Le convoi s’éloignait lentement du petit village tassé à l’ombre des falaises. Lohan ne pouvait détacher son regard de la maison à peine visible de Zehara qui s’effacerait bientôt. Le prince avait tenu à partir dès le lendemain de la mort de son fils, au mépris de son amante qui n’avait pas quitté sa chambre depuis.
— Qu’est-ce vous regardez ? demanda sèchement Azad.
L’exécuteur serra les dents. Il fut pour une fois content que le soleil du désert soit si féroce, il l’aidait à calmer ses ombres.
— Vous le savez très bien.
Le prince plissa les yeux.
— Vous êtes bien trop soucieux de la santé de ma concubine…
— Il faut bien que quelqu’un le soit, rétorqua Lohan avec un regard acerbe.
Azad donna un coup de talon à son destrier pour parvenir à sa hauteur, l’air ombrageux.
— Occupez-vous de vous-même, au lieu de risquer votre tête. Elle n’a pas besoin de vous. Elle n’a besoin de personne.
Sur ces paroles, il pressa encore son cheval pour se hisser en tête de convoi. Lohan le fixa longuement, se demandant comment il devait interpréter ces dernières phrases.
Au sud, la mer déroulait son azur orageux sous le ciel clair. Ils devaient longer la côte jusqu’aux montagnes qu’ils franchiraient par la mer avant d’enfin arriver à Hekkora. Le rebelle décida d’accorder le bénéfice du doute à ce prince insupportable. Il valait mieux être indulgent puisqu’ils passeraient certainement les six prochains mois ensembles, si ce n’est plus.
*
Kurtis pénétra dans la douceur ombreuse de la triple hutte des Arsalaïs. Le bâtiment était presque vide, ses pairs étant en train de préparer la fête de fin du Sabbah. Le jeune garçon se glissa dans l’un des deux tunnels d’accès et parvint à la hutte mineure. Là, au milieu de tas de tablettes gravées, de pierre, d’argile, et de parchemin de tissu, une silhouette assise travaillait consciencieusement. Il se baissa et s’approcha d’elle tout doucement, profitant du sol couvert de tapis pour se mouvoir en silence. Quand il atteignit son but, il effleura l’épaule de Maig.
Cette dernière sursauta, lâchant le bâton de bois qu’elle utilisait pour tracer dans l’argile fraîche.
— Kurtis ! Mais… tu es là ?
Il eut un sourire fier.
— Comme tu le vois.
— Co… comment as-tu fais pour que je ne sente pas ton esprit ?
Le jeune Arsalaï s’assit à côté de son ami, le menton légèrement relevé.
— C’est Hênora ! J’ai eu une séance avec elle, elle m’a appris à manipuler les Liens !
— C’est impressionnant ! Mais…
Maig prit un air pensif.
— Je ne vois pas comment tu peux utiliser ça dans la quête du secret de l’Embryon.
— Moi non plus je n’ai pas très bien compris, mais je lui fais confiance. Je sais amplifier et atténuer les Liens, je suppose que c’est pour trouver des échos plus facilement, me libérer la vue, en quelque sorte.
— Peut-être…
— Qu’est-ce que tu fais ? Encore une des corvées de Padraig ?
— Oui, je dois recopier les rapports du Sabbah. Mais là, je faisais une petite pause.
Kurtis tendit le cou pour lire les ébauches d’idéogrammes qu’elle avait tracé sur la tablette humide.
— Lumière sereine, pâle et solitaire…
— Aaaah ! Ne lis pas !
Maig se coucha sur sa tablette, le visage cramoisi.
— C’est… toi qui a écrit ?
Elle cacha son visage dans ses mains.
— C’est… c’est censé être un secret… j’ai trop honte… bégaya-t-elle.
— Bah pourquoi ?
Un grand sourire s’étira sur les joues de Kurtis.
— Moi je trouve ça génial ! Tu as de l’imagination !
