de Lucy.
- Je… je m’appelle Lucy… White Lucy… Vous êtes bien l’ami de Klein ? Monsieur… heu… Loodmear ?
Le vieille homme la considéra de ses yeux bleus pâles, reniflant de son nez épaté sans dire un mot. Les matelots qui l’accompagnaient chuchotaient en désignant la jeune fille.
- Vous êtes bien le capitaine Loodmear ? répéta-t-elle.
- Eh bien ça ! La gamine aux cheveux blancs ! s’exclama-t-il soudain. Moi qui pensait qu’elle était avec Hans. Comment es-tu arrivée là, petite ?
Son sourire jovial et franc la rasséréna.
- Je… heu… je me suis perdue…
Le marin sembla percevoir le mensonge aussi nettement que si elle le lui avait avoué, mais ne fit aucune remarque.
- Tu es sacrément veinarde d’être tombée sur nous. Mais qu’est-ce que tu attends ? Monte ! Tu ne vas pas rester plantée là, si ?
La jeune fille obéit et embarqua précautionneusement, le roulis de l’eau lui parut immédiatement familier.
Lorsqu’ils arrivèrent près du navire, Lucy étouffa un cri à la vue de son nom, gravé en lettres élégantes sur sa coque.
Katharina.
- Avant, il s’appela le Rosa, fit le vieil homme en suivant son regard. Mais l’année dernière Hans a voulu le changer. En l’honneur d’la p’tite.
Le regard de Loodmear s’était perdu dans le vague.
Un grand brouhaha accueillit leur arrivée sur le voilier. Klein avait parlé d’elle, apparemment, et tous les marins voulaient voir sa chevelure de leurs yeux. Elle remarqua avec gêne que certains la considéraient d’un œil gourmand, comprenant confusément le fond de leur pensée. Ils se montrèrent néanmoins tous très gentils, lui offrant à manger et à boire avec des sourires joyeux.
Le capitaine lui offrit sa cabine le temps d’une nuit. À peine eut-elle effleuré le matelas qu’elle sombra dans un sommeil sans rêve jusqu’au lendemain.
Elle fut réveillée par une voix aiguë et une main qui lui secouait l’épaule.
- Hé, mam’zelle, hé, debout !
Elle ouvrit difficilement les yeux, l’image d’un enfant d’une dizaine d’année à la chevelure flamboyante se dessina au-dessus d’elle. Elle sursauta presque en l’apercevant, sa présence incongrue lui fit se demander si elle n’était pas en train de rêver.
- Tenez, mam’zelle, fit le garçon en lui tendant une écuelle de bois. Papi en a gardé pour vous, mais y va plus êt’ bon si vous l’mangez pas maint’nant.
Une bonne odeur de poisson frais acheva de la réveiller, elle remercia l’enfant et dégusta avec plaisir la viande tendre et juteuse.
- Connie ! Tu as donné le poisson et les habits à la demoiselle ?! fit la voix lointaine de Loodmear.
- C’est bon, c’est bon !
Le garçon tendit à Lucy des affaires pliées.
- Comme vos habits sont vieux, Crick, le cuistot, vous prête les siens. Y fait à peu près la même taille que vous, mam’zelle.
- Merci, c’est très gentil. Tu t’appelles Connie c’est ça ? Je ne t’ai pas vu hier.
- C’est normal j’étais dans les cordages. Juste au-dessus.
- Ah, je comprends. Eh bien… ravie de te rencontrer.
- Moi aussi, mam’zelle.
Son sourire s’étira jusqu’à ses oreilles. Avec sa bouille ronde et son petit nez rouge, elle le trouvait adorable.
- J’vous laisse vous habiller, mam’zelle, fit-il en sortant.
- Oui, merci encore.
Les vêtements du dénommé Crick étaient un peu large pour elle, par endroits, mais elle fut surprise qu’ils lui aillent si bien. Ils ne sentaient pas la rose, mais c’était toujours mieux que ses vieux habits qui empestaient.
