CHAPITRE 15

PRESENT : ELIJAH

- Voici Elijah. C’est l’allié dont je vous parlais qui nous a rejoint il y a un peu plus de deux semaines, avec sa jeune amie.

            Jake tenait Elijah par l’épaule d’un air fraternel, enfonçant un peu ses ongles dans la peau du jeune homme qui n’aurait rêvé que de s’enfuir tellement il se sentait en insécurité. Il devait y avoir une bonne vingtaine de personnes dans la salle. Et tous sans exception l’observaient, le dévisageaient, murmuraient à propos de ses yeux dorés. Le jeune adulte sentait sa respiration s’accélérer. Il n’était pas à l’aise. Il se sentait pris au piège, démuni, vulnérable. McDorsey le retenait fermement, l’empêchant de s’enfuir. Elijah comparait de plus en plus cet homme à un démon. Après leur discussion, il y a deux semaines, et la mauvaise blague que Jake lui avait faite en lui ordonnant de tuer le traître, il était plusieurs fois retourné aux portes de cette salle sans jamais entendre le moindre signe de vie à l’intérieur. Une fois, il avait même eu le temps d’apercevoir l’intérieur de la pièce alors que quelqu’un en sortait après y avoir fait le ménage. Il n’y avait personne. Le prisonnier n’était plus là. Et ça ne laissait que de funestes conclusions quant à la nature du « bang » qui avait retenti ce jour-là. Le prisonnier avait disparu, McDorsey qui détenait l’arme au moment de la discussion semblait plus serein. Il n’y avait aucun doute possible : il avait tué cet homme de sang-froid. Le leader des Libellules reprit son discours, coupant court aux pensées d’Elijah.

- Aujourd’hui nous allons simplement patrouiller en ville, faire du repérage. Pas d’intervention. Je vous interdis de vous mettre en danger. Ce n’es qu’une sortie de routine qui servira de mission d’exemple pour Elijah. Néanmoins, n’oubliez pas de me faire vos rapports à la fin de la journée. Si vous remarquez quoi que ce soit de suspect, vous me le dites. N’oubliez pas de rentrer avant le coucher du soleil. Je vous préviens : je ferme les portes du repère à 19h30. Un mage en retard est un mage capturé. Bref. Commençons.

Il se râcla la gorge.

- Equipe 1 ! Cheffe de groupe : Abigail. Vous allez patrouiller aux alentours du LERM. Surveillez les rapatrieurs du labo, collectez des infos sur les horaires de sortie. Je vous autorise à intervenir si un mage ou un retourneur est en danger imminent. Equipe 2, équipe 3 et équipe 4 : Chefs de groupe : Dee, Ilan et Alexandre. Vous couvrez la ville de Nirim. Je veux deux équipes dans les quartiers pauvres, une dans les quartiers moyens et aisés. Vous allez surveiller les déplacements des chasseurs de prime. Il y en a plus que d’habitude dans le quartier pauvre. Je veux savoir ce qu’ils mijotent. Essayez de comprendre comment ils se déplacent, s’il y a une logique. Et l’équipe 5, cheffe de groupe : Aya, vous vous occupez du nouveau. Montrez-lui les quartiers, expliquez-lui comment ça fonctionne, à l’organisation. Protégez-le, il ne sait pas se battre au corps à corps. Préparez-vous, on se retrouve devant l’entrée dans quinze minutes.

Sur ce, il descendit de l’estrade où il s’était placé, lâchant enfin Elijah. Le jeune homme se demandait pourquoi Jake n’avait pas attendu plus longtemps avant de lui présenter l’escouade de terrain. Cela ne faisait que deux semaines qu’il s’entraînait et, même s’il s’était amélioré dans tous les domaines, il n’en restait pas moins médiocre en therme de condition physique et moyen au maniement du couteau. Son seul point fort était le tir aux armes à feu. Malgré le fait qu’il portait des lunettes, il était plutôt bon à la visée et réussissait de plus en plus souvent à atteindre sa cible. Mais même avec cette compétence, n’était-il pas dangereux de l’envoyer en mission si prématurément ? Elijah n’eut pas le loisir d’y réfléchir plus longtemps car il entendit un cri aigu et, soudain, se retrouva enlacé par une jeune fille qui portait des lunettes et deux nattes.

