Chapitre 12 - Lancée dans les aventures

La fin du week-end fut revigorante. Mes parents me virent souriante, ce qui les rassura. Ma sœur Charlotte avait réussi son devoir de SVT et, les vacances d’hiver approchant, elle s’était bâti un programme de révisions à coup de quatre heures de maths par-ci, trois heures de physique-chimie par-là… Son enthousiasme me faisait plaisir. Elle avait des objectifs élevés. Depuis toute gamine, elle avait décidé qu’elle serait vétérinaire. L’annexe de la maison, que mes parents durent renoncer à transformer en chambre d’hôte, servit de laboratoire à cette passionnée d’animaux, qui tenta même l’élevage des chauves-souris, rendant sa pauvre grande-sœur hystérique, ma seule complaisance avec l’animal en question se résumant à quelques fantasmes de vinyle liés à Bruce Wayne. Bien plus que son bac S, qu’elle aurait avec mention sans que personne n’en doutât, elle donnait son maximum depuis son entrée en classe de première l’année précédente, afin que son dossier scolaire lui permette d’être admise dans la classe préparatoire « bio » qui était le tremplin vers le concours véto. J’adorais cette jeune fille qui, bien qu’elle m’ait pourri l’adolescence avec sa fascination pour les bestioles étranges, était intelligente, positive, et d’une gentillesse à toute épreuve. En grande sœur avisée, plus que jamais consciente que la vie prend parfois des virages inattendus, j’espérais de tout cœur que la sienne serait à la hauteur de ses espérances.

 

Je rentrai en TER dimanche en fin d’après-midi, impatiente de revoir Éric. Hélas, mon nouveau petit copain n’arrivait pas à échapper au dîner avec ses parents, dont la relation semblait se dégrader. Nous convînmes au téléphone de nous retrouver chez moi lundi soir vers 20 heures. Cela ne retardait que de vingt-quatre heures le moment de se retrouver.

J’en profitai pour appeler Mélanie afin de faire le point sur la logistique à mettre en place. Elle me proposa de passer chez elle une fois rentrée.

 

Nous restâmes longtemps devant le projet de modification de son annonce.

Il fallait d’abord décider du texte. Mélanie avait écrit quelque chose de sobre, mettant la prose initiale au pluriel, et délimitant bien les paragraphes correspondant à chacune d’entre nous. On comprenait que nous étions deux au même endroit. Nous avions droit à une description des plus flatteuses, au cas où les photos et la présentation des massages n’auraient pas déjà mis l’eau à la bouche du visiteur. On y apprenait donc qu’Alessia était une « brune méditerranéenne de vingt-et-un ans, aux formes généreuses et aux grands yeux noisettes » tandis que le descriptif de Lola mentionnait une « blonde élancée de vingt-deux ans aux jambes interminables dont les yeux bleus vous envoûteront ». Je validai. Les tarifs n’y étaient bien sûr pas mentionnés, pas davantage que le body-body dont certains habitués de Mélanie ne connaissaient même pas l’existence. Certaines informations ne se donnent que de vive voix.

Vint le moment du chargement de mes photos. Son idée était que j’en choisisse une poignée, qu’elle stockerait sur son ordinateur pour les modifier en ligne occasionnellement, en même temps que les siennes. J’ouvris quelques clichés et en choisis sept qui me paraissaient adaptés à l’annonce : on y devinait que je n’étais pas repoussante, sans donner trop de détails et surtout sans voir mon visage. Mes tenues y étaient variées : deux en robe noire pieds nus, deux avec la jupe crayon et le top blanc, deux en lingerie, et une topless mais de dos. Mélanie s’étonna que je ne lui fournisse pas la photo finale, avec la sublime prise de vue de derrière dans la robe noire défaite. Mais cette photo était trop belle, et déjà trop chargée d’émotion pour que je ne la livre à des regards concupiscents. Le raisonnement fut le même pour nos poses en duo. Il y avait moyen d’appâter des clients sans livrer trop d’intime.

