Chapitre 14 - Seule

Dans l’intimité de mon studio, je me fis un thé et le laissai refroidir en rêvassant. Je commençais à me sentir clivée entre deux sentiments.

D’un côté il y avait Éric, que je devais revoir dès samedi. Cette relation démarrait émotionnellement et physiquement de façon impressionnante.

De l’autre côté, la grande première de Lola se profilait dès demain.

C’est donc entre deux personnes que mes idées rebondissaient, comme si Léa et Lola se livraient un match de ping-pong dans ma boite crânienne.

 

C’est alors qu’elle s’est avancée

Elle s’est assise à côté de moi,

D’un air sûr, elle s’est présentée,

Je suis ta part d’ombre souviens-toi.

 

Léa rêvait d’apaisement et d’insouciance. Je désirais profiter, juste ce soir, de l’odeur d’Éric. Cette odeur qui petit à petit se mélangeait à la mienne, imperceptiblement, comme une goutte de colorant dans un verre d’eau s’éparpille en volutes pigmentées et finit par être indiscernable dans le liquide devenu homogène. Nos deux odeurs n’avaient pas encore fusionné, et je pouvais sentir mon petit ami sur mes vêtements, marquer progressivement son territoire sur mon corps.

Mais Lola angoissait. Assumer seule les trois massages, dont un d’une heure entière, était une épreuve bien différente la découverte d’il y a dix jours, coachée par ma Mélanie.

 

Je travaillai assez tard et me couchai tiraillée entre deux entités, entre deux érotismes, entre le besoin de contrôle et celui de lâcher prise.

 

Les cours du jeudi achevés, je pris le tram en direction du local. J’avais essayé de penser à tout. Les clés étaient dans mon sac, avec la tenue qui deviendrait mon uniforme de masseuse. J’avais emmené un ensemble de lingerie noir, le seul dont le bas soit un string. Peu adepte de ce format minimaliste auquel j’avais toujours préféré les shortys, dont je trouvais qu’ils mettent les fesses en valeur avec bien plus de subtilité, je ne portais que très rarement cet ensemble qui trouva sa nouvelle affectation. J’emportai également un short en jean qui serait parfait pour jouer la décontraction de façon sexy, ainsi que le chemisier blanc dont je m’étais déjà parée lors de la première expérience sous la houlette de Mélanie. Enfin je décidai que les escarpins noirs à talons aiguilles complèteraient à merveille cette parure.

 

J’entrai dans la pièce vers 13h30 et mis immédiatement le chauffage. Je me changeai dans la salle de bains, où je sortis mon bâton de rouge à lèvres, avant de renoncer. J’en avais posé ce matin pour aller en cours. Je me maquillais très peu, et cette nouvelle bouche délicieusement rouge me plaisait, petite touche toute neuve de sensualité au milieu d’un visage qui restait naturel. Je me surprenais à y tenir quotidiennement, et plus seulement lors des occasions exceptionnelles auxquelles je le réservais auparavant. Je n’avais pas envie que Lola partage cela avec Léa. Je commençais inconsciemment à poser des barrières pour délimiter une frontière entre ces deux femmes, mais qui n’avait aucune chance d’être étanche.

Une fois que je fus prête, je vérifiai les serviettes, les huiles, dont la multitude de parfums envisageables m’amusa. On pouvait ressortir d’ici embaumant la lavande, le thym, le citron, la fleur d’oranger, la rose, la grenade ou l’amande. Je vérifiai la présence du talc et ouvris les différentes portes et tiroirs du mystérieux meuble exotique teinté d’acajou. J’y trouvai une recharge de talc, d’autres serviettes sèches, beaucoup de boites de mouchoirs en papiers, un roman d’Harlan Coben en format poche, quelques accessoires pour cheveux, barrettes, chouchous et pinces, et plusieurs CD. Il était donc possible d’échapper à la flûte de pan. J’en testai un sobrement intitulé « Zen ». C’était une musique à consonances orientales qui ferait très bien l’affaire pour aujourd’hui.

Mes trois rendez-vous avaient chacun confirmé la séance par sms. Il ne me restait plus qu’à attendre le premier de ces messieurs. Je coupai mes portables.

 

A 14 heures, un grand jeune homme filiforme dont la minceur accentuait la jeunesse, fit son entrée avec un sourire un rien forcé. Il ne faisait effectivement pas plus que les trente ans annoncés.