Elle le serra encore un peu plus fort et s’écarta pour l’admirer. Elle parla alors à toute vitesse, les mots s’entrechoquaient dans sa bouche, comme s’ils se bousculaient pour sortir, et le jeune mage de soins eut du mal à comprendre.

- Salut, je m’appelle Evvy, j’ai 14 ans, je suis un mage blanc ! C’est super d’avoir un garçon dans l’équipe, Ethan commençait à mal supporter d’être le seul mec mais il n’y avait personne d’autre qui pouvait rejoindre l’équipe alors… Bref. Tu dois être super puissant, les gens qui ont des yeux d’or ont beaucoup de réserves d’énergie magique donc ils peuvent utiliser des sorts plus conséquents, de niveau plus élevé. Je crois que tu es un mage de soins ? C’est ce que Jake nous avait dit, il me semble… Avec ces yeux d’or, tu dois au moins pouvoir faire repousser un membre coupé !

Elijah poussa un petit rire et passa une main dans ses cheveux.

- Je ne suis pas vraiment puissant, tu sais… Je ne peux pas me servir de mon pouvoir correctement. J’ai beau être un mage qui utilise une magie blanche, la souffrance que je ressens quand j’utilise mon pouvoir peut m’être mortelle…

- Tu sers à quoi alors ?

La voix avait retenti depuis le milieu de la salle et avait fait tourner quelques têtes vers celui qui l’avait prononcé. C’était un jeune homme de grande taille, bien qu’il semblât plus jeune qu’Elijah. Il marchait d’un pas assuré, les mains dans les poches. Son expression était neutre, il avait un air passif, bien que ses yeux observassent tout ce qui l’entourait avec beaucoup d’attention. Il scrutait à la fois Elijah et surveillait du coin de l’œil les membres des autres équipes qui sortaient de la pièce. Lorsqu’il arriva au niveau de l’œil-d’or, il le toisa avec un mépris visible.

- On t’a donné une quantité immense d’énergie magique et t’es même pas fichu d’être fonctionnel ? Sérieusement… Pourquoi Jake a fichu un mage dysfonctionnel dans notre équipe ?

- Ethan ! s’exclama Evvy , outrée.

Le jeune homme lui adressa un doigt d’honneur superbement insolent et l’adolescente poussa un petit cri. Puis le dénommé Ethan reprit ses déblatérations d’une voix grave et calme.

-  C’est vrai, quoi. A quoi peut bien servir un mage de soins s’il ne peut pas soigner ? Il ne sera qu’un poids pour… Aïe !

Une main venait de lui donner une claque sur la tête. Ethan se massa l’endroit où il avait pris le coup et jeta un regard véhément à la jeune femme qui lui faisait face et qui en était responsable.

- Non mais tu t’es pris pour qui, à faire ton insolent ?! Primo, Ethan : On n’insulte pas les gens qu’on vient de rencontrer ! Attends au moins de le connaître un peu mieux avant de dire n’importe quoi. Et deuxio : On ne fait pas de doigt d’honneur à ses camarades ! Compris ? Alors Excuse-toi avant que je ne t’en donne une deuxième !

- Pardon. marmonna-t-il sans conviction.

- C’est déjà mieux.

La femme se retourna et s’approcha d’Elijah. Silhouette svelte, elle avait la démarche assurée d’un leader auquel on ne cherche pas de problèmes. Elle avait une peau d’ébène et un sourire éclatant. Sa multitude de tresses rassemblées en une même queue de cheval se balançait doucement au rythme de ses pas. Elle tendit la main au jeune homme qui la serra. Sa poigne était forte.

