Chapitre 12

— Visiblement tu as fini par me voir...

Ses doigts s'enfoncèrent dans ma chair et elle rapprocha ses lèvres de mon cou, qu'elle put facilement atteindre avec ses talons. Elle me maintenait pour m'empêcher de me tourner vers elle.

— Tu croyais vraiment que je ne t'avais pas vu ? me susurra-t-elle à l'oreille.

— Non, je n'y ai pas cru une seule seconde...

Elle finit par me relâcher et après m'être rapidement essuyé les mains, je me tournai vers elle. Un sourire victorieux s'était dessiné sur son visage.

— Tu croyais vraiment que j'allais venir vers toi avec autant de monde aux alentours ?

— C'est bien ce que je me disais... Et c'est quoi ton plan par rapport à ta dernière vidéo où on y entend ma voix et où tu portes ma chemise ?

Elle pencha la tête. Pendant quelques instants, elle me semblait bien plus innocente et naïve. Rien à voir avec la femme calculatrice avec qui j'avais affaire depuis quelque temps.

— Tu as donc vu ma dernière vidéo.

L'air malin dans sa voix était très déstabilisant. Et il y avait aussi un étrange air enfantin.

Soudainement, elle me prit par la cravate pour m'attirer dans une des cabines et ferma la porte derrière nous. Elle me plaquait contre le mur et son corps n'était plus qu'à quelques centimètres du mien.

Je compris rapidement l'intérêt de cette action quand j'entendis quelques pas dans les toilettes puis l'évier qui se tourna. Quelqu'un venait d'entrer dans les toilettes. Et aucun d'entre nous n'avait envie d'être découvert...

Voulant jouer avec ses limites, une de mes mains se posa sur sa taille puis remonta petit à petit sur son sein. La dentelle noire et fine de son body glissait délicatement sous ma peau. Elle s'empara de ma main pour renforcer ma pression sur son sein.

De son index, elle caressa ma lèvre inférieure. Délicatement. Un geste bien plus doux qu'à son habitude. Et j'eus l'impression de voir quelque chose se briser dans son regard. Peut-être qu'une pensée passagère venait de la brusquer de plein fouet.

L'eau s'arrêta de couler et la personne quitta la pièce. Mais son air hagard ne s'effaçait toujours pas.

J'éloignai ma main de son sein, par crainte de l'enfoncer davantage dans son mal-être.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? osai-je demander.

Elle resta muette tout en continuant de dessiner le contour de mes lèvres de son index.

— Tu n'as aucune idée dans quoi t'es en train de te fourguer, murmura-t-elle, un brin menaçante.

Et elle non plus...

— Tu fuiras. Comme les autres. Et tu me laisseras seule.

Ses lèvres se collèrent aux miennes pour m'embrasser d'un doux et lent baiser. Un baiser bien moins sensuel et aguicheur que les précédents. J'avais l'impression de réellement l'embrasser, de réellement la toucher...

Mes mains se posèrent sur son cou et notre baiser s'emballa. Elle reprenait alors le dessus, juste pour balayer ce moment de doute... de faiblesse.

Quand elle s'arrêta, elle dégagea légèrement mon écharpe pour apercevoir les traces qu'elle m'avait laissées la dernière fois.

— J'aurais vraiment pu faire bien pire... J'ai été si gentille et en plus, ils commencent déjà à s'effacer.

C'était vraiment comme si ces quelques secondes n'avaient jamais existé. Vraiment, la solitude était un énorme problème de son côté. Mais nous n'allions clairement pas en parler dans les toilettes alors que des tas de personnes pourraient nous surprendre...

— Réponds-moi sincèrement, tu l'as fait exprès de laisser un bout de ma voix dans ta vidéo ainsi que de porter ma chemise que tu m'avais volée ?

— Voler est un bien grand mot. Je dirais plutôt emprunter et tu pourrais venir chez moi pour la récupérer. Serais-tu libre vendredi soir ?

— Je crois que je n'ai pas d'autres choix que d'accepter...

Elle rapprocha ses lèvres des miennes, les frôlant légèrement, puis se dirigea vers mon cou où elle y déposa un bref et tendre baiser.

— Tu n'as tout de même pas répondu à ma question et tu te défiles. Serait-ce un joker que tu utilises ?

