L’arrivée de l’équipage sur Kudos s’était fait tout en douceur. Son départ, lui, fut précipité. Magalie n’était pas restée plus de cinq minutes en talons aiguilles sur la glace. Elle avait vite compris que les forces de l’ordre de cette planète n’avaient pas beaucoup de flair – et surtout qu’ils avaient de la merde à la place des yeux, mais ça, elle se retint de le dire, au contraire de Richard qui se fit ce grand plaisir alors qu’il avait le corps de la jeune femme décédée sous ses yeux.
« Vous êtes sûrs de ne pas avoir besoin de lunettes ? Vous y voyez encore quelque chose ? J’ai combien de doigts, là ? demanda-t-il en gesticulant. Vous avez au moins pris le temps de regarder une photo de la princesse martienne avant de nous appeler ? Non parce que si c’est le cas, faut vraiment s’inquiéter mes pauvres.
- Richard, appela fermement Magalie, retournez dans le vaisseau.
- Vous savez très bien que j’ai raison, insista le pseudo-consultant alors qu’il faisait déjà demi-tour sans rechigner, après tout il faisait vraiment froid.
- Je n’ai pas dit le contraire ! »
Magalie se frotta vigoureusement les bras dans l’espoir de se réchauffer un peu : le froid lui transperçait les os comme un millier d’aiguilles. Le policier en charge de l’affaire n’avait pas fait le déplacement, si bien que Maggie était la plus haut gradée sur la scène de crime. Enfin, s’il s’agissait véritablement d’un meurtre ; le lieutenant penchait plutôt pour une overdose, ce qui était plus que récurrent dans à Kudos.
La première minute sur Mercure fut donc réservée à des déceptions et des glissades – les talons aiguilles sur le sol glacé, ce n’était pas franchement une bonne idée. Magalie s’occupa les trois minutes suivantes à observer le corps et ce qui l’entourait. La jeune femme n’avait pas du tout les mêmes traits que Sindy. Elle avait la mâchoire plus carrée, le visage plus anguleux, le corps trop maigre. On était loin de la princesse rebelle, de la jeune Grassier. Elle fit le tour prudemment, attrapa une paire de gants en plastique, les passa sur ses doigts. Léopold la suivait comme son ombre, si bien qu’il n’attendit pas l’ordre avant de lui tendre un sachet transparent soigneusement ouvert. Maggie y glissa l’objet qu’elle avait saisi, se redressa, et fit signe à Léopold.
« On s’en va. »
Le brigadier lui emboîta le pas jusqu’au vaisseau. Sur leur passage, les visages se tournaient, les regards se perdaient. Ils étaient certainement les premiers véritables membres des forces de l’ordre que ces gens voyaient. Ceux qui vivaient à Kudos ne connaissaient que l’ordre des cartels de drogues et des revendeurs d’armes, tous plus illégaux les uns que les autres. Magalie n’avait qu’une hâte : s’enfuir de cette planète au plus vite.
Le lieutenant ne baissa pas la tête une seule fois. Elle ne détourna pas non plus le regard lorsqu’un mercurien entrait dans son champ de vision. Elle resta fière et droite jusqu’au vaisseau. Une fois la trappe refermée, elle courut dans la minuscule pièce qui lui servait de chambre en espérant avoir laissé si ce n’était une tenue de rechange, au moins un gros pull-over. Comme par miracle, il ne restait que trois vêtements suspendus dans la penderie : son uniforme pantalon, celui qu’elle préférait. Elle se changea à toute vitesse, à la fois par peur d’être dérangée par un visiteur inopportun, et à cause du manque de chaleur. Elle se regarda dans le miroir. Elle était encore maquillée à outrance et ses cheveux relevés dans une coiffure fantaisiste sortie de l’imaginaire de Prudence, mais au moins elle ressemblait un peu plus à un lieutenant de police. Elle attrapa son insigne sur la commode et l’accrocha à sa veste, sur sa poitrine. Là, c’était bien mieux : elle se retrouvait.