Lorsqu’elle sortit au dehors, le soleil l’accueillit d’une caresse. Elle savoura un instant sa douceur, son long voyage de nuit lui avait fait comprendre à quel point elle l’aimait.
Lucy s’avança sur le pont. Autour d’elle, les matelots qui flânaient se retournaient et la saluaient joyeusement, elle avait l’impression d’être devenue en une nuit leur mascotte.
- Belle journée, n’est-ce pas ? fit-elle en avisant le capitaine.
Il lui répondit par un pâle sourire, quelque chose semblait l’inquiéter.
- Pour l’instant oui, mais une tempête approche.
Ce simple mot fit perler des larmes dans les yeux de Lucy.
- Abe ! s’entendit-elle crier.
La pensée de ce jeune homme mystérieux amena celle de Wolfheim, et sa bonne humeur s’effaça.
- Co… comment le savez-vous ?
- Le vent, répondit-il. Et ça.
La brise fraîche avait effectivement forcit. La jeune fille tourna la tête vers l’horizon marin que Loodmear pointait du doigt. Une fine couverture sombre semblait recouvrir la mer au loin.
Lucy déglutit.
- Hé, mam’zelle ! l’appela la voix de Connie.
En levant la tête, elle l’aperçut se déplacer dans les cordages, aussi agile qu’un écureuil. Elle lui fit un signe de la main, retrouvant un sourire éphémère.
- Celui-là, alors, marmonna le vieil homme près d’elle. Il fait tout pour se rendre intéressant.
- Je l’aime bien, lui confia-t-elle. Mais je suis surprise que l’expédition accueille un enfant.
Loodmear soupira.
- Elle ne l’accueille pas, il s’est glissé à bord, ce garnement, le jour du départ. Quand on s’est rendus compte d’sa présence, on était trop loins pour rebrousser chemin. J’aimerais bien le ramener auprès de ses parents sain et sauf, mais y fait tout pour me compliquer la tâche.
- Je comprends.
- Hé mam’zelle ! Regardez !
Connie effectua quelques pirouettes au-dessus d’eux. Il se pendit à un boute et se lança dans le vide, au-dessus des flots bleus.
- Fais attention, boudiou ! s’exclama son grand-père.
- T’inquiète pas, Papi, je…
Il ne finit pas sa phrase, le boute s’était coincé entre deux autres et se tendit d’un coup. Le garçon fut projeté par dessus le pont avec un cri muet.
- Connie ! hurla Loodmear.
Dans un élan étrangement énergique, Lucy se jeta en avant pour agripper sa main. Elle bascula à demi par-dessus le bord, mais parvint à retenir l’imprudent. Loodmear attrapa rapidement un boute et le lança pour que son petit-fils s’y agrippe de son autre main. La jeune fille, le ventre comprimé contre le garde-corps, se sentait glisser. Connie réussit à agripper le boute qu’on lui tendait au moment où elle basculait en avant.
Elle entendit qu’on criait son nom et se sentit attrapée, mais personne ne put stopper sa chute.
Ses cheveux s’envolèrent, elle heurta la surface de l’eau avec violence.
Les mâchoires glacées de la mer se refermèrent sur elle.
Prise dans un tourbillon de bulles, elle agita les mains en tous sens. Ses couches de vêtements s’imbibaient une à une, l’entraînant vers le fond. Il n’y avait plus de frontières, plus de contours, le haut se mélangeait au bas.
Lucy se débattit avec énergie, sentant la mort ramper jusqu’à elle. Elle se dirigea tant bien que mal vers la surface, plus lumineuse. Mais la délivrance se transforma en prison quand elle heurta une surface solide.
Elle réalisa avec terreur qu’elle se trouvait sous une plaque de glace.