Nous tombâmes ensuite d’accord sur le fait que les massages quatre-mains ne seraient mentionnés qu’au téléphone. Deux filles présentes sur une même annonce, c’était déjà assez clair quant aux possibilités arithmétiques. Il revenait donc aux clients intéressés d’avoir l’initiative de poser la question ! Nous décidâmes des tarifs : pour tout massage « quatre-mains », le client payerait les deux masseuses, et nous offririons la petite tenue, et même nos divines poitrines dans le cas du massage le plus long. Ainsi une demi-heure reviendrait à cent euros et trois quarts d’heure à cent quarante, Mélanie et moi étant alors en sous-vêtements, et une heure de bonheur à trois avec quatre seins à l’air coûterait cent quatre-vingts euros.

Nous explorâmes enfin les joies des agendas numériques, cherchant un moyen de les partager. Après des recherches poussives sur internet nous trouvâmes l’astuce, et le test fut concluant. Nous créâmes sur chacun de nos smartphones un agenda spécifique à notre activité secrète, et les connectâmes afin que toute modification chez l’une soit visible chez l’autre. C’était exactement ce qu’il nous fallait ! Mélanie inscrivit les deux rendez-vous qu’Alessia avait déjà pris pour le lendemain après-midi. Ils apparurent instantanément sur mon écran. Je décidai qu’en dehors du lundi après-midi, mon autre demi-journée dédiée à la luxure huileuse serait le jeudi après-midi. Je terminais les cours à 11 heures et, le temps de rejoindre le local et d’y être opérationnelle, je pouvais même envisager de masser entre midi et deux. Mélanie trouva que l’horaire était excellent car il permettrait à certains mâles cravatés de faire une pause coquine à l’heure du déjeuner.

Juste avant de partir, elle me donna un double des clés du local et du portail. Elle me conseilla d’y laisser une tenue qui pourrait servir plusieurs séances et de la changer de temps en temps, afin de pouvoir m’y rendre sans être trop chargée. De même, des serviettes sèches s’y trouvaient en grosse quantité puisque Mélanie en avait acheté une trentaine, éparpillées entre la salle de bain et les tiroirs du meuble de la pièce de massage.

 

-Quand tu pars, tu ramènes simplement les serviettes qui ont été utilisées. Dès qu’on en a une bonne quantité, je fais un lavomatic et je les réinstalle la séance suivante. Moi j’arrive à tourner deux à trois semaines comme ça. Puisqu’on est deux ça sera peut-être plus court. Soit on va plus souvent les laver, soit on en achète d’autres, on verra bien.

 

Enfin elle me toucha deux mots des huiles.

 

-Utilise celle de l’autre jour, ne te casse pas la tête pour le moment. Si un jour un client te dit qu’il ne veut pas d’huile, j’ai du talc posé dans une petite boite dorée sur le même plateau que l’huile. Et il y a de quoi le recharger dans le meuble.

-Et les autres flacons ?

-J’ai d’autres huiles, parfumées, certains clients aiment bien, mais ils sont rares, vu que la plupart sont mariés et ne souhaitent pas attirer l’attention de leur femme. Pareil, s’ils te le demandent, propose les différents parfums, c’est écrit sur chaque flacon.

-Ah d’accord.

-Il y a aussi un gel antibactérien et une crème qui aidera à enlever l’huile de tes mains tout en nourrissant la peau.

-Super !

 

Tout était prêt !

 

Je traversai les trois mètres de moquette qui séparent nos studios, et pris une douche. En attendant que mes cheveux sèchent, je m’installai avec mes cours à mon bureau. Machinalement je jetai un œil à mon nouveau téléphone : une notification m’informait que j’avais reçu deux sms et un message sur mon répondeur. En dix minutes à peine depuis que l’annonce était en ligne ! J’ouvris l’onglet des sms.

Le premier était clair : « Bjr. Quels sont vos tarifs ? »

Je répondis : « appelez-moi ».

