Chapitre 17

Le lendemain, Finn m'avait proposé de manger avec lui dans un restaurant qu'il venait de découvrir. Au bout de quelques messages, il me proposa timidement d'inviter Ben. Mais je me contentai d'un mensonge, prétendant que Ben avait malheureusement quelque chose de prévu. Étant donné qu'ils n'étaient pas encore en très bons termes, j'allais éviter d'envenimer la situation — quand bien même la proposition venait de Finn.

Sauf que mes mensonges me rattrapèrent lorsque je croisai Ben dans le hall d'entrée.

— Tu sors quelque part ?

— Euh... Ouais. Je vais manger avec Finn.

— D'accord... Mais si tu veux passer plus tard chez moi, n'hésite pas.

Son sourire était étrangement adorable. Probablement parce qu'il était terriblement sincère.

— D'ailleurs, il m'a demandé si tu voulais venir... Mais j'étais pas sûre que tu sois vraiment intéressé.

— En fait, t'as surtout envie que je ne vienne pas, lâcha-t-il, amusé.

— En même temps, c'est très tendu entre Finn et toi. J'ai toutes les raisons de croire que ça va mal se passer.

Il m'adressa un petit sourire en coin.

— Je me contenterai de le traiter amicalement de traître.

Il se retenait de rire et je lui lançai un léger regard désapprobateur.

— Ça y est, je dois encore jouer le petit-ami idéal ? me provoqua-t-il de plus belle.

— Continue de jouer aux plus malins avec moi... Mais je t'embarque avec moi.

Je lui pris son bras pour le tirer vers l'extérieur de l'immeuble. Je tentai de garder mon sérieux un instant, sauf que ce fut de courte durée et je ne pus m'empêcher de rire, ce qui déclencha son rire à son tour. Et nous nous arrêtâmes en plein chemin pendant quelques instants...

Puis quand le calme fut revenu, nos regards se croisèrent dans cet étrange silence que nous avions créé entre nous. Mes yeux ne pouvaient quitter ses lèvres. Pourquoi avais-je encore terriblement envie de l'embrasser ? Et pourquoi avais-je l'impression que c'était également réciproque ?

— Si tu veux, on peut y aller avec ma voiture, me proposa-t-il d'une douce voix.

— Avec ta voiture de crâneur ? me moquai-je gentiment.

— Exactement... Avec ma voiture de crâneur.

Son visage se rapprocha dangereusement de moi et seulement quelques centimètres séparaient nos lèvres. Je savais que j'avais tous les droits de l'embrasser, sans la moindre ambiguïté, mais il y avait encore quelque chose en moi qui ne me laissait pas y aller à fond.

Dans le fond, si je n'avais pas le moindre blocage, nous n'aurions pas à tester cette relation. Nous étions un couple selon ses dires, mais à mes yeux, c'était juste un moment de pause, un moment complètement flou dont le chemin serait bien plus important que la destination...

— Ne me dis pas que tu vas te plaindre d'être conduite comme une princesse, ajouta-t-il d'une voix suave.

Il jouait avec l'intonation de sa voix. Elle était si grave et à la limite du murmure. Et sentir son souffle sur ma peau avait un côté assez excitant. De toute manière, je n'avais jamais été indifférente quant au sexe, mais c'était quelque chose que j'avais parfois pu mettre de côté, juste parce que je ne voulais pas d'un copain...

Et maintenant, j'en avais un d'une manière assez... particulière. J'aurais dû foncer tête baissée et tout tester avec lui dans l'immédiat, histoire d'en tirer des conclusions une bonne fois pour toutes.

Quoi qu'il arrive, j'avais encore beaucoup de travail à faire sur moi-même...

Et puis, lui aussi avait besoin de tester cette notion de couple. Nous devions prendre un peu notre temps, même si ça pouvait être un peu frustrant.

— Qu'est-ce que tu attends pour me faire monter dans ta voiture ?

C'était un poil provocant tout de même, mais je ne regrettais rien.

Ses lèvres étaient de plus en plus proches et je m'attendais à ce qu'il m'embrasse, mais il laissa échapper un petit rire et commença à marcher en me prenant la main.

Pour une fois, c'était lui qui avait établi ce contact physique en premier. La plupart du temps, c'était moi. Mon regard se posa longuement sur notre poignée de mains puis je le fixai. Il était concentré dans sa marche et nous atteignîmes rapidement sa berline noire.

Il se tourna alors vers moi et alors qu'il s'apprêtait à m'ouvrir la portière, je le devançai. Il m'adressa une fausse mine déçue.

— Désolé pour toi, je suis une femme indépendante, le taquinai-je en voyant sa tête.

Il eut envie de me répondre, mais il se contenta de s'installer à son tour. Rapidement, je lui donnai l'adresse du rendez-vous qu'il rentra dans son téléphone.

Avant de se lancer dans sa conduite, il me lança un long regard, comme s'il hésitait à me dire quelque chose. Naturellement, mes lèvres rejoignirent délicatement les siennes, comme pour le provoquer d'autant plus. Un petit sourire vint briser la dureté passagère de son visage.

— Qu'est-ce que je dois en conclure ?

— J'en avais juste envie, répliquai-je en penchant la tête.

Il en fut légèrement perturbé, mais il se contenta de me regarder un peu longuement avant de finalement démarrer.

Le restaurant était entre vingt et trente minutes à pied, alors en voiture, on pouvait facilement réduire le temps par deux. J'en profitai pour envoyer un bref message à Finn.

" Je ne vais pas tarder à arriver. Finalement Ben va nous rejoindre. "

Peut-être qu'ils finiraient par se balancer leurs couverts dans la gueule, mais j'espérais sincèrement que ce ne soit pas le cas. Je savais que chacun d'entre eux pouvait avoir un très bon contrôle de soi. Enfin, sauf lorsque Ben se lançait dans des pics passifs agressifs.

Finn me répondit aussitôt par un simple "ok".

— Finn est déjà énervé ? s'enquit Ben, plutôt sur un ton amusé.

— Non... Je ne pense pas. Mais évite de le provoquer.

— Tu ne peux pas entièrement me contrôler chérie...

Il avait un petit sourire malin qui se dessinait sur ses lèvres. Encore une fois, il aimait bien se foutre de ma gueule. Mais je n'aurais jamais pensé que je finirais par autant m'en amuser.

— Si on était vraiment un couple, j'aurais pu te lancer cette stupide menace de la privation de sexe, lâchai-je d'un air qui se voulait très sérieux.

— C'est vraiment extrêmement stupide ça, que ce soit bien pour un couple ou pas.

— On est bien d'accord... Mais d'où ça sort ce genre de merde ?

— Peut-être que les gens n'ont aucune idée de ce qu'est un couple, la communication... Et du coup, ils agissent comme des gamins... J'en ai aucune idée dans le fond.

Il haussa les épaules mais ne détourna pas son regard de la route.

Ces quelques paroles me perturbèrent un instant. Je n'y connaissais rien à la notion de couple, mais visiblement, ce n'était pas mieux pour la plupart des gens. Ou peut-être que je ne correspondais pas à la norme des autres...

Arrivé sur les yeux, Ben trouva rapidement une place à quelques pas du restaurant, ce qui nous permit de le rejoindre assez rapidement.

Finn avait déjà réservé une table au fond de la salle et était en pleine consultation du menu. Je jetai un bref regard vers Ben avant de m’approcher de mon ami. Ce dernier leva immédiatement ses yeux vers nous. Je m’attendais à une expression assez négative sur son visage dès qu’il croiserait le regard de Ben. Mais rien. Visiblement il faisait des efforts, tant mieux.

— Asseyez-vous ! nous ordonna-t-il en voyant qu’aucun d’entre nous deux ne prenait les devants.

On s'exécuta, silencieusement, et chacun d'entre nous s'empara d'un menu.

— Je ne m'attendais pas à ce que tu viennes, lâcha Finn en se tournant vers Ben. Rey venait tout juste de me dire que tu ne viendrais pas... J'espère que tu n'es pas là pour la surveiller.

— Je n'ai aucun intérêt à la surveiller, se défendit-il simplement.

— C'est pourtant un peu ce que tu faisais à ton travail. Les dérives, ça arrive rapidement...

Ben leva les yeux au ciel un instant, tentant de masquer son agacement, mais je commençais à trop bien le connaître pour ne pas détecter cette expression sur son visage.

— Finn... Je ne suis pas là pour chercher le conflit. Ça ne m'intéresse pas. Et si on commence à rentrer dans le sujet de boulot, c'est évident qu'on va vraiment rentrer en conflit...

— Je suis bien content de ne plus travailler dans la même entreprise de pourris que toi.

— Snoke Entreprise est loin d'être aussi pourri que tu le crois. Mais tu as décidé de te baser sur à peine un exemple que tu as entendu dans un coin de couloir.

— Stalker les gens, c'est complètement pourri, asséna-t-il de plus belle.

Même si j'étais terriblement curieuse de connaître le travail de Ben plus en détail, je ne pouvais laisser cette conversation s'envenimer.

— Choisissez votre repas sinon je vous tape avec le menu tous les deux, les interrompis-je en les pointant à tour de rôle de doigt.

Ben arqua un sourcil, un instant étonné, puis un sourire malin se dessina sur son visage. Finn, quant à lui, fronça ses sourcils et resta sur cette expression un bon bout de temps.

