PRESENT : JIO
Jio tira sur le col de son vêtement pour la sixième fois depuis qu’il avait quitté sa chambre. La tunique que lui avait procurée Soö était inconfortable, le long manteau noir fourni avec tenait chaud et l’encombrait. Il ne se sentait pas lui-même, dans cette tenue. Il avait un peu plus l’impression de faire partie de la guilde des mercenaires et ce n’était pas ce qu’il voulait. Ses cheveux d’ébène n’étaient plus devant ses yeux, il les avait plaqués en arrière, sur son crâne. Lorsqu’il s’était vu dans les miroirs décrépis des salles de bains communes, il ne s’était pas reconnu. Il avait l’air d’un homme véritable, d’un mage terrifiant. Il n’aimait pas ce changement et, en même temps, il s’en satisfaisait car ce n’était plus du dédain qu’il voyait chez les gens qui le regardait mais un vague sentiment d’inquiétude. Soö avait raison : Jio avait changé de tenue, alors aux yeux des autres, il avait changé, tout court. Néanmoins, cela ne changeait rien à l’irritation grandissante qui s’emparait de son esprit à l’approche de la salle de combat. De temps en temps, il s’arrêtait. Il s’apprêtait à faire demi-tour puis changeait d’avis. En fuyant ainsi la vieille, il ne faisait que lui prouver qu’il était un lâche.
Il finit par arriver au niveau de la salle d’armes et hésita un peu, se dandinant d’un pied sur l’autre, avant de l’ouvrir. La salle était éclairée, cette fois, et il la découvrit dans son entièreté. Etant plus jeune, il n’avait jamais eu l’occasion d’entrer dans les salles officielles de combat. Seuls les membres les plus puissants y allaient, souvent pour régler leurs comptes. A la vérité, il s’était souvent imaginé l’intérieur de ses pièces comme une prouesse architecturale, mais là, il se trouvait un peu déçu. Elles étaient simples, sans chichi. Similaires aux autres salles de combat, si ce n’était qu’elles étaient plus étroites et que des obstacles étaient dispersés au sol, sur les murs, pour gêner les combattants. Il y avait des armes accrochées au mur. La formatrice était déjà là, au milieu de la salle. Elle attendait, appuyée sur sa canne, et avait aux lèvres un sourire ironique. Elle parla d’une voix calme qui paraissait jeune par apport à l’âge qu’elle semblait avoir.
- Je vois que tu as décidé de venir travailler, jeune homme.
- Je vois que vous avez décidé de ne pas m’insulter, madame.
Elle poussa un petit rire.
- Parfait. Maintenant que nous sommes sur la même longueur d’onde, montre-moi ce que tu sais faire. Crée un orbe d’ombres, pour commencer.
Jio fronça les sourcils. Il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Était-il ici pour apprendre à défaire un sceau ou pour faire des boules avec sa magie ? Comme si elle avait entendu sa pensée, maître Ebremo éleva la voix.
- Je suis bel et bien une défaiseuse de sorts. Mais je dois vérifier quelque chose avant de t’apprendre quoi que ce soit. Allons, crée cet orbe. A moins que je n’aie eu raison à ton compte, l’autre fois…
- Ça va, je m’y mets !
Il n’eut même pas besoin de fermer les yeux. Même s’il n’avait pas réellement utilisé sa magie depuis longtemps, il n’avait pas oublié comment s’y prendre. Son pouvoir était large et englobait divers domaines. Bientôt, l’orbe apparut, flottant à quelques millimètres au-dessus de sa main. Les ombres qui la constituaient se mouvaient dans un doux sifflement et paraissaient vivantes. Cela répugnait un peu le jeune homme à la vérité, de savoir qu’il avait cette chose dans son corps, qu’elle englobait son esprit. Soudain, il n’eut plus le loisir de penser. Une vive douleur le prit en tenaille, comme le jour où il s’était retrouvé face à Allisen, au réfectoire. La douleur parcourrait son corps, lui brûlait la tête, la main. Il avait l’impression qu’il allait exploser. Il serra les dents, retint un cri, puis, lorsqu’il ne supporta plus la douleur, fit disparaître l’orbe. La souffrance s’apaisa presque aussitôt, bien qu’étant toujours présente dans l’esprit du jeune homme. Il se pinça l’arête du nez et attendit que sa migraine passagère s’estompe. Puis il releva la tête. La vieille ne le regardait pas. Elle lui avait tourné le dos, à vrai dire, et marmonnait quelque chose, comme plongée en pleine réflexion. Elle finit par sortir de cet état second et s’adressa à l’adolescent qui la jaugeait avec scepticisme.
