– C’est par là, lui indiqua Pareski à voix basse.
Le bras droit en écharpe dans sa main gauche, Clément ne put qu’acquiescer, les dents serrées. Gérer la douleur lui faisait perdre toute notion de géographie.
Il obéit au paysan qui lui fit signe d’attendre, et s’adossa à un arbres pour souffler. Du sang collait sa chemise, sous l’omoplate, depuis sa roulade dans les racines. Il jeta un coup d'œil derrière lui pour vérifier qu’il ne laissait pas de tâches brunes faciles à suivre.
Pareski revint le chercher, l’épée qu’ils avaient récupéré sur le colosse en main. Ils descendirent en direction d’un bruit d’eau, et débouchèrent sur une grève de galets gris.
– C’est là qu’Melska vous a trouvé.
Clément plissa les yeux. Un bras d’eau large d’une dizaine de pas reflétait le soleil en bruissant calmement. Plusieurs nasses attendaient sur la berge. Pareski remplit une outre sortie de sa besace, mais le pressa d’un geste.
– Melska ?
Les épaules de Pareski se tendirent sous sa chemise.
– Vous avez même pas d’mandé son nom ? cracha-t-il.
Clément baissa les yeux, les oreilles cuisantes.
Ils longèrent le cours d’eau quelques minutes en silence, puis son guide lui indiqua de la tête une zone d’eau plus claire, et s’engagea dans le gué.
– J’sais où qu’on peut s’cacher, dit-il en vérifiant qu’il suivait.
Clément le rejoignit avec prudence. L’eau leur arrivait aux genoux, mais le courant semblait fort. Pareski n’hésitait pas, il n’était pas blessé et il connaissait manifestement bien ce chemin. Arrivé au milieu, il se baissa pour s’asperger le visage d’une main.
– Melska comment ? demanda-t-il en traversant la seconde moitié du gué, haussant la voix pour couvrir celle du fleuve.
Pareski leva les bras au ciel.
– Vous pouvez m’appeler Clément, offrit-il en se penchant pour monter le sentier sur l’autre berge.
Pareski grogna sans se retourner.
Au bout d’une ascension assez raide, le paysan bifurqua au travers d’un bosquet de ronces. Clément serra son bras blessé contre lui et le suivit. L’ombre d’une petite falaise écrasa celle des arbres.
Entre deux pans de roche couverts de mousses s’ouvrait une entaille naturelle guère plus large qu’un cheval et moins haute que lui. Pareski s’y glissa sans hésiter.
Clément leva les yeux vers le haut de la falaise, deux ou trois mètres plus haut, guère plus. Le vent se glissa dans son cou, lui tira un frisson. Après une dernière hésitation, il baissa la tête et pénétra lui aussi dans la grotte.
Un silence humide l’accueillit.
Les rapports mentionnaient ces lieux où les derniers marnants continuaient à se rassembler, bravant l'opprobre et la justice. Malgré le peu qu’il en voyait grâce au jour qui filtrait par l’entrée, l’ambiance de cette grotte faisait se hérisser les poils sur ses bras. Dans un coin, la forme d’un autel se découpait dans l’obscurité. Au-dessus, une série des masques inspirés d’animaux et d’éléments naturels avaient été suspendus.
Sa main chercha sa médaille de Saint Clément à son cou, ne trouva que sa peau.
– Restez pas d’bout. On a pas beaucoup d’temps. La battue ira d’abord de l’autre côté j’pense, mais ils finiront par venir vérifier ici. R’tirez votre chemise.
Clément serra son bras douloureux contre lui un instant, avant d’accepter. La douleur avait l’air de stagner, mais il ne pouvait vérifier seul le saignement.
– Ça saigne d’jà plus, constata Pareski. Z’avez de la chance. C’est juste la peau qu’a trop tiré…
Le fermier cessa de parler et le fixa.
– Ai-je quelque chose sur le visage ? marmonna-til en tirant sur le bas de sa chemise de sa main valide.
– N- Non rien.
Les yeux plus habitués à l’obscurité, Clément se leva. Près de l’autel, un renfoncement avait été creusé pour y ranger des objets de culte. Au milieu de la grotte, dans un petit foyer éteint, une petite céramique en forme de chèvre émergeait des cendres.
– Alors. Vous m’aidez ? fit Pareski en se levant aussi. J’suis pressé.
– Non, répondit-il en s’éloignant un peu dans la grotte, curieux. Mais je veux l’aider elle. Je lui dois la vie. Et chacun de notre côté je ne vois pas comment on peut la sortir des geôles de Pranin…
– C’pas les geôles le problème, dit Pareski en essuyant sa coupure au visage avec un bout de chiffon. Elle leur a dit qu’c’était vot’ sœur. Ils vont la pendre…
Clément toussa et se retourna, hilare. Le craquement de phalanges qui résonna dans la grotte quand Pareski serra les poings doucha son amusement.
– Ecoutez, elle a menti pour vous protéger, c’est tout, dit-il en appuyant sur son épaule pour calmer les élancements.
– Melska s’est brûlé l’pied l’jour où elle vous a trouvé pour cacher sa macule, insista Pareski, glacial. Vous allez m’dire que c’est à la mode dans les grandes villes ?
La claudication. Clément referma la bouche. Était-ce la raison pour laquelle elle lui avait porté secours ? C’était une bâtarde ?
– Soit, admit-il en se frottant le cou. C’est une... enfant illégitime. Cela ne fait pas d’elle ma sœur pour autant.
L’ombre de Pareski éteint la lueur qui entrait par la fissure. Clément recula d’un pas sur l’argile glissante, tenta un geste d’apaisement.
– Dans tous les cas, dit-il, vous avez raison. Les miens ne seront pas heureux de la voir arriver dans les geôles, et les révoltés vont vouloir lui passer la corde au cou. Se battre ici n’aide la cause de personne. Quand nous l’aurons retrouvée, elle pourra s’expliquer.
– Qu’est-ce que vous proposez ?
– En échange, vous m’aiderez à rallier mon père.
Pareski lui tendit une grosse main calleuse, mais comprit qu’il ne pourrait pas la lui serrer avec sa main droite, et changea pour lui tendre la gauche. Clément la serra en s’attendant presque à ce que le paysan lui écrase les doigts, mais non. Il semblait avoir retrouvé son calme.
– Il nous faut des chevaux, dit-il en récupérant son épée par terre. Pour avoir une chance de les rattraper avant Pranin.
Son regard tomba sur les figures animales attachées à la paroi de la grotte.
– Et des masques. Parce que je pense que vous n’avez pas plus envie d’être reconnu que moi.
Pareski passa près de lui pour rejoindre le renfoncement, y fouilla un moment et revint avec un paquet poussiéreux à l’odeur de cuir.
– Grands esprits pardonnez-moi, murmura-t-il en l’ouvrant.
Clément prit l’un des masques cornus avec précaution, touché par l’importance que Pareski semblait leur apporter. Il lui rappela la petite chèvre grise qui accompagnait Melska partout.