- Excuse-le, dit-elle, il n’est pas très sociable. Tu t’y habitueras. Je m’appelle Aya. C’est moi, la cheffe de cette équipe. Je pratique une magie de force pure. C’est une magie noire, celle de Ethan aussi, d’ailleurs, mais il te la dira quand il se sentira prêt à te parler. Pour ta magie, ce n’est pas grave. Mais un conseil : entraîne-toi, c’est le seul moyen de t’habituer à la douleur. Moi aussi je suis surprise que Jake t’ait mis dans l’escouade de terrain. Avec un tel pouvoir, tu aurais dû finir à l’infirmerie, avec Jim et Alyna. Bref. Bienvenue. Oh ! Et si tu veux savoir, la fillette qui se cache dans le fond, c’est Gringe, elle a des prémonitions, quelques fois.

Elle désigna une enfant à demi dissimulée dans l’ombre. La fillette avait un teint cadavérique et sa longue chevelure châtain foncé s’appliquait à masquer le plus possible ses yeux bleus glaciers qui semblaient observer quelque chose que personne ne pouvait voir. Elle était jeune, à peine plus vieille que Nethan, et encore. Elijah détourna prestement le regard. La fillette le mettait mal à l’aise. Il fut temps de partir. Il ne restait déjà plus aucun groupe dans la salle et l’équipe 5 prit soin de refermer la porte avant de se rendre dans l’entrée où tous les autres attendaient. Il y avait aussi quelques personnes qu’Elijah n’avait pas vu, lors du discours de McDorsey. Evvy lui expliqua qu’il y avait toujours des gens qui venaient assister au départ des escouades de terrain.

            Soudain, il vit Nethan qui courait, depuis le fond du couloir. Ses petits pas résonnaient dans la coursive, elle faisait de grands gestes avec la main. Elijah s’arrêta juste avant de passer la porte et se retourna, s’attirant un regard foudroyant de la part d’Ethan. Il s’avança vers la fillette qui arriva bientôt à sa hauteur. Elle adressa un rapide bonjour à ceux qui assistaient au départ de l’escouade et qui la connaissaient déjà et vint rejoindre Elijah. Avant que le jeune homme n’ait pu lui demander ce qu’elle voulait, elle le prit dans ses bras, dans une étreinte chaleureuse. Elle leva la tête, puis demanda au jeune homme de s’accroupir, ce qu’il fit. Là, Nethan se pencha juste à côté de son oreille et murmura une phrase, une seule, qui vint le toucher en plein cœur comme une flèche de tendresse.

- Bon anniversaire Elijah.

Elle s’écarta. Il sourit, gêné, et lui caressa les cheveux avant de se relever, lui adressant un regard complice. Elle n’avait pas oublié. Il avait 20 ans, aujourd’hui. Mais personne ne le savait. Personne, sauf elle. C’était étrange, de se faire souhaiter bon anniversaire en ces temps où les festivités étaient la dernière des préoccupations pour les mages… Et pourtant… Pourtant, ça lui faisait chaud au cœur, il ressentait un peu de nostalgie, à l’entente de ces mots…

PASSE :

            - Joyeux aaanniiiiveeersaaaaire ! acheva Caleb d’une voix enjouée.

Les garçons du dortoir applaudirent et Elijah se renversa en riant sur son matelas. Son ami lui donna le paquet de biscuits qu’il avait réussi à dérober dans la poche d’un médecin et Elijah le remercia, partageant la maigre collation avec la trentaine de garçons présents dans la pièce. Un surveillant passa pour une inspection improvisée et tous les enfants se dépêchèrent d’avaler les dernières miettes de gâteau qui étaient tombées sur leurs draps. Quand l’adulte s’en alla, la tension disparut et les garçons rirent de nouveau. Elijah avait 14 ans aujourd’hui. Sa voix commençait sérieusement à muer, il avait de l’acné sur les joues et le front, mais mis à part ça, rien n’avait changé. Il était toujours astigmate et incapable de soigner ce trouble de la vue, son pouvoir n’était pas plus fonctionnel qu’avant et, en un an de plus, il était retourné deux fois dans la pièce noire. Non, rien n’avait changé. Et c’était pour ça que Caleb était encore à ses côtés, à faire les quatre-cents coups avec lui, que Katie Arpner était toujours aussi mignonne et convoitée par tous les garçons du LERM, que Jio le contactait régulièrement, lui étant d’une aide précieuse lorsqu’il était au plus bas, et qu’aujourd’hui, une de ces enflures de médecins avait été gravement blessé par un mage qui avait refusé d’être un sujet d’expérimentation plus longtemps. Oui, Elijah ressentait encore la peur, la haine, le dégoût, et cette impression qu’il tombait dans un trou sans fond, des sables mouvants dont il ne pouvait s’extirper, mais il n’était pas seul. Il y avait des gens, autour de lui, qui ressentaient la même chose, qui le retenaient, lorsqu’il s’effondrait. Il y avait des gens derrière lui, qui comptaient sur lui pour tenir tête au président du LERM. Ce même président qu’il avait eu l’occasion de voir pour la première fois, lorsqu’un surveillant avait trouvé le revolver dans l’étagère qu’il partageait avec Caleb.