De nouveau, chacun feuilleta le menu et ce, silencieusement. Malheureusement, j'avais été naïve de croire que tout passerait bien entre ces deux-là. Finn pouvait parfois un peu trop me protéger et Ben était bien trop impulsif pour ne pas envenimer la moindre pique.

Après notre commande auprès du serveur, Finn me parla d'un nouveau jeu qu'il avait bien envie de tester dans les prochains jours. Il s'agissait d'un FPS dans un monde un tantinet absurde.

— Ça te dit d'essayer ça la semaine prochaine ?

— Pourquoi pas...

Ben avait sorti subtilement son téléphone et était en train de pianoter un message dessus.

— Ben, ça te dit pas d'y jouer ? proposa mon ami.

Le concerné leva les yeux de son téléphone et passa sa main dans les cheveux, comme pour se concentrer.

— Je ne suis pas un grand adepte des jeux vidéo, refusa-t-il poliment.

— Ce n'est pas grave, il faut bien quelqu'un qui meurt toutes les cinq minutes.

— Je crois que je vais définitivement passer mon tour.

— J'allais aussi demander à Poe, je crois que ça l'intéresse. Il n'a pas l'air comme ça, mais il aime beaucoup les jeux vidéo lui aussi.

Dès que Finn avait prononcé le nom de son amoureux, ses yeux s'étaient mis à pétiller, et j'étais extrêmement ravie de le voir ainsi. En couple et heureux. Mais de l'autre côté, ça m'attristait un peu, en partie parce que je ne comprenais pas comment ça pouvait être aussi simple pour lui.

— Ça ne m'étonne pas de lui, rétorqua Ben presque indifférent. Visiblement, il n'a pas l'air d'avoir beaucoup changé...

— C'est vrai que vous vous connaissez vous deux.

Finn plissa son regard, un brin dubitatif.

— Vite fait... Ma mère le gardait de temps en temps, mais à cette époque, on avait un peu trop une grande différence d'âge pour vraiment s'entendre. Mais il passait tout le temps le nez sur sa console...

Il y avait un brin de jugement dans sa voix, comme d'habitude, il ne pouvait réellement masquer son arrogance.

— Et toi alors, tu fous quoi en dehors du travail ? l'interrogea Finn comme pour le piéger.

— De la peinture.

Ben détourna immédiatement son regard et prit une grande gorgée d'eau. Alors que mon ami était sur le point d'ajouter quelque chose, le serveur revint avec nos plats.

— Tu fais de la peinture ? Vraiment ? Toi ?

Le concerné se tourna un bref instant vers moi, comme s'il cherchait à se rassurer. Je devais avouer que j'étais assez étonnée qu'il s'ouvre aussi facilement dessus. Peut-être qu'il avait eu envie de tenter ce que ça ferait d'en parler comme ça, innocemment.

— De temps en temps, oui, affirma-t-il, presque blasé. Je suis sûr que tu t'attendais à ce que je te sorte une occupation très discutable... Comme passer du temps dans des stands de tir... Ou que sais-je encore...

— En effet, je dois avouer que je suis assez... impressionné. Je ne pensais pas que tu t'intéressais à ce genre de passe-temps.

— Je n'y passe pas beaucoup de temps non plus... Mais je me renseigne assez régulièrement dessus. Je fais souvent des musées...

Il y avait un peu d'hésitation dans sa voix. Je voyais bien que ça le prenait un peu trop à cœur ce sujet. En même temps, c'était le seul moment où il se mettait totalement à nu et qu'il en abandonnait totalement le masque.

— En vrai... C'est cool. Surprenant, mais cool.

Finn sourit, simplement, comme s'il n'avait plus d'arrières-pensées, et Ben afficha un bref rictus en réponse avant d'entamer son repas.

*

À ma plus grande surprise, Ben et Finn étaient tous les deux en vie à la fin du repas et aucun d'entre eux n'avait relancé les hostilités. J'étais assez impressionnée par leur contrôle respectif, même si je sentais tous les deux qui mourraient d'envie de se taper dessus.

— Tu veux que je te raccompagne chez toi ? proposa Ben à mon ami en quittant le restaurant.

— Serait-ce vraiment une bonne idée de te donner l'adresse de ma maison ?

— Tu sais très bien que je n'ai pas besoin de ça pour le savoir.

Ben se moquait un peu trop ouvertement, ce qui sembla agacer un brin Finn. Mais ce dernier accepta tout de même sa proposition.

Dès qu'on arriva devant la voiture de Ben, Finn ne put s'empêcher de lâcher un petit "oh", impressionné par l'engin.

