chapitre 12 initiation

12/ Initiation

Je suis officiellement un membre à part entière de la caste des Nourrisseurs. Tadi me remet ma carte d’accès à la zone de travail. Cette carte me donnera aussi les directives sur les travaux à faire et gardera en mémoire tous mes résultats. C’est une petite carte de la taille de ma main, argenté avec un liseré de plantes qui semble pousser le long. Je la range précieusement autour de mon cou. Les équipes de cueilleurs se sont rassemblées pour m’applaudir. Heureuse, fière, je traverse leur haie d’honneur pour commencer ma première journée de travail en tant que cueilleuse.

 

Les habitudes reviennent vite. Je retrouve le rythme de travail aux serres et malheureusement aussi Kotori… Je n’ai plus à souffrir de ses bassesses mais il semble toujours continuer à tourmenter Tadi et à disparaître le soir vers quelque endroit secret. Tadi est très attentionné avec moi et parfois travaille un peu à mes côtés. Nous discutons de tout et de rien. Je n’ose pas toutefois le questionner sur Kotori et leur rivalité. Maintenant que j’ai obtenu le statut de cueilleuse ce dernier semble me ficher la paix et je ne vais pas m’en plaindre. Mais je trouve injuste qu’il s’en prenne à Tadi de cette manière.

Un soir je tombe sur lui et sa bande qui continuent leur manège. Hateya est parmi eux. Elle parle à Kotori qui acquiesce et vient me rejoindre.

- Tu peux venir avec nous si tu veux.

- Non merci.

Je ne m’attendais pas à une telle proposition. A quoi pense-t-elle ! Ils sont responsables de toutes les misères depuis que je suis là et il faudrait que j’aie envie de faire partie de leur groupe !

Visiblement déçue elle s’éloigne et les rejoint. Certes la tentation est grande de savoir enfin ce qu’ils font mais la dernière fois ça m’a coûté cher ! De toute façon j’ai d’autres projets pour ce soir. Je compte bien profiter de mon retour au travail pour tester quelques autres portes va me permettre d’ouvrir ma carte d’accès officielle !

 

J’attends que tout soit calme et me glisse hors de ma cellule. Personne, c’est le moment parfait pour retourner discrètement à la grande serre. J’entends déjà dans ma tête Gérald me sermonner pour mon inconscience. Mais je suis seule maintenant alors tant pis !  J’en ai marre d’attendre, il faut que j’en aie le cœur net. Je teste de nombreuses portes sans succès. J’ai l’impression que cette nouvelle carte n’est pas le sésame que je croyais. Je me retrouve devant la porte de la serre de la vasque où j’ai malencontreusement passé une nuit entière. Et si finalement c’était le bon moment pour découvrir ce mystère-là ? Tant pis pour les plans et les idées je ne peux pas attendre d’aide de Gérald de toute façon. Alors doucement je m’approche de la porte. Je crains d’être repéré à chaque bruit. Je passe ma carte dans le lecteur : le voyant reste rouge. Verrouillée zut !

- Un problème ?

Je sursaute. Hateya est là, souriante.

- Tu m’as fait peur !

 - Tu veux entrer ici ? pourquoi ?

- Tu peux ouvrir ?

Mon ton est agressif mais elle continu de sourire.

- Bien sûr ! et elle m’ouvre la porte avec un badge.

Son air souriant et ravi m’exaspère. Elle entre avec moi et me suis jusqu’à la vasque.

- Ça fait loin pour boire de l’eau non ?

Je ne prends pas le temps de répondre à son sarcasme. J’avance vers l’eau et plonge mon regard dans celui de mon reflet…

 

Rien. Pas de voyage. Je suis énervée par la présence de Hateya.

- Va-t’en !  Ça ne va pas marcher si tu es là !

- Qu’est ce qui doit se passer ?

- Je vais voyager. Dis-je à contre cœur.

Hateya part dans un grand rire.

- Si tu es venue pour te moquer merci bien…

- Non, non, désolé. Haha enfin. Hum non je peux t’aider.

- M’aider ?

- Oui. Je sais ce que tu cherches

- Ça m’étonnerait !

- Si je t’assure ! tu veux encore rêver n’est-ce pas ?

- Rêver ?

- Oui rêver : voyager pendant ton sommeil.

Mon attention est focalisée toute entière sur ses dernières paroles. Ainsi elle sait ce qui s’est passé. Elle semble connaitre le rêve. Elle prend un air de conspiratrice et dit :

- Viens allons dans ta cellule je vais tout t’expliquer. Ça ne sert à rien d’être ici.

 

Je l’accompagne avec méfiance. Qui sait ce qu’elle est en train de manigancer ! Nous nous installons dans ma cellule. Elle ôte son masque, ce que je me garde bien de faire, et observe avec curiosité mes dessins au mur. Elle m’explique alors que la nuit, sans pilule nous pouvons rêver. Le cerveau nous emmène dans des endroits parfois magnifiques, parfois effrayants. C’est tout à fait naturel. Et comment peut-elle savoir ça ? Elle hausse les épaules.