 

-Bonjour Lola, je suis donc Jean.

-Bonjour, Jean.

 

Je lui serrai la main, un peu hésitante sur la conduite à tenir, maintenant que Mélanie n’était plus là pour me conseiller sur chaque geste.

 

-Vous avez trouvé facilement ?

-Oui sans problème. Vous êtes bien installée, dites donc.

 

Il scruta la pièce. Puis me scruta moi, comme un rayon laser scanne un code barre à la caisse.  

 

-Et puis vous êtes charmante.

-Merci. Vous avez choisi un massage de trente minutes topless, c’est bien ça ?

-Oui, ah d’ailleurs tenez.

 

Il me tendit quatre billets bleus que je fis disparaître dans la poche de mon short.

 

-Je vous laisse prendre une douche ? Il y a tout ce qu’il faut.

-D’accord.

 

Jean se déshabilla et posa ses affaires sur le canapé puis disparut derrière la porte, déjà nu. Je me dévêtis à mon tour et l’attendis seins nus, en string noir, juchée sur mes escarpins.

Le massage du dos commença. Jean fit la conversation.

 

-Vous proposez ces rendez-vous depuis longtemps ?

-Non c’est récent. Je travaille avec une amie, on alterne.

-Ah très bien, donc le jeudi c’est vous.

-Voilà.

-Et vous faites des massages quatre mains aussi ?

-Ça peut s’envisager.

-Sous conditions, c’est ça ?

-Voilà, ça a un coût, déjà, et puis il faut que ce soit un client agréable.

-Donc là je passe un test, en quelques sortes.

-Si votre but c’est de décrocher le droit à un quatre mains, alors oui.  

 

Jean était très mince et très sec. Il m’évoquait le corps d’un marathonien. Sous mes mains je sentais ses os, ce qui me fit presque peur, comme si l’un d’eux allait se briser à la moindre pression excessive de mes doigts.

 

-Vous faites du sport ?

-Du triathlon, pourquoi ?

-Non, parce-que vous êtes vraiment très fin.

-Ah oui c’est exact. Vous préférez Cristiano Ronaldo ?

 

Je souris, mais déviai la conversation.

 

-Ce n’était pas un jugement, juste un constat.

 

Le silence se fit quelques instants. Bercée par la musique, je récitai mes gammes sur la face arrière de son corps. Le massage ne durant que trente minutes, j’en arrivai assez vite à l’éveil des sens. Jean parut apprécier les quelques attouchements engageants, mais sans qu’aucune érection ne vint me le confirmer. Je l’invitai à se retourner. Il devança ma question.

 

-J’aime beaucoup votre façon de faire.

-Ma façon de faire ?

-Oui, vous massez très bien, c’est à la fois doux et tonique, et vous savez être sensuelle avec quelques gestes coquins sans attendre le dernier moment. C’est un bon point.

 

Non mais pour qui il se prenait, lui, à distribuer des bons points comme à l’école ?

 

-On dirait que vous faites un test comparatif pour « Que choisir ».

-Non, mais c’est vrai que je suis un adepte des massages érotiques.

-Ah oui ?

-Oui, je ne suis en ville que pour deux semaines, pour mon travail, et je voulais en faire un pour comparer avec les salons où j’ai mes habitudes.

 

Il était en effet très à l’aise. Ses mains parcouraient mon corps avec pragmatisme, donnant l’impression de savoir exactement ce que les quatre-vingts euros autorisaient. Au-delà de quelques échanges et compliments qui n’avaient pour but que de me mettre dans de bonnes dispositions, je sentais que Jean sondait mes gestes, en cochant progressivement une check-list afin de me décerner ou non un accessit. Il n’y avait pas l’ombre d’une émotion. Ce jeune homme aussi froid et sec que son corps, était courtois et bien élevé, mais il était clairement venu tâter de la femelle et se faire branler. Je ne relançai pas la conversation. C’était du reste inutile : il était en plein monologue et s’écoutait parler, ce que je ne fis moi-même plus que d’une oreille distraite. L’heure de lui donner ce pour quoi il m’avait payée arriva. Son pénis, rompu à des techniques dont la sensualité lui échappait, ne se dressa qu’au dernier moment : une queue fine, pas très longue, dont je me dis intérieurement qu’elle ressemblait à son propriétaire. Pour m’aider à réaliser la finition, j’imaginai ce petit service trois pièces parcourir un triathlon à côté de Jean, comme s’il avait été monté en kit et suivait pas-à-pas son propriétaire. J’évitai de justesse un fou-rire au moment où Jean éjacula en pressant mon sein droit sans le moindre tact. Il se remit à parler quasiment tout de suite, regardant fièrement son sperme faire une flaque sous son nombril.

Il reprit une douche, et repartit comme il était arrivé, derrière son masque de politesse. Une fois la porte refermée, je me demandai ce qu’il valait mieux, entre ce genre de personnage vis-à-vis desquels n'existait aucun risque de débordement, et des gens comme Nicolas, dont l’émotion et l’affect avaient rendu la séance ambigüe, tout en lui donnant une coloration infiniment plus chaleureuse. Je ne me verbalisai aucune réponse, mais mes attitudes diamétralement opposées en face de ces deux clients si éloignés l’avaient fait à ma place.

 

J’allumai mon téléphone. J’avais vingt minutes à attendre avant Claude, le client de Mélanie. Ce fut suffisant pour que je reçoive deux appels.

Ce fut d’abord une voix agréable à l’accent très marqué. Silia avait eu quelques-unes de ces intonations mélodieuses, lors de la séance photo, exprimant toute la richesse de son métissage. Mais là, dans mon oreille, j’avais droit à la version amplifiée, brute de décoffrage, sans filtre. Les ondulations vocales, les accentuations nonchalantes des voyelles arrondies qui cessaient de l’être, et la transformation du R en W allumèrent en moi des saveurs ambrées de rhum, des rythmes zoukés, et des envies de langouste grillée au cœur de Basse-Terre.

 

-Bonjour, je suis Jean-Baptiste.

-Bonjour, je suis Lola.

-Alors j’ai vu votre annonce, et j’étais très tenté, vous êtes bien jolie et j’adore les massages.

-Vous êtes au bon endroit, alors.

 

Le timbre chantant de Jean-Baptiste donnait à son phrasé une couleur et une chaleur qui rendaient le personnage avenant.

 

-Alors je me demandais un peu quels sont vos tarifs, et tout ça.

-Et bien ce sont des massages avec finition manuelle, et selon le temps que vous voulez passer avec moi, d’une demi-heure à une heure, et selon que vous me voulez habillée ou partiellement dévêtue, mes tarifs vont de cinquante à cent-vingt euros.

-Ah oui alors excusez-moi, je comptais mettre quatre-vingts euros, vous pouvez me dire à quoi j’ai droit ?

 

Il me faisait rire intérieurement. Au fond de moi je le remerciai d’éloigner l’impression déplaisante laissée par Jean.

 

-Par exemple un massage de trente minutes où je suis seins nus ou bien un massage de trois quarts d’heure où je suis en lingerie.

-Ah oui ah la la c’est dur de choisir, là… Qu’est-ce que vous me conseillez ?

-Euh, je ne sais pas du tout, je ne vous connais pas. Vous êtes habitué à ce genre de massage ?

-Ah non, pas du tout.

-Mais de façon générale vous aimez les massages ?

-Oui j’adore ça, moi, les massages, en faire et en recevoir.

-Alors vous en profiterez mieux en prenant trois quarts d’heure. Et tant pis pour mes seins.

-Ah d’accord, je comprends. He bien je vais faire ça, alors.

-Bon, et vous voulez venir quand ? Je peux vous proposer lundi après-midi ou jeudi prochain après-midi.

-Oui le jeudi c’est le mieux car je ne travaille pas.

-14 heures ?

-Mais oui, 14 heures d’accord.

-Vous me le confirmez la veille par sms, c’est noté ?

-Ah il faut que j’y pense, alors.

-Oui pensez-y car sinon moi je risque de croire que vous annulez.

-Bon, alors je vais faire un effort pour y penser.

-Voilà.

-He bien merci beaucoup, mademoiselle.

-Mais je vous en prie. Au revoir Jean-Baptiste.

-Au revoir.

 

J’avais oublié de lui demander son âge. Aucune importance. Jean-Baptiste m’avait redonné le sourire.

Le deuxième appel était un candidat autoproclamé à ma blacklist.

 

-Ouais salut.

-Bonjour.

-Elles me font triquer, tes photos, tu sais ça ?

