Chapitre 13 - Acide culpabilité

Notes de l’auteur : Il s'agit ici de la seconde version de chuchotement que je souhaite vous présenter ! Se voulant plus dynamique et poignant (je l'espère) dés le début du récit, anciens ou nouveaux lecteurs, je compte sur vos commentaires :)

La flamme de la lampe vacillait, éclairant la roche et ses reliefs. Devant la porte, le couloir était vide. Nawel avait quitté les lieux, probablement après que je lui eus hurlé dessus. Il fallait que je passe à nouveau cette porte, que je retourne voir mon amie. Pourtant je restai plantée là, comme suspendue entre deux instants, sans pouvoir cesser de repenser à Alaric et à notre conversation.

— Oublions un moment ce qui pourrait pousser le roi Edwin à offrir sa fille en mariage. Le roi des Kargha, lui, qu’a-t-il à y gagner ? avait demandé le garçon d’écurie.

— Comment le découvrir ?

Il avait réfléchi un instant, avant que son regard ne s’éclaire.

— Qui sont les gens les mieux informés de ce qui s’passe dans le Cœur de la Montagne ? Le personnel ! avait-il répondu de lui-même. Je mettrais ma main à couper qu’y a pas de différences chez les Kahas…

— Probablement.

— Je pourrais questionner les soigneurs Kahas, ils viennent déjà régulièrement aux écuries pour emprunter du matos et s’approvisionner pour leurs drôles d’bestiaux ! De ton côté, tu pourrais te charger de ceux qui aident dans l’Cœur ?

— Tu penses à tout. Je dois pouvoir me renseigner effectivement, en commençant par la Kahas avec qui je partage ma chambre, avais-je répondu, une lueur de tristesse toujours au fond de ma voix.

— Sybil, je crois qu’il est préférable qu’on garde tout ça pour nous. Nos recherches pourraient ne pas plaire à tout le monde et…

— Je ne te créerais aucun problème, Alaric. Je n’en dirai pas un mot, pas même à Adélaïde… De faux espoirs sont la dernière chose dont elle ait besoin, avais-je réalisé.

 

Sortant dans mes pensées, je pris une profonde inspiration et abaissai finalement la poignée.

Dans les grands yeux bleus remplis de larmes de la Princesse, je vis l’ultime lueur d’espoir s’éteindre. Assise sur le bord de sa fenêtre, elle porta son regard au loin alors que je la rejoignais. Le soleil commençait à se coucher, et éclairait le ciel d’une couleur rouge sang, soulignant avec cruauté le teint blafard d’Adélaïde. Un vent ténu agita nos cheveux. Une main posée sur le montant de la fenêtre ouverte, elle se pencha légèrement en avant et observa le vide. Les hautes cimes des arbres s’offraient à notre vue. Il était impossible de distinguer la roche, qui recouverte d’un immense tapis vert foncé de branchages, semblait prête à nous accueillir.

— Tout serait plus simple, n’est-ce pas ? murmura-t-elle. Si je sautais, là, maintenant.

— Tu ne dois pas baisser les bras Adélaïde, articulai-je, mes doigts agrippés à l’un de ses poignets, comme pour la retenir.

— Pour quelle raison ? Rien ne sera jamais plus comme avant.

— Ton avenir n’est peut-être pas si sombre.

— Tu ne connais pas mon avenir, Sybil !

Prise d’un élan de colère, la princesse s’écarta de la fenêtre, et me tourna le dos.

— Qu’est-il arrivé à ton front ?

— J’ai fait une chute, avec Shangaï, inventai-je.

— C’était donc cela cette chose si importante à ton cœur… Ton cheval !

— Adélaïde, je…

— Mon père ne m’aurait jamais accordé une telle faveur. Je n’ai toujours eu que des devoirs et des responsabilités, mais pas un instant à moi ! Mon avenir ne sera pas différent.

La Princesse me fit face à nouveau, et le bleu de ses yeux, froid comme la pierre, me transperça.

— Je ne t’ai jamais demandé ce qu’il te voulait ?

— Qui ?

— Le jour où nous avons trié mes vêtements, le Roi t’a convoqué dans la Petite Bibliothèque, me rappela-t-elle. Que te voulait-il ?

— Il m’a présenté à quelqu’un…

Ce n’était pas le moment d’aborder un tel sujet, Adélaïde n’était déjà que trop tourmentée. Toutefois, refuser de lui répondre aurait été pire encore…

— À qui donc ?

— Monsieur Arcane Alphonse. C’est un chuchoteur, murmurai-je.

