L’eau au plafond était fascinante, mais aussi la cause d’un mal de crâne persistant. Allongée sur le sol, les bras écartés, Taïe comptait les secondes. Après avoir annoncé vouloir rendre visite aux Soboemns, Nali’ah l’avait fixée, puis avait déclaré que, pour l’instant, elle était une prisonnière. Et qu’une prisonnière ne décidait pas de partir en voyage. Elle avait néanmoins accepté d’en parler à son père, le roi, admettant que l’idée était intéressante. Taïe avait été reconduite dans sa cellule, seule, et attendait. Qu’attendait-elle ? Malgré son agacement à cette idée, elle devait bien admettre que la distraction tant attendue serait sûrement le retour d’Elyie. Elle ne l’avait pas revue depuis son départ pour l’autel. Elle ferma les yeux pour cacher les tourbillons aquatiques du dôme, sûrement créés grâce à l’une des “affinités” des Néréeins.
Après ce qui lui sembla une éternité, Elyie revint. Elle avait les yeux pétillants, et commença à parler avant même de s’être assise.
“Ils m’ont emmené dans des jardins immenses, certains même sous l’eau, et m’ont montré chaque plante une par une en me demandant si je reconnaissais un plant de karla. Bien sûr, je n’en ai pas trouvé. Je pense que le climat est beaucoup trop humide. Quand je m’en occupais, chez les Parias, je ne leur donnais que très peu d’eau. Qu’est ce que Nali’ah t’a dit ?”
Déjà agacée, Taïe répondit à contre cœur. Elyie l’écouta attentivement, et reprit la parole à la mention des Soboemns.
“J’ai posé des questions sur eux. Apparemment, ils nous ressemblent en tout point, mais ont des oreilles pointues. Ils entretiennent quelques relations commerciales avec les Néréeins. Je pense qu’aller les voir nous apporterait un savoir précieux.
-Pour ça, il faudrait qu’on nous laisse sortir, grommela Taïe”
Elle mourait de faim. À quand remontait son dernier repas ? La dernière chose qu’elle avait mangé était des lanières de viandes séchées, durant la longue marche à travers la plaine. Alors qu’elle était partie du camp sans rien d’autre que ses armes, Elyie avait tout prévu et emmené quelques en-cas, partant du principe qu’elles chasseraient pendant le voyage.
La porte se rouvrit enfin, et Taïe eut l’espoir d’un peu de nourriture, mais c’était un garde à l’air taciturne qui leur fit signe de sortir, visiblement agacé d’avoir été choisi pour cette mission. L’apparition de sentiments sur ces figures étranges était perturbant. Il saisit les jeunes filles par les bras tandis qu’un de ses collègues fermait la marche.
“Vous allez assister à un évènement très spécial, expliqua-t-il sur le chemin. Deux Néréeins ont transgressé les lois lors de la dernière lune. Leur faute est assez grave pour les condamner à l'Épreuve des Esprits, une épreuve si difficile qu’il est impossible d’y survivre sans l’aide des Tsadiens, qui ne l’accordent qu’aux âmes nobles. La princesse et le roi espèrent que, avec leur présence exacerbée aujourd’hui, cela déclenche de nouvelles visions chez vous.
-Qu’ont-ils fait ? Qu’ont-ils fait pour devoir subir cette épreuve ?”
Toujours aussi bavarde. Elle ne peut pas se mettre en sourdine ?
“Ils ont assassiné l’ancien conseiller royal, Vani’hel. Il était aimé du peuple, et un ami très proche de sa majesté le roi.”