Le deuxième ne me plut pas : « Salut, appelle ! ».

Je n’obtempérai pas.

Je m’apprêtai à écouter le message quand la sonnerie se mit à chanter. C’était l’auteur du premier sms, qui prenait ma consigne à la lettre.

 

-Oui, bonjour ?

-Bonjour, c’est moi qui vous ai envoyé un sms pour connaître vos tarifs.

-Oui alors déjà ce sont des massages que je propose, et uniquement des massages.

-Fellation ?

-Non, uniquement des massages.

-Et avec un supplément ?

-Non.

-Ah d’accord, bon, au revoir alors.

-Au revoir.

 

J’écoutai le message sur le répondeur. Blanc. J’envoyai un sms au numéro coupable : « oui, vous pouvez appeler ».

Je me plongeai dans mes cours. Pas pour longtemps. Mais ce n’était pas l’auteur du message vide.

 

-Allo oui ?

-Bonjour j’ai vu votre annonce, vous êtes la jeune fille blonde c’est bien ça ?

-Attendez, je regarde.

-Comment ça ?

-Je plaisantais… oui c’est bien moi.

-Ah d’accord… euh… vous… vous proposez quoi ?

-Des massages, comme indiqué sur le site. Californien, avec finition manuelle, uniquement.

-Ah très bien. Et ça dure combien de temps ?

-A vous de choisir, entre une demi-heure et une heure, et entre cinquante et quatre-vingt-dix euros.

-Vous massez dans quelle tenue ?

-Une tenue féminine.

-Mais pas déshabillée ?

-Avec supplément éventuellement, mais je garde au minimum une pièce de lingerie.

-Alors par exemple si je veux un massage d’une demi-heure seins nus, combien vous demandez ?

-Quatre-vingts euros.

-D’accord ça me convient. On peut fixer un rendez-vous ?

-Bien sûr, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

-Oh oui bien sûr, je suis Jean et j’ai trente ans.

-Ravie, Jean, moi c’est donc Lola. Je peux vous recevoir soit demain après-midi soit jeudi à partir de midi.

-Ah oui jeudi à midi pile, ce serait l’idéal.

-Eh bien c’est noté. Pouvez-vous la veille, mercredi, me confirmer le rendez-vous par sms ?

-D’accord.

-Pensez-y sinon je considèrerai que vous annulez, d’accord ?

-Pas de souci, Lola.

-Alors à jeudi, Jean.

-A jeudi Lola.

 

Je tenais mon premier rendez-vous de masseuse indépendante ! Avec un homme visiblement assez jeune qui plus est. Le temps que je me réjouisse, mon téléphone sonnait à nouveau.

 

-Oui, allo ?

-Bonjour vous m’avez dit d’appeler.

-C’est vous qui avez essayé de me joindre il y a quelques minutes c’est ça ?

-Oui.

-Très bien et que voulez-vous savoir ?

-Euh… excusez-moi… j’ai tenté d’appeler trois annonces différentes, je ne sais plus trop laquelle vous êtes.

-Lola.

-Ah oui c’est l’annonce des deux filles ?

-En effet.

-Oui je vous trouvais vraiment très jolie alors j’ai appelé. Vous allez jusqu’où ?

-Ce sont des massages avec finition manuelle.

-Seulement manuelle ?

-Oui.

-Ah mince, je cherchai un peu plus.

-Non je ne fais rien d’autre.

-Et votre collègue, la brune ?

-Ne fera rien d’autre non plus.

-Bon tant pis. Merci quand même, au revoir.

-Au revoir.

 

Ce fut tout. J’avais un rendez-vous pour jeudi, qui serait donc ma première journée officielle et seule au local. Je l’inscrivis sur mon agenda afin que Mélanie en fût informée.