- C’est fascinant. Tout à fait fascinant, gamin.
- Je peux savoir ce qui est fascinant ?
- Ce que tu fais avec ta magie.
Il n’avait rien fait de spécial. Et pourtant, elle était impressionnée. C’était bien qu’il s’était passé quelque chose.
- Soö m’avait demandé de vérifier quelque chose et tu viens de le confirmer.
Soö ? Que venait-il faire dans cette histoire. Vérifier quelque chose ? Alors le maître de la guilde enquêtait sur lui ? Ça ne lui plaisait pas du tout.
- Jio, je comprends mieux pourquoi il n’y a pas de trace de magie en toi : Tu la rejettes. En vérité, il y a bel et bien de la magie, mais tu l’as tellement enfouie qu’elle en est devenue indiscernable. Ton esprit a détecté l’hostilité d’Erlein Nowise envers les mages noirs et a eu un réflexe prodigieux ! Mais comme tu ne t’es pas servi de ta magie pendant presque deux ans, tu as fini par te déshabituer du prix à payer. Et maintenant, lorsque tu l’utilises, tu as l’impression de payer un prix beaucoup plus fort qu’il ne le faudrait. Mais c’est juste que tu n’es plus habitué à ressentir la douleur causée par ta magie…
La vieille femme semblait réfléchir à toute vitesse, comme si des nœuds se dénouaient dans son cerveau. Finalement, elle cessa son discours et examina Jio, comme pour le sonder. Elle semblait encore réfléchir à quelque chose.
- Tu dois être prêt dans les prochaines semaines à défaire le sceau de Soö. Mais tu dois d’abord te réhabituer à la douleur. Une fois ceci fait, tu récupèreras très vite ton niveau d’antan. Et là, l’entraînement pourra réellement commencer. Le moyen le plus efficace de s’habituer à quelque chose, c’est d’avoir à y faire face tous les jours. Ce que tu vas faire, gamin, c’est que tu vas continuer de créer des orbes. Je veux que tu encrées trois par jour et que tu les gardes dans ta main pendant cinq minutes. Lorsque tu ne ressentiras plus ou presque plus de douleur, tu passeras à dix minutes, avec des orbes plus gros, et ainsi de suite. Je ne vais pas te convoquer tous les jours, ça ne servirait à rien. Mais retrouvons-nous dans deux semaines pour voir tes progrès.
Elle semblait prête à le laisser disposer mais repensa à quelque chose.
- Ah ! Et je t’ordonne d’aller t’entraîner tous les jours dans les salles de combat, avec d’autres personnes. J’ai cru comprendre que tu n’avais pas réussi à te réintégrer à la guilde. Ça te permettra de côtoyer les autres mercenaires et de développer ta résistance physique à la douleur. Tu n’auras qu’à commencer dès demain.
Sur ces mots, elle l’enjoignit à s’en aller et Jio s’exécuta. Il aperçut Addal, caché dans l’ombre, au bout du couloir. Alors comme ça Soö continuait de le surveiller… Mais il fit comme s’il n’avait pas vu l’homme et continua son chemin. Une fois de retour dans sa chambre, il se dévêtit et enfila des habits plus confortables, non mécontent de se séparer de cette affreuse tunique noire et du manteau encombrant. Il repensa à Nethan, s’allongea sur son lit. Il ferma les yeux et rejoignit le désert noir.