Son regard se plongea dans le mien, un brin inquiète. Jamais je ne l'avais vue aussi hésitante, aussi fragilisée. Peut-être que je venais de taper dans un endroit où elle n'avait rien prévu... Peut-être qu'il y avait encore quelques zones où elle n'avait aucun contrôle. Serait-ce sa part sombre ? Celle que je voulais tant découvrir.

— Ouais... J'utilise un joker.

Son ton était grave, comme si elle devait accepter une terrible défaite. C'était bien la première fois qu'elle osait m'arrêter. Même moi je l'avais suivi dans tout ce petit jeu, quitte à ce que ça joue sur mes nerfs. Alors, pourquoi cette question avait-elle dépassé ses limites ? Qu'est-ce qu'elle sous-entendait derrière ça ?

Et de nouveau, je vis ses cicatrices à vif, même si j'en ignorais l'origine. Alors, naturellement je la pris dans mes bras et caressai délicatement sa chevelure. Elle respirait lentement ou sanglotait silencieusement. Quelque chose venait de violemment la frapper. Mais soudainement, ça n'avait aucune importance, je n'avais pas envie de la voir dans un tel état.

— Ce n'est pas grave, tentai-je de la rassurer. J'avais juste peur qu'on me reconnaisse... Mais il y a probablement peu de chances.

— Complètement aucune, m'affirma-t-elle d'une faible voix.

Elle me serrait fermement contre elle, s'agrippant à mes omoplates, toujours avec la même respiration aussi lourde.

— Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? m'enquis-je, un peu perdu par son attitude.

— Non... C'est déjà suffisant ça.

Pendant de longues secondes, je la tenais contre moi tandis qu'elle peinait encore à respirer simplement. Et au final, je commençai à être aussi perturbé qu'elle. J'avais vraiment eu envie de tirer une sale histoire sur elle pour briser cette image impeccable et bienveillante qu'elle voulait se donner... Mais en la voyant ainsi, aussi brisée, j'étais sur le point de reconsidérer tout ça.

Après tout, je pouvais me contenter d'une partie de jambes en l'air et d'un jeu sur nos limites mutuelles. Pourquoi pas... Et peut-être qu'une étrange connexion venait de naître entre nous. Pas le genre de connexion conventionnelle. Et j'avais juste l'impression d'être devenu le pire des connards pour elle...

Elle me relâcha et prit une longue inspiration. Un sourire se dessina sur son visage. Mais pas comme d'habitude. Plutôt un sourire pour cacher sa soudaine misère.

Elle caressa délicatement ma joue du revers de sa main puis quitta la pièce sans dire un mot. Pendant un instant, je fus incapable de bouger, quand bien même je n'étais pas dans le meilleur endroit pour me perdre dans quelques réflexions.

Que venait-il de se passer ?

Rey avait tellement de facettes que je peinais à la comprendre. Ou peut-être qu'elle n'en avait qu'une qu'elle tentait tant bien que mal de dissimuler.

Dans le fond, je n'en avais plus la moindre idée désormais.

Après une longue inspiration, je me décidai enfin à quitter les toilettes. Heureusement, personne n'était venu m'interrompre pendant cette brève absence. Et de toute manière, je n'avais toujours pas totalement retrouvé mes esprits.

Sur le chemin vers ma table, mon regard croisa celui de Rey. Pour une fois, elle répondit. Avec un léger sourire. Et c'était probablement l'interaction la plus explicite que nous avions eue en privé. Alors, je lui souris en retour, même si j'étais encore assez peiné de l'avoir vu aussi vulnérable.

En revenant m'asseoir à ma place, Armie se tourna vers moi, sans dire un mot, et arqua un sourcil. Il était persuadé que j'avais tenté de prendre contact avec Rey, mais il ignorait à quel point nous avions échangé.

— Rien à signaler, lâchai-je simplement pour ne pas éveiller les soupçons des deux filles.

Il ne dit rien et se contenta de m'adresser une mine déçue.

Mon regard ne pouvait plus quitter Rey et même si elle semblait toujours aussi enthousiaste qu'avant, aussi rayonnante, je percevais encore ses cicatrices à vif. Elle s'était laissé ouvrir bien plus profondément cette fois-ci... Mais j'étais persuadé qu'elle se refermerait tout aussi vite.