Le dimanche est le jour où je m'accorde à aller visiter mon père – J'ai déjà expliqué plus haut pourquoi - Et, il se trouve que ce dimanche, en particulier, j'ai justement plusieurs choses à lui dire.
« Père, premièrement, je suis désolé. Désolé de ne plus m'être pointé ici depuis tous ce temps. Désolé de ne plus avoir revu maman. Désolé pour ma conduite indécente. Mais, tu sais, tu me manques énormément. J'ai encore besoin de tes conseils. Je crois que l'on ne peut jamais vraiment bien vivre sans les conseils d'un père, en fait. C'est vrai que ça va bientôt faire treize ans que tu n'es plus ici avec nous, mais je demeure ignorant et inexpérimenté en ton absence. Tu n'as pas fini de faire ton travail et tu me livres au monde cruel des hommes comme ça.
Les nouvelles ? J'ai rencontré une femme. Je l'ai apprécié. Je l'ai aimé. J'ai connus une autre femme. Tu la connais. Je l'ai connu entièrement. La première d'entre elle est celle que j'aime, mais à qui j'ai dû renoncer parce qu'elle devait construire sa vie avec un autre homme. La seconde est celle qui m'aime et qui m'a fait découvrir comment on apprécie une femme. Je vis avec elle actuellement et je ne sais pas trop ce que je ressens pour elle. D'ailleurs, j'espère ne pas lui faire de mal.
J'ai pêché et je suis parti ce matin pour m'en confier. D'abord, j'ai commis l'adultère en convoitant la femme d'un autre. Ensuite, par inadvertance, je l'ai poussé à me céder. Et enfin, J'ai inconsciemment volé son honneur et j'ai l'étrange impression que le mien m'a également été dérobé.
J'ai tenté de nouvelles choses, hein. J'ai fait du sport. J'ai fait de la déco. J'ai recommencé à partir dans les parcs de jeux. Et, tiens-toi bien, j'ai même rejoué au minigolf. Tu te rappelles. Un jour, à l'âge de huit ans, j'étais venu avec maman ici pour te faire la promesse de ne plus y penser. Tu veux que je te dise la vérité ? J'avais tort. J'étais encore très jeune et je crois que j'avais tort.
Je suis toujours autant jeune et je commets beaucoup d'erreurs. Ça, c'est le fruit de ton départ précoce. Mais, tu sais quoi ? Je ne t'en veux même pas pour ça. Non ! Tu m'as toujours appris qu'être un Mordécaille relevait beaucoup de responsabilité. Tu m'as toujours dis que l'intelligence était la seule chose dont j'avais besoin pour réussir. Et... tu avais en quelques sortes raison. Tu aimais dire, quand je me plaignais d'avoir un nom de famille aussi laid, que ce nom de famille était un grand nom. Un nom qui était à l'abri de toute malédiction.
En fait, j'ai peut-être mal entamé mes aveux. Tu me manques, oui. Mais, ta présence ne me manque plus vraiment. Je t'admire juste. Et, je pense que c'est parce que je t'admire autant que c’est ton existence qui, elle, me manque réellement. Elle manque au monde. Tu donnais l'impression que tout était meilleur autour de toi. En fait, ce n'était pas qu'une impression. Ça l'était réellement.
Depuis treize ans maintenant, t'es parti. Et, j'ai plutôt la sensation que c'est moi qui suis mort. Car, le monde a radicalement changé. Maman est devenue presque paranoïaque en s'inquiétant pour tout et pour rien. Ton départ lui a causé un choc mental en perpétuelle croissance. J'ai développé une médiocrité imparable et sans précédent. Le travail me réussit toujours, mais ma vie personnelle est un fiasco. On aurait dit que j'ai signé un pacte pour attirer argent et intelligence mais repousser amour et société.
Bon, je l'avoue, j'exagère.
Oui! Je n’aurais jamais dû faire réparer le moteur de ma Mitsubishi chez ses fumeurs de cannabis. Deux heures à côté de ses fans d'herbes et je vois des licornes et des elfes partout.
Je vais essayer de positiver et de profiter des nouvelles réformes de mon quotidien. Je te tiendrai informé de ce que ça va donner.
À plus et tiens-toi bien d’ici-là ! »
(Flatulences d'au-revoir)
...
Pendant un laps de temps, je ressens une étrange sensation. Ça me donne froid dans le dos. Pour la première fois en douze ans, je sens que papa est là. Je sens même comme un soupir familier, dans le cou, quand je m’étourdi sur les carreaux de sa tombe. Je devrais me retourner plus vite, mais je suis beaucoup trop étiolé par les émotions.
Environs deux minutes après, quand j’ai le reflex tardif de me retourner, je ne vois personne.