— Toi aussi tu peux dire que c'est une voiture de crâneur si ça t'enchante, lança Ben en ouvrant sa portière.

Son regard se posa sur moi et un sourire se dessina sur son visage. Je lui rendis naturellement son sourire, qui était – à ma plus grande surprise – très doux.

— Alors, je ne vais pas me gêner, rétorqua le concerné alors que nous nous installions tous en voiture.

Ben tendit un instant son téléphone à Finn pour qu'il rentre l'adresse sur une application similaire à Google Maps.

— Si jamais on vient me cambrioler dans les prochains jours, je saurais que c'est toi, le menaça-t-il amicalement en lui rendant son téléphone.

— Ne t'en fais pas, j'attendrai un an pour faire ça.

Je voyais bien qu'ils avaient vraiment envie d'échanger un rire complice, mais en même temps, aucun d'entre eux n'était prêt à aller de l'avant.

Ben commença alors sa conduite, suivant attentivement l'itinéraire que lui donnait son téléphone. Nous en avions pour presque une vingtaine de minutes de trajet. Finn était venu via divers transports, n'ayant pas eu d'autres choix.

— Tu comptes venir la prochaine fois au bar ? demanda Finn en se tournant vers Ben.

— Je n'y ai pas encore réfléchi... Peut-être que je pourrais aussi kidnapper Rey de mon côté. Ou sinon, je ramène quelques amis de mon côté.

— Tiens ! Ramène-les ! Je serais curieux de découvrir ton entourage !

Il y a un brin de mépris. Ils allaient recommencer à se taper dessus dans 3... 2... 1...

— Armie, tu le connais déjà. Avant que tu te barres de l'entreprise.

— Ah lui... C'est quand même un lèche-cul dans le genre, répliqua Finn, uniquement dans le but de provoquer.

— Ouais, je confirme, affirma aussitôt Ben, un sourire en coin.

En me tournant vers Finn, j'aperçus son air assez perturbé par l'intonation qu'avait pris Ben. Je savais très bien que Ben et Armie avaient eu une relation bien plus qu'amicale et professionnelle, mais mon ami n'en savait rien. Néanmoins, personne ne pouvait douter du sous-entendu.

Alors que Finn était sur le point de rebondir, la voiture s'arrêta brusquement en plein milieu de la route. Ben tenta de redémarrer à plusieurs reprises, vainement. Heureusement, il n'y avait pas beaucoup de personnes dans cette rue plutôt déserte.

Ben soupira un bref instant avant de se tourner vers Finn et moi.

— Visiblement, ma voiture de crâneur a un léger problème.

— C'est le karma ça, rétorqua aussitôt Finn.

Ben se contenta de sourire, mais pas le sourire sincère et heureux, plutôt le sourire forcé et uniquement pour masquer sa colère.

— Je peux t'appeler un dépanneur, se reprit mon ami.

— Si t'en as un sous le coude, ouais, je suis intéressé...

— Je crois qu'en plus il n'est pas si loin d'ici.

Ben n'ajouta rien de plus et Finn composa immédiatement le numéro dudit dépanneur. Il expliqua brièvement notre problème et donna notre localisation. Puis après avoir eu confirmation qu'il se déplacerait, il raccrocha.

— Si tu veux finir le chemin à pied ou autrement, tu en as totalement le droit, annonça Ben.

— J'ai l'impression que ça te ferait un peu trop plaisir...

— Je te rappelle que celui qui est le plus réactif aux pics de l'autre, c'est plutôt toi. Je me serais presque attendu à ce que tu sautes de la voiture en marche.

— Pour ça, il faudrait déjà avoir une voiture qui marche, se moqua-t-il ouvertement.

Ben leva les yeux au ciel et ne releva même pas.

— Arrêtez de vous battre tous les deux sinon la prochaine fois, je vous amène des legos, déclarai-je assez fermement pour le calmer.

Les concernés se regardèrent un instant puis s'ignorèrent. Au moins, j'arrivais à les calmer assez simplement, mais ça ne les empêchait jamais de recommencer cinq minutes plus tard. Malheureusement, j'étais persuadé que ça finirait par s'envenimer un jour ou l'autre...

Ben sortit son téléphone, répondant à plusieurs messages, tandis que Finn me parla de nouveau du dernier jeu qu'il avait trouvé. Il en parlait avec tellement de passion et de vigueur que c'était extrêmement plaisant à écouter.

Au bout d'une dizaine de minutes, on fut interrompu par un "oh non" que venait de lâcher Ben. Il fixait du regard un homme qui s'approchait de nous, ce qui semblait agacer mon copain.

— Qu'est-ce qu'il y a ? m'enquis-je.

— C'était quoi la probabilité que ce dépanneur soit mon père ?