 

Je n’insistai pas. A un certain niveau, la vulgarité finit par devenir absconse et n’appelle plus aucune répartie. Je raccrochai et blacklistai.

 

Claude arriva avec cinq minutes de retard mais s’était douché avant de partir de chez lui, et évita la case salle de bains. C’était un petit bonhomme bientôt quinquagénaire, mais dont le corps et le visage ne trahissaient pas ce demi-siècle qui approchait. Assez trapu, il était plutôt bien dessiné. Son naturel souriant plissait ses yeux et les contours de sa bouche en une certaine bonhommie qui faisait passer ses discrètes rides au second plan. Après quelques échanges sympathiques pour faire connaissance il me tendit cent euros.

 

-Seins nus, donc ?

-Oui, enfin je ne vous ai pas demandé si vous aviez les mêmes tarifs qu’Alessia.

-Absolument. Mais ne vous attendez pas à ce qu’on ait les mêmes seins.

-Je paye pour voir !

-J’ai vu ça, dis-je en me déshabillant alors qu’il s’installait sur le ventre.

 

Il ne mit pas sa tête dans le trou de la table de massages immédiatement, et me regarda quitter mes vêtements. Mais il le fit avec simplicité, d’un regard sincère et curieux qui n’avait rien à voir avec celui de Jean. Je l’observai se tordre le cou pour ne manquer aucune miette de mon strip-tease.

 

-Ça va, ce que vous voyez vous plait, jusque-là ?

-Oh excusez-moi, je ne voulais pas vous mettre mal à l’aise.

-Mais au contraire, ça m’amuse de vous voir me regarder comme ça.

 

Il parut soulagé de ma réaction.

 

-Il faudrait être vraiment difficile pour ne pas apprécier, Lola. Vous avez un corps extraordinaire.

-Mais c’est très gentil, ça !

-C’est surtout très sincère.

 

Je commençai le massage en me calant sur la façon dont je m’y étais prise avec Pascal dix jours plus tôt, puisque la durée était la même. Je pus donc me concentrer davantage sur la discussion, qui se fit par à-coups, entrecoupée de moments plus sensuels où l’émotion, entre autres, montait.

 

-Alors vous êtes un grand habitué d’Alessia ?

-Je la connais depuis un an, environ.

-Vous aviez déjà fait des massages érotiques, avant elle ?

-Oui, avec une masseuse qui a arrêté, et c’est comme ça que j’ai trouvé Alessia.

-Vous la voyez souvent ?

-Entre une et deux fois par mois. Mais vous, alors, parlez-moi de vous. J’étais agréablement surpris de voir l’annonce changer tout à coup avec une charmante blonde en plus d’Alessia. Qui êtes-vous donc, Lola ?

-Simplement une amie, à qui elle a proposé de partager son activité.

-Vous vous connaissez depuis longtemps ? Vous saviez qu’elle faisait ça ?

-Je la connais depuis quelques années et non cette cachotière ne m’avait pas parlé des massages. Elle l’a fait en même temps que sa proposition.

-Mais vous êtes dans le domaine des massages, comme elle ?

-Absolument pas.

-Pourtant on est très bien entre vos mains, je vous assure.

 

Et un petit compliment, un !

 

-Mais c’est le but…

-Donc elle vous a appris.

-Voilà.

-Y compris… le final ?

 

Je me marrai intérieurement. Je visualisais les images irrésistibles que Claude devait avoir en tête. Le pénis au repos frétilla et se gonfla légèrement entre ses jambes.

 

-Claude, vos pensées vous trahissent.

-Hum oui. Excusez-moi, Lola, je ne sais pas si je peux me permettre de vous caresser un peu.

-Allez-y.

 

J’étais derrière sa tête, m’occupant du cuir chevelu et du crâne. Il avait laissé pendre ses bras dans le vide de part et d’autre de la table. Ses mains se posèrent sur mes mollets puis remontèrent le long de mes jambes en direction de mes cuisses dans une caresse sensuelle mais respectueuse. Tout en bas de la table son sexe continuait sa transformation. La caresse se poursuivit sur mes fesses mais sans chercher à y faire de geste déplacé. Les mains n’étaient que de passage et finirent dans le bas de mon dos, puis redescendirent sur mes mollets.

 

-Votre corps est tonique. Vous pratiquez un sport ?

-De la danse.

-C’est très agréable de passer entre vos mains.

-Je vois, répondis-je avec une intonation taquine.

 

Je réalisai en silence les derniers mouvements de cette première moitié du massage, Claude se concentrant apparemment sur son ressenti.

La température monta quand il se retourna, en érection. Les passages de mes mains entre ses fesses se terminant sur son anatomie d’homme ne lui avaient laissé aucune chance de remettre celle-ci au repos.

 

-Alors je suis à la hauteur d’Alessia ?

-En fait vous êtes très différentes. Non seulement physiquement, mais dans votre façon de masser.

-Ah oui ?

-Oui enfin c’est le même déroulement, mais vous n’avez pas la même façon de faire les gestes, d’appuyer, de presser, enfin je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire.

-Si, très bien.

 

J’exécutai toute la partie sage du massage du torse, des épaules et des jambes. A plusieurs reprises je jetai un coup d’œil vers le visage de Claude qui était reparti dans son monde, les yeux fermés. A ses expressions, je pouvais suivre ce qu’il ressentait geste par geste. Je m’approchai du haut de la table et basculai vers l’avant pour lui offrir ma poitrine tout en massant son ventre. Je m’arrangeai pour qu’à de nombreux moments le bout de mes seins vienne chatouiller son nez, effleurer sa bouche, et mettre le feu à son âme. Deux mains se posèrent sur mon dos et en caressèrent chaque centimètre carré. Puis elles changèrent de côté, non sans une autorisation dûment réclamée.

 

-Là aussi, je peux vous caresser ?

-Oui Claude, vous pouvez.

 

Le toucher de ses mains sur mes mamelons fut agréable. Il ne chercha pas à me peloter. Il voulait juste un contact charnel pour accompagner l’excitation qui montait en lui. Je me mis sur le côté et rajoutai de l’huile sur la verge dressée. Me laissant aller à des improvisations, j’en pressai toute la longueur du bout de mes doigts, puis la parcourus ainsi de haut en bas puis de bas en haut, alternativement, plusieurs fois de suite, uniquement par pressions, sans imposer de mouvement masturbatoire. Cela eut pour effet d’accentuer le durcissement de l’objet que j’empoignai alors pour une première caresse. Claude me demanda s’il était possible de redresser légèrement le haut de la table de massage. C’était visiblement dans ses habitudes et je trouvai sans difficulté la façon de procéder. Buste légèrement relevé, je compris que ça l’excitait encore plus de me voir faire. Concentrée sur mes mouvements, je repris la méthode langoureuse qui avait fait ses preuves, à base de gestes tournoyants en contact direct avec le gland, de pressions sur la base de la hampe et les bourses, et d’alternance entre mouvements de stimulation directe, et va-et-vient plus amples. Comme pour les autres clients qui avaient joui de mes mains, son souffle se fit court, et les instants où mes doigts lubrifiés filèrent sur la surface fine du bouton rouge, déclenchèrent gémissements et spasmes de plaisir. Sa main gauche caressait mes fesses et ses yeux étaient rivés sur le ballet que mes mains exécutaient sur sa virilité à ma merci.

 

-On va mettre fin au supplice ? proposais-je en regardant le condamné avec satisfaction.

-Oh Lola comment faites-vous, vous êtes incroyable ?

-Je sais.

 

Comme pour confirmer son jugement, mon pouce gauche pressa le frein du pénis à bout de forces, appuyant légèrement tout en caressant, et l’autre main descendit, dans la fameuse position du bec d’oiseau, se poser autour du méat où elle s’ouvrit, tournant sur le gland, l’enveloppant avec amour, chaque parcelle subissant la glissade. Ma main gauche quitta le frein pour descendre une dernière fois sur la potence, tirant la peau vers le bas dans une translation implacable qui dégagea la totalité du chapeau sur lequel mon autre main terminait son mouvement, tournant sur les rebords jusqu’à ce que le pendu succombe. La main sur mes fesses se fit plus pressante puis s’immobilisa. Le sperme jaillit en trois saccades décroissantes, la première allant jusque sur son torse. Je terminai en quelques circonvolutions de douceur autour du membre ramollissant puis procédai à l’essuyage.

 

-Tout va bien, Claude ?

-Formidablement bien, Lola. Cette fois-ci, je vais prendre une bonne douche.

-Prenez votre temps.

