Rapport d’expérimentations (extrait) :
Tests comportementaux avec l’A-Ph. Le sujet de test a été diagnostiqué sans trouble mental.
[…]
Après quatre mois avec une utilisation quotidienne de l’Anneau, le sujet semble désormais présenter des symptômes d’hypoesthésie. Nous allons continuer les tests pour nous en assurer.
Archives de l’Apsû, pôle scientifique, 1990
« …Donc, si je comprends bien, il y aurait quelqu’un qui s’en prend aux Porteurs, c’est ça ? »
« C’est ce que nous supposons, oui. Mais sans piste concrète, nous ne pouvons rien faire… »
« Ouais. » Approuve Sacha, « Sinon je serais déjà allé botter des culs. »
Ni Mathieu ni moi ne relevons son commentaire.
Je réfléchis un instant, puis me décide à poser la question qui me tourne dans la tête depuis un moment déjà : « Si vous dites que mon Anneau est associé à la terre, est-ce ça signifie qu’il y a un Anneau pour chaque élément ? Pour les quatre éléments, je veux dire… »
« Oui… » commence Mathieu, mais que je coupe aussitôt : « Donc il y en a un de feu ? »
« Effectivement… Pourquoi ? »
« Je… j’ai perdu mon père dans un incendie, provoqué par un homme… Un homme que j’ai vu faire des choses étranges… du genre, sortir de ma maison en flammes, avec du feu sur son gilet, qu’il a négligemment éteint à main nue… Et quand je l’ai évoqué à mon oncle, il a pâli et semblait savoir de qui il s’agissait. D’ailleurs, mon père en avait peur, mais a dit qu’ils étaient amis ! »
Le duo m’a écouté avec attention, apparemment préoccupé l’un comme l’autre.
C’est Sacha qui rompt le silence en premier, lâchant un très peu élégant juron !
Son ami, pour sa part, se penche vers moi alors qu’il explique à voix basse : « Je ne sais pas qui est ce type, mais il est en possession d’un des Anneaux avec la plus mauvaise renommée : celui du Phénix. Pour ce que j’en sais, outre de permettre à son propriétaire de générer des flammes, il donne des capacités de guérisons accrues… et il exacerbe les pulsions destructrices. Ses Porteurs ont pour la majorité des réputations de fous. Il est l’un des Anneaux que l’Apsû cherche le plus à confiner ! »
« Tu es sûr que ton père a dit que c’était son ami ? »
Sacha est étonnement calme pour une fois…
« Oui, c’est ce qu’il a dit. »
« …Tu veux mon avis ? Il en avait après l’Anneau d’Excalibur. Et il doit être toujours à sa poursuite… à tapoursuite, donc. »
Elle me tend brusquement la main, avec une raideur qui témoigne de sa réticence, alors qu’elle enchaine : « Allions-nous. Nos familles et ton père ont été attaqués sur une période trop courte pour que ça soit un hasard… Il doit y avoir un lien. Si l’on trouve ton pyromane, on trouvera peut-être des réponses sur ceux qui se sont attaqués à nous… Alors ? Tu marches ? »
Je considère sa main un instant, puis je m’en saisis fermement, alors que je la foudroie du regard.
« Je ne t’aime pas et tu ne m’aimes pas non plus… Mais je pense qu’on peut bien mettre nos différents un peu de côté. D’accord : je marche. »
On tente mutuellement de se broyer les doigts, alors que ma nouvelle alliée ricane : « Bienvenue dans l’équipe, alors, bébé bretteuse ! »
« Merci de m’accueillir, discolored-puppy. »
Depuis le canapé, Mathieu pousse un retentissant soupir.
« Au moins, vous vous parlez sans vous écharper, c’est déjà un début, je suppose… »
À cause de l’heure qui tourne, nous sommes contraints de nous séparer. Hector risque de faire une syncope si je reste trop longtemps ici…
Nous promettons de nous continuer notre conversation dès que possible, puis je quitte la maison, en compagnie de Mathieu qui a proposé de me tenir compagnie en attendant que mon oncle arrive.
Alors que nous remontons la ruelle à pas tranquilles, j’avise soudain son sac, dont dépasse de nouveau une tête qui ne m’est pas étrangère : le chaton à la mèche blanche de Sacha !
Que fait-il là ? Et quand a-t-il grimpé dans le … ? Je m’interromps, alors que j’ouvre des yeux ronds.
