Chapitre 17 : La fuite

Tous les élus s’étaient réunis devant une porte fermée. Chacun affichait une mine rembrunie, ou du moins voulait faire croire à son accablement. Mais il ne fallait pas se fier à cette scène théâtrale dont chacun jouait plus ou moins un rôle.

-La voilà, c’est elle ! S’exclama un homme en désignant Aeryl. Elle arrive et quelques jours plus tard, notre doyenne se fait assassiner. Je ne crois pas aux coïncidences. Cette traîtresse a forcément été envoyée par nos ennemis.

Une femme, dont le visage prenait la forme d’un croissant de lune, la pointa du doigt à son tour avec accusation.

-Regardez sa pâleur et sa taille, ça ne fait aucun doute, elle fait partie de ces sauvages du nord. Qu’on l’arrête.

Les accusations tombaient sur elle telle une pluie acide brûlant son visage. Elle sentit les larmes lui monter aux yeux, et grimaça sous les reproches. Comment on pouvait l’associer à ces barbares si méprisables. Certes, elle avait toujours été pâle et grande, mais elle restait une oxatane. Les violentes insinuations des élus la perturbèrent au plus profond d’elle-même. Quand elle vit deux gardes s’approcher d’elle l’air menaçant, elle comprit elle allait être crédité de cet assassinat. Les meurtriers étaient sévèrement punis chez les oxatans, en général par la peine de mort. « Je ne peux pas mourir, pas maintenant », pensa Aeryl en sentant la panique la gagner. Le monde extérieur devint de plus en plus flou. Le couloir s’allongea jusqu’à ne plus avoir de fin, les portes se transformèrent en d’indistinctes tâches marron et des élus ne subsista que des voix confuses. Elle sentit deux bras la soutenir. Puis, plus rien, le vide absolu.

*

À son réveil, elle sentit l’air frai qui battait son visage et la lumière qui transperçait ses paupières. Au loin, une voix se faisait entendre. Quelqu’un lui prit la main et la caressa avec délicatesse. La voix se rapprocha et se clarifia.

-Les gens sont vraiment méchants. Ça ne se fait pas d’accuser une pauvre demoiselle comme ça. J’aurais été morte de trouille à ta place.

Sans savoir pourquoi, la douce voix qui lui parvenait lui remonta le moral et elle en aurait souri si elle en avait eu la force.

-Et dire qu’on devait aller faire les boutiques. Je n’ai même pas eu le temps de me changer.

Aeryl ouvrit lentement les yeux. La lumière l’aveugla momentanément et elle cligna les paupières.

-Ah te voilà enfin réveillée, ma pauvre chérie.

Aslaug se penchait sur elle avec l’attention d’une mère sur son enfant. Elle glissa ses mains dans les cheveux platine de la jeune fille. Soudain, Aeryl se souvint des accusations dont l’avaient affublée les élus.

-Que s’est-il passé ?

-Après que tu te sois évanouie, tu veux dire ?

Aeryl se contenta de hocher la tête en signe d’acquiescement.

-Et bien, Aliaksandra a demandé aux gardes de t’arrêter.

Voyant qu’Aeryl fronça des sourcils, Aslaug la lui décrit.

-Tu sais la femme dont le menton et le front se rejoigne, se moqua-t-elle en sortant le menton et mettant la main sur son front. Mais heureusement, alors qu’ils allaient te menotter, Dakill s’est interposé. Bon, il s’est vite fait écarter, c’est vrai, cependant la démarche était noble et courageuse.

La femme au caractère lunatique se perdit à nouveau dans une longue réflexion. Puis elle secoua la tête et retourna à sa narration.

-Ensuite, Jori est sorti à cause du vacarme et il a chassé tout le monde, mis à part Dakill moi et toi. D’ailleurs, je l’ai rarement vu aussi énervé, ses yeux lançaient des éclairs. Et pourtant, il ne se départit pas facilement de son calme. Le fait qu’ils t’accusent d’être un espion du peuple des montagnes a dû le piquer au vif, vu qu’il a subi le même sort lorsqu’il est devenu atiki il y a quelques années.

-Et où sont-ils en ce moment ? Articula faiblement Aeryl.

-Aucune idée. Ils m’ont demandé de veiller sur toi, alors je ne t’ai pas quitté des yeux.

La gentillesse d’Aslaug égayait Aeryl et lui procurait un sentiment de béatitude malgré les évènements qui se précipitaient et son sort qui s’obscurcissait. Un large sourire niais scinda son visage et se propagea sur celui d’Aslaug.

-Et je mettrai ma main à couper que tu n’as pas cessé de me parler pendant tout ce temps, s’amusa Aeryl.

Les deux filles explosèrent d’un rire venu droit du cœur. C’est à ce moment précis que Jori et Dakill choisirent de faire leur entrée. Leur air solennel contrastait avec l’enjouement des deux filles. Le regard sévère, Jori eut vite fait de rétablir l’atmosphère sérieuse et calme qui lui était si familière.

-La situation est grave, commença-t-il à l’attention d’Aeryl. Ma place était déjà controversée avant la mort de Crista. Elle se trouvait être mon plus précieux allié. Maintenant, j’ai perdu toute légitimité à la tête des oxatans. Pire, on commence à m’accuser d’avoir fomenté son assassinat avec ton aide.

Écarquillant les yeux de stupéfaction, Aeryl était rongée par l’injustice. Non seulement sa venue à Palid ne lui avait apporté aucune aide, mais elle avait permis à une personne malintentionnée de chambouler la hiérarchie au sein du conseil et de prendