Chapitre 11 - Ami du matin, ennemi du soir

Mÿrre, juste après l'Intronisation de Vikthor.

            A la fin de l’intronisation, tout le monde s’était précipité autour de Paskhal et de Vikthor. Le ministre Garnel Asage était venu au centre de l’arène prendre la température de la situation. Gaultier et Bénédit tentaient de comprendre les explications de Vikthor et de Paskhal. Le moment était grave et les telsmans ne permettant pas de bien communiquer à une si longue distance, ils se précipitèrent tous dans le premier endroit qui était pourvu d’un téléphone. Ils essayaient de joindre le village d’Eybure mais tous les foyers n’en étaient pas pourvus, Paskhal en avait un dans son bureau mais pas à son domicile. Le téléphone sonnait désespérément dans le vide depuis plusieurs minutes quand une femme pris enfin le temps de répondre.

_ Ma femme a reçu une balle en plein ventre ! cria Paskhal à son interlocutrice.

Il se répéta plusieurs fois et approfondit la discussion avant que la femme comprenne qu’elle devait prévenir le soigneur et tenter d’avoir des nouvelles d’Hestia. Elle envoya quelqu’un sur place pour calmer Paskhal mais en réalité sa femme inconsciente était déjà entourée de Zaven et des parents du jeune homme. Paskhal était toujours au téléphone quand Zeroual pris le temps de le rassurer :

_ Paskhal, je suis désolé. Nous sommes venus au plus vite quand mon fils m’a dit qu’il y avait un problème chez toi. Hestia a pris une balle et ma femme pense que son rein a été touché. On attend le soigneur, il devrait arriver d’une minute à l’autre, expliqua le père Bauthmy pour les rassurer.

_ Elle va bien, elle est consciente ? balbutia Paskhal, tant bien que mal.

_ Elle est inconsciente. Aussi, tes filles… Zeroual ne réussit pas à terminer sa phrase.

 Il allait reprendre quand il entendit la voix d’Arthur dans le combiné :

_ Les filles ? Manon ET Solenne ? Que s’est-il passé ? Qu’avez-vous vu ? hurla l’ainé.

_ Je ne sais pas, on a croisé une camionnette noire conduite par deux hommes. Le regard du conducteur nous a fait froid dans le dos. Sur place, tes sœurs avaient disparu. Il ne restait qu’un foulard rouge tombé sur l’asphalte de votre cour. Hestia était allongée devant la maison, laissée pour morte, expliqua Zeroual calmement.

_ Rien de plus ? s’énerva Arthur.

_ Si, on a un prénom. Solenne a juste dit Loris avant de disparaitre. Depuis, on arrive plus à les joindre. Elles doivent être inconscientes ou… Enfin on ne les sent plus. Paskhal, toi, ta sœur ou Nazar c’est pareil ?

Tout le monde acquiesça car personne n’arrivait à les ressentir à travers leur telsman. Toutefois Zeroual entendit un autre homme qui parlait et qui affirmait que Manon n’était pas morte. Son fils Zaven disait la même chose pour Solenne, c’est qu’il y avait encore un espoir.

Paskhal s’était alors tourné vers le ministre pour avoir de l’aide :

_ Nous avons besoin de retourner au plus vite au près de ma femme. Je ne suis pas certain que le soigneur puisse aisément la guérir, expliqua-t-il sonné.

Heureusement, Vikthor tenu à les accompagner. Son don de guérisseur était puissant, s’il arrivait à temps, il pourrait la sauver aisément. Garnel Asage mis alors à disposition son administration et toute la troupe fût sur place le soir même. Gaultier et Bénédit faisaient également partie du voyage, ils tenaient à soutenir l’Elu des Kalokas. Sophya avait décidé d’accompagner son frère bien que la présence du ministre dans le cortège, l’indisposait. Tout le monde se sentait touché par cette affaire.

_ Hestia a été transportée chez le soigneur, expliqua Zeroual. Il a pu arrêter l’hémorragie et la stabiliser mais elle est toujours inconsciente.

En effet, elle était toujours endormie quand Vikthor rentra seul dans la chambre. Paskhal avait fait mettre tout le monde à l’écart. A part le nouvel Elu, personne ne devait être au chevet de sa femme pour le moment. Il serait impossible d’empêcher ses enfants de la toucher, or son pouvoir pouvait se déclencher par le contact et ça ne pouvait que lui voler encore un peu d’énergie.

_ Laissons-le agir d’abord, nous irons aux nouvelles après, déclara Paskhal.

Une fois dans la chambre, Vikthor se pencha sur Hestia. Elle était si frêle et si pâle, qu’il prit son temps pour la toucher. Il était au courant pour son don et voulait s’y prendre avec précaution. Alors qu’il posa ses mains sur la blessure, il sentit que les chaires de son rein se refermaient sur la balle encore présente. Après avoir pris un peu de temps pour la stabiliser, il alla chercher de l’aide.

_ Si je continue, je vais faire cicatriser son rein autour du métal. Il serait mieux de faire enlever la balle avant, expliqua Vikthor anxieux.

Le nouvel Elu s’était promis de venir en aide à Hestia pendant tout le trajet, pour la fille qu’il avait vu lors de son intronisation, pour celle qui avait un prénom étrange, pour Manon. Elle ne devait pas mourir. Alors que Vikthor expliquait son problème à Paskhal, Gaultier proposa son aide.

_ Mon don de magnétiseur pourrait me permettre d’enlever le projectile sans même la toucher, intervint Gaultier. Ce sera net et précis.

_ Très bien, c’est ce dont elle a besoin. Suis-moi.

Soulagé, Vikthor reprit sa place au chevet d’Hestia. Il devait être prêt à intervenir dès que Gaultier aurait sorti la balle or l’Elu des Hylés n’eût besoin que de quelques secondes pour la déloger du rein. Ses doigts bruns s’activant à quelques centimètres de la blessure. Une fois fait, Vikthor pris la suite et posa ses mains sur Hestia.

_ A nous de jouer maintenant, souffla-t-il

Hestia, perdue dans une sorte de rêve, sentie alors des mains se poser sur le haut de son ventre et à ce contact la douleur disparue. Elle avait l’impression de sentir son corps guérir d’un coup sous des paumes chaudes qui la ramenaient peu à peu à la vie. Plus elle reprenait conscience plus des images lui apparaissaient. Des souvenirs de l’attaque mais aussi le passé d’un jeune homme qu’elle ne connaissait pas encore. Quand elle ouvrit les yeux alors que des mains étaient toujours posées sur son ventre nue, Hestia offrit un sourire à son sauveur.

_ Vikthor, chuchota-t-elle sereine.

Tandis qu’il acquiesçait, il lui rendit un sourire timide. Alors qu’il avait fini de la soigner, elle posa une main sur les siennes et de nouvelles images du jeune homme lui parvinrent. Contrairement à la plupart des gens, Vikthor n’esquiva pas le geste et la laissa faire, conscient qu’elle pouvait tout voir de lui et de son passé. Voyant qu’il n’avait rien à cacher, Hestia rompit de nouveau le silence d’une voix plus assurée cette fois :

_ Vous l’avez vu ? Elle a réussi à vous appeler.

Elle faisait référence aux images qu’il avait vu pendant qu’il se liait à Bénédit et pour la première fois, Vikthor se décida à rompre le silence. 

_ Je ne sais pas si elle m’a appelé, mais oui je l’ai vu. Il y avait quelque chose qui me disait que je devais venir ici au plus vite. Pourtant, elle ne parlait pas mais depuis que j’ai vu son visage, j’ai su que je devais vous sauver, expliqua Vikthor.

_ Non, depuis que vous l’avez vu, vous avez su que vous deviez LA sauver, rectifia Hestia, les larmes aux yeux.

Le jeune homme, partageant sa peine, lui serra la main. Il connaissait la perte d’un être chère et savait ce qu’elle pouvait vivre. Vikthor voulait à nouveau lui venir en aide mais il ne savait pas comment. Gaultier venait de les laisser pour aller chercher Paskhal et leurs enfants quand Hestia se mit à divaguer.

_ Le rouge, l’orange et le jaune doivent s’allier. Vous, le nouvel Elu, vous devriez aller chercher ma future Elue. Ramenez là auprès de vous et l’orange vous aidera à protéger tous les argentés souffla-t-elle avant d’être coupée par l’entrée de sa famille.

Vikthor, surpris par les paroles entendues, tarda à lui lâcher la main. Ce fût les remerciements de Paskhal qui le ramena dans le présent.

 _ Vous lui avez sauvé la vie et j’en serais toujours reconnaissant.

 _ Je vous laisse faire vos retrouvailles, répondit simplement Vikthor en rejoignant Gaultier qui l’attendait dehors.

Après une brève accolade entre les deux hommes, les Elus se mirent l’idée en tête d’enquêter sur ce qu’il s’était passé à Eybure.

_ On ne peut pas s’en prendre aussi impunément à la famille du conciliateur dynaste, qui de plus est l’Elu des Kalokas, déclara Vikthor.

Investis dans la démarche, ils interrogèrent ensemble la famille des Bauthmy, premiers présents sur les lieux. Nazar était abattu, assis par terre à l’écart, il s’en voulait de ne pas avoir été présent pour Manon. Il refaisait l’histoire dans sa tête et se demandait si tout cela se serait déroulé, si lui aussi était resté à Eybure au lieu d’être avec Endza.  Alors que Nazar s’apitoyait, Zaven tendit un foulard rouge à Vikthor.  

_ Il appartenait à Manon, elle vous soutenait. Vous étiez son Elu avant même l’intronisation officielle et aurait aimé vous rencontrer. Jusqu’à ce qu’on la retrouve, vous devriez le garder, rajouta Zaven à la fin de leur entrevue.

Silencieux face à cet aveux, Vikthor serra le foulard dans son poing. Il ne connaissait pas Manon, cependant il se sentait lié à elle et c’était la seule chose physique qui le ramenait à elle. Gaultier nota lui le prénom de Loris et le peu de description physique que lui avait fait Zeroual : un homme brun aux cheveux bouclés et à l'air sadique.

_ Hestia, une fois reposée, pourra sûrement nous en dire plus, supposa Vikthor.

Tandis que les Elus menaient l’enquête, le ministre Asage n’était jamais loin, toujours dans les parages tout en gardant ses distances. Cela exaspérait au plus au point le frère et la sœur Peyrache qui se contenaient en public pour ne pas s’emporter.

_ Allez, serrez les dents et rappelez vous qu’il a permis à tout le monde de venir ici au plus vite. Il pourra peut-être nous aider à retrouver ce fameux Loris et les filles de Paskhal quand on en saura un peu plus, les apaisa Gaultier.

Les jours suivants, Vikthor les passa à aider Artur à poser des affiches sur ses deux sœurs disparues. Le jeune Elu en avait même gardé une pour lui et à chaque fois qu’il posait ses yeux dessus, il avait du mal à détacher son regard du portrait monochrome de Manon. Ladite affiche avait fini par rejoindre la poche de Vikthor où se trouvait déjà son foulard perdu.

Totalement guérie mais bouleversée Hestia revint à son domicile le même jour mais Arthur insista pour que son ami assiste au transport, au cas où il subirait une nouvelle attaque. De plus, Hestia avait perdu l’appétit depuis la rafle de ses filles et était fragile moralement. Elle fût d’ailleurs ravie de revoir Vikthor. Il lui avait sauvé la vie et elle lui en était reconnaissante.

_ Je suis ravi que ça aille mieux mais il vous faut vous reposer. Vous n’aiderez pas vos filles en étant si faible, insista Vikthor heureux de pouvoir aider la famille Agape.

Son enthousiasme fût de courte durée quand il vît que Garnel Asage les attendait patiemment devant la maison. Peu enclin à la patience, Vikthor s’éclipsa si tôt après avoir aidé Arthur à transporter sa mère jusque dans sa chambre. Morose et épuisée Hestia n’avait pas la force de marcher jusqu’au lit. N’en déplaise à l’Elu des physés, le ministre avait tenu à faire part de ses amitiés et de son soutien à la famille Agape.

_ Je souhaiterais remercier le ministre pour son implication, chuchota Hestia. Fais-le venir à mon chevet.

Mal à l’aise, Garnel avait toutefois consenti à s’assoir dans un fauteuil près d’elle pour lui faire la discussion. Fatiguée, Hestia avait du mal à parler et l’entrevue s’éternisait quand le ministre commença à trouver le temps long. Tandis qu’il regardait sa montre, le tissu tendu de sa chemise laissa apparaitre une mince ligne de peau entre sa manche et son gant. Hestia, dans un grand effort, en profita pour lui saisir le poignet et tenter de lire son passé.

Bien que Garnel Asage fût pris de court, il se dégageât vite. Pourtant, il eut le temps de sentir qu’elle avait lu quelque chose en lui. D’un bon il se leva, furieux et tendu comme un arc. Tandis qu’il regardait la sirélienne comme une bête féroce prête à lui sauter dessus, les mains crispées au-dessus d’elle, Hestia le défiait du regard l’incitant presque à passer à l’acte. C’est à ce moment que Paskhal sorti de l’embrasure de la porte pour s’interposer. Il fulminait de colère et son aura d’un noir pailleté rempli toute la pièce. Il était prêt à utiliser son don sur le ministre et sur qui conque s’en prendrait à sa bien-aimée.

_ Je vous déconseille de toucher ma femme. Quoi qu’elle ait fait, qu’elle fasse ou qu’elle fera, ne vous approchez plus jamais d’elle ! Gronda-t-il, en proie à la fureur.

Garnel Asage recula alors d’un pas et baissa le regard face à Paskhal qui le laissa sortir de la chambre tout en le suivant du coin de l’œil. Le ministre partit sans demander sans reste, aussi vite qu’il était venu et une fois fait, Paskhal se précipita au chevet de sa femme.

_ Ma chérie, qu’as-tu vu ? lui demanda-t-il, inquiet.

_ En réalité, moins qu’il ne le pense mais c’est peut-être déjà beaucoup, répondit sa femme.

_ Dis-moi tout, Hestia.

_ Une seule chose, un coup de téléphone. Il a déjà entendu parler de Loris, celui qui m’a tiré dessus et enlevé nos filles. Garnel Asage était hors de lui après l’attentat. Il parlait de lui avec agacement. J’ai juste entendu du qu’il disait ‘‘ Ce Loris est fou, on ne tire pas sur un Elu ! Jamais ! Heureusement que Bénédit est chanceux, c’était irréparable sinon’’ expliqua Hestia d’une voix frêle.

_ Et c’est tout ?

Hestia acquiesça, les yeux brulant de sommeil.

_ Mon amour, reposes toi. Je vais enquêter sur tout cela. Si Garnel à un lien avec l’attentat, l’enlèvement de mes filles et ta blessure, je vais le découvrir. Ne t’en fais pas.

Paskhal laissa alors sa femme dormir un peu et congédia son fils. Il avait besoin de prendre un peu de recul et réfléchir à tout cela. Il demanda même à Endza de passer la nuit chez les Bauthmy. Il fallait qu’il soit seul pour remettre de l’ordre dans ses affaires et mieux appréhender l’avenir. La vision de sa femme ne prouvait rien en réalité mais s’il avait eu vent de ce Loris, pourquoi ne lui en avait-il pas parlé ?