Elle jeta un dernier coup d’œil à la robe rouge en chiffon sur le lit avant de retourner sur la passerelle. Grégoire entamait déjà les manœuvres pour le décollage. Il attendit que son lieutenant fut assis pour faire s’envoler le vaisseau. Lui aussi, était content de quitter cette planète gelée.
« Où va-t-on lieutenant Pierce ?
- Au poste. »
Pas besoin de coordonnées, ni d’informations supplémentaire. Ni Grégoire, ni Léopold ne posèrent de questions. Même Richard se tint tranquille dans son fauteuil. Il avait l’intention de se faire une bonne petite sieste – il aurait préféré une clope, mais il avait fumé la dernière des jours auparavant, et même si le manque se faisait sentir, il n’en disait rien. L’architecte s’enfonça dans le siège, suréleva une jambe sur l’accoudoir, puis ferma les yeux. Direction les bras de Morphée – ou plutôt de son équivalent féminin. Ses dernières pensées consciente avant de sombrer dans le monde des rêves furent réservées à sa femme. Il se demandait comment Jenna allait, si elle s’inquiétait pour lui, même si, bien sûr, elle se faisait un sang d’encre. Il s’endormit.
N’étant pas bien pressée de rejoindre le poste de police et de retrouver son chef, Maggie ne demanda pas une seule fois au pilote d’accélérer. Il n’était pas indispensable qu’ils arrivèrent dans l’heure qui suivait leur départ de Kudos, pas du tout.
Plusieurs fois, sa tête se fit si lourde qu’elle roula sur ses épaules. A chaque fois, le lieutenant se redressait dans un sursaut, le cœur battant. La troisième fois, elle prit la décision de se lever pour de bon et de se faire un café. Elle passa à côté de Richard. L’architecte avait la tête en arrière, la bouche grande ouverte, et un minuscule filet de bave sur la joue. Il respirait fort – pour ne pas dire qu’il ronflait.
Grégoire avait mis le pilote automatique ; lui aussi, il s’endormait. Ils avaient tous l’impression de ne pas avoir dormi depuis des jours entiers. Des semaines. Ils étaient à bout de force. Maggie se disait que c’était le soulagement, le fait d’avoir encore une chance de trouver la princesse en vie, qui les faisait tous dormir si paisiblement. Ils n’arriveraient pas avant encore deux bonnes heures, elle pouvait bien les laisser dormir.
Une fois dans la minuscule cuisine, Maggie attrapa la bouilloire. A défaut d’une véritable cafetière, elle buvait du café soluble. Mais pas cette saloperie de déca que son père voulait lui refourguer. Une fois l’eau bien chaude, elle en versa une petite quantité sur une cuillère de grains dans le fond de sa tasse. Ensuite, elle s’assit, deux sucres dans la main droite, la tasse et la cuillère dans la main gauche. Depuis combien de temps n’avait-elle pas profité de ce petit moment rien qu’à elle ? Depuis combien de temps avait-elle laissé de côté son rituel favori ? La réponse était facile : depuis qu’elle avait été promue. Alors elle profita.
Elle fit tomber le premier sucre dans la tasse, touilla un bon moment, puis, après avoir attendu que la fumée blanchâtre se fut échappée, Maggie plongea le second carré blanc dans le liquide. Pour bien se réveiller, il n’y avait rien de mieux que du café – même si là, elle aurait plutôt parlé de pétrole.
Ensuite, comme lors de sa première journée en tant que lieutenant, juste après avoir reçu son tout-nouvel-insigne-qui-brille, elle posa soigneusement le dossier de Sindy à côté d’elle. Deux fluos, un orange et un jaune, un stylo, des post-it : elle était prête. Pierce avala le morceau de sucre, suçota le bout de ses doigts, puis s’attaqua à sa lecture.
Il fallait d’abord réunir tout ce qu’elle avait appris depuis le début. Elle se rendit vite compte qu’ils n’avaient pas beaucoup d’indices. Comment aurait-il pu en être autrement ? Elle n’aurait jamais dû accepter de résoudre ce pseudo-meurtre-enlèvement. Trop jeune, trop inexpérimentée, trop… tout. Elle ferma les yeux dans l’espoir de se concentrer. Elle fit le vide.
Maintenant, il fallait absolument comprendre.
Lorsque deux heures plus tard Léopold vint la chercher, elle ne l’entendit pas arriver ; et pour cause, elle s’était endormie. Cette fois-ci, il n’y avait eu aucun rêve. Pas de Richard, pas de Prudence, pas de père robotique. Pour ne pas la réveiller trop brusquement, Léopold décida de s’immiscer dans son esprit : c’était plutôt risqué, s’il décidait de le faire, alors il entendrait tout. Fallait juste prier pour qu’elle ne soit pas en plein rêve cochon… Ou dans un cauchemar trop terrible, parce qu’après c’était lui qui allait faire des cauchemars. Et il aimait pas vraiment ça…
« Lieutenant ? Lieutenant Pierce ? On va bientôt arriver, il faut vous réveiller… »
Sa voix se faisait hésitante. Il ne chercha pas à fouiller dans l’esprit du lieutenant – et dire que quelques années auparavant, il l’aurait fait sans même le vouloir… Stupide pouvoir. L’idée de faire un réveil par la pensée n’était pas si bête, et l’intention plutôt gentille, mais le résultat fut loin d’être celui espéré : Maggie sursauta, se redressa, se cogna l’estomac contre la table, le tout en se tenant la poitrine.
« Mais vous avez quoi dans le crâne ! J’ai cru que je faisais une crise cardiaque ! »
Léopold bafouilla quelque chose, ce qui ne fit que renforcer la colère de sa supérieure. Celle-ci leva sa tasse dans l’espoir que le café eut été encore chaud : manque de chance, il était gelé. Elle l’avala quand même. Ensuite, et sans laisser le temps à Léopold de s’excuser, elle lui ordonna d’aller chercher ce qu’ils avaient récupéré à Kudos. Elle rejoignit la passerelle.
Richard s’était réveillé, et contrairement à Magalie, il était frais et pimpant. On lui donnait dix ans de moins qu’avant sa sieste. On en donnait facilement quinze de plus à Maggie, avec ses cheveux ébouriffés et son col de travers.
Une fois que tous les membres de l’équipage furent attachés, Grégoire amorça leur atterrissage. Il le fit tout en douceur, comme on lui avait appris à l’école. Magalie fut la première à descendre. Richard l’observa. L’architecte était un peu déçu : la jupe qui permettait voir les immenses jambes avait laissé place à une robe au décolleté fabuleux, et maintenant ce pantalon et ce chemisier… Ignobles. Il était tout déçu – et mini-Richie l’était tout autant, surtout qu’ils n’étaient tous deux pas réveillés depuis bien longtemps. Pour autant, ce ne fut pas ce à quoi MacHolland porta le plus d’attention. Il voyait le lieutenant véritablement en état de stress pour la première fois. Maggie se triturait les doigts, plissait son blazer, remontait son pantalon, se touchait les cheveux et s’arrachait les peaux le long des ongles. Il ne voyait pas son visage, mais il était sûr qu’elle se mordait les lèvres pour couronner le tout.
Lui, n’était pas stressé. Il avait même plutôt hâte de voir à quoi ça pouvait bien ressembler, un poste de la police interstellaire. Et puis, il avait bien compris que Gaston Francis était un sacré personnage, il voulait le voir par lui-même désormais. La déception fut immense lorsque le chef de la police interstellaire les accueillit : il n’était pas le gros gras cochon que Richard MacHolland s’était imaginé. Certes, il n’était pas maigre – loin de là même – mais l’on voyait bien que cet homme avait fait de la musculation des années durant. Richard se rassura en se disant qu’il devait avoir quasiment la même carrure sans avoir besoin de faire de sport – en oubliant le ventre à bière qui commençait à poindre, bien évidemment.
Sans un mot mais avec un simple geste de la tête, il indiqua à Magalie Pierce de le suivre. Richard les suivit du regard. Il découvrit alors le bureau tout de verre. Il ressentit soudain un grand malaise pour la jeune femme : certes, elle n’était pas très douée, même lui pouvait bien le dire, mais elle ne méritait pas de subir… peu importe ce qu’elle allait subir, elle ne méritait pas que ce fut fait devant tous ses collègues.
Grégoire ne les avait pas accompagnés jusqu’à l’intérieur du poste de police, préférant rester parmi les vaisseaux que de subir les frasques humaines. Léopold, lui, abandonna Richard en prétextant avoir quelque chose à faire. L’architecte haussa les épaules. Il était seul dans cet endroit. Pour une fois, il aurait préféré rester dans le vaisseau.
Un homme d’une bonne trentaine d’années, les cheveux blonds comme les blés, s’avança vers lui, un immense sourire collé au visage. Alors qu’il s’approchait, Richard parvint à lire le nom inscrit sur l’insigne : Polkov. L’homme lui tendit la main. L’architecte l’attrapa et la serra fermement dans la sienne, le temps d’une seconde. Il la relâcha aussi vite que possible. Quelque chose en cet homme ne lui inspirait pas confiance, mais Richard avait l’habitude de ce genre de pressentiment, il n’y fit pas plus attention que cela.
« Mikhaïl Polkov, se présenta l’autre. Lieutenant, Mikhaïl Polkov.
- Richard MacHolland, répondit l’architecte, neutre.
- Vous accompagnez donc la jolie minette du poste ? Vous en avez de la chance.
- Pardon ?
- Pierce, expliqua-t-il en jetant un coup d’œil entendu vers Richard. Elle s’en sort bien alors ? La pauvre, avoir un meurtre pour première affaire… Rien de tel pour se louper, ajouta-t-il. »
Richard comprit alors où voulait en venir son interlocuteur. Il répliqua sans réfléchir :
« En réalité, l’affaire est quasiment résolue.
- Ah oui ? demanda l’autre, si surpris que ses sourcils touchaient le haut de son front, quasiment arrivés aux cheveux.
- Oui, bien sûr. Elle n’a même pas eu besoin de moi, ou de qui que ce soit. Sur ce, lieutenant… Polka ? C’est bien cela ? Pourriez-vous m’indiquer les toilettes s’il vous plait ?
- Hum… »
Polkov rougissait à vue d’œil. Il n’eut pas le courage de corriger l’architecte sur son nom de famille devenue danse. Il montra d’un geste de la main la direction des toilettes, marmonna quelque chose, et s’éclipsa. Richard partit directement de son côté. Une envie de pisser le démangeait depuis qu’ils étaient sortis du vaisseaux – et il préférait largement sentir son urine aux effluves d’asperge que d’écouter les conneries d’un soi-disant collègue de Pierce ne cherchant qu’à la discréditer.
De son côté, Magalie gardait les mains derrière son dos. Là, elle arrachait les peaux mortes le long de ses ongles, si fort et si rapidement, qu’à ce rythme-là, elle n’aurait plus de peau sur les doigts. Gaston Francis s’était assis, droit comme un cierge, dans son fauteuil. Maggie restât debout face à lui, sans piper mot.
« Pierce. »
Le ton était ferme, le visage fermé, le regard verrouillé sur celui de son interlocutrice. Maggie déglutit. Elle hochât la tête à l’entente de son nom.
« J’espère que vous avez de bonnes nouvelles. »
Sur le coup, elle ne trouva rien – et même après, en réfléchissant, elle conclut qu’elle n’aurait rien pu dire à cet instant précis, simplement parce que des bonnes nouvelles, Pierce n’en avait pas.
Enfin, pas vraiment. Elle n’était sûre de rien.
« Vous avez perdu votre langue, Pierce ? »
Magalie secoua la tête, rouge de honte, balbutia un « non » mal assuré, et baissa les yeux.
« Alors répondez ! Faites quelque chose, allez ! Vous comptez véritablement nous décevoir, moi et tous vos collègues ? »
L’homme avait désormais le teint aussi rouge qu’une cocotte-minute. Il ne restait plus qu’à croiser les doigts qu’il n’explosât pas.
« Par pitié, dites-moi que vous avez au moins une piste, des suspects, quelque chose de tangible…
- Je…
- Vous ? l’encouragea Francis. Je vous écoute.
- Je… »
Maggie inspira, expira longuement par les narines, puis redressa la tête. Elle planta son regard dans celui de son chef.
« Je n’ai rien, avoua-t-elle.
- Au moins, on peut vous reconnaître l’honnêteté. Pour ce qui est du courage, chez vous, on a du mal à le distinguer de la bêtise. »
Un moment passa sans que l’un ou l’autre ne pipât mot. Francis demanda alors, calmé :
« Pourquoi êtes-vous là, dans ce cas ?
- J’ai récupéré quelque chose sur Mercure, c’était une fausse piste là-bas, pas du tout Sindy Grassier, mais…
- Mais ? Qu’avez-vous trouvé ?
- Il y a toute cette histoire autour du couteau, expliqua vaguement Magalie. Un coup il est dans un musée, la minute d’après il est déclaré volé, disparu, et on le retrouve à des milliers de kilomètres, carrément sur une autre planète, à côté du corps d’une fille qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle qu’on cherche…
- Et ? Qu’en pensez-vous ? »
Maggie prit alors la liberté de s’asseoir en face de son chef. Elle croisa les jambes, se servit un verre d’eau à l’aide de la carafe sur le bureau, et ouvrit le dossier qu’elle avait sous le bras depuis tout ce temps. Elle but. Puis commença à s’expliquer. Le flot de paroles s’écoula d’entre ses lèvres sans qu’elle put s’arrêter une seconde. Il fallait que ça sorte, il fallait comprendre, et peut-être que malgré ses sentiments envers elle, Francis l’y aiderait.
« On cherche à nous cacher quelque chose, chef. Je ne sais pas encore ni qui, ni pourquoi, mais c’est forcément lié à notre enquête et à la disparition de Sindy. Déjà, je suis quasiment certaine qu’elle est encore en vie, quelque part. Je… Je le sens, chef, soupira-t-elle. Et puis, il y a trop de choses qui ne concordent pas. D’abord, les Grassier qui ne veulent pas entendre parler de la possibilité que leur fille soit encore en vie. Ensuite, ils disent à qui veut l’entendre que leur fille est vivante et qu’ils seront bientôt tous réunis. Puis… La reine, Opalina Grassier, qui fait voler le vaisseau et brûler ma copie du dossier avec mes notes…
- Vous ne les avez pas arrêtés, j’espère ? l’interrompit Gaston Francis, l’affolement bien présent dans la voix.
- Non, non, ne vous inquiétez pas.
- Bien parce que sinon… Les retombées politiques pour un tel acte auraient été… incommensurables.
- J’en suis consciente, chef.
- Continuez, l’encouragea-t-il ensuite. »
Maggie hochât la tête. Elle but un peu d’eau, puis, reprit :
« Il y a aussi cette histoire de couteau. Le roi y tient beaucoup et lorsqu’il m’a présenté sa collection, un couteau au manche d’ivoire manquait. Sur le moment, il nous a expliqué qu’il était parti sur Vénus pour une exposition sur les armes terriennes. Plus tard, quand on a été sur Vénus, je ne sais même plus pour quelle raison, eh bien… MacHolland, Richard, celui que j’ai emmené parce qu’il connaissait Sindy, il a été voir par lui-même dans cette expo. Et devinez quoi, chef Francis ?
- Il n’y avait pas de couteau à l’exposition, pas plus qu’au palais ?
- Exactement, acquiesça Pierce. Pas de couteau. Et le roi, en réalité, ne sait pas du tout où se trouve son couteau. Je n’en avais aucune idée, moi non plus, et je m’en fichais un peu à vrai dire, jusqu’à ce que je relise le rapport quand nous allions à Mercure. Quand nous sommes arrivés là-bas, devinez ce que j’ai retrouvé ?
- Un couteau au manche d’ivoire ?
- Bingo ! Et pas n’importe lequel, en plus de ça.
- Le même modèle que celui de la scène de crime, devina le chef. »
Maggie hochât la tête. Comme elle, Gaston Francis commençait à voir les éléments se mettre en place. Le puzzle n’était pas encore terminé, il manquait plusieurs pièces, mais les contours apparaissaient sous leurs yeux.
« Il faut que vous trouviez d’où viennent ces deux couteaux.
- Je ne retournerai pas sur Mars, imposa aussitôt la jeune femme. C’est hors de question, ils nous ont tenus à l’écart d’informations importantes, et nous ont enfermés dans nos chambres dans l’espoir de ralentir l’enquête. Je ne peux pas faire confiance aux Grassier. Et si le roi mentait ? Et si ce couteau, il savait très bien où il était ? Et si ce n’était qu’un couteau parmi d’autres ?
- Comment cela ?
- Pour l’instant, je ne sais pas, avoua Maggie. Mais il y a quelque chose qui cloche. Et puis, vous savez, il y a aussi ce professeur de Sindy… Harold. Il ne m’inspire pas confiance. Lui aussi, il nous cache quelque chose.
- Et quoi ?
- Je n’en sais rien non plus. La seule chose dont je suis sûre, c’est que ça a un rapport avec une femme. Mais je dois découvrir qui. Je sens qu’il est lié à Sindy par autre chose que des leçons qu’il pouvait lui donner… Je me trompe peut-être, mais il y a quelque chose de louche le concernant. Tout va beaucoup plus loin que ce qu’on a pu croire au début.
- Qu’allez-vous faire maintenant ? Comment allez-vous faire pour trouver vos réponses ?
- Je dois continuer à enquêter.
- Et vous en êtes capable, Pierce ? »
Le ton était suspicieux. Maggie serra les poings sous le bureau.
« Je le suis. Et je vais retrouver Sindy Grassier.
- Alors faites-le. »
Maggie comprit alors qu’elle était congédiée. Elle se leva après avoir fini son verre d’eau. Ses mains tremblaient encore tellement qu’elle faillit briser le verre en le reposant bien trop fort et maladroitement sur le bureau.
Elle réajusta son blazer avant de se diriger vers la sortie. Alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir la porte, la voix de Gaston Francis l’interpella :
« Et, lieutenant, faites en sorte de ne pas me décevoir une nouvelle fois. »
Magalie hocha la tête, un sourire gêné au coin des lèvres.
Plus tard, de retour dans le vaisseau et après avoir trouvé des chaussures plus confortables, Magalie se rappela de sa discussion avec Francis. Si au début elle n’avait pas trouvé moyen de lui donner des noms de suspects, désormais, elle en avait au moins trois. Elle s’installa dans son siège sur la passerelle, un café dans la main droite, un stylo dans la main gauche. Elle écrivit sur un collant jaune fluo :
Suspects potentiels :
Opalina GRASSIER
Friedrich GRASSIER
Harold RICE
Elle indiqua ensuite par une arabesque le lien entre les deux premiers noms. Si l’un des deux trempait dans toute cette étrange histoire, alors l’autre y était aussi.
Un peu moins perdue que deux heures auparavant, Maggie ne savait pourtant toujours pas ce qu’elle allait faire maintenant. Elle était à court d’idées. Mars, c’était sûr que non, hors de question de retourner là-bas, c’était bien trop dangereux – autant parce que Maggie avait peur de se faire empoisonner que pour le nez de la petite Prudence.
Que pouvait-elle bien faire ?
De son côté, Richard avait fini par sortir des toilettes. Une jeune brigadière tout juste sortie de l’école lui avait offert un café et lui avait indiqué où il pouvait se procurer de nouvelles fringues, propres, ainsi que des clopes. Une fois un nouveau pantalon sur le cul, ainsi qu’une chemise, il se sentit bien plus à son aise. Là, le voilà de retour, l’architecte de renom de Chicago. Avant de retourner au vaisseau, Richard décida de se griller une clope. Certes, il n’avait pas trouvé de Camel, mais il se contenterait de ce qu’il avait bien pu dénicher.