 

Je savais qu’il y avait une heure avant le client suivant. Claude pouvait donc respirer un peu. Je remis les vêtements que j’avais enlevés pour ma prestation. Il finit par se lever et se dirigea vers la salle de bain où il disparut quelques minutes. Il en revint nu et … en érection ! Son sexe n’était pas aussi dur que dix minutes auparavant mais sa morphologie ne trompait pas : il commençait doucement à se ragaillardir. Surprise, je l’interrogeai.

 

-Euh… je ne vous ai pas fait jouir ?

-Mais si, Lola, mais sous la douche, ça a recommencé, c’est la première fois que ça me fait ça. Je repensais à ce qui venait de se passer et … voilà !

-Au moins il n’y a pas de doute sur le fait que mon massage vous a plu.

-Lola, merci parce que ça a été incroyable. Vraiment.

 

Claude rangea sa demi-molle dans un caleçon puis se rhabilla pendant que je remettais la table en place avec une nouvelle serviette.

 

-A bientôt peut-être, Claude ?

-Soyez en sûre, je vais alterner entre Alessia et vous.

 

Sa verge à nouveau prête à l’emploi lui envoya un signal et l’idée graveleuse qui allait avec germa dans son cerveau.

 

-Mais j’y pense… il y aurait moyen… de vous voir toutes les deux… ensemble ?

-Mais bien sûr.

-Rien que d’y penser…

-Et bien vous allez pouvoir y penser Claude ! Vous voudriez un rendez-vous pour un quatre mains ?

-C’est le double du prix j’imagine ?

-A peu près.

-Lors de ma prochaine visite ce sera un quatre mains, alors ! Je peux prendre le rendez-vous aussi bien avec vous qu’auprès d’Alessia ?

-Tout à fait.

-Comptez sur moi.

 

Il m’embrassa sur la joue et partit alors que je me demandai combien de fois il aurait besoin de se masturber avant que le souvenir de mes mains expertes, cumulé à la perspective d’un duo de jeunes filles, ne cesse de le hanter.

 

Contente de cette séance qui contrebalançait la persistance de l’attitude désagréable de Jean, je m’affalai sur le canapé et rallumai le portable. Quelques sms sans intérêt furent effacés rapidement. J’avais cinquante minutes devant moi avant l’arrivée de Simon. Je décidai de relire mes cours du matin. Je ne fus interrompue que par un appel.

 

-Allo ?

 

A ma plus grande surprise, une voix féminine parla.

 

-Bonjour, je me présente, Agnès, j’ai quarante ans, et vote annonce m’intéresse.

-Euh oui, bonjour.

-J’ai déjà appelé votre collègue il y a quelques semaines, mais elle ne masse pas les femmes. Quand j’ai vu que l’annonce avait changé et qu’il y avait une autre fille, je me suis dit « pourquoi pas » ?

-D’accord… bon… mais que cherchez-vous exactement ?

-Je ne veux pas vous mettre mal à l’aise. Je ne suis pas lesbienne, ni bisexuelle, je cherche avant tout un massage.

-D’accord mais pourquoi avec une annonce de massage sensuel alors, et non pas dans un institut « normal » ?

-Parce que j’ai envie d’essayer justement quelque chose d’un peu plus coquin. C’est une sorte de fantasme.

-Je vois, mais vous savez moi-même je suis hétéro, donc je ne me vois pas faire … enfin des trucs sexuels à une femme.

-Je n’ai pas forcément envie de trucs sexuels comme vous dites. C’est plus un truc cérébral, un contexte sensuel, une situation excitante, innovante. Je ne sais même pas comment je réagirai.

-Je ne sais pas trop quoi vous dire, je masse depuis très peu de temps et je n’avais même pas imaginé ce genre de situation. Pour moi il allait de soi que mes clients seraient masculins. Mais à part Alessia vous avez essayé d’autres annonces ? Et trouvé personne ?

-L’immense majorité des autres annonces de massages sont en fait de la prostitution, les filles sont là pour un rapport sexuel. Certaines sont bi et étaient prêtes à me recevoir, mais encore une fois je ne cherche pas cela. Et ces filles ne savent pas masser, ce n’est pas du tout leur job. Il n’y aurait rien eu de troublant à me retrouver là-bas. Alors que vous, vous êtes agréable, posée, vous m’écoutez vraiment.

-Certes…

-Vous êtes mal à l’aise je suis désolée.