— Pourquoi mon père te présenterait-il à un chuchoteur ? Cela n’a aucun sens !

— Adélaïde, je ne t’en ai pas parlé plus tôt, car après cette première entrevue rien n’était encore sûr… Monsieur Arcane était persuadé que je possédais le don de chuchotement et il tenait à me rencontrer pour en discuter avec moi. Il y a quelques jours, Shangaï et moi l’avons revu pour effectuer des tests.

— Tu étais seule en compagnie d’un homme ? Réalises-tu ce que tu dis ?

La princesse m’observait d’un œil sévère, attendant une réponse de ma part qui ne venait pas. Que je me sois retrouvée seul avec cet homme n’avait que peu d’importance, ni même le fait qu’il m’ait invité à l’appeler par son prénom… Mon amie m’observa avec la plus grande attention, et sa bouche se tordit imperceptiblement lorsqu’elle comprit que sa curiosité ne l’avait pas poussé à me poser la bonne question.

— Ces tests… Les avez-vous réussis ?

— Je suis une chuchoteuse, Adélaïde. Et Shangaï est mon animal totem.

Je n’avais pas pu m’empêcher de lui annoncer avec une pointe d’enthousiasme dans la voix, espérant la voir se réjouir pour moi. Son regard resta froid, et me rappela à nouveau avec angoisse celui de sa mère.

— Tu m’as abandonnée, car tu crois être une chuchoteuse.

— Il ne s’agissait pas de cela, essayai-je de me justifier, je cherchais des réponses à propos de m…

— Tu avais promis d’être avec moi ! Tu m’as laissée seule ! cria-t-elle.

Les yeux à nouveau remplis de larmes, Adélaïde me fixa avec rage, les mains tremblantes.

— Tu oses me parler de mon avenir. Toi qui ne seras jamais plus seule face au monde. Tu as ton Shangaï ! Il est normal que le futur ne t’effraie plus, acheva-t-elle d’une voix soudainement calme.

— Je suis désolée…

Cramponnée au rebord de la fenêtre, j’observai la Princesse devenue floue à travers mes larmes.

— Sortez d’ici.

Cette injonction me fit l’effet d’une gifle. Mon amie d’enfance me répudiait comme l’aurait fait une dame avec sa domestique…

— Non, s’il te plaît…

— Sortez !

D’un doigt impérieux, Adélaïde pointa la porte. Les yeux clos, des larmes continuaient de perler sur ses joues. Mes pieds traînaient sur la roche, alors que je fermais la porte derrière moi. Me laissant glisser contre le panneau de bois, j’enfouis mon visage au creux de mes bras.

Mes pleurs avaient le goût de ma culpabilité. J’aurais voulu remonter le temps. Cesser de me préoccuper de mon passé oublié pour protéger mon amie. Les empêcher de la toucher. « Tu aurais été impuissante. », murmura une petite voix toute au fond de moi.

Mes pleurs devinrent soudain acides. L’estomac noué, je me relevai péniblement et me mis en marche vers les cuisines, enfouie dans mes sombres pensées. Adélaïde retournait sa colère et sa peur contre moi, me rendant responsable de ce qui lui était arrivé. « Ton amitié pour la Princesse ne signifie pas que tu doives te sacrifier. », m’avait dit Alaric, et c’était pourtant l’injuste constat qui s’imposait à moi. L’éternelle question qui avait hanté mon enfance fit alors une nouvelle fois irruption en moi : « À qui dois-je la vie? ». Je désirais une réponse et je refusais de me sentir coupable pour cela. Cette certitude me frappa, quand je réalisai soudain où mes pieds m’avaient menée.

À seulement quelques pas devant moi, deux gardes étaient postés de chaque côté de la porte qui donnait accès au long tunnel de la Salle du Conseil. Les lampes qui les entouraient faisaient briller leurs armes et armures, me forçant à admettre que je ne pourrais jamais plus revoir la femme du portrait. Oubliée au fond de ce débarras poussiéreux, elle semblait condamnée à garder ses secrets. Il y avait tant de peintures et de portraits qui ornaient les murs de la Montagne, pourtant il s’agissait du sien que le Conseil avait décidé de conserver pour lui seul. Je ne pouvais plus croire à une simple coïncidence. Je devais trouver le Généalogiste.

Subitement, un souffle vif et frais passa au-dessus de mon crâne en ébullition, et vint stopper le fil décousu de mes pensées. Le nez en l’air, j’aperçus alors une ombre volante revenir vers moi, quand une voix claire s’éleva dans mon dos. Les gardes, qui n’avaient toujours pas remarqué ma présence, sursautèrent.