            Caleb. Son premier ami, ici. Celui qui l’avait guidé, aidé, soutenu. Celui qui l’avait réconforté, qui avait apporté la joie dans un endroit aussi sinistre que le LERM. Caleb était la personne à laquelle il tenait le plus. Mais il dépérissait. Cela se voyait. Il avait moins d’énergie qu’avant, la lueur de magie dans ses yeux s’éteignait parfois. Et Elijah s’en voulait d’être faible, de ne pas arriver à se servir de sa magie, même si la santé de son meilleur ami en dépendait. Mais il ne fallait pas penser à ça. C’était son anniversaire, aujourd’hui, et Caleb avait trouvé un moyen de le fêter au moins un petit peu. Il avait 14 ans, aujourd’hui. Il allait en profiter encore un peu, les problèmes pouvaient bien attendre une soirée avant de revenir…

PRESENT :

- Eh. On y va.

La voix d’Ethan se faisait impatiente et Elijah se retourna. Il n’y avait plus personne à l’entrée, tout le monde était parti. Tout le monde, sauf Ethan, cet adolescent qui l’attendait, les bras croisées, adossé contre un mur, détournant le regard et se cachant un peu dans son sweat noir.

- Où sont les autres ?

- Dans les tunnels. Ils ne pouvaient pas rester ici indéfiniment. On a une mission en plus de s’occuper de toi.

- Et toi tu m’as attendu ?

- Ouais, c’est ça. marmonna-t-il en rougissant un peu : Et tu ferais mieux de te manier parce qu’il faut qu’on rattrape notre retard, le nouveau.

L’intéressé se leva avec l’ombre d’un sourire accroché aux lèvres et les deux garçons se mirent en route.

            Une fois dans le noir, les peurs revinrent assaillir Elijah qui se força à garder son calme. De temps en temps, il poussait un léger soupir qui se répercutait à l’infini dans les galeries. Le silence était pesant, perturbé seulement par le bruit lointain de leurs pas. L’obscurité les enveloppait de ses dangers et ils avaient pour seule arme contre elle une vieille lampe qui n’émettait plus qu’un faible faisceau tout juste assez lumineux pour leur permettre de voir où ils mettaient les pieds. Il avait plu récemment à la surface et les tunnels étaient humides. De temps en temps on entendait le « ploc » solitaire d’une goutte d’eau qui s’écrasait sur le sol. La respiration du jeune adulte s’accélérait et il était parfois contraint de s’arrêter quelques secondes pour reprendre du courage. Il sentait la présence rassurante d’Ethan s’éloigner petit à petit mais continua à écouter le son de ses pas et à suivre sa trace. Soudain, il ne réussit plus à retrouver son camarade. Elijah se retrouva seul, dans le noir, perdu dans les anciennes voies du TMIZ. L’atmosphère se fit plus menaçante et il sentait maintenant le danger imprégner l’air et le rendre poisseux. Il ne voyait plus rien, les sons lui paraissaient amplifiés, l’écho du vent devenait une plainte sinistre et le moindre craquement le faisait sursauter. Tout à coup, il sentit quelque chose de froid et humide s’écraser sur son épaule droite. Elijah bondit, cria. Il courut, trébucha, perdit ses lunettes, cria encore, appelant n’importe qui. Nethan, Abigail, et même Jio. Ce fut Ethan qui arriva d’un pas raide. Ses talons claquaient contre le sol et il avait l’air furieux. Il s’accroupit et saisit le col de la chemise d’Elijah.

