Chapitre 12 On Approche

Par Cathie

Les voyageurs se retirent sur la pointe des pieds et des sabots pour aller se consulter dans la cour :

— Voilà qui est très inquiétant, marmonne le chevalier : je voudrais bien faire quelque chose pour aider le roi et son malheureux peuple, mais si cette créature a avalé pratiquement tout un royaume, je me demande si on fait le poids !

— Tu te demandes bien, Cow-boy, mais on ne le saura pas en tournant les talons et en repartant d’où on vient. Et puis, un dragon aussi mauvais que celui-ci, ça ne se commande pas sur catalogue. Nous serions mal venus de faire la fine bouche.

— Sans doute, maugrée le chevalier, mais je voudrais avoir une chance de revoir la princesse, moi !

— Mais tu la reverras, s’impatiente Copine… si c’est ton destin. Quant à moi, je suis d’accord avec vous, Messire Cheval : nous cherchions un dragon, nous l’avons trouvé, voilà déjà une bonne chose de faite ! Il faut aller se rendre compte de la situation sur place…

— C’est ça que tu proposes ? interrompt le chevalier. Aller frapper à sa porte, et Bonjour, Monsieur du Dragon, que vous êtes joli, que vous me semblez beau, sans mentir, si votre plumage, etc. et quand il ouvre le bec, c’est pour nous faire chauffer une tasse de thé ? Bien sûr, je peux l’affronter en plein jour, ou peut-être de nuit pour le prendre par surprise et l’occire d’un coup d’épée dans son cœur de charbon, mais il semble que la méthode traditionnelle n’ait pas donné les résultats escomptés, jusqu’ici.

— Tu l’as dit, Cow-boy ! s’esclaffe le cheval. Si tu fais ce qu’ont fait tous ces malheureux avant toi, tu te retrouves en brochette ! Non, Cow-boy, ce dragon-là, si tu veux l’attaquer de front, tu y vas à pied et tout seul.

— Heu, oui, confirme Copine. Et moi, je resterai avec vous, Messire Cheval. Mais ce n’est pas ce que je proposais. Et puis, je ne tiens pas à m’éterniser ici : voir ce pauvre roi me brise le cœur, et son château… me colle des maux de tête !

— Et bien, moi, déclare le chevalier en fronçant les sourcils, je préférerais ne pas partir à l’aveuglette, sans quelques informations sur ce royaume, sa situation économique et sociale, ses ressources et ses industries…

Sa proposition est accueillit par  un manque d’enthousiasme évident qui ne le décourage pas :

— Le roi a parlé d’une bibliothèque, je vais aller y faire un tour, conclu-t-il en s’éloignant d’un pas décidé en direction du bâtiment principal.

— Attend ! appelle Copine. Je viens avec toi, je jetterai un coup d’œil à la prophétie.

Les deux jeunes gens errent dans les couloirs du château sans rencontrer personne pour les renseigner.

— Mais où peut bien être cette bibliothèque ! peste le chevalier en refermant la porte d’une énième chambre poussiéreuse. Sans compter que j’ai l’estomac dans les talons.

— Moi aussi, j’ai faim, opine Copine. Et si on cherchait les cuisines, plutôt ? On ne fera sans doute pas un banquet, mais…

— Quelque chose ne va pas ? demande le chevalier à la jeune fille qui s’est mise à agiter ses mains autour de sa tête comme si elle essayait de chasser un essaim de moucherons.

— Heu, je ne sais pas… je sens une vibration bizarre… et c’est de plus en plus fort ! Ce château a des relents magiques très inconfortables.

— Un sanctuaire, peut-être ? propose le chevalier qui ne connait de sort que celui-là, de toute façon.

— Peu de chance, répond Copine. Il faut une magicienne en activité pour créer et maintenir un sanctuaire et une motivation puissante, comme pour ma marraine, qui protège les jeunes magiciennes en difficulté…

— Mais cela peut servir aussi à emprisonner de pauvres princesses qui n’ont rien demandé et voudraient aller voir ailleurs, note le chevalier.

— Elles sont tellement à plaindre, les pauvres princesses, marmonne Copine en ouvrant une porte qui donne sur un salon aux élégantes tentures bleues dépourvu de la moindre étagère.

— En attendant, reprend le chevalier, je ne le sens vraiment pas ce dragon. Je repartirais bien chercher quelque chose de moins risqué.

— Ne crois pas je sois rassurée, répond Copine, la situation est grave ! Mais j’ai l’intuition qu’en trouvant le dragon, je me rapprocherais de mon Objet Magique… et cela me donne du courage.