 

Lundi matin je pétais littéralement le feu. Certains camarades de promo m’ayant trouvée éteinte la semaine précédente durent voir dans ce revirement de tempérament les signes d’un trouble bipolaire. Que pouvait-il bien arriver à la si régulière et pondérée Léa ? Les cours achevés, je déjeunai au resto U avec quelques-uns d’entre eux puis rentrai chez moi. Je passai mon après-midi le nez dans mes bouquins, tout en sentant monter cette délicieuse pression, sorte de thermostat interne bloqué au maximum. Régulièrement interrompue par des appels infructueux d’hommes en recherche de sexe, je comptai les heures qui me séparaient de la vingtième. Un seul fit mouche : c’était un habitué de Mélanie qui avait envie de changer de crémière. Claude, quarante-cinq ans, vint se placer dans mon agenda à 13 heures jeudi, à la suite de Jean, pour trois quarts d’heure. Je finis par couper le téléphone en me disant que je ferais le point le lendemain. Dans le milieu de l’après-midi je pris une douche et m’épilai consciencieusement jambes, aisselles, et, enfin, le maillot. Je laquai mes vingt ongles d’un vernis transparent, petite touche soignée mais non colorée de féminité sans ostentation. Vers 19 heures, réduite à l’état de cocote minute, je me changeai. M’inspirant des tenues portées lors des photos, j’enfilai l’ensemble vieux rose en dentelle composé d’un tanga et d’un soutien-gorge assorti. Puis, jouant le grand jeu, j’ornai mes gambettes des bas noirs qui étaient restés eux-aussi dans mon sac à dos depuis samedi. En voile transparent, pourvus d’une jarretière en dentelle par-dessus l’élastique qui les maintenait en place sur mes cuisses, ils étaient sexy en diable. J’enfilai la jupe crayon grise. Afin de ne point trop en faire dans la sophistication et de ne pas coïncider avec le cliché du fantasme de la secrétaire perverse, je me contentai de jolies ballerines rouges et noires et d’un pull ample rouge que j’adorais car son côté lâche était confortable mais permettait de jouer au détail sensuel de l’épaule apparente. Juste avant de m’y envelopper, je vaporisai dans mon cou et sur mes poignets quelques brumes de « Very irresistible », espérant que ce parfum de Givenchy n’ait jamais aussi bien porté son nom. Ainsi apprêtée, je retournai à mes cours sans y mettre une seule seconde de disponibilité intellectuelle. Enfin, la sonnette de la porte de l’immeuble carillonna. Éric se manifesta dans l’interphone. Je lui indiquai de monter au quatrième étage et de tourner à gauche en sortant de l’ascenseur. J’ouvris la porte le cœur battant en entendant fonctionner la machinerie qui amenait vers moi le jeune homme au centre de mon émotion.

 

Il arriva avec un bouquet de fleurs. Passées les quelques secondes de cette petite gène liminaire si savoureuse, je l’embrassai généreusement, les fleurs encore à la main. Je les déposai dans un vase, libérant mes bras qui purent retourner enserrer le corps de celui qui me les avait offertes. Ses mains se posèrent sur mon pull, mais très bas. Je le serrai contre moi en effleurant sa nuque et son dos. Nos langues se dirent bonjour dans un ballet de retrouvailles mouillées.

Je lui fis visiter mon studio. Je souhaitais avant tout lui présenter mon univers. Attentif aux détails, il regarda la façon dont je m’étais installée, l’agencement du mobilier, la part faite entre coin jour et coin nuit grâce à quelques panneaux japonais, la kitchenette fonctionnelle, avec davantage d’ustensiles de cuisine que de cartons de pizzas, la décoration discrète mais personnelle, et les très nombreuses photos aux murs qui évoquaient l’omniprésence de la danse dans ma vie, mais également le cinéma.

Quelques captures artistiques livraient mes goûts et mes couleurs.

Uma Thurman et Lucy Liu se défiaient dans un jardin japonais enneigé (mais hélas sans l’hypnotique clapotement régulier de la fontaine en bambou).