Elle tourna la tête en tous sens, tenta de se déplacer, mais ses poumons la brûlaient et ses forces se diluaient dans l’eau salée. Ses gestes ralentirent, elle se retrouva immobile, allongée contre la glace. Ses membres étaient lourds, elle avait l’impression de couler. Au travers des volutes livides de ses cheveux, elle voyait le ciel. Un ciel d’un bleu sombre et profond qu’aucun soleil n’éclairait.
Qu’aucun soleil n’éclairerait jamais.
Elle ouvrit la bouche en cri muet, exhalant tout l’air qu’elle avait retenu. L’eau rêche s’introduisit dans ses poumons, lui dévorant la gorge. Elle avait l’impression que sa poitrine se déchirait. Elle aperçut du coin de l’œil les bulles qu’elle avait relâchées chatouiller la surface gelée et y former un sourire cruel.
La sensation du froid qui imbibait chaque parcelle de son corps lui était familière. Trop familière.
Lucy se sentit aspirée par les abysses de ce ciel sans lumière, elle ferma les yeux.
Et elle se souvint.
J’ai pas compris quand elle crie « Abe » et que le capitaine ne réagit pas.... Elle crie dans sa tête ?
Et le nom « Loodmear » m’a fait rire, du coup je me pose la question : est-ce que ça ne sort pas du contexte « dramatique », ne vaudrait-il pas mieux qu’il ait un surnom plutôt qu’un nom qui soit un jeu de mot ?
« Près d’elle, un ruisseau courageux s’était extirpé de la glace pour couler librement » j’adore cette phrase.
Oui elle crie dans sa tête, c’est pour ça que je l’ai mis en italique
Ah tu trouves que c’est trop décalé ? C’est dommage moi j’aime bien XD
<3
zut, qui est Hans ? Klein ??
a un moment tu parles de poisson, et la phrase d'après Lucy mange de la viande, tu devrais remplacer "viande" par "chair".
la tempête : NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !
la fin : NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON BORDEL ! QU'EST CE QUE LE SCENAR DE CLOCKGIRL EST VENU FOUTRE ICI ? XDDDD
J'aime beaucoup ce chapitre et le petit Connie, mais il y a un truc qui me perturbe : Lucy était en route pour retrouver Klein, pourquoi elle est tombée sur le bateau ? Et ou est-ce qu'ils l'emmènent ? Rejoindre Klein ? Mais c'est pas possible qu'elle se soit éloignée autant avec Ajaruk, et ils n'ont traversé aucun lac je crois. Je comprend pas bien tout ça.
Je sais pas comment elle va s'en tirer... mais a mon avis elle va s'en tirer sinon il y a plus d'histoire. Il va falloir qu'un BG nu se dévoue pour la réchauffer avec sa chaleur corporelle XD je vote pour le capitaine du bateau NON JE PLAISANTE :p !
j'ai hate de savoir de quoi elle se souvient... ou pas xD ! l'avenir nous le dira !
Oui, Klein c'est son nom de famille, il s'appelle Hans Klein. Du coup Martha s'appelle Martha Klein, Wolfheim Klein...
Pour moi le poisson c'est de la viande XD mais je vais mettre chair, t'as raison
SIIIIIIIIIII
DE QUOI ? MAIS POURQUOI TU PARLES DE CLOCKGIRL JE COMPRENDS PAS XDDD
Lucy voulait effectivement retrouver Klein, mais la louve l'a amenée au bateau. Il s'est écoulé 4 jours depuis qu'elle a quitté le refuge, donc c'est faisable (Ajaruk l'emmenait déjà au nord-est, vers la mer). Le bateau ne l'emmène nul part, il a jeté l'ancre depuis quelques semaines. Mais pourquoi tu parles de lac ? XD Le bateau il est sur une mer, celle de la Baie d'Hudson.
Un BG nu... Wolfheim ? Putain cette blague, tu m'as faite éclater de rire XDDD. Alors effectivement elle va être sauvée par un nu, mais je sais pas si on peut dire BG...
Réponse mercredi prochain...
Merci encore^^