-Surprise, plutôt.

-Juste un massage, vous savez. C’est le contexte qui répondra à mon fantasme. Pas forcément des gestes que vous n’avez pas envie de faire. Je veux bien y mettre le prix, je me rends compte que ma demande est hors norme et mérite un tarif conséquent.

-C’est pas vraiment ça le problème.

-Je vous propose deux-cent-cinquante euros.

-Euh…

-Une heure de massage naturiste.

-Entièrement nue vous voulez dire ?

-Oui. Vous aussi.

-Oui, j’avais compris.

-Qu’en pensez-vous ?

 

Je tentai de réfléchir à toute vitesse. Mais quand même… deux-cent-cinquante euros !!

 

-Bon d’accord, mais si ça ne va pas, si quelque chose me met trop mal à l’aise, je me réserve le droit d’arrêter, et bien évidemment de vous rendre votre argent.

-Bien entendu.

-Ok allez… vous pouvez venir quand ? Je reçois le jeudi et le lundi.

-C’est un peu compliqué j’ai beaucoup de déplacements. Je préfère une fin d’après-midi, pour terminer ma journée par ça. Lundi prochain vous seriez disponible ?

-Pas avant 19h30.

-Non ça n’ira pas. Jeudi soir ?

 

J’avais deux rendez-vous programmés pour jeudi prochain, mais entre midi et deux et le tout début d’après-midi. Laisser un trou de plusieurs heures ne m’arrangeait pas.

 

-Est-ce que le lundi d’après ça pourrait vous convenir ?

-Si on fixe 18h oui.

-Ça me va.

-Très bien, je vous remercie vraiment.

-Je vous en prie. Pensez à me confirmer le rendez-vous la veille, je vous enverrai l’adresse à ce moment-là.

-Promis, au revoir Lola, à très bientôt.

-Au revoir.

 

Je raccrochai, et inscrivis le rendez-vous sur l’agenda, me demandant combien de temps mettrait Mélanie pour m’appeler et me demander si j’étais folle.

Je n’avais jamais été attirée par les femmes. La demande d’Agnès m’avait d’abord embarrassée, puis je m’étais rendue compte pendant la discussion que la question de l’attirance ne se posait pas. Je ne massai pas les clients masculins parce que j’étais attirée par eux. Donc peu importait. D’autre part Agnès avait été assez claire sur le fait qu’elle ne voulait pas une prestation sexuelle. Elle venait bien sûr chercher une forme d’excitation, et il y aurait un aspect bel et bien érotique dans la situation, mais concrètement, elle avait à demis mots été claire sur le fait qu’il ne s’agirait pas de lui faire une « finition ». C’est cet argument qui avait achevé de me convaincre, avant même la proposition financière inattendue.

Je poursuivis la relecture de mes cours. Au bout d’un long moment je levai le nez vers l’horloge qui indiquait 14h53. Intriguée, j’appelai Simon. Pas de réponse. Le temps que je tente un sms, j’en reçus un.

 

-Désolé Lola, c’est Simon, suis coincé au bureau dans une réunion improvisée, je dois annuler.

 

 Je répondis par un laconique « ok » puis il enchaina.

 

-Pourrai-je vous recontacter quand même ?

 

Je lui laissai une chance.

 

-D’accord si vous ne me faites pas deux fois le même coup.

 

Il mit un terme à l’échange.

 

-Promis.

 

Ma première journée terminée, je réenfilai une tenue décente, mis les serviettes utilisées dans un sachet plastique, rangeai mes cours, baissai le chauffage en position « hors gel », et sortis du local en direction de l’arrêt de tram le plus proche. Le trajet de Lola vers le domicile de Léa me permit de faire rapidement le point. Un mec désagréable, un très sympa à qui j’avais visiblement fait beaucoup d’effet, un lapin excusé, cent-quatre-vingts euros de gagnés en une heure quinze de travail effectif, et cinq rendez-vous planifiés pour les deux semaines à venir dont un avec une femme.

Effectivement, il y avait du très grand changement dans ma vie.

 

Oh ce soir-là, au bout du mystère,

Côté pile, côté face,

Ma part de paix et ma part en guerre,

Se sont regardées en face.

Trop longtemps en douleur

L’une contre l’autre elles ont régné

Trop d’excès, trop de peurs,

Et si ce soir elles s’accordaient ?

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