Jean-Pierre Darroussin dansait le rock avec Catherine Frot sur un carrelage défraichi à côté d’un juke-box.

Jack Nicholson, les yeux exorbités, tenait un verre à la main en conversant avec un barman imaginaire.

Russ Tamblyn et quelques autres jets faisaient face à George Chakiris, digne et basané, un ballon de basket entre les mains.

Will Wheaton et River Phoenix s’observaient dans une posture d’amitié figée au détour d’un instant de grâce de leur randonnée initiatique.

Tim Robbins et Morgan Freeman, assis sur un banc de la cour de leur pénitencier, observaient sans y croire leurs horizons s’éclaircir.

Hilary Swank usait ses mains sur un ballon de frappe.

Audrey Tautou envoyait ricocher ses galets sur les eaux du Canal Saint-Martin.

Steve Buscemi au sol et Harvey Keitel debout se mettaient en joue dans un accès de rage tous flingues dehors.

Scarlett Johansson et Bill Muray conversaient devant les lumières de Tokyo endormie.

Samantha Mathis observait les atermoiements de Christian Slater face à la contagion de sa révolte.

Eva Green, depuis le siège passager d’une Aston Martin, plongeait son incroyable regard bleuté dans les regrets d’un futur mal engagé.

Pam Grier, forte, belle et femme, dominait en noir et blanc sa cohorte de petits perdants, Michael Keaton, Samuel L. Jackson, et Robert de Niro.

Denis Podalydès regardait, hébété, les deux annulaires d’Eric Elmosnino lui mimer sa descente aux enfers.

Patrick Dewaere s’accrochait à la vie, du pied et littéralement, mais hélas pas assez.

Jean Rochefort et Anny Duperey échangeaient à cheval leurs mensonges respectifs.

Susan Sarandon et Geena Davis, debout dans leur Ford Thunderbird, accomplissaient leur libération.

Kevin Costner, lunettes noires et clope au bec, trouvait sa dignité, la petite main de T.J. Lowther dans la sienne.

Et enfin Henry Thomas fixait de ses yeux de petit adulte le monstre magnifique dont le doigt démesuré était posé sur le front dans un geste tendre et paternel.

 

-J’adore.

-Alors trouve-les tous.

 

Il les trouva tous.

 

Je nous fis un café sans en avoir la moindre envie. Nous le prîmes en discutant, lui me parlant de sa famille compliquée, moi de mes études, ses yeux suivant les courbes de mon corps si prometteur, caché sous cette jupe si courte, mes yeux à moi suivant avec imagination la finesse de ses doigts et de ses mains. Une heure passa dans une félicité chaste mais qui mit tous mes sens en émoi, bombe à retardement charnelle dont j’anticipais l’explosion. Quand je déposai les tasses dans mon minuscule évier, je le sentis derrière moi, d’abord par la chaleur qu’il dégageait et qui réchauffait l’air alentour. Ses mains se posèrent contre mes hanches, sur mon pull, sûrement aussi rouge que mes pommettes. Il embrassa mon épaule nue, puis ma nuque. Je me lovai contre lui, posant ma main droite dans ses cheveux. Sa bouche prospecta en direction de la mienne, nos langues se lièrent de côté en un baiser extérieur. Ses mains passèrent sur mon ventre en fusion. Il cita Marc Lavoine sans vraiment le vouloir.

 

-Qu’est-ce que t’es belle.

 

Mes yeux devinrent revolver. Je me retournai pour le fusiller. J’agrippai son cou et son menton pour le diriger vers mes baisers qui devinrent ceux d’une mante religieuse. Ses mains avaient fait un demi-tour de manège et attrapé le pompon. Je les sentis le saisir opportunément quand elles se refermèrent sur mes fesses, déchainant en moi cette prodigieuse ambivalence de désir et d’appréhension.