Elle se redressa un peu.
— Si tu le dis…
— Je suis sûr que tu es très douée, en plus !
— Ça tu ne peux pas dire, tu n’as rien lu ! répondit-elle, plus assurée.
Il baissa la tête.
— C’est vrai mais… heu… j’aimerais forcément ce que tu fais, puisque c’est toi qui le fais.
La peau de Maig rougit encore.
— M… merci…
Il toussota.
— Tu… me feras lire ?
— Je… je ne peux pas garder ces poèmes-là, c’est juste pour faire une pause. Mais je dois en avoir dans mes tablettes d’entraînement… Je… je veux bien que tu les lises, mais pas devant moi.
Il posa une main sur son bras, ce contact lui donna des frissons.
— D’accord, dit-il d’une voix moins assuré qu’il ne le voudrait. J’ai hâte !
Ils échangèrent un regard rougissant. Une phrase brûlait les lèvres de Kurtis, mais il n’osa pas la prononcer. Au lieu de ça, il se leva et salua son amie, promettant de lui apporter de quoi grignoter à l’occasion. Lorsqu’il quitta la hutte, il eut l’impression d’avoir manqué quelque chose.
Qu’importe, il se sentait léger.
*
Lorsqu’ils arrivèrent au port de Jambiri sur la côte sud de Heddish, ils firent leurs adieux aux Galates qui les avaient menés jusqu’ici. Padparazil donna une franche bourrade à Lohan et porta sur lui un regard indéchiffrable.
— N’oubliez-pas, dit-il au voyageur.
Lohan fut appelé à bord du navire marchand qui s’apprêtait à prendre la mer, il n’eut pas le temps de le questionner sur cet ordre nébuleux.
Les robes colorées et raffinées des Galates furent les dernières choses qu’ils virent clairement dans le port qui s’éloignait.
Une semaine plus tard, après avoir remonté sur quelques lieues le cours du gigantesque fleuve Hougâvé, ils parvinrent à Hekkora.
La capitale de l’Empire d’He-Rê était ceinturée de camps militaires entrecoupés de tentes de réfugiés qui fuyaient la famine et l’avancée de l’Ordre des prêtres noirs. Des visages émaciés ourlés par des yeux désespérés les suivirent depuis les berges surpeuplées. Alors qu’ils passaient sous un pont, ils aperçurent une bagarre entre deux affamés pour ce qui ressemblait à un paquet de racines. Le premier étrangla le second avant de s’accaparer la nourriture, poussant le cadavre dans l’eau. Le corps tapa mollement la coque du navire qui avançait. Fiona le fixa, le teint livide.
À cet instant, le vent rabattit sur eux les relents d’excrément et de chair pourrie qui émanait de la ville de et ses alentours. Il ne fallut pas plus de quelques secondes pour que la jeune fille aille se pencher sur le bastingage pour rendre tout son repas.
Le prince, quant à lui, grimaça et couvrit son visage avec l’un de ses foulards de soie.
— Quelle misère, souffla-t-il en parcourant le décor ravagé. Dire que mon pays doit ressembler à ça, maintenant…
Il s’interrompit quand il réalisa que Lohan l’observait. Il le foudroya alors du regard et alla s’enfermer dans sa cabine.
— C’est vraiment une infection, cette cité ! lança-t-il par dessus son épaule.
L’exécuteur soupira, agacé. Il souhaitait bien du courage à l’Impératrice pour supporter son futur mari.
Le capitaine du navire marchand s’agita soudain, il cria des ordres à ses hommes en hidig, la langue locale. Ces dernières obéirent précipitamment et commencèrent une manœuvre d’arrêt d’urgence, relâchant les bouts qui tenaient les voiles pour les faire claquer.
— Qu’y a-t-il ? demanda Lohan au second.
L’homme fixait un point au-delà de la proue.
— Voyez-vous même.