- C’est quoi ton problème ?

- Mais qu’est-ce que… commença le jeune homme en se dégageant.

Mais déjà, Ethan repartait à l’attaque.

- Tu crois que tu es ici pour jouer les touristes ? Pour te pisser dessus dans le noir en attendant que quelqu’un vienne te tenir la main pour traverser ce tunnel ? Abby m’a raconté votre première rencontre, comme tu étais terrifié par l’obscurité. Elle a essayé de te faire bouger, elle t’a dit quelque chose de similaire à ce que je viens de te dire. Mais te voilà, inchangé. Incapable de te débarrasser de ta fichue peur. Sauf que, tu vois Elijah, si tu veux entrer dans un mouvement de rébellion, il va falloir que tu apprennes à surmonter tes peurs. Zut. Comporte-toi en adulte.

Elijah ne répondit pas. Ethan donna un coup de pied dans le mur à sa droite et se détourna, prêt à partir.

- Oh ! Et puis après tout, si tu veux rester pétrifié ici, je m’en contrefiche. On nous a demandé de te montrer comment se passaient nos missions, pas de jouer aux baby-sitters.

Il s’éloigna de quelques pas et c’est à ce moment qu’Elijah se ressaisit. Il bondit, le rejoignit en deux foulées. Non. Il ne pouvait pas rester là, assis par terre. Pas alors que ce gamin venait de lui faire la leçon et qu’il le méprisait, du haut de son piédestal d’orgueil. Sa fierté ne lui aurait jamais permis de se faire écraser par un gosse.

            Lorsqu’il fut aux côtés de son coéquipier, celui-ci accéléra le rythme. Ils marchèrent d’un pas cadencé, assez rapide, tant et si bien qu’ils réussirent à rattraper le peloton de l’escouade de terrain sur la fin du trajet, au moment où ils s’apprêtaient à regagner la surface en empruntant les escaliers. Aya vint à la rencontre des deux garçons, adressant un sourire conciliant à Elijah puis s’adressant à l’adolescent qui se trouvait à ses côtés.

- J’avais raison : Tu étais resté pour attendre Elijah !

- Jake nous aurait tués si on l’avait perdu.

- Mais oui, bien sûr ! C’est parce que Jake le voulait, que tu es allé le chercher !

- Peu importe. coupa Ethan : Dépêchons-nous de sortir.

Aya haussa les épaules et tous trois rejoignirent leur groupe. Ils grimpèrent les marches. Elijah voyait la lumière du jour se rapprocher et ressentait un certain soulagement à l’idée de revoir le soleil pour la première fois depuis des jours et des jours. Soudain, un murmure se répandit dans l’escouade, depuis l’équipe 1 qui était en tête. C’était un ordre : Stop. Tout le monde s’arrêta, l’oreille aux aguets, certains semblaient surveiller quelque chose, guetter un danger. On entendait à peine le souffle des respirations. Les mages se tenaient prêts à combattre. Elijah interrogea Evvy du regard et la jeune fille s’approcha de lui pour lui donner ses explications.

- Des gens ont dû passer devant l’entrée. Habituellement, il n’y a personne ici, mais il arrive que quelques personnes se perdent en traversant le dédale et atterrissent ici. Ce serait dangereux s’ils nous voyaient sortir, ils feraient le lien et avertiraient les chasseurs de prime et le LERM. C’en serait fini des Libellules.

Elijah hocha gravement la tête. Une petite poignée de minutes passa avant que quelqu’un n’ose bouger. Le mouvement arriva depuis l’arrière et remonta dans les escaliers comme un frisson de vie qui sembla désactiver la paralysie qui avait pris la troupe. Tout le monde termina de grimper les marches et, une fois dehors, ils se séparèrent. Bientôt, le groupe 6 se retrouva seul devant la bouche du TMIZ. Le soleil dardait ses rayons sur la ville et le quartier pauvre paraissait aujourd’hui un peu moins miséreux. Une brise passagère rafraichissait l’air. C’était la saison douce, la saison où tout le monde sortait, faisant fi du danger. Mais ce soleil chaleureux tant attendu marquait pour les mages le début des rafles. En cette saison, l’humeur était aux rires, aux promenades, à la légèreté. On faisait moins attention, on était distrait. Les mercenaires en profitaient pour faire la cueillette. L’équipe ne tarda donc pas à se réfugier dans un bâtiment abandonné aux alentours : une vieille maison à colombages qui s’étirait sur quatre étages.