Le chevalier la regarde d’un air perplexe :

— Parfois, je me demande si tu n’es pas plus courageuse que moi.

Il est interrompu par un gargouillement intestinal qui résonne dans le couloir. Avec une moue embarrassée, il déclare :

— On ne vas pas passer la journée à chercher cette bibliothèque ! Je crois d’ailleurs que ce n’est plus ma priorité. Allons chercher quelques provisions et partons à la recherche de la bête.

— Tu es sûr ? J’aurais bien jeté un coup d’œil à cette prophétie, finalement. Elle pourrait contenir des indices utiles.

Le chevalier secoue la tête :

— On perd notre temps. Et chaque fois que je pense à cette histoire, mon stress augmente. Comme toute prophétie qui se respecte, celle-ci n’a ni queue ni tête, et je ne comprends pas pourquoi elle semble tenir au cœur à tant de monde.

— Considère cette prophétie comme une invitation plutôt que comme une insupportable pression,  propose Copine. Il y a toujours du bon et du moins bon dans toutes circonstances, prend donc ce qui t’intéresse et laisse le reste !

 

Les voyageurs sont sortis de la ville par l’avenue principale et, au croisement, ils se sont engagés sur le chemin qui se dirige vers le couchant. Ils avancent d’un bon pas, Copine juchée sur le cheval et le chevalier avançant à côté. Rapidement, Copine sort son livre et, derrière son rideau de boucles rousses, se plonge dans sa lecture. Le chevalier rumine, cogite, gamberge toute la matinée et finalement, n’y tenant plus, il s’écrie :

— Nous sommes fous : le roi nous a prévenus, ce monstre est impossible à vaincre. Pourquoi réussirions-nous là où tant de braves ont échoué ? Je ne reverrai jamais la princesse. Elle m’oubliera et elle épousera un vrai prince, sa marraine sera bien contente et personne ne se souviendra que j’ai même existé !

— Si tu veux, déclare le cheval, on peut faire comme ça.

— Mais il y a certainement d’autres options, déclare Copine qui a fermé son livre et observe le chevalier.

Le chevalier lui lance un regard noir :

— Comme quoi, je te prie ?

— Aucune idée, dit Copine, même pas le début d’un commencement d’idée, à dire la vérité. Mais je sais que les à-priori, la panique, le découragement et l’humilité mal placée sont de fort mauvais conseil.

— Et vous savez bien, My Lady, ajoute le cheval. Gardons l’esprit serein et ouvert, sinon, c’est sûr, on se retrouve en grillades ! Et comme la solution ne se trouve jamais sur le même plan que le problème, ne parler que du problème est le moyen le plus efficace de passer à côté de la solution.

— Et qu’est-ce que tu proposes ? s’énerve le chevalier. Moi aussi, j’aimerais autant parler d’autre chose !

Copine, ouvrant les bras comme pour embrasser l’horizon, propose :

— Regardons autour de nous pour profiter de ce beau paysage !

Le chevalier ne peut retenir un ricanement :

— Ce beau paysage ? Ces champs à l’abandon, pleins de ronces et de mauvaises herbes ? Ces fermes désertées, certaines depuis si longtemps qu’elles tombent en ruine ? Ces routes pleines de nids de poules avec leurs haies en bataille qui ressemble à… à des… à rien !

— Lève le nez de quelques centimètres, Cow-Boy. Qu’est-ce que tu vois ?

—  L’horizon, le ciel, les nuages…

— C’est ça. Veux-tu élaborer un peu ? Allez, fais un effort !

— Heu… Une chaine de montagne qui barre l’horizon… avec des sommets, très hauts, qui s’élancent à l’assaut du ciel… et le soleil y est posé, comme sur un trône majestueux. Dans le bleu intense du ciel, des nuages, écharpes de blancheur vaporeuse, lui font un dais mouvant, presque vivant… Voilà l’astre qui s’enfonce derrière les monts qui s’embrasent, et le dais de nuages se transforme en une tapisserie où toutes les nuances de rose, de rouge et d’orange se mêlent, se croisent… c’est vrai que c’est beau, ce balai de couleurs, cette fantasmagorie de formes et de mouvement.

— Ça s’appelle un coucher de soleil, Cow-boy. Et comment te sens-tu maintenant ?

Le chevalier secoue la tête en grommelant :

— Je pensais en avoir fini avec les leçons en sortant de HEC, mais… oui, je me sens mieux ! Mais je ne suis pas plus avancé sur ce que…

— Chaque chose en son temps, Cow-Boy. Il faut déjà arriver à destination.

