CHAPITRE 14

Par Taranee

PRESENT : ELIJAH

 

            L’alarme sonna à 15h 17, exactement quatre minutes après qu’Elijah ait vu passer Jake dans le couloir du cinquième étage. Le médecin qui l’examinait s’arrêta dans sa tâche, tendit l’oreille. Au loin, on entendait des cris paniqués, de vagues « Au feu ! » qui, à cette distance, se réduisaient à des murmures confus. Le médecin se leva, posa son stéthoscope sur la petite table où il avait déjà posé son stylo, son bloc-notes et son mouchoir, et se retourna vers Elijah.

- Tu ne bouges pas d’ici.

Il sortit de la pièce. Elijah attendit cinq secondes puis, souriant, se leva à son tour.

- Comme si j’allais t’obéir.

La panique gagnait le laboratoire, Ethan et Abigail avaient réussi leur mission. Le jeune adulte parcourut les quelques mètres qui le séparaient de la porte et l’ouvrit sans précaution avant de sortir de la pièce. Immédiatement, une main vint lui barrer la route.

- Qu’est-ce que tu fais, toi ? demanda hargneusement le surveillant qui venait d’apparaître devant la porte.

- Je suis désolé, mais là, je n’ai pas le temps.

- Qu’est-ce que…

Il ne termina jamais sa phrase. Le poing d’Elijah lui atterrit en plein dans la figure, le faisant tituber. Le jeune homme ne perdit pas plus de temps. Il profita de l’ouverture laissée par le surveillant pour s’enfuir dans les couloirs. Il s’arrêta dans une salle pour se munir d’une blouse blanche, ajusta ses lunettes sur son nez, et courut jusqu’aux escaliers les plus proches. Dans les couloirs, les médecins se croisaient et se recroisaient, murmurant, criant, ordonnant n’importe quoi à n’importe qui. Un incendie. Ce n’était pas une première, et pourtant, le laboratoire ne savait toujours pas comment réagir. Panique et terreur se mélangeaient et faisaient perdre leurs esprits aux médecins, si bien qu’ils ne remarquaient pas le jeune mage déguisé en médecin qui les bousculait pour passer à contre-sens. La sirène d’alarme hurlait dans les oreilles d’Elijah. Il avait récemment utilisé ses pouvoirs et ne s’en était pas encore tout à fait remis. Il restait sensible aux sons stridents et ce « Wouhwouh » continuel lui perçait les oreilles. Mais il était tout de même foutrement heureux. La deuxième étape du plan se passait à merveille. À cette heure, Ethan et Abigail devaient être en train d’incendier les archives principales du LERM, de brûler tous les dossiers de recherche et d’expérimentation.

            Le mage de soins dévala les escaliers sans grâce et arriva au quatrième étage. Il traversa le couloir en bousculant trois ou quatre médecins et, enfin, finit par retrouver Jake, qui l’attendait devant une pièce d’où émanaient des cris de protestation.

- Tu es en retard. fit remarquer le chef des Libellules.

- Tu saurais où se trouve la pièce avec le dossier ?

- Non. On n’a pas le temps de chercher dans tout l’étage, surtout s’il faut que tu ailles récupérer Nethan.

- On va simplement demander à un médecin alors.

Trois secondes plus tard, Elijah hélait un jeune scientifique qui passait devant eux en courant. L’homme se retourna, fronçant les sourcils. Elijah prit sa voix la plus paniquée et lui dit :

- On m’a spécialement demandé d’aller chercher les dossiers de recherche sur le traitement contre la maladie mais quelqu’un m’a bousculé et j’ai perdu mes clefs ! tu pourrais me passer les clefs de la salle où ils sont conservés ?

- Je peux aller les chercher si tu veux.

- Surtout pas ! Je veux dire… Pas la peine. Donne-moi juste les clefs, tu risques de te mettre en danger, si tu y vas.

Le garçon parut hésitant. Il était jeune, mais il n’était pas bête. Il s’approcha, fixa intensément les yeux d’Elijah, puis articula lentement, avec incertitude :

- Tes yeux, ils sont…

- Marrons.

Elijah se tourna en un sursaut vers Jake, qui venait de prendre la parole. Son œil de mage brillait avec intensité et une goutte de sueur perlait sur sa tempe.

- Ce n’est qu’un reflet, ses yeux sont marrons.

Le médecin parut hésiter, puis hocha la tête.

- Donne-nous les clefs. insista Jake.

Le jeune homme les lui remit. Jake referma son poing sur le trousseau, bouscula le garçon, et prit Elijah par la main. Il serrait les dents. Il avait mal, ça se voyait. Pourtant, Elijah était curieux d’une chose.

- Tu peux aussi influencer ce que les gens voient ou entendent ? Comme tu n’étais qu’un demi-mage, je pensais…

- Je ne peux faire ça que s’ils ont déjà un doute dans leur esprit. Sinon, c’est mortel pour moi. Ce médecin pensait qu’il avait mal vu la couleur de tes yeux, à cause de tes lunettes.

- Tu es génial.

Il vit Jake rougir, cela lui donna envie de rire, mais ce n’était pas le moment de laisser éclater sa joie. Ils étaient pressés. Jake vérifia le trousseau. Il comportait de clefs exactement pareilles, et une plaquette où était gravé le numéro 411. Les deux hommes se dirigèrent vers la salle en question d’un pas pressé et la trouvèrent bientôt, près des escaliers principaux. Jake ouvrit la porte, laissa entrer Elijah puis entra à son tour. Lorsqu’il referma la porte à clef, le jeune homme se retourna en articulant un début de « Qu’est-ce que tu fais ? ».

- Il ne faut pas qu’on soit dérangés pendant qu’on cherche. fit Jake : Grouillons-nous.

Ils commencèrent à fouiller.

            La salle était immense, il y avait des meubles, des paillasses, des placards, des tiroirs, des coffres, tellement de cachettes et si peu de temps pour les trouver… Au bout d’une dizaine de minutes, Jake s’énerva.

- On n’a pas le temps de chercher partout, cet endroit est immense, le dossier pourrait être n’importe-où !

- Et qu’est-ce que tu veux faire alors ?

Une lueur de mauvais augure apparut dans l’œil de Jake. Il plongea la main dans la poche de son pyjama d’hôpital et en sortit ce qu’il cachait depuis tout ce temps : un revolver flambant neuf, qui brillait doucement, menaçant. Elijah recula, les mains devant lui.

- Mais où est-ce que t’as trouvé ça, bon sang ? C’est super dangereux !

- Je l’ai volé à un médecin ! s’exclama Jake avec un sourire espiègle : Et après je l’ai enfermé avec ses collègues dans ma salle d’examens.

- Mais le feu…

- On s’en fout du feu. D’abord on retrouve Nethan, après j’irai les chercher, si j’ai le temps.

- Jake… T’es malade ?

- Elijah, j’ai vraiment pas le temps de t’écouter t’apitoyer sur leur sort. On doit trouver le dossier, accomplir la mission. Je te l’ai dit : il va forcément falloir choisir entre notre vie et celle d’un autre !

- Mais tu n’étais pas obligé de les enfermer ! Tu vas commettre un meurtre délibéré !

Jake se jeta sur lui tout à coup, le poussant violemment contre une armoire dont la porte s’ouvrit.

- Alors tu vas continuer à avoir pitié de ces ordures, même si tu dois le payer de ta vie ? Elijah, c’est toi qui n’es pas normal, ressaisis-toi !

- Non. Non, Jake, je refuse de commettre un meurtre qui n’est pas nécessaire.

-Ils vont nous tuer ! Pourquoi ils avaient des flingues, à ton avis ! Eux, ils n’hésiteraient pas.

- MAIS ON N’EST PAS COMME EUX !

Le hurlement d’Elijah sembla faire taire le monde entier. Jake resta bouche bée, sa main se décrispa de l’arme qu’il tenait. Elijah le repoussa avec autant de violence que Jake l’avait bousculé il y a une minute.

- Je ne suis pas comme eux, reprit-il, et je sais que tu n’es pas comme ça non plus. Ce n’est pas toi, ce n’est pas le Jake que je connais. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez toi, depuis qu’on est arrivés. Je me barre, je vais chercher un moyen de trouver ce dossier.

Elijah lui prit la clef des mains et alla ouvrir la porte. La seconde d’après, deux hommes entraient dans la salle, armés, prêts à tirer. Jake les visa à son tour.

- Tiens, tiens… dit le premier homme, un grand brun avec des lunettes de soleil : On a déjà deux fugitifs. Qu’est-ce qu’on fait ?

- Garde-les en joue. répondit le deuxième, plus petit, plus musclé : On est deux, ils ne peuvent rien f…

Y Où sont les dossiers de recherche sur le traitement contre la maladie ? demanda Elijah, sans se soucier du regard sévère de Jake ni des pistolets braqués sur lui : Je suis sûr que vous le savez, vos blouses indiquent que vous êtes des scientifiques hauts-gradés.

Le petit homme rit avec force et le plus grand adressa un regard dédaigneux à Elijah.

-  Et pourquoi on te le dirait, au nom de l’omniscient ?

Alors Elijah prit une grande inspiration, se concentra, et parla d’une voix froide et claire.

- Mon ami ici présent, il désigna Jake, a une arme chargée, comme vous pouvez le voir. Il n’hésitera pas à tirer, c’est le fils d’un tortionnaire.