Visiblement touché par l’émotion, ce qui étonna la guerrière, le garde se tut pendant tout le reste du chemin. Vani’hel ne devait pas être si aimé, pour s’être fait tuer. Il les conduisit vers la salle du trône, mais au lieu de franchir la porte, leur infligea un nouveau déplacement par les chutes d’eau, pour atterrir sur une des plates-formes qui surplombaient la zone. Si elles étaient vides lorsque Taïe avait eu le droit à une audience, chaque place était maintenant occupée par des centaines de Néréeins. Le contraste en le brouhaha qu'on aurait pu attendre d'une telle foule et le silence qui régnait pourtant était perturbant. Personne ne parlait, pas une parole n’était échangée. Tous les regards étaient fixés sur le centre de la colonne de pierre. À peu près vingt mètres devant le trône, une plaque luisante était fixée au sol. Deux paires de menottes, vides, étaient ancrées dedans.
Un groupe de gardes apparut, tenant les deux criminels. Ils étaient mal en point, leurs vêtements déchirés, mais se tenaient droit malgré le poids des lourdes mains sur leurs épaules. À la vue de la plaque, qui luisait faiblement sous la douce lumière de l’eau, leur regard se raffermit. Raides et dignes, ils refusèrent de se pencher afin d’attraper les menottes. L’un des gardes, visiblement furieux, dût les ramasser. Pendant de longues secondes, il batailla pour les démêler, et lorsqu’il y parvint enfin, rendu maladroit par la colère, il les laissa tomber en essayant d’attacher un des jugés. Celui ci en profita pour lui cracher dessus alors qu’il se penchait de nouveau. Ne s’arrêtant pas là, il abattit son pied sur son dos. Le garde s’écrasa sur le sable, prit par surprise. Un de ses camarades saisit aussitôt l’insurgé pour le faire reculer. Il lui adressa quelques mots, auxquels il répondit par un nouveau crachat. Le garde leva alors son poing, et lui asséna un coup qui le projeta à terre. Il le saisit sans ménagement, et lui passa les menottes que lui tendait un de ses collègues. Pourquoi agissent-ils ainsi ? Ils sont idiots, d’aggraver leur cas ! Taïe ne comprenait pas. Leur impertinence n’allait-elle pas augmenter leur peine ? On attacha les deux criminels aux menottes, et le roi se leva, visiblement mécontent de voir ses gardes ridiculisés ainsi.
“Camasaes ! Ils euaienu nes fseses. Ils senu evenus usaiuses. Qlace ai lukement ies Usaeiens.”
Il ne s’étendit pas plus, apparemment pressé d’en finir. Le garde traduit ses paroles à voix basse.
“Camarades ! De frères, ils sont devenus traîtres. Place au jugement des Tsadiens.”
Les prisonniers restèrent droits et immobiles, résignés. La plaque brillante se mit à onduler, recouvrant peu à peu leurs corps. En regardant autour d’elle, Taïe vit que chaque Néréein de l’assemblée avait levé ses paumes vers le ciel, et gardait un visage impassible. Le garde remua les lèvres, murmurant si bas que la guerrière l’entendait à peine.
“Le socle est fait de nacre et de glace. Chacun ici l’aide à recouvrir les traîtres. Si les Tsadiens les jugent dignes et les pardonnent, alors ils augmenterons le pouvoir leur affinité afin qu’ils puisent se libérer. S’ils sont jugés coupables, alors ils n’auront pas le pouvoir suffisant.”
Taïe porta sur la scène un regard horrifié. Voilà pourquoi ils avaient été si rebelles ! Ils se savaient coupables d’un meurtre, condamnés dans tous les cas. Promis à la mort après leur acte impardonnable. Les jugés luttaient, crispés, contre tout leur peuple. Seuls contre leur patrie, qui voulait leur mort. Leurs visages reflétaient leurs efforts, les yeux fermés, tremblants. Peu à peu, avec une lenteur insoutenable, le socle immobilisait leurs corps, les emmurant vivants dans une gangue de glace et de nacre. Guidée par les centaines d’âmes présentes, la matière à la fois solide et liquide progressait peu à peu, figeant les corps sur son passage. Quelques secondes qu’elle n’atteigne sa tête, l’un d’eux leva la tête, et poussa un cri de rage et de déchirement.