Il trouva rapidement le fil qui le reliait à la fillette et le suivit avec empressement. Il arriva au bout après ce qui lui sembla durer des heures. L’enfant était assise dans ce qui semblait être une salle commune remplie de monde. Elle discutait paisiblement avec Elijah. Elijah. Jio serra les dents au souvenir de leur querelle d’il y a deux jours. Il aurait bien voulu discuter un peu avec la fillette, après l’opération qu’il s’apprêtait à faire, mais craignait de la déranger, qu’elle ne lui pose des questions à propos d’Elijah et lui. Alors il allait se contenter de faire ce qu’il avait à faire et la contacterait demain, quand elle serait seule. Cela faisait longtemps qu’il n’avait pas utilisé son pouvoir de retourneur à cet escient. Il pensait qu’il ne réussirait pas tout de suite mais il rencontra moins de difficultés que prévu. Lorsqu’il s’enfonça plus profondément dans son esprit et qu’il commença à dérouler la bobine imaginaire, le fil apparut presque instantanément entre ses mains. Il était d’une couleur grise qui rayonnait doucement comme de l’argent. Il attacha un bout du fil à l’index de Nethan. Un nœud solide qui tiendrait longtemps. Puis il retourna sur ses pas, déroulant la bobine de fil. Lorsqu’il fut arrivé au centre de la toile de communication, il attacha l’autre bout du fil à son propre doigt. C’était fait. Maintenant, Nethan pourrait aisément le contacter si elle tirait sur ce fil. C’était un lien spécial, qui outrepassait les limites des deux faces, c’était sa façon à lui de relier les deux mondes. Il soupira d’aise. Il était satisfait de son travail.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, la lumière avait baissé. Le soleil se couchait derrière les montagnes et il n’y avait plus personne à l’étage. Tout le monde était en bas, en train de dîner. Jio s’était endormi en réalisant son travail. Il hésita à descendre pour essayer d’aller manger avec les autres puis, au moment où il décidait qu’il allait simplement rester dans cette chambre, on toqua à la porte. Ce ne fut pas Maz qui entra, ni même Addal, mais Ewan.
- Qu’est-ce que tu veux ? maugréa Jio avant que l’autre n’ait pu prononcer un seul mot.
- La sympathie n’a jamais été une de tes qualités… répondit-il, amusé : Petits, on passait notre temps à nous chamailler. Une fois on s’était même battu. Et violemment qui plus est…
- Magnifique. Tu t’en souviens. Et tu es venu pour parler du bon vieux temps ?
Jio essayait de le repousser mais il était trop tard. Le souvenir s’était déjà frayé une place sur le dessus de sa mémoire.
PASSE :
Lorsqu’il entendit la porte des cachots grincer, Jio se jeta contre les barreaux de sa cellule.
- Laisse-moi sortir, Allisen Soll ! Viens te battre, espèce de lâche ! Viens te battre avec moi au lieu de t’en prendre à Maz !
Mais ce n’est pas Soll qui apparut. Ewan était à demi caché dans l’ombre mais Jio put le reconnaître sans peine. Il avait beaucoup grandi, dernièrement, et du haut de ses 13 ans, il devait déjà être l’un des hommes les plus forts des mercenaires. Il avait bien réussi à s’intégrer, il avait beaucoup de camarades et tout le monde le trouvait agréable à vivre.
- Qu’est-ce que tu veux ? siffla Jio : C’est Allisen qui t’envoie, tu comptes me passer à tabac, c’est ça ?
- Pas du tout.
Sa voix était douce, dénudée de haine. Cela horripila le jeune homme aux yeux noirs.
- Je veux seulement discuter. reprit Ewan.
- Oh ! Et de quoi veux-tu discuter avec un vulgaire prisonnier ?
- De ce qu’’il s’est passé il y a une semaine.
- J’aurais dû m’en douter.