- Rejoins-nous un soir, on t’apprendra à être une vraie Nourrisseuse. Kotori a voulu brusquer les choses et je n’étais pas d’accord avec ça. Mais maintenant tu peux nous rejoindre ! On va te former et tu feras partis de la bande !

- C’est quoi votre groupe exactement ? Que faites-vous le soir ?

- Je ne peux rien te dire pour le moment. Il faut que tu acceptes de passer l’initiation.

- Et elle consiste en quoi cette initiation ? lui répondis-je agacée

- Et bien… il faut rêver bien sûr !

- Rêver…

Pour y retourner il suffit de ne pas prendre sa gélule de nuit et de s’endormir. Tout cela a l’air trop simple, trop bizarre. Pourquoi les pilules nous empêcheraient de rêver si c’est naturel ? Que se passe-t-il dans cette salle à la vasque ? Elle me répond d’un sourire énigmatique mais n’ajoute rien. Super ! Elle veut m’aider mais ne me dit pas tout ! Elle repart en me souhaitant de « faire de beaux rêves ». Merci mais comment ça marche le rêve ?

Je prends la gélule de nuit dans mes mains. J’y suis tellement habituée que je n’y pense même plus. Ainsi elle nous empêcherait de rêver ? Je ne sais même pas ce qu’elle contient. Je prends une grande inspiration et la repose sur la table de chevet. Très bien quand il faut y aller, il faut y aller !

Je m’allonge sur mon lit et ferme les yeux. J’attends qu’il se passe quelque chose. Dans ma tête les pensées défilent. Je revois la vasque, la terre, je sens le froid. Je repense à mes courbatures, aux rires, à la peur, seule dans le noir. Je revois les yeux de Tadi. Puis je repense à Gérald, à Constance, à grand père… Tous ces visages qui dansent derrières mes paupières, tous ces visages qui semblent me harceler, me regarder, attendre de moi une réponse ! Je me tourne et retourne sans cesse. Comment faire pour dormir ! C’est de la torture ! Finalement je finis par me relever pour dessiner. Mes yeux divaguent, mon esprit s’apaise. La fatigue s’empare de moi et les yeux brulant de sommeil je m’étends sur mon lit.

 

Un groupe d’étoile en cercle, un cercle de femme. Les étoiles tourbillonnent, la tempête de neige me brouille la vue. J’arrive dans la clairière et entre dans la cabane. A l’intérieur il y a un grand feu et plein de femmes autour. C’est le conseil des gardiennes. Je plonge mon regard dans une coupe d’eau que l’on me tend mais j’ai peur de ce que je vais y voir. Mon reflet m’attend de l’autre côté de l’eau. J’ai de la peine à le voir, l’eau se trouble constamment. Mon guide me dit de ne pas avoir peur. J’ai peur de ne trouver personne en moi. Je dois plonger, plonger dans le froid et le noir… Je bascule sous la surface de l’eau. Au fond je suis attirée par une lumière. C’est l’éclat de ses yeux. Elle est là je la voie. Je l’attire jusqu’à la surface et la tire hors de l’eau. J’ai du mal à la remonter. L’eau est devenue boue et je suis aspirée. Je bascule et tombe à nouveau. Le froid, le noir, je m’enfonce tout au fond de l’eau.

 

Je m’éveille affolée, à me débattre dans mes draps. Je suis revenue. C’était un... rêve ! Bon pas des plus agréable mais j’ai réussi à y retourner ! J’ai tant de questions à poser ! Je pars à la recherche de Hateya mais Tadi m’interpelle en chemin : nous avons encore rendez-vous chez les Géniteurs. Tout cela commence à m’agacer. Je le suis à contre cœur.

Je retrouve Sia en salle d’examen. Je m’allonge de nouveau et tente de me relaxer. Elle m’endort rapidement. Au réveil je sens un peu de tension dans le ventre mais ce n’est pas trop douloureux. On me garde une trentaine de minute en observation et ensuite je peux retourner au travail. Cette fois elle ne m’a rien dit et ne répond qu’évasivement à mes questions. Pas très rassurant…

Je continue mes corvées aux serres et Hateya se joint à moi au moment du repas. Elle me regarde comme dans l’attente de quelque chose mais avec tous ces gens autour je n’ose rien lui dire. De retour du travail je tombe sur elle qui m’attendait dans la salle commune. Elle m’accompagne jusqu’à ma cellule. Je lui fais signe d’entrer mais elle refuse et discrètement me donne un casque et un lecteur de musique. Un clin d’œil et la voilà déjà repartie. Interloquée je m’allonge sur mon lit avec le casque et mets en lecture la musique. C’est très répétitif ces bruits de tambour ! Lancinant comme un cœur qui bat…

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