PRESENT : ELIJAH
Il entra dans la demeure en jurant, poussant la porte brutalement. Les quatre enfants qui jouaient aux cartes dans le salon lui jetèrent des regards étonnés mais il ne s’en soucia pas.
- Où est Nilt ? demanda-t-il, essoufflé : Je dois lui parler immédiatement !
Un petit garçon lui dit que Nilt était à l’étage, en train de ranger les chambres. Elijah le remercia rapidement et s’empressa de grimper les escaliers. Il trouva celui qu’il cherchait au deuxième étage et l’interpella d’une exclamation à la fois soulagée et démunie. L’homme se retourna et avisa Elijah. Il fronça les sourcils.
- Où sont Nethan et Jio ? demanda-t-il : Pourquoi tu ne rentres que maintenant ?
- Je n’en sais rien !
Voyant que quelque chose n’allait pas, Nilt prit Elijah par l’épaule et le fit s’asseoir sur un lit tout proche, lui demandant de tout lui raconter. Elijah ne se fit pas prier, tapant nerveusement du pied, il commença à débiter les évènements de la veille au soir. La promenade dans Kerron, l’étrange sentiment de Jio, l’auberge, leur recherche du mur d’enceinte pour retrouver leur chemin, puis l’impasse, l’attaque.
- Ils étaient cinq ! Tous des mages. Je n’ai pas eu le temps de voir ce qu’il s’est passé pendant que j’essayais de me défendre. Il y en a un qui m’a attrapé, j’ai essayé de partir, j’ai essayé de lui faire mal avec ma magie ! Mais mon pouvoir n’a pas répondu ! Et puis on m’a donné un coup dans la tête, je suis tombé. Juste avant de perdre conscience, je les ai vus qui emmenaient Jio et Nethan ! Au bon sang, Nilt, pourquoi j’ai un pouvoir si je ne peux pas m’en servir quand j’en ai besoin ?!
Des larmes étaient apparues dans ses yeux, il était secoué de sanglots. Nilt posa une main sur son épaule.
- Comment étaient-ils Elijah, les assaillants ?
- Je ne sais pas ! Il n’y avait que des hommes. Celui qui menait le groupe avait une cicatrice sur le visage et portait une cape. Je crois qu’il a dessiné quelque chose sur le sol, c’est comme ça qu’ils ont disparu !
- Addal… murmura-t-il.
- Quoi ?
Nilt lui rendit un regard sérieux.
- Je sais où ils sont. déclara-t-il.
- Alors qu’est-ce qu’on attend pour aller les chercher ?!
- Pas maintenant.
Pas maintenant ? Nethan et Jio venaient de se faire capturer et il fallait attendre pour aller les secourir ?! Mais à quoi jouait Nilt ?
- Pas maintenant, répéta-t-il, nous ne sommes pas prêts. L’endroit où ils sont allés est loin. Très loin. Il faut préparer l’expédition, il faut que j’appelle un ami, je ne peux pas laisser les enfants comme ça.
- Combien de temps est-ce que ça prendra ?
- Une semaine. Au minimum.
- Mais nous n’avons pas une semaine ! riposta Elijah.
Il fallait se dépêcher, ses amis étaient en danger. Mais Nilt secoua la tête.
- Nethan et Jio sont en sécurité. Se précipiter pourrait causer leur mort.
- Mais où sont-ils, bon sang ?!
- Au repère des mercenaires.
Les mercenaires ! Et Nilt prétendait qu’ils étaient en sécurité ! D’après ce qu’avait raconté Jio de son enfance, cet endroit était tout sauf un endroit où l’on pouvait se sentir en sécurité. Nilt semblait le savoir car son expression devint très sérieuse. Il se tourna vers Elijah.
- Je sais que ça peut te paraître insensé, Elijah, mais ils sont plus en sécurité pour l’instant que si nous allions les chercher. Je ne peux pas risquer que Soö les tue ! Je ne sais pas quelle sera sa réaction s’il apprend que je suis en vie. Nethan n’est pas intouchable. Mais Soö a besoin de Jio. Il ne peut pas s’en débarrasser. Elijah, s’il te plaît. Reprends ton calme. Je m’occupe de tout préparer. Repose-toi. Préviens les enfants qu’on va partir dans quelques jours. Ne sors pas du foyer. D’accord ?
Non. Pas d’accord. Elijah aurait voulu faire plus. Si ça n’avait tenu qu’à lui, il serait déjà en train de se lancer à la poursuite de ceux qui lui avaient ravi ses amis. Mais Nilt avait raison. Il ne fallait pas se précipiter. Et puis il était épuisé. Après avoir repris conscience, seul, au fond de l’impasse, il avait marchandé pendant un long moment pour obtenir une charrette. Et quand il avait enfin réussi à s’en procurer une, il avait fallu qu’il rentre au foyer. Il s’était perdu, tout seul, avait dû demander le chemin de la forêt à des passants. Il n’avait pas dormi de la nuit. Dans cet état, il n’allait pas être opérationnel. Il soupira, se laissa tomber sur le lit. Il essuya ses larmes d’un revers de main. Il ne fallait pas se laisser abattre. Nilt resta assis à côté de lui, en silence. C’était bien. Elijah avait besoin d’une présence, de quelqu’un sur qui il pouvait compter. Il regrettait que Jake ne soit pas là.
PRESENT : LE DUC NOWISE
Erlein Nowise enfila son manteau dans un mouvement agile et noua sa cape par-dessus. Il somma le palefrenier de préparer sa monture et s’en alla boucler ses bagages. Lorsqu’il redescendit, Samaër l’attendait, accompagné de sa meilleure espionne.
- Tout est prêt, fit-elle, nous pouvons partir sur le champ.
- Où sont les hommes que je t’ai demandé de ramener ?
- Il est imprudent de se déplacer sur les routes en gros comité. Cela attire les regards et nous ne serions que retardés. Il me semble que vous voulez arriver le plus vite possible. Votre pouvoir, le mien et celui de Samaër seront amplement suffisants pour nous défendre.
- Combien de temps durera le voyage ?
- Cela dépendra des problèmes que nous rencontrerons en chemin. Il y en aura au minimum pour un mois.
Un mois ! Au minimum un mois pour rejoindre la guilde des mercenaires ! C’était beaucoup trop long ! Il ne pouvait pas se permettre de perdre un mois entier pendant que Soö utilisait Jio à sa guise ! Il devait éliminer l’enfant ; ne fut-ce que pour empêcher Soö de retrouver ses pouvoirs, il devait éliminer l’enfant des ombres ainsi que tous les mages noirs et les mages d’ombres qui étaient en vie sur Sambremonde. Il aimait à se dire que ce n’était pas de la rancœur personnelle, qu’il faisait ça pour le bien de son pays, de son monde. Il se disait qu’éliminer les mages noirs était un mal nécessaire à la survie de la face magique. En découvrant que Jio était lui-même un mage noir, le Duc avait hésité. Son point de vue avait vacillé et, pendant un jour, ou peut-être deux, il s’était demandé s’il prenait le bon chemin. Mais à cette heure où le temps pressait, où Nethan et Jio étaient certainement aux mains de son indigne fils, il avait oublié ses doutes. Il se consacrait entièrement à son but. Il n’avait plus le temps d’attendre l’accord du conseil. Il fallait agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Peu importaient les conséquences. Il s’éclaircit la gorge.
- Nous partons. dit-il.
Et il se dirigea d’un pas décidé vers la porte d’entrée.