— Sybil !

D’un mouvement hâtif du coude, j’essuyai mes larmes, et me tournais tandis qu’un fragile sourire s’affichait sur mes lèvres.

— Monsieur Arcane ? Oh, je ne m’attendais pas à vous voir ici. Vous vivez dans le Cœur de la Montagne ? Je suis confuse, je l’ignorais…

J’effectuai une révérence un peu gauche, à laquelle le chuchoteur répondit d’un air ravi.

— Absolument pas, s’amusa-t-il. Partir sans cesse à la recherche de nouveaux chuchoteurs ne me permet pas réellement d’avoir un chez-moi, voyez-vous. Non, je loge dans une petite auberge de la Cité. Non loin de chez mon vieil ami monsieur Velamille. J’ai bien entendu un foyer, moi aussi, ne me prenez pas en pitié, mais ce dernier ne se trouve pas dans le ventre de notre Montagne…

Poussant un cri joyeux, Kira vint se poser sur l’épaule du chuchoteur, et donna ainsi forme à leur habituelle silhouette à deux têtes, qui me réchauffa étrangement le cœur.

— Ce soir, cependant, j’ai une entrevue de prévue, expliqua-t-il, un doigt pointé vers la porte sous surveillance. Puis-je vous demander si tout va pour le mieux ? Vous semblez perdue dans vos pensées ?

— Oh, c’est gentil de vous inquiéter… Tout va bien, affirmai-je avec le plus de foi possible.

Visiblement peu convaincu par ma réponse, Alphonse s’approcha de moi et posa une main réconfortante sur mon épaule.

— Si je puis me permettre un conseil, il n’existe, selon moi, aucun remède plus puissant que de passer du temps avec son totem pour y voir plus clair.

— Merci, cependant je ne peux malheureusement pas accorder autant de temps que je le souhaiterai à Shangaï…

— Heureusement que pour nous chuchoteurs la barrière physique n’est qu’une illusion, affirma-t-il en me faisant un clin d’œil.

— Je ne suis pas certaine de comprendre.

— Cela viendra ! Toutefois si l’impatience vous gagne, j’ai bien souvent découvert bon nombre de réponses dans les livres. Je crois savoir que la Grande Bibliothèque du Cœur de la Montagne est l’une des plus riches de notre pays. Bien, jeune Sybil, j’ai un rendez-vous à honorer, et si je veux espérer gagner les bonnes grâces de mon hôte, je devrais me presser, clôtura-t-il notre conversation après avoir brièvement serré mon épaule.

— Bien sûr, articulai-je à mi-voix, tandis que je fléchissais mes genoux et courbai la nuque pour lui dire au revoir.

Le chuchoteur fut englouti par l’obscurité du couloir, après qu’un garde lui ouvrit la petite porte de bois, sa chauve-souris toujours juchée sur son épaule. Je me retrouvai seule avec mon acide culpabilité et mes questions.

© Tous droits réservés – 2018

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
sifriane
Posté le 12/03/2021
Adélaïde fait peine à voir. Tu retranscris très bien leurs émotions à toutes les deux, c'est très réaliste. Même si ça fait de la peine, on peut comprendre leurs points de vue.
J'espère qu'elles réussiront à ce réconcilier.
Shangaï
Posté le 12/03/2021
Merci beaucoup, je suis très contente que tu trouve cela réaliste, cela me tient à coeur d'avoir des personnages "réels" !
Belette
Posté le 03/03/2021
Arf... Pas facile, facile, et en même temps je comprends la réaction d'Adélaïde, sa détresse et sa frustration de se voir malmenée, contrainte à un mariage dont elle ne veut pas alors que Sybil court la Montagne avec Shangaï. Les deux sont enfermées à leur manière, Adélaïde par les codes de son statut et les murs de sa chambre, Sybil par les secrets de ses origines qui l'asphyxie. C'est triste, mais je comprends leur confrontation, elles sont à un moment clé de leurs existences respectives, c'est juste dommage qu'elles ne parviennent pas à s'aider l'une l'autre tant elles sont concentrées sur leur propre sort... :(

Haha, la fameuse bibliothèque pointe le bout de son nez ! Je sens que Sybil va y faire une édifiante rencontre ;)
Shangaï
Posté le 03/03/2021
Oui, effectivement je suis d'accord avec ton analyse. Aucune situation n'est facile et elles vont devoir composer !
Vous lisez