- On a pour habitude d’aller dans un endroit où nous serons relativement en sécurité avant de commencer la mission du jour. Ici, on fait le topo, on récapitule tout : le programme de la journée, les rôles de chacun, les plans B et C, le point de ralliement et le protocole d’urgence. commença Evvy en adressant un regard sérieux à Elijah.

- Le protocole d’urgence ?

- Oui. On en a rarement besoin mais ça arrive, quand un membre de l’équipe se fait capturer.

Le jeune adulte avala sa salive. Il y avait une telle gravité dans les paroles d‘Evvy, un tel sérieux… Le visage de la jeune fille s’était soudain assombri. Elle semblait en pleine remémoration d’un évènement passé. Pourtant, elle continua de parler, même si cela semblait lui coûter.

- Quand quelqu’un se fait prendre, selon l’endroit où on est, il faut : soit aller se cacher dans un repère de mages, soit retourner à la base. Si on ne peut faire ni l’un ni l’autre, ça devient compliqué. Dans tous les cas, il faut immédiatement avertir les autres équipes et Jake qu’une ou plusieurs personnes se sont fait prendre. Il enverra une équipe de sauvetage. Mais parfois, l’équipe de sauvetage ne suffit pas à secourir les mages. On a déjà perdu une quinzaine de compagnons comme ça. C’est aussi pour ça qu’on veut infiltrer le LERM. Pour pouvoir les faire sortir.

Elle porta son regard au loin, dehors, vers le soleil et les nuages qui défilaient dans le ciel. Il faisait beau. N’importe qui aurait pu croire que tout allait bien à Nirim.

- Il faut qu’on se magne si on veut tout montrer au nouveau.

Elijah sortit de sa torpeur. Cette voix lui était inconnue. Il se retourna et vit une fillette très pâle dont les yeux de bleus semblaient être capables de voir les pensées les plus intimes de chaque personne présente dans cette pièce. Il mit du temps à se souvenir du nom de celle qui venait d’intervenir puis cela lui revint. Gringe. Aya la lui avait rapidement présentée. Gringe reprit la parole en se levant.

- On ferait mieux de commencer par le quartier riche, cette fois. Les chasseurs grouillent dans le quartier populaire et vers le quartier de la paix.

- Le quartier de la paix ? intervint Aya : C’est étrange. D’habitude ils ne viennent pas jusque là-bas car ils y sont mal vus… Enfin… Tu as raison. On ne devrait pas trop s’attarder ici, surtout si on veut avoir le temps de tout t’expliquer en détails, Elijah. Alors on y va ?

Elle se leva, aida Evvy à en faire de même, et les trois filles du groupe rejoignirent l’entrée de la maison. Ethan était debout depuis longtemps, lui. Caché dans un coin sombre, il n’avait pas parlé, n’avait pas bougé, attendant juste que la discussion se termine. Ce n’est qu’au moment oùù il se leva à son tour qu’Elijah le remarqua en train de l’observer. Il se râcla la gorge, détourna le regard, et suivit les filles dehors. Le quartier était désert. Une brise rafraichit l’air. Au loin, on entendit le chant d’un oiseau. Un sourire vint chatouiller les lèvres du jeune mage aux yeux d’or. Il était heureux d’être ici, à l’extérieur, entouré de nouveaux camardes si loyaux et investis dans ce qu’ils faisaient. Il était heureux d’avoir croisé la route des Libellules. Il était heureux de coopérer avec eux. Il était heureux parce qu’il savait que Nethan était en sécurité, qu’il était entouré de personnes prêtes à l’aider s’il se trouvait en difficulté. Parce qu’il avait 20 ans, aujourd’hui, et qu’en vingt ans, c’était la première fois qu’il se sentait libre. Libéré du LERM, de la fuite, de tous ses problèmes.