Le rebelle s’approcha de l’avant et contempla, stupéfait, l’immense filet de métal qui, tendu d’une berge à l’autre, leur barrait totalement le passage. Un ponton famélique avait été dressé en avant de la barrière, débordant de navires amarrés. Le port principal, lui, était visible entre les larges mailles du filet, c’était le seul endroit où les murailles pâles de la capitale s’ouvraient.
— On était pas au courant de ça, fit le second, mais c’est plutôt logique. L’Impératrice redoute la marine de la Trinité.
La capitaine cria de nouveaux ordres. Le bateau se traina lentement jusqu’au port improvisé, et s’amarra à couple, faute de place.
— Bonne chance ! lança le second à Lohan lorsque celui-ci mit pied à terre.
Ce dernier hocha la tête, inquiet. Fiona, Azad et le maître transcripteur à sa suite, il s’engagea dans les chemins laissés par les tentes des réfugiés.
Des yeux avides les percutèrent immédiatement, ils étaient des dizaines. Non, des centaines. Le petit groupe avait l’air trop bien nourri pour passer inaperçu, sans compter les habits dégoulinant de richesse dans lesquels le prince de Naotmöt se pavanait. Ils les suivirent en silence, innombrables et pourtant presque invisibles.
Parmi eux, Lohan vit soudain une lame se dévoiler. Aussitôt, il entoura le groupe d’une barrière d’ombres rugissantes. Azad émit un cri aigu, surpris. Il ne fut pas le seul : la lame se cacha de nouveau au milieu des affamés.
— Contrôlez-vous, enfin ! râla le prince, mais l’exécuteur l’ignora.
Ils atteignirent les portes de la capitale qu’ils purent franchir sans mal grâce à un laissez-passer transmis par Adhara. Le papier portait le seau de l’Impératrice, qui était aussi celui du pays. Un cobra royal qui tenait le soleil entre ses crochets.
La traversée de la ville fut aussi pénible que celle de ses alentours. Ils mirent plus d’une heure à atteindre l’enceinte du palais impérial. Après avoir passé ses murailles blanches rehaussées d’or, la foule disparut. Les jardins fleuris jalonnés d’un labyrinthe de bassins miroitants les accueillirent. D’après le maître transcripteur, Bachir, l’absence de réfugiés au palais était dû à la religion de l’Empire. En effet, seuls les membres de la caste dominante, les Hêks, pouvaient dormir au sein de la demeure impériale.
— Nous aussi nous serons logés hors de l’enceinte, ajouta-t-il tandis qu’un garde, de la caste des Hârs, les guidait jusqu’à la salle du trône.
Entourant les jardins qu’ils traversaient, le palais exhibait ses hautes colonnades, ses statues colossales et ses bâtiments richement peints dans toute sa splendeur arrogante. La démesure prenait, sur le seuil du bâtiment principal, des dimensions inédites, révélant une porte faite d’une gigantesque tête de cobra dont les crochets plantés dans le sol servait de pivot aux lourd battants plaqués de lapis-lazuli.
À l’intérieur, un long couloir cerné de colonnes de marbre les menait en ligne droite à la salle du trône, dont le plafond était carrelé de verre. L’immense pièce fit résonner leur pas comme un grondement de tonnerre au milieu d’un silence cérémonial. Des rangées de gardes les fixèrent alors qu’ils s’avançaient timidement jusqu’au siège impérial.
Une volée de marche en marbre éclatant menait à un siège auréolé d’un large disque doré représentant le soleil. L’Impératrice se tenait là, pareille à une statue. Un cobra d’or et d’émeraude lui servait de couronne, couvrant son crâne de son capuchon étincelant avant de s’enrouler autour de son cou en un lourd collier paré de pierres précieuses. Mais la splendeur de ses bijoux et de ses vêtements ne faisait qu’attirer le regard vers ses prunelles de jade dont la force frappa les nouveaux venus. Elle les détailla pendant un long moment, parfaitement impassible. Puis, sa voix résonna, allant se multiplier en échos le long des colonnades.
— Soyez les bienvenus, voilà longtemps que je vous attends.
« Attends, attends, attends… » reprirent les murs.
— Messire Lohan, je suppose ?
« Suppose, suppose, suppose… »
Les jambes légèrement tremblantes, l’intéressé s’avança et s’inclina.
— C’est exact… Mes hommages, Votre Altesse. Je suis venu accompagné d’une Porteuse de la Marque, Fiona la Tornade, et de maître Bachir. Il y a aussi…
Il fut coupé par Azad qui le bouscula.
— Ravi de vous rencontrez, ma mie, déclara le prince. On m’a beaucoup vanté votre beauté, mais je constate que tous les compliments du monde n’arrivent pas à la cheville de la réalité. Notre nuit de noces s’annonce des plus plaisantes…
L’Impératrice ne bougea pas d’un pouce mais son regard se durcit.
— Cessez.
« Cessez, cessez, cessez… »
— Que les choses soient claires.
« Claires, claires, claires… »
— Notre mariage prochain n’est et ne sera qu’une alliance dans le but de vaincre la Trinité.
« Trinité, Trinité, Trinité… »
Elle appuya ses mains sur les accoudoirs en ivoire de son splendide de trône. Lentement, elle se leva, ses iris dégringolant de plus en plus bas sur les visiteurs minuscules.
— Jamais je ne vous autoriserai à une quelconque familiarité avec moi.
« Avec moi, avec moi, avec moi… »
— Et si vous pensez faire main basse sur mon Empire, je vous envoie l’avertissement suivant : celui qui tentera d’avilir mon pays ne récoltera que le sang.
« Que le sang, que le sang, que le sang… »
Azad serra les poings, ses sourcils furieux profondément enfoncés sur ses yeux houleux.
— Je vous interdis de me parler sur ce ton ! s’écria-t-il pour couvrir les échos. Et si vous persistez dans votre attitude méprisante, notre alliance pourrait bien ne jamais exister !
Sur ces mots, il fit volte-face et se dirigea vers la porte du palais. Lohan regarda successivement la silhouette immobile de l’Impératrice, puis celle, de plus en plus petite, de l’héritier talien. Ses ombres s’agitèrent sur le carrelage miroitant.
La souveraine d’Hek-Rê resta silencieuse jusqu’à ce que le prince disparaisse derrière les immenses battants.
— Puisque mon futur mari ne semble pas disposé à la discussion, je m’entretiendrai d’abord avec vous, messire Lohan.
« Lohan, Lohan, Lohan… »
— C… certes, Votre Majesté.
— Venez.
« Venez, venez, venez… »
Elle mit une éternité à atteindre le bas des marches. Chacun de ses gestes était lent, elle semblait porter le monde sur ses épaules. Sans doute sa couronne représentait-elle déjà un certain poids. Lohan lui emboîta le pas tandis que des gardes proposaient à Fiona et Bachir d’aller se sustenter. Avant de disparaitre par une petite porte dérobée à la suite de la souveraine, il jeta un œil aux portes de la salle du trône. Il soupira et se retourna vers la démarche digne de Son Altesse Hedverêt.
*
Sulpicia poursuivaient les enfants rieurs qui lançaient des gerbes d’eau dans sa direction. La prêtresse les esquivait et répliquait avec une pluie de gouttelettes. Debout sur le rivage, Amaya observait paisiblement les jeux, une main sur son ventre arrondi. Son amie était si à l’aise avec les bambins, elle rayonnait.
— Voilà mon soleil…
Angelus s’approcha et l’enlaça, l’immergeant dans son odeur chaleureuse. Elle reposa la tête sur son épaule et se laissa bercer par les battements de son cœur qu’elle percevait faiblement. Les éclats de rire, lointain, formaient un chant mélodieux.
— Tu te sens mieux ? demanda son mari.
— Oui, je suis désolée de t’avoir fait peur.
Il l’embrassa, soulagé.
— Tu ne devrais pas rester près des chamailleries, ils risquent de te bousculer, dit-il avec un regard vers les enfants.
— Ne t’inquiète, je sais ce que je fais.
Son regard se durcit devant la moue dubitative d’Angelus. Elle saisit ses joues entre ses mains.
— Fais-moi confiance, souffla-t-elle.
Il apprécia un instant la caresse de sa peau contre la sienne, avant de hocher la tête.
— Tu as raison, je suis trop nerveux. Bon, je dois retourner au temple, repose-toi bien.
— Bien sûr.
Il la quitta après un dernier baiser. Elle contempla sa silhouette en uniforme qui s’éloignait à regret. Elle parvenait à le rassurer lui, mais elle ne se rassurait pas elle-même. Elle reposa une main sur son ventre. Elle avait l’impression qu’il allait se déliter, disparaître en un mirage, comme l’embryon qui l’avait précédé. Elle poussa un soupir rêche.
*
Adhara fit chanter ses pièces entre ses doigts frémissants. Chacune portait l’emblème d’une différente faction. Un poing de pierre pour Bathilda, une flamme pour Verrès, un lion pour Wilhelm et un ours pour Nuniq. Les pièces épaisses luisaient à la lumière du jour, caressantes. Une de leur face pouvait s’ouvrir pour dévoiler l’emblème du votant, en l’occurence une magnifique étoile. Adhara eut un léger sourire, les forgerons avaient dû travailler toute la nuit.
Autour d’elle, ses concurrents examinaient leurs propres pièces. À côté d’eux se tenait le second d’un chef adverse, chargé de vérifier l’authenticité des instruments de vote et son juste déroulé. On avait évidemment collé à Adhara le sous-fifre de Bathilda, un certain Geralt, qui ne semblait pas briller par sa finesse. Il détaillait chacun des gestes de la princesse, la main sur le pommeau de son épée. Ses sourcils houleux faisait peser sur elle une pression dont elle se serait bien passé. Sous sa robe noire, ses jambes tremblaient.
En ce jour particulier, elle ne voulait plus amadouer, mais inspirer le respect. Elle avait revêtu une tenue charbon qui ceinturait son corps dans une maille serrée. Son col s’élevait au-dessus de sa nuque, ses manches s’évasaient en direction de ses majeurs. Elle avait alourdi ses paupières de khôl et enfermé ses cheveux dans un chignon militaire. Elle ne s’était accordé qu’un seul bijou : une lourde chaîne en argent à laquelle pendait l’insigne de la Faction Étoilée.
L’artrion frappa son sceptre sur le sol.
— Procédez au vote, je vous prie.
Adhara saisit un écusson, le visage de nouveau impassible. Elle l’exhiba devant Geralt, penché sur elle, et attendit qu’un prêtre passe pour le déposer dans le sac de velours qu’il tenait. Chaque participant accomplit ces mêmes gestes. À l’autre bout de la table, Bénen surveillait Nuniq d’un air renfrogné. Les lieutenants se devaient de ne rien montrer, mais Geralt fut incapable de cacher sa surprise, heureusement Bathilda avait déjà voté. Elle ne put être influencée par la tête médusée de son subordonné.
Une fois toutes les pièces rassemblées de le sachet noir, l’artrion s’en saisit et les mélangea. Un cliquetis étouffé par le tissu se glissa jusqu’aux oreilles alertes d’Adhara. Son cœur, lui, battait furieusement dans ses tempes, malgré tous ses efforts pour le calmer. Les gestes de l’artrion étaient lents, bien trop lents. Ses doigts maigres de vieillards palpaient consciencieusement le sac pour vérifier qu’il y avait bien cinq pièces, donnant à la princesse l’envie de les lui faire bouffer.
Enfin, il ouvrit de nouveau le précieux contenant, et y plongea sa main tacheté dans un silence plus qu’impatient. Il sortit le premier écusson, qu’il examina avant de poser sur la table au centre des participants. Il s’agissait du lion de Wilhelm.
— Une voix pour Sa Majesté.
Il recommença l’opération, toujours aussi lentement. Avait-il pris du pavot avant de venir ?
La seconde pièce luisit doucement.
— Une voix pour Nuniq du Phoque-crabier.
Adhara capta un sourire de Wilhelm. Il pensait que ce vote était le sien, lui qui avait choisi la participante qui avait le moins de probabilité d’être désignée. Après tout, personne ne voulait d’une étrangère au pouvoir.
— Une voix pour Bathilda le Roc.
L’intéressée haussa un sourcil. Ça, ce n’était visiblement pas dans ses plans. Elle avait prévu que les seuls a récolter des voix serait Wilhelm, son pantin, et Nuniq pour faite diversion. Elle n’allait pas être déçue.
— Une autre voix pour Nuniq du Phoque-crabier.
Le visage de Wilhelm se décomposa, tout comme celui de Bathilda. Adhara en aurait ri tant ils semblaient s’être pris un baquet d’eau froide en pleine face, mais elle demeura stoïque. L’héritier du Réor chercha alors son regard, qu’elle lui accorda l’espace d’une seconde. Une œillade victorieuse.
— Et encore une voix pour Nuniq du Phoque-crabier.
L’artrion hésita, recompta les pièces.
— Eh bien… c’est Nuniq, représentante des Iberniens, qui remporte la victoire.
Bathilda et Wilhelm étaient livides. L’indigène, quant à elle, avait pris une couleur laiteuse. Elle balaya l’assemblée d’un regard blême.
— Je…
Elle croisa le regard d’Adhara, qui hocha imperceptiblement la tête.
— Je refuse cette responsabilité, déclara-t-elle. Ce n’est pas à moi de mener la rébellion, vous le savez tous. Je suis flattée de l’honneur que vous m’avez accordée, mais je ne prendrai pas ce poste. Je propose que l’on vote à nouveau.
Un bref silence succéda à son discours. Puis, Wilhelm fut agité de soubresauts. Il éclata d’un grand rire qui alla ricocher jusqu’au dôme de verre.
— C’est bien joué ! s’exclama-t-il, sans désigner personne en particulier.
Mais Adhara n’avait pas besoin qu’il la regarde. Son pouls se calma un peu. Il avait compris.
— Heu… eh bien… faites parvenir les doubles des pièces, un nouveau vote va être mené, fit l’artrion d’une voix mal assurée.
Bathilda fulminait, sans doute parce qu’elle ne comprenait pas. Guerrière, oui, mais pas stratège. En tout cas pas suffisamment. Elle sentait juste la situation lui échapper et avait du mal à le cacher. Jouissif.
On distribua de nouveaux emblèmes aux électeurs. Leur argent semblait pulser dans les doigts d’Adhara. Elle vota, sous le regard tremblant de Geralt qui ne comprenait toujours pas ses choix. Il sentait, néanmoins, qu’elle maîtrisait le jeu. Il grinça si fort des dents qu’elle entendit le son crissant.
Les doigts de l’artrion s’entrechoquaient quand ils les plongea dans le sac de velours. L’assistance était suspendue à ses lèvres frémissantes.
— Une voix pour Bathilda le Roc.
L’écusson heurta le marbre de la table dans un grand fracas.
— Une voix pour Adhara l’Étoile.
Wilhelm eut un nouveau sourire.
— Une voix pour Bathilda le Roc.
L’intéressée broyait les accoudoirs de ses mains noueuses.
— Une voix pour Adhara l’Étoile.
La princesse n’avait plus envie de rire. C’était maintenant. L’instant de sa vie. Elle en avait le souffle coupé.
— Et enfin, une dernière voix pour Adhara l’Étoile.
Son cœur rata un battement. Ses lèvres se tendirent, mais elle retint son sourire. Ses iris brillèrent entre les muscles contractés de son visage.
— C’est impossible ! cria Bathilda. Elle a triché !
L’artrion toussota, embarrassé.
— Formulez-vous une demande de vérification ? s’enquit-il poliment.
La guerrière devint encore plus pâle.
— Non, non, ce n’est pas la peine.
— Et pourquoi donc ? reprit Wilhelm. Si vous pensez qu’il y a fraude, nous devons vérifier.
— Non !
Bathilda recula sur son siège. Le prince plissa les yeux tandis que Verrès se fendait d’un discret ricanement.
— Dans ce cas je formule une demande de vérification, moi, déclara le Réorois.
L’artrion hocha la tête et dévissa minutieusement chaque écusson pour révéler l’emblème caché de celui qui l’avait mis dans le sac. Il s’avéra que Nuniq avait voté deux fois. Cette dernière foudroya Bathilda de ses yeux trahis.
— Vous avez usurpé mon identité !
La guerrière du Roc fixa les deux insignes, bouche-bée. L’un portait son emblème, l’autre une étoile.
— Vous n’avez pas voté pour moi… souffla-t-elle.
— Non, c’est moi, dit Adhara. Regardez.
Le regard fébrile de la vieille combattante tomba sur l’insigne de l’étoile qui portait celle du poing. Un lourd silence tomba sur la tablée.
La princesse se mit debout avec une lenteur calculée.
— J’ai les voix de Verrès, Wilhelm et Nuniq, je suis donc désignée légitimement comme Grande Unificatrice.
Enfin, elle s’autorisa le sourire vainqueur qui lui chatouillait les lèvres.
— Au contraire de notre chère amie, j’accepte cette responsabilité.
Eh bien, c'est dense ce chapitre !
En guise de remarques d'introduction, je dois dire que je n'ai pas trop trop saisi l'importance de la scène de Kurtis, enfin je vois où tu veux en venir, mais c'est déjà assez chargé pour un chapitre haha
Ensuite la confrontation de l'héritier talien et de l'Impératrice m'a semblée un poil artificielle peut-être, dans les paroles employées du côté du prince. Il a grandi dans une cour, il ne peut pas être un butor pareil ?
Enfin, j'ai pas trop trop suivi ce qu'il se passait lors du vote, avec le retournement et pourquoi ça se passe comme ça et la réaction de Nuniq, j'ai pas tout compris je crois hahaha
Sinon, je renoue enfin avec le tome 2 de DE, avec ces looongues périodes de pause qui complexifient la lecture je dois dire. J'ai beaucoup aimé découvrir la nation de l'Impératrice, son attitude, puis l'atmosphère du vote était vraiment très bien rendue ! Adhara s'est un peu mieux tenue, je préfère hahahaha Brefouille, y'avait de chouettes passages bien immersifs, j'ai beaucoup aimé replonger en douceur dans l'histoire et la voir avancer, à mon rythme d'escargot bien sûr
Mmmh je me suis dit qu'une scène tranquille et mignonne serait pas de trop dans un chapitre très tendu, mais je vois que tu as l'opinion inverse XD Il faudrait que je garde le plan des chapitres pour voir si ça se déplace ou pas x)
C'est ce que je craignais avec cette scène x) Oui Azad a grandi dans une coure et pas le genre de Versailles, donc pour moi c'est logique, mais c'est vrai que pour l'artificialité... j'ai déjà modifier la scène à cause de ça, je sais que les deux perso peuvent pas se pifer mais j'arrive pas à montrer ça correctement...
Ce sera plus amplement expliqué dans le chapitre suivant, tu me diras si c'est assez. Je ne sais pas trop comment doser parce que je n'aime pas expliciter et en même temps je ne veux pas laisser le lecteur dans le flou
Merci pour ton passage <3