Pour quelle autre raison serait-il venu ? Après tout, c’était du jamais vu. Jio pensait que son camarade allait rester là, à l’observer, de l’autre côté des barreaux, mais il sortit un trousseau de clés de sa poche et ouvrit la porte pour entrer. Jio poussa un rire dénudé de joie. Un rire qui résonna comme une note discordante entre les murs humides des cachots.
- Tu oses entrer dans cette cellule ? Tu n’es pas au courant pour le meurtre des deux mercenaires ? Tu es bien téméraire, dis-moi.
- Tu as changé, Jio. En mal. Je ne te reconnais plus, l’ami.
- Non. Non, c’est toi qui as changé, Ewan. Moi j’ai toujours été comme ça : toujours dangereux et instable. Mais toi… Toi. Depuis quand t’es-tu rangé du côté des mercenaires ? Tu es heureux ici ? C’est toi qui te réfugiais dans ma chambre, les premiers jours, en pleurant qu’ils étaient des monstres, que tu ne pouvais pas devenir comme ça. Mais regarde-toi, regarde-toi : te voilà devenu un mercenaire à part entière, un bon petit meurtrier bien intégré au groupe.
- C’est toi qui devrais te regarder Jio ! s’emporta soudain le garçon.
Il se leva et dominait le jeune prisonnier de toute sa taille.
- Mais sérieusement ! Qu’est-ce que tu es devenu ! Regarde ce qu’ils ont fait de toi ! Je me suis juste adapté à mon environnement, toi, tu es devenu le monstre qu’ils voulaient faire de toi ! Quand tu es arrivé ici, jamais tu n’aurais mis Maz en danger, pas même pour t’enfuir avec elle ! Quand tu es arrivé ici, tu n’aurais jamais pensé à tuer des gens ! Mais regarde où tu en es arrivé : Tu tentes de fuir la guilde avec Maz et tu tues deux mercenaires qui tentent seulement de te convaincre de revenir ! Ils ne t’avaient même pas touché ! Ils voulaient juste te parler !
- C’est faux ! Ils allaient me capturer et m’enfermer, encore, ils allaient profiter de notre faiblesse, ils allaient jouer avec la gentillesse de Maz pour qu’elle n’ait plus envie de partir ! Mais je ne les ai pas laissés faire ! Ils ne me contrôleront plus, c’est fini Ewan ! Je ne veux plus vivre dans cet enfer !
Il s’était levé, à son tour, et faisait face à son ancien ami. L’ami en question le bouscula violemment. Jio trébucha, tomba, se releva.
- Mais bon sang, Jio ! Tu ne te rends pas compte ? Tu ne vois pas que tu es juste devenu un assassin ? Tu as tué deux hommes de sang-froid, pour aucune raison !
Ewan le bouscula une nouvelle fois mais Jio ne bougea pas. Il dégaina sa magie et frappa le jeune homme à la joue.
- Et alors ?! s’écria-t-il : Ce n’est pas ce que les mercenaires font tous les jours, tuer des gens de sang-froid ? Qu’est-ce que ça peut bien faire, deux pourritures de plus ou de moins, sur cette terre ?!
- Ils étaient nos camarades ! Ils étaient arrivés en même temps que nous !
- C’étaient tes camarades, pas les miens !
Ewan étranglait presque Jio, maintenant. Les deux garçons se tenaient là, dans un face à face plein de haine dans une cellule. Jio était contre le mur. Il s’étouffait. Il donnait des coups de pied dans le vide et, finalement, l’un d’eux atteignit sa cible. Ewan le lâcha en grognant et s’écarta. Jio reprit son souffle en crachotant.
- Qu’est-ce que tu es, Jio ? Quel genre de monstre es-tu pour faire ça à deux innocents ? Pour faire ça à Maz ? Tu sais ce qu’elle endure en ce moment, par ta faute ? As-tu seulement pensé à elle quand tu as décidé de t’échapper ? Ou ton propre confort est passé avant tout ?
Le coup de poing cueillit Ewan au menton. Cela le fit vaciller, bien que Jio ne fit pas partie des mercenaires les plus musclés.