- Qu’est-ce que… commença le grand.

- C’est aussi un mage dangereux, continua Elijah, il peut vous tuer en disant un seul mot. Quant à moi… il retira ses lunettes pour que les deux scientifiques puissent mieux voir ses yeux dorés : Je suis un œil-d’or, comme vous pouvez le voir. Vous ne pourrez pas me tuer avant que je n’utilise ma magie contre vous.

Les deux hommes semblèrent hésitants tout à coup. Ils avalèrent leur salive, s’échangèrent des regards anxieux, puis reportèrent leur attention sur les deux mages. Elijah en rajouta une couche.

- Nous n’avons pas vraiment envie de vous tuer, mais si vous nous barrez le chemin…

- D’accord ! cria le grand.

- Qu’est-ce que tu dis ?! riposta le petit musclé : On ne peut pas faire ça, tu vois bien qu’on a l’avantage !

Pas le choix donc. Il fallait jouer le tout pour le tout. Elijah poussa un soupire nonchalant, s’étira.

- Dans ce cas… Jake, je pense qu’on peut…

- A… Attendez ! bégaya le petit : Je… C’est d’accord.

- C’est d’accord pour quoi ?

- Pour vous dire. Où est le dossier.

- Très bien. Dites-le, alors. Et dépêchez-vous de déguerpir.

Ils hésitèrent encore et Elijah se demanda s’il devait en rejouter une couche, mais finalement, le plus grand des deux s’approcha.

- Vous allez au fond de la salle et vous verrez une cage en verre. Vous l’ouvrez et vous ouvrez le coffre qui est à l’intérieur. Les dossiers sont dedans.

- Parfait. Vous pouvez vous en aller alors.

Encore quelques instants d’indécision et les deux hommes partirent sans demander leur reste.

            Lorsqu’ils fermèrent la porte derrière eux, Elijah se tourna vers Jake, un sourire victorieux aux lèvres.

- Tu vois ? Pas besoin d’utiliser les armes, quand on sait jouer la comédie.

- Tu m’as bluffé. Je ne te connaissais pas un tel talent d’acteur.

- Tu serais étonné, Jake, de toutes les choses que je sais faire.

Ils rirent, et puis Jake reprit.

- Fils d’un tortionnaire ?

- Ce n’est pas complètement faux. En tout cas, c’est comme ça que je vois ton père.

- Mouais. Tu as peut-être raison. Passons. Il faut aller récupérer ces fichus dossiers.

Jake passa devant lui et, au moment où il frôlait son épaule pour le dépasser, il lui déposa un rapide baiser sur la joue, accompagné d’un murmure dans l’oreille.

- Toi aussi tu es génial, gamin.

Elijah ouvrit la bouche, la referma, et l’ouvrit encore avec l’impression de ressembler à un poisson. Il sentit ses joues s’enflammer et voulut protester, mais il fut incapable de sortir un mot. Finalement, il se résigna et suivit Jake jusqu’au fond de la pièce. Il y avait effectivement une cage de verre qui abritait un coffre. Jake n’essaya pas d’être subtil et brisa la vitre avec un objet lourd qu’il trouva sur une paillasse proche. Il se saisit du coffre, le posa sur une table, l’examina. C’était un coffre simple, sans serrure. Les médecins n’avaient pas prévu que des gens voudraient dérober ce dossier. Elijah l’ouvrit. Il y avait, à l’intérieur, des papiers soigneusement rangés dans un carton jaune. Dessus, une inscription écrite en pattes-de-mouche : « Traitement maladie ».

- C’est trop facile, trop accessible. Remarqua Jake.

- Oui, mais l’essentiel n’est pas de découvrir le traitement, c’est de le fabriquer et de le distribuer.

- On regarde ?

- Pas maintenant, on ferait mieux d’attendre d’être de retour au repère, avec Joanna.

Jake opina du chef. Puis il tourna la tête. On entendait l’alarme sonner de plus en plus fort. En dehors de la salle, des cris se faisaient entendre. Des cris de terreur, ou de colère. Des ordres hurlés à pleins poumons, et parfois, l’écho des pas désordonnés des médecins, et d’autres pas qui se pressaient dans les couloirs, en groupe. Des dizaines de personnes qui se déplaçaient ensemble. L’évacuation avait déjà commencé. On déplaçait les groupes de mages.

- Elijah, va chercher Nethan. ordonna Jake : Je dois allez faire quelque chose.

- Qu’est-ce que tu vas faire ?

- Je vais régler une vieille histoire. Dépêche-toi, je ne vais pas t’attendre

Sur ces mots, il se dépêcha jusqu’à la porte et sortit de la pièce. Elijah prit sa suite, une seconde plus tard. Mais lorsqu’il sortit dans le couloir, Jake avait déjà disparu.

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