Lorsqu’il porta la cigarette à ses lèvres et que la fumée grasse lui emplit les poumons, Richie se sentit revivre. Il ne lui manquait plus qu’une binouze, un bon programme télé, et sa femme tranquille dans son coin. L’architecte commençait à comprendre que Jenna lui manquait. Il ne savait pas trop si c’était à cause des sentiments qu’il avait eu pour elle par le passé – parce que s’il pouvait être sûr d’une chose, c’était bien qu’il ne l’aimait plus – ou si c’était à cause de l’habitude.
MacHolland fuma sa cigarette à toute vitesse, puis, à l’aveuglette, rentra au vaisseau. L’esprit embrumé par la fumée, il s’assit aussitôt dans son siège, juste derrière Magalie qui feuilletait pour la centième fois au moins le dossier de Sindy. Il avait à la fois l’envie de la déranger, et celle de la regarder faire aussi longtemps que possible. Cette jeune femme l’intriguait comme personne auparavant. Mais l’instinct était plus fort que tout, alors MacHolland se pencha par-dessus son épaule.
« Vous faîtes quoi, lieutenant ? »
La voix de l’homme eut le don de faire sursauter Maggie qui renversa le fond de café qui se trouvait encore dans la tasse.
« Mais c’est pas vrai ! Vous avez vraiment un don, c’est pas possible ça ! »
Le lieutenant s’était levé, les bras écarté, le dossier tenu du bout des doigts dans une main tandis que dans l’autre se trouvait toujours la tasse qui était cette fois complètement vide.
« Ex…Excusez-moi ! »
Richard se tenait l’estomac. Il riait, riait si fort et d’une telle manière que Maggie se pinça les lèvres. L’envie monta en elle. D’abord, ce fut un sourire qui s’empara de sa bouche sans qu’elle put rien y faire. Puis, le rire, qui lui déchirait les cordes vocales. Tous deux, ils rirent à gorge déployée. Lorsqu’ils se calmèrent enfin, Maggie se rendit compte que son chemisier était tout poisseux, taché de café. Elle n’avait plus qu’à se changer.
A l’entrée de la passerelle, Léopold et Grégoire les observaient, attendant les ordres. Le brigadier avait bien envie de demander s’ils avaient toujours l’affaire, mais il se résigna. A la place, il demanda :
« Que fait-on maintenant, lieutenant ?
- On dit au revoir au poste, Léopold !
- Où va-t-on ? enchaîna Grégoire.
- Pour l’instant, j’en sais franchement rien, mais emmenez-nous loin de cet endroit. Si on reste trop longtemps ici, j’ai peur qu’on nous retire notre boulot ! »
Le regard de Richard et celui de Maggie se croisèrent. Ils pouffèrent. Léopold ne comprenait rien à ce qui se passait. Comment ça, il allait perdre son travail ?
Plus tard, dans la nuit, Maggie eut une idée. S’ils n’allaient pas sur Mars et s’ils voulaient être suffisamment loin du poste de police interstellaire, alors il n’y avait qu’un endroit où ils pouvaient aller. Elle se leva, le cerveau encore tout endormi et les membres mous de fatigue, réveilla Grégoire et, ensemble, dans la passerelle, ils entrèrent les coordonnées de leur nouvelle destination.
Au petit matin, quand Richard se réveilla après une longue nuit de sommeil sans rêves, il demanda :
« Où est-ce qu’on est ? »
Comme personne ne répondait, il se frotta les yeux et s’approcha de la vitre. Il obtint par lui-même la réponse à sa question.
Welcome to Los Angeles, baby.
Ensuite si j’ai bien compris tu es une lobbyiste pour le café.
Un petit oubli de de (L’architecte était un peu déçu : la jupe qui permettait voir les immenses jambes)
Au lieu de : Elle écrivit sur ‘un collant’ jaune fluo ( un papier collant, post-it ou mémo)
On se revoit à L A.
Merci pour ton relevé ; je vais modifier ça tout de suite !
Et pour le café... disons que je ne peux pas le nier !
On se retrouve à L.A. oui !
Encore merci pour tes commentaires :)