- Je t’interdis de faire semblant de te soucier de Maz ! Tu m’entends Ewan ? Je te l’interdis ! Ça fait trois ans ! Trois putains d’années qu’on se serre les coudes avec Maz, qu’on prépare notre évasion ! Et toi tu ne nous as jamais aidés ! Si tu te souciais de Maz, si tu t’en souciais vraiment, tu aurais essayé de fuir avec nous, tu aurais fait tout ton possible pour l’empêcher d’être punie ! Je ne sais même pas où ils l’ont emmené, tu pourrais au moins me donner des nouvelles d’elle ! Ils n’ont pas le droit ! Ils n’ont pas le droit de nous retenir ici !
Il tapa contre les barreaux qui émirent un son sourd et vibrant.
- Je n’ai pas assassiné ces hommes, tu m’entends ? Je ne les ai pas assassinés ! Je me suis seulement défendu !
- On ne peut plus discuter avec toi, Jio. Tu es devenu tellement agressif qu’on ne peut plus t’approcher.
Ewan soupira. Il secoua la tête et se détourna de l’adolescent misérable qui lui faisait face et qui pleurait de rage. La rage. C’était le seul sentiment qui perçait la carapace que s’était forgé Jio, ici. La rage était son unique appui, la prise décisive qui lui permettait de s’accrocher encore à la montagne de la vie. Le visiteur sortit de la cellule et referma la porte derrière lui. Et au fond, il se disait que les anciens avaient eu raison d’enfermer Jio. Il était trop instable, trop dangereux.
- Je vais quitter cet endroit ! s’exclama Jio : Je vais partir d’ici, je m’enfuirai avec Maz !
Ewan se retourna une dernière fois pour prononcer son ultime verdict, comme un dernier adieu à la camaraderie qui avait jusqu’alors réuni les deux garçons.
- Personne ne quitte la guilde, Jio. On n’échappe pas à son futur.
PRESENT :
- Eh. Ça va ? demanda Ewan avec une inquiétude perceptible dans la voix.
Les yeux noirs de l’intéressé perdirent leur aspect vitreux et il dégagea la main d’Ewan de son épaule avec un geste sec.
- Ne me touche pas.
- Ok, comme tu veux.
L’homme s’écarta et Jio l’étudia sans parvenir à savoir quelles étaient ses intentions. Il décida finalement de lui accorder le bénéfice du doute et se contenta de pousser un maigre soupir en s’affalant quelque peu sur son lit.
- Bon. Qu’est-ce que tu veux ?
- Enfaite, je me demandais si… Si ça te dirait de venir manger au réfectoire avec nous…
- Qui ça, « nous » ?
- Tout le monde. Tu sais, contrairement à ce que tu penses, personne dans notre promo de mercenaires, ne t’en veut réellement. Il fallait juste leur laisser du temps. Et maintenant, ils demandent des nouvelles de toi et se demandent ce que tu as fait pendant deux ans. Mais je ne peux rien leur dire puisque je ne t’ai presque pas croisé depuis ta première apparition au réfectoire. Alors… Tu ne voudrais pas aller leur raconter ça toi-même ?
Jio ouvrit de grands yeux étonnés.
- Ils veulent me voir ? Moi ?
Pourquoi ? Comment ? Enfin c’était insensé ! Il n’était pas une bonne personne, il avait passé ces dernières années à fuir comme un lâche, il n’avait même pas été fichu de tenir la promesse qu’il avait faite à Maz ! Alors pourquoi voulaient-ils le voir ? Par sympathie ? Cela lui paraissait étrange, de savoir que des gens étaient contents de son retour, qu’ils l’attendaient pour qu’il leur raconte ses aventures, les deux ans hors de la guilde. Il n’osait pas se l’avouer, mais il était heureux. Mais qu’aurait-il à leur raconter, si ce n’était la peur constante de se faire retrouver ? La faim, la soif, puis le travail chez le Duc Nowise, la routine, chaque jour, et l’inquiétude, les remords qui le rongeaient ? Qu’avait-il à partager, sinon les mauvais sentiments qui lui pesaient sur les épaules ? Et pourtant… Pourtant il se sentait allègre, il avait envie de les voir, ses anciens compagnons, il avait envie de savoir ce qu’ils avaient fait, pendant deux ans. Il n’avait plus envie de supporter cette solitude qui l’enveloppait depuis son arrivée. Alors il se leva doucement, adressa un sourire rayonnant à Ewan, un sourire qu’il n’avait plus eu depuis bien longtemps, et se dirigea vers la porte de sa chambre avant de se retourner.