Mes doigts déboutonnèrent le col de son polo puis s’y glissèrent pour toucher la peau qui me réclamait. Les siens remontèrent dans mon dos, passant sous mon pull. Bouche toujours soudée à la mienne, il fit remonter sa main droite toujours plus haut, mais la gauche n’en avait pas la force, alors elle obliqua et acheva son voyage sur mon sein droit, à travers la dentelle. Electrisée, je soulevai son polo pour l’inciter à l’enlever, puis me mis à égalité en envoyant mon pull au loin. Le soutien-gorge chuta et un pouce passa sur mon sein. Tout s’accélérait, ainsi qu’une chute dans un long toboggan. Ma jupe s’ouvrit, franchit mes hanches. Quand il découvrit que je portais des bas, nous passâmes le point de non-retour. Je le sentis tomber à genoux sur le sol, d’où il embrassa l’intérieur de mes cuisses. Mes mains se crispèrent sur son cuir chevelu alors que le tanga longeait mes mollets. Semi consciente, je soulevai les pieds pour qu’il me l’enlève, tout en envoyant valser mes ballerines. Je n’étais plus vêtue que de ce voile noir, objet de tant d’obsessions masculines. Je crus que mon corps se déchirait en deux quand sa langue écarta les derniers replis de chair avant la cité d’or. Je basculai en avant, me retenant en appui des deux mains sur son crâne. Fouillée intérieurement par cette langue véloce, j’entendis des gémissements passer ma gorge et les images se brouillèrent. Des sensations m’envahirent par vagues, découpant mes entrailles inondées de plaisir, et c’est à peine si je me rendis compte qu’un doigt venait de pénétrer en moi, la langue se concentrant désormais sur mon clitoris. Je jouis debout, hoquetant pour trouver une respiration qui fuyait devant moi, perdant l’équilibre pour finir mon orgasme à terre devant la porte vitrée de ma cuisinière, embrassée à pleine bouche, goûtant les saveurs salines de mon propre plaisir sur sa langue de retour contre la mienne après son triomphant détour par le Grand canyon. Je me débrouillai pour déboutonner le jean récalcitrant et Éric finit nu alors que je ne l’étais toujours pas. Mes mains caressèrent son sexe, jouèrent avec lui, firent connaissance. J’ignore à quel moment il avait commencé à bander. Mais des perles roulaient déjà sur le gland, et ma langue se déroula pour l’en nettoyer, lui arrachant un spasme. Nous fîmes le trajet qui nous séparait de mon lit et, vautré sur le dos, Éric sut enfin ce que je savais faire d’autre avec ma bouche. Quand vint l’heure de devenir amants, j’ouvris ma table de nuit et sortis un préservatif que je déroulai sur le pénis dressé vers moi. Allongée sur ma couette, les cheveux éparpillés sur mon oreiller, je vis le visage d’Éric au-dessus du mien, et ses yeux souriaient quand la verge assoiffée entra en moi.

Alors le plafond de mon studio se changea en ciel. 

 

Éric quitta mon appartement pour rentrer chez lui un très long moment après que les lueurs incendiaires se furent éteintes. Nous étions restés allongés l’un contre l’autre, à nous respirer, à relaxer nos cœurs tachycardes, à caresser nos peaux trempées de sueur. J’avais fini par enlever mes bas, ayant subitement besoin de ressentir une complète nudité tandis que les dernières brumes de nos orgasmes s’évaporaient en arabesques apaisées.

 

Une fois la porte fermée, je renonçai à enfiler une tenue de nuit et m’endormis nue dans mes draps, le corps plongé dans l’exaltation du souvenir des gestes de mon nouvel amant, comme si chacun avait été mémorisé pour que ma nuit rejoue indéfiniment la scène classée X.

 

Qu’est-ce que t’es belle

Quand tu dis, tu dis « je crois »

J’me sens pas belle

Quand tu ris, tu ris de quoi ?

Qu’est-ce que t’es belle

Quand tu doutes, tu doutes comme ça.

 

Le soleil est là, le soleil, déjà, aide-moi

Le soleil est là, cache-toi dans mes bras.

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