“Qla Sazi’hael Tenra sone ! Qla glave oedoriane paxe !”
Taïe se détourna. Cette fois, le garde ne traduisit pas.
Eh bien, ce jugement des Tsadiens est pour le moins... glaçant. Sans mauvais de jeu de mots, bien sûr ! Je n'ai pas grand chose à dire sur ce chapitre, il fonctionne très bien et permet de découvrir davantage les coutumes de ce mystérieux peuple. Quant au sort des condamnés, je trouve ça malin de finir sur l'injonction sans la traduire. Ça laisse le lecteur imaginer l'insulte ou la malédiction, ainsi que le dénouement funeste de l'épreuve quelques secondes plus tard.
Tiens, un truc qui serait marrant pour donner du poids à cette scène, ce serait de la transformer en foreshadowing, autrement dit que Elyie et/ou Taïe se retrouvent obligées d'affronter à leur tour ce jugement plus tard dans l'histoire. J'ignore si c'est ce que tu as prévu, mais ce serait une manière intéressante de créer de la tension tout en jouant avec le ressenti du lecteur et la peur de tes héroïnes, qui sauraient exactement ce qui les attend en cas d'échec.
On verra bien si Nostradori a vu juste ^^
Au plaisir,
Ori'
Alors c'est assez marrant, cette histoire de foreshadowing. Figure-toi que dans la première version, elles la subissaient carrément vers ce chapitre ! Mais elle n'était pas du tout semblable à l'épreuve qui est décrite ici. Ton commentaire m'y a fait penser, j'ai ressenti un peu de nostalgie !
Outre le fait que je ne comprenais pas l'inertie de Thaïe depuis son emprisonnement, voir ces deux prisonniers être jugés à mort pour leur crime, lui donne raison de n'avoir rien tenté ! Elye quand a elle, semble vivre sa meilleure vie !
Le chapitre nous en apprend un peu plus sur les coutumes de ce peuple.
Malgres tout, je sens une certaine lenteur des Néréeins quand aux décisions concernant leurs prisonnières !
A bientôt
C'est vrai que dans ce chapitre, Elyie est un peu plus active que Taïe. On revoit là son indéfectible enthousiasme...
C'est vrai aussi que les Néréeins sont plutôt lents.
À bientôt !
"Vani’hel ne devait pas être si aimé, pour s’être fait tuer." => euh pardon ? Mais c'est n'importe quoi
"Si elles étaient vide lorsque Taïe avait eu le droit à une audience" => vides
"Le contraste entre le silence absolu et le brouhaha qu'on aurait pu attendre" => c'est pas super clair, j'aurais plutôt dit un truc comme "le contraste entre le brouhaha qu'on aurait pu attendre, et le silence absolu qui régnait pourtant dans les lieux" (au début je pensais que le contraste c'était de passer d'un lieu silencieux à un lieu bruyant, enfin bon on finit par comprendre)
"vingt mètre devant le trône" => mètres
C'est perturbant le coup des criminels qui aggravent leur cas, mais bon si de toute façon c'est l'ordalie qui décide de leur sort, en soi osef des délits qui pourraient s'ajouter. (edit : ah bon c'est précisé par la suite) Par contre le fait que les gardes soient nuls et n'aient pas prévu d'attacher eux-mêmes les condamnés... là c'est étrange.
Et le paragraphe est assez long et compact, je pense que ce serait plus facile s'il était séparé en deux (bon après c'est pas important)
Ah tiens par contre il y a vraiment deux langues différentes, c'était pas une histoire d'oreilles bouchées.
Ils ne s’étendit pas plus => il
Et la punition est flippante...
Je n'aurais pas aimé être à leur place, en effet...
Concernant les langues, c'est marrant, j'ai bien aimé ta comparaison avec des oreilles sous l'eau, ça colle plutôt bien puisque ce sont des "créatures de l'eau" haha !