- Alors, tu viens ? demanda-t-il à son vieil ami.
***
C’était l’heure du dîner, le réfectoire était plein à craquer. Pourtant, lorsqu’Ewan arriva dans la salle, accompagné de Jio, un bref silence parcourut l’assemblée. Après ce qu’il s’était passé l’autre jour entre Jio et Ewan puis entre Jio et Maz, il était normal de trouver étrange l’arrivée de ce mage d’ombre en compagnie d’un mercenaire d’élite. Pourtant, Ewan ne prêta pas attention aux regards indiscrets des autres mercenaires et se dirigea directement vers la première table où les attendaient un groupe de jeunes gens bruyants. Les premiers qui virent Jio étaient Nim et Jet : deux jumeaux inséparables avec lesquels l’adolescent avait souvent effectué ses missions. L’une était une jeune fille assez mignonne, musclée, comme toutes les personnes présentes ici, et avec un caractère doux. Elle pouvait néanmoins devenir une adversaire féroce si l’on s’en prenait à son frère. Ce dernier était un homme dans la moyenne. Assez grand sans être immense, plutôt beau sans être éblouissant, assez intelligent sans être un génie. Il était rapide comme personne, en revanche, et c’est ce qui faisait de lui un mercenaire dangereux. Comme tous bons jumeaux, le frère et la sœur se ressemblaient énormément. Les mêmes yeux pétillants, les mêmes fossettes au coin des lèvres, le même teint halé par le soleil. Ils étaient inséparables et amenaient la joie de vivre avec eux. C’était étrange, dans un lieu comme la guilde, de voir deux personnes aussi souriantes et épanouies. Mais ils étaient là, Le frère, Jet, donnait une tape dans le dos de Jio pour l’accueillir, la sœur le pressait de questions, et bientôt, tout le reste du groupe s’y mit. Il y avait Annar, une leadeuse née, Velt, ce paresseux, Willeym, un génie de la stratégie, et des dizaines d’autres encore, tous des camarades qui étaient arrivés en même temps que Jio, ici, à la guilde. Ils se pressaient autour du mage d’ombre, lui posaient d’innombrables questions. Puis finalement, Jio se laissa prendre au jeu. Il s’assit à table où on lui apporta bientôt une boisson fraiche, et raconta son périple, ses deux ans de fuite.
La première année avait été une année riche en émotions. Il s’était enfui de la guilde et avait longuement marché. Il ne savait pas où il était et avait fini par se perdre. Epuisé, il avait perdu connaissance. Lorsqu’il s’était réveillé, quelques jours plus tard, il était dans la maison d’un riche marchand qui l’avait trouvé échoué au bord d’un chemin. Il n’était pas resté chez eux très longtemps mais se souvenait encore de la chaleur et du dévouement de cette famille. Pendant les deux mois suivants, il avait erré de ville en ville, parcourant le pays de Näm, s’invitant de famille en famille et repartant comme un coup de vent. Puis il avait décidé de retourner dans le Psal. La route était longue, il avait finalement atteint la frontière du pays de Näm et s’était enfoncé dans les paysages variés de sa terre natale, retrouvant avec délice les plaines sèches du pays qui côtoyaient les jungles humides dans un étrange équilibre. Il était resté ainsi dans son pays, jouant au vagabond, pendant plusieurs mois. C’est là qu’il avait décidé de retourner dans le foyer où il avait vécu durant son enfance. Il avait passé de longues semaines à rechercher cet endroit et l’avait finalement trouvé. Et puis, alors qu’il s’apprêtait à y aller, il s’était découragé. A quoi bon, de toute façon ? Qui se serait souvenu de lui ? Rosind était morte, le palefrenier du foyer devait avoir quitté l’endroit, depuis le temps. Il avait rebroussé chemin. Il s’était rapatrié jusqu’à la capitale du Psäl où il avait fait la rencontre fortuite d’un membre de l’assemblée : le Duc Nowise, qui l’avait gentiment pris à son service. A ce moment, cela faisait un peu moins d’un an qu’il s’était enfui. L’année suivante, il l’avait passée aux côtés du Duc, à le servir en tant que valet, et à l’assister, parfois, lorsque le besoin s’en faisait ressentir.