 

Effectivement, c’est plus difficile que prévu : à plusieurs reprises, les voyageurs se retrouvent face à des embranchements où « aller tout droit » ne décrit aucune des options s’offrant à eux.

— Et ça, c’était à prévoir, déclare le cheval à personne en particulier.

 

Il fait nuit noire, quand ils arrivent dans une petite bourgade aussi déserte que le reste du pays. Sur la place, face à l’église, ils finissent par en découvrir l’unique auberge, mais elle est fermée.

Par acquis de conscience, le chevalier va frapper à la porte : sans surprise, cette dernière reste close. Le chevalier se détourne, bousculant Copine qui l’avait suivi :

— Il n’y a personne, grommelle le jeune homme, repoussant ses lunettes du doigt.

Comme Copine continue de fixer la porte sans bouger, il ajoute :

— Inutile d’insister, il va falloir trouver autre chose.

— Tu es sûr ? murmure la jeune fille en avançant la main pour frapper à nouveau.

Avant que son poing ait touché la porte, celle-ci s’entrebâille et un long nez chaussé de binocles apparait. Copine lui décroche aussitôt son plus beau sourire :

— Excusez-nous de vous déranger. Nous sommes à la recherche du dragon ; mais nous avons voyagé toute la journée, nous sommes fatigués, affamés et en grand besoin du gite et du couvert.

Comme l’aubergiste continue d’observer ses visiteurs d’un air soupçonneux, le chevalier confirme :

— Nous venons de la part du roi pour évaluer la situation. Mais nous ne pourrons rien faire ce soir… en admettant que nous puissions faire quelque chose demain. Auriez-vous l’extrême amabilité de nous dépanner pour la nuit ? Je suis chevalier, voilà mon fidèle destrier et ma… sœur.

Un grand sourire illumine alors le visage aux joues creuses qui avait dû être rond et jovial en des temps meilleurs.

— Mon Dieu, des clients ! Cela fait si longtemps !

Puis l’aubergiste lance par-dessus son épaule :

—  Femme, des clients ! Petit, vite, viens t’occuper du cheval !

Avec un grincement de gonds sinistre, l’aubergiste ouvre grand la porte d’où jaillit un garçonnet, maigre et hirsute, qui se faufile entre leurs jambes pour se précipiter vers le cheval.

— Entrez, je vous en prie, entrez donc ! réitère leur hôte. Installez-vous dans le salon, pendant que ma femme prépare… ce qu’elle va trouver, la pauvre, mais elle le fera avec talent.

Dans la petite pièce qui ne semble pas avoir servi récemment, l’homme allume une lampe à huile posée sur une table basse ainsi que quelques bougies fixées dans des bougeoirs accrochées au mur.

— Voilà ! Installez-vous, je vais tâcher de vous trouver un petit remontant, en attendant le repas.

Copine se laisse tomber dans un fauteuil, qui exhale aussitôt une bouffée de poussière. Le chevalier décide de rester debout et, pour se donner une contenance, regarde les gravures accrochées aux murs.

L’une d’elles en particulier attire son attention : un sketch de dragon saisissant de vie. Il est sur le point de le montrer à Copine quand l’aubergiste revient avec deux verres de vin sur un plateau qu’il pose sur la table basse :

— Vous n’êtes pas sans savoir que les temps sont durs, mais j’avais sauvegardé ceci, déclare l’aubergiste en tendant un des verres à Copine qui le prend avec reconnaissance.

Puis, se tournant vers le chevalier :

— Je vois que vous admirez les dessins de mon fils. C’était un portraitiste de grand talent, qui aurait pu faire carrière à la cour ; il n’avait rien d’un héros téméraire et n’aurait jamais dû s’intéresser au monstre. Hélas, peu de temps après que le dragon ait pris ses quartiers dans le fort, un jeune noble plein d’illusions et de bonne volonté est venu passer sa dernière nuit ici. Il était tellement convaincu qu’il allait terrasser le dragon qu’il a demandé à mon fils de venir avec lui pour faire d’après nature un portrait commémoratif.

Ayant apporté son verre au chevalier, l’aubergiste se plonge dans la contemplation du dessin :

— Pendant le combat, mon fils en a profité pour faire des sketchs à partir desquels il fit le portrait commandité. La famille n’en a pas voulu, leur enfant n’ayant pas survécu, mais mon fils l’avait exposé ici-même et il eut un certain succès auprès des braves qui venaient tenter leur chance et trouvaient bonne l’idée de garder une trace de leurs exploits. Mon artiste de fils, qui avait aussi le sens des affaires, se dit qu’il y avait là un filon à exploiter, à condition de se faire payer à la commande.

