CHAPITRE 17

Par Smi

Il avala les 40 kilomètres en moins d’une demi-heure au guidon de son roadster, non qu’il se senti impatient d’avoir des réponses à ses questions mais tout simplement car il voulait découvrir le lieu avant la tombée de la nuit. En effet, dans ses expériences, tout se déroulait de jour, au pire avec le coucher du soleil.

Il rangea son bolide en bordure du chemin municipal, se débarrassa de ses gants et de son casque sans précipitation. Il voulait s’imprégner de l’espace autour de lui, se rappeler les odeurs de la nature environnante, des bruits.

Dans ses souvenirs, il avait omis le bruit que faisait l’eau de ce ruisseau en contrebas de la route tout comme les chants des oiseaux dans les arbres. Il se laissa bercer quelques secondes encore les yeux mi clos puis se décida à s’avancer lentement comme s’il craignait ce qu’il allait découvrir.

Il reconnu ce muret sur lequel il avait l’habitude de la retrouver et la vue dégagée sur les champs en friche en contrebas au delà d’une haie de lauriers roses.

Il se sentait bien mais quelque chose manquait au tableau .Il s’avança sur le gravier blanc jusqu’au pied de l’arbre, de cet arbre qui n’était pas celui qu’il s‘attendait à voir.

Evidemment, comment avait il pu s’imaginer une seule seconde que tout aller se dérouler comme il s’y attendait. Cet arbre était un olivier, là ou lui s’attendait à voir un chêne majestueux. Il s’approcha doucement, comme pour entretenir encore l’espoir de s’être trompé et de découvrir la trace de son passé. Il contourna le tronc mais n’y découvrit rien qui puisse représenter la trace de son amour passé.

Il fallait se rendre à l’évidence, accepter ce que lui avait dit son ami d’enfance ; tout cela n’était pas réel mais sortait de son imagination ou de celle d’un jeune homme de dix huit ans. Peu importait maintenant, il devait accepter de s’être trompé sur toute la ligne.

Désabusé il s’éloigna pour rejoindre son deux roues, puis machinalement fit quelques pas sur le terre plain attenant en direction du banc de pierre.  Il s’y affala, épuisé par autant de déception sur sa vie, ses envies, son avenir. Et s’il tentait une dernière fois….

Pris dans ses pensées, il n’avait même pas remarqué qu’une vielle dame était également assise sur ce banc. Elle, les yeux fermés, lui absorbés par ses pensés, aucun des deux n’avait fait attention à la présence de l’autre. Pour s’excuser de sa maladresse, il s’empressa de lui dire :

« Veuillez m’excusez, madame, je ne vous ai pas saluée , bonsoir , je m’appelle  Martial. »

Sans ouvrir les yeux, la vielle dame lui répondit :

« Enchanté Martial, je m’appelle Marie » et de poursuivre,

« Vous cherchez quelque chose jeune homme »

« Merci pour jeune homme, mais si vous aviez ouvert les yeux vous auriez vu que j’ai déjà plus de deux fois vingt ans »

« Non, Martial , vous avez vingt ans dans votre tête , n’est ce pas ?

« Vous ne croyez pas si bien dire, Marie, je peux vous appeler Marie »

« Vous pouvez m’appeler comme vous voudrez, jeune homme,  j’ai quatre fois vingt ans »

Il ne savait pas pourquoi mais le courant était passé tout de suite avec cette personne d’un certain âge, comme si elle eut été sa propre mère ou sa grand mère. Ses derniers mots lui avait même arraché un léger sourire et cela l’engagea à aller plus loin.

« En fait, voyez vous, j’ai habité tout près d’ici dans ma jeunesse et je pensais trouver ici un chêne, tout simplement et j’y trouve un olivier »

« Un arbre est un arbre, vous savez, quelle importance ! »

« Hé bien, ce chêne avait de l’importance pour moi parce que j’y suis venu souvent et j’ai aimé venir ici, c’est dommage mais c’est ainsi. Vous avez raison, on ne va pas s’attendrir pour si peu. »

« Cela dit si vous voulez retrouver votre ami le chêne, il est au cimetière »

« Pardon, vous voulez dire qu’il est mort ? »

« Martial, ne plaisantez pas avec ça, si vous avez habité près d’ici comme vous le dites, vous connaissez donc l’histoire »

« Quelle histoire, je ne comprends pas !»

La vielle dame ouvrit les yeux et les tourna vers Martial jusqu’à ce que leurs regards se croisent. Elle avait un regard profond, des yeux d’un bleu vif qui éclairaient son visage ridé, orné d’une belle chevelure blanche.

Il se dit au fond de lui-même qu’elle avait du être une belle femme dans sa jeunesse. Elle laissa parcourir son regard sur la face de son voisin puis repris :

« Vous êtes charmant jeune homme, si seulement j’avais la moitié de mon âge … » mais elle ne termina pas sa phrase et referma les yeux.

« Vous étiez peut être trop jeune à l’époque pour vous en souvenir. Le chêne dont vous parlez a été le théâtre d’un drame, ici même. La municipalité a alors décidé de déraciner cette belle œuvre de la nature pour la transplanter derrière le cimetière, à l’abri des regards »

« Je n’ai pas eu écho de cette histoire, il faut dire que j’ai déménagé sur Bordeaux, certainement avant cet épisode douloureux. Je vais donc aller voir cette vielle connaissance du côté du cimetière. Je vous souhaite une bonne soirée Marie . Au revoir»

« Ce fut un plaisir de vous rencontrer Martial »

L’espoir renaissait dans sa tête. Il devait se dépêcher de se rendre au cimetière avant que l’obscurité n’envahisse les lieux.

Avant de remonter sur sa moto, il jeta un dernier regard vers le banc mais celui-ci était désespérément  vide.

Martial s’engagea à faible allure  sur le chemin de terre qui contournait le cimetière. Au bout de quelques centaines de mètres, il le  découvrit, majestueux, plus haut que dans son imagination.

Il stoppa son engin à proximité et s’avança, totalement captivé, oubliant de quitter casque et gants comme pour se protéger d’un danger. Il allait savoir.

Il contourna le tronc à pas feutrés, une main effleurant l’écorce rugueuse, l’autre relevant la visière de son casque intégral.

A mi course, il s’arrêta net,  son pouls venait de s’accélérer subitement et ses yeux s’embrumaient. Il cligna des yeux pour chasser ce trouble de la vue, se planta face à l’inscription des deux noms gravés dans l’écorce :

Camille et….. Hugo

L’inscription avait grossi avec le temps, signe qu’elle avait était faite plusieurs décennies auparavant. Aucun doute sur son origine. Martial senti ses jambes se dérober sous lui et se retrouva les genoux dans l’herbe, les deux mains appuyées contre cet arbre qui lui prouvait tout ce qu’il venait de vivre depuis plusieurs semaines.

 

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