Ji marqua une pause dans son récit. Il but une gorgée d’eau. La suite ? Eh bien elle était là, devant les yeux fascinés de son auditoire. Il s’était fait lamentablement capturer, après deux ans de fuite, et on l’avait ramené ici de force avant de le forcer à passer un marché. Mais ça, les autres ne le savaient pas. C’est pour cette raison que Nim demanda :
- Mais pourquoi es-tu revenu, Jio, alors que tu as semblé t’amuser autant, à l’extérieur ?
Jio aurait pu tout leur révéler, il aurait peut-être créé un mouvement de révolte au sein de la guilde, il aurait pu la détruire petit à petit de l’intérieur, et pourtant il ne le fit pas. Il se contenta de sourire, de reprendre une gorgée d’eau, et de dire d’un ton laconique :
- Je ne sais pas. Peut-être que j’avais laissé quelque chose derrière moi…
Et après tout, ce n’était pas tout à fait faux.
C'est un magnifique travail, tu as réussis à faire un contraste entre le Jio d'avant et le Jio d'aujourd'hui en un chapitre et avec peu d'éléments. Bravo.
Tu sais pas a quel point j'ai souris quand Ewan lui à demander si il voulait manger au réfectoire! Sa réaction est adorable ^^
Je trouve ça aussi très sympa que tu présentes ses anciens camarades, ça nous fait voyager un peu dans son passé. Et leur nom sont magnifique, vraiment. Je sais pas comment tu fais pour avoir autant d'idées original et lisible XD
Bref, bravo ^^ Et ne t’inquiètes pas pour le temps entre les différents chapitres, ça se comprend vu le travaille autour.
Bon... Déjà, désolé parce que ma réponse risque d'être un peu confuse (je l'écris à une heure du matin donc il y a un peu de fatigue derrière).
En tout cas, ça me fait plaisir d'avoir ton retour qui est toujours positif, c'est super motivant pour écrire la suite !!
En effet, je veux que le lecteur comprenne qu'il a changé depuis son retour et, comme je ne sais pas trop faire les choses de manière douce dans les livres, je le fais par un contraste évident ^^'.
Ce chapitre m'avait beaucoup plu car on découvrait l'entourage de Jio, j'avais essayé de m'ouvrir un peu plus aux personnages secondaires ou d'arrière-plan (ce qui n'est pas facile dans cette histoire car j'ai particulièrement développé le personnage de Jio qui prend donc une grande place) et de développer leur relation avec Jio. Malheureusement, je ne l'ai pas refait dans la suite du livre et je ne sais pas si on va revoir les compagnons de Jio d'ici la fin du roman...
J'espère te revoir dans les prochains chapitres en tout cas !
A bientôt !
Sache que je vois très bien la difficulté de faire petit à petit mais je trouve que c'est d’autant mieux de faire comme tu l'as fais ^^
Et pour les autres persos, en soit c'est pas si grave si tu ne les développes pas. Comme tu l'as fait là c'est très bien. Juste de quoi être immerger avec eux ^^
Enfin... Oui je serai là, jusqu’à la fin de ce livre!! XD