Fausse alerte !
Peu après la disparition de père, j’avais eu une longue période de troubles. Je faisais des hallucinations. Je le voyais partout. Une fois lointaine, je me rappelle même qu'il m'avait accompagné à l'école, je crois bien. Et après, maman avait dû remuer ciel et terre pour me persuader du contraire. Elle m'avait amenée chez des psychologues. Elle m'avait fait faire des séquences de spiritisme. Elle m'avait forcée à faire du sport. Elle m'avait même fait assister à plusieurs scènes de stand-up - d'où je tire mon humour actuel, bien sûr - Il lui avait été conseillé par ma psy que cela m'aiderait à dissiper les hallucinations. J'avais par la suite reconnu que c'était mon imagination qui avait recréé l'image de mon père et j’avais juré à ma mère de ne plus en faire usage.
Une autre fois, à l'obtention de mon examen de fin de collège, j’avais à nouveau imaginé mon père venir me féliciter. Il m'avait amené dans un restaurant. Nous avions mangé et longuement discuté. Quand je me plaignais de ne plus le voir aussi régulièrement qu’avant, ni à la maison, ni sur sa tombe, il se fâchait. Il me disait : Ne parle pas de moi comme si je suis mort plus que je suis bel et bien devant toi. Tu ne parles pas avec un mort, Seb.
§
À la base, je voulais poursuivre des études de spiritisme, mysticisme ou de nécromancie pour mieux comprendre les faits liés à la disparition de papa et peut-être même le faire revenir. Mais, maman avait conclu qu'il serait mieux que je fasse des études de philosophie pour rester entre les deux mondes sans trop s'impliquer ni dans l'un, ni dans l'autre.
§
Ce jour où j'avais imaginé manger avec mon père, j'avais crié sur lui parce qu'il voulait me convaincre qu'il était toujours vivant alors que les gens autour de moi disaient le contraire. J'avais piqué une crise à cause de ça et l'année où j’étais en seconde fut difficile. Entre les cours en clinique et les mots de papa qui me hantaient, l'avenir semblait être sans issus. Maman m'avait affirmée que l'homme à qui j'avais parlé, aimait tourmenter les enfants et que sa sœur et elle s'étaient chargées de le remettre sous les verrous… ou... un truc comme ça. À moins qu'elle ne m’ait dit qu'un prêtre m'avait libéré de ce fantôme. Ah ! Je ne sais plus trop.
C'était beaucoup trop troublant.
C'était une année sombre : Je m'alimentais très mal. Je ne voyais pas beaucoup de gens et je parlais peu. J'étais juste suspendu aux cahiers et à la télévision. Entre les leçons et le stand-up, j'étais bien parti pour être le nerd que je suis aujourd'hui. J'avais promis à maman de lui reverser 50 francs à chaque fois que j'essaierais de reparler de papa. Elle aussi était sous traitement et on savait qu'évoquer ce sujet ne ferait rien de mieux que de nous pourrir la vie davantage.
C'est à cause de cet épisode que je dois toucher soixante-dix mille Francs à mes vingt-et-un ans. Les cinq mille Francs restants totalisent le nombre de fois où je suis revenu sur ma parole et que j'ai voulu que maman et moi parlions de papa.
C'était tellement dur de ce retenir. Et souvent, ça sortait tout seul. Heureusement maintenant, j'ai aboli cette règle et mère et moi, parlons souvent de père en toute connaissance de cause.
…
C’est l'après-midi, je m’arrête dans une vieille cafète. Histoire d'oublier un peu tout le tumulte qu’est ma vie actuelle. Lorsqu’advient le moment de régler l'addition, mes doigts tombent sur la dernière lettre anonyme dans ma poche - La lettre que Gigi m'a remise à mon retour de la salle de sport - Et là, les pièces du puzzle commencent à se remettre en place. Je pense avoir un léger soupçon sur l'auteur, dit anonyme, de ses messages.
En premier lieu, je dois me rendre à la maison. Je vais interroger Gisèle sur l’identité de la personne qui lui a remis cette lettre. J'ai des soupçons sur quelqu'un en particulier. Parmi tous les visages qui ont transmis des lettres à mes proches, il y a une description qui se répète un peu trop.
…
- Salut Sébas, t'es rentré ?
- Gigi, j'aurais besoin que tu me décrives la personne qui t'a donné la...
- Un souci, Sébas ?
Et là, choc électrochoc.
- Qui est cet homme, Gigi ?
- L'homme assis dans le canapé ? C'est celui qui m'a remis la lettre, hier.
Je reconnais l'homme en question.
Cet homme… ce vieil homme est...
- Euh ! Calme-toi, fiston. Je vais tout t'expliquer.