L’aubergiste se détourne tout à coup et secoue la tête d’un air navré :

— Si les choses en étaient restées là, il aurait pu faire fortune. Mais ce monstre le fascinait. Je dirais même que mon garçon a été envoûté, ensorcelé d’un désir sans fin de s’approcher toujours plus près pour faire des croquis et des dessins toujours plus précis dont il n’était jamais satisfait. Malgré nos avertissements et nos prières, un jour, il n’est pas revenu !

Le petit homme se dirige alors vers un coin de la pièce où il ouvre le battant frontal d’un petit bureau. Aussitôt, une pluie de feuilles se répand sur le plateau et tombe par terre :

— Je me demande pourquoi j’ai gardé tous ses sketchs, j’aurais dû les brûler ! Mais, puisque vous vous intéressez au dragon, et s’ils peuvent vous être d’une utilité quelconque…

Copine s’approche et ramasse les esquisses qu’elle se met à étudier :

— C’est toujours du même dragon ? Ou il y en a toute une famille ?

Copine tend les sketchs au chevalier qui, notant les dates inscrites au bas, se met à les ranger par ordre chronologique.

— C’est le même, murmure le chevalier, mais il prend du poids : il devient d’une obésité… monstrueuse. C’est  effrayant !

— En même temps, abonde l’aubergiste en regardant par-dessus l’épaule du jeune homme, vu ce qu’il a avalé depuis qu’il est arrivé. Car il ne s’est pas contenté des vierges et des chevaliers ! Il a englouti toutes les récoltes, puis des troupeaux entiers qu’on lui a emmené en espérant qu’il épargnerait la population. Après, ça a été le tour des basse-cours, des chats, des chiens, des rats… Plus on lui en donnait, plus il en demandait. Les plus malins avaient compris ce qui se tramait. Ils ont prévenu, avant de déguerpir, que nourrir le monstre n’était pas la solution ; mais on ne les a pas écoutés et les armées du roi ont continué à venir chercher de quoi rassasier le monstre.

— S’il n’a pas développé un méchant diabète, à se goinfrer comme ça, s’exclame Copine ! Son cœur et de son foie doivent être dans un état !

L’aubergiste la fixe un instant, le regard vague, puis :

— Cela fait un certain temps qu’on n’a pas eu la visite des Régiments de la Famine, comme on a fini par appeler les malheureux soldats chargés de ravitailler le dragon. Ils sont allés chercher ailleurs ou alors, ça a été leur tour ! En attendant, nous vivons dans la terreur du moment où le dragon affamé se manifestera. Chevalier, vous êtes notre dernier espoir… car on vous a parlé de la prophétie, n’est-ce pas ?

Le chevalier ouvre la bouche, mais Copine le devance :

— Bien sûr, et la vôtre est intéressante. Mais elle met le chevalier mal à l’aise. Il est plus sensible qu’il ne veut l’admettre, il ne faut surtout pas lui mettre la pression.

— Honnêtement, renchérit le chevalier, je ne pense pas être le héros que vous attendez : je n’ai pas la plus petite action héroïque à mon actif - bien que ce ne soit pas faute de chercher !

Devant l’air déconfit de l’aubergiste, il ajoute :

— Mais nous avons promis à un certain nombre de gens de voir ce que nous pouvions faire. Puisque nous sommes arrivés jusqu’ici, nous irons, demain matin et avec beaucoup de précautions, nous rendre compte de la situation. Il nous faut reconnaitre le terrain, observer et faire quelques relevés pour pouvoir concevoir un plan qui tienne la route…

— Vous pouvez établir votre camp de base ici-même, s’enthousiasme l’aubergiste, car vous n’êtes qu’à quelques heures du fort.

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Miaoo!
Posté le 21/12/2019
que vous ne semblez beau, une coquille aussi ? que vous ME semblez beau ?
et de toute manière il semble y manquer des mots:
"que vous êtes joli, que vous ne semblez beau, sans mentir, si votre plumage, etc. et quand il ouvre le bec, c’est pour nous faire réchauffer une tasse de thé ?" ou pas ..;)

Bien, bien...ils avancent...et moi avec eux !
Cathie
Posté le 21/12/2019
Oui, tu as raison, c'est : ME semblez beau : C'est le début de la fable de la Fontaine : le renard et le corbeau, que le chevalier cite... à moitié. Il se fiche de Copine, pour changer.
Tu tiens le rythme, en tout cas !
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