Mon compagnon s’arrête à son tour, surpris.
« Un problème ? »
« Ne me dis pas que ce chat est bien ce que je crois. »
L’animal roule des yeux, avant de chuchoter avec une voix bien connue : « Je me sers de cette forme pour rester avec Mathieu, sans que l’Apsû me voie trop en sa compagnie, d’accord ? Ils savent que ma famille à un Anneau, contrairement à celle de Mathieu… donc je prends mes précautions. »
Nous recommençons à marcher, avec moi qui jette des œillades moqueuses à la Porteuse transformée.
Heureusement pour sa patience, Hector ne tarde pas trop à arriver au carrefour où je lui ai donné rendez-vous.
Tandis que je rentre dans sa voiture, mon oncle baisse sa vitre pour regarder Mathieu… qui lui offre un sourire empli de gentillesse et d’innocence !
« Bonjour, monsieur ! »
« Bonjour… Tu es l’ami avec lequel Diane était venu faire son exposé ? »
« Non, je suis juste un de ses camarades de classe ! Je passais dans le coin et en voyant votre nièce, j’ai décidé de parler un peu avec elle ! »
Il offre un tel tableau de candeur et d’honnêteté, qu’Hector s’adoucit.
« Oh, et bien, je suis content de savoir que Diane s’est fait au moins quelques amis… Une bonne journée, jeune homme… »
« Mathieu, monsieur ! »
« Mathieu. Je note. »
Il s’échange encore quelques politesses, puis mon oncle se décide à démarrer, faisant crisser ses pneus.
« Il a l’air d’un brave garçon », commente-t-il, alors que j’adresse à travers la vitre arrière, un signe de la main à mon camarade.
« …Oui. C’est vrai. »
« Tu t’entends bien avec lui ? »
« Pas trop mal… Mais on ne s’était jamais vraiment parlé avant… »
« Je vois, je vois. »
Heureusement pour mes nerfs, il n’insiste pas plus.
J’espère que ce traître ne s’intéressera pas davantage à Mathieu.
Après le repas aussi pauvre en discussions que d’habitude, je suis vite allé m’enfermer dans ma chambre.
Dans la nuit qui tombe, je reste à mon bureau, à relire encore et encore les mêmes consignes sur mon livre de mathématique... Je ne parviens pas à faire mes devoirs, l’esprit bien trop remplit pour ne serait-ce qu’espéré réussir à me concentrer.
Les Anneaux, le pyromane, Sacha et Mathieu, l’Apsû, Hector… Trop d’informations, en trop peu de temps !
J’ai beau serrer dans mon poing ma chevalière, ses ondes apaisantes n’ont pas autant d’effets qu’à l’accoutumée.
Sûrement à cause de ma nouvelle connaissance de ses capacités, qui ne sont pas aussi sans risque que je ne l’avais cru.
Mathieu m’a expliqué que les Anneaux avaient tous tendance à avoir certains effets secondaires sur leur Porteur.
Si celui du Phénix exacerbe, entre autres, les pulsions destructrices, celui d’Excalibur gonfle la confiance en soi… mais parfois trop. Si je ne fais pas attention, je cours le risque de perdre la notion de danger, apparemment.
Ce qui serait une mauvaise idée dans ma situation.
L’heure avance, alors que la nuit se fait de plus en plus sombre, en dépit des éclairages publics.
Je repousse violemment mon cahier d’exercices et mon livre de cours !
Plus j’essaie de penser à autre chose que les Anneaux, plus ils semblent prendre du plaisir à m’obséder !
J’ai besoin d’air. J’ouvre ma fenêtre en grand et me penche vers l’extérieur, emplissant mes poumons d’air frais !
Un geste qui me sauve.
En effet, sans cette crise qui m’a conduite à regarder dehors, je n’aurais pas pu voir l’homme qui s’approche à grands pas tranquilles.
Celui-ci passe près d’une fenêtre du salon, la lumière de l’intérieur accrochant ses mèches brunes coiffées en épis.
Je me glace.
Aucun doute, c’est lui !
Dans la semi-pénombre, je peux enfin découvrir le visage du meurtrier de mon père, alors qu’il s’arrête près du perron.
Un profil d’oiseau de proie, appuyé d’un léger bouc, un demi-sourire railleur…
Je ne vois pas la couleur de ses yeux, évidemment, mais j’en perçois toute la malice.
Comme dans un rêve, je le vois lever la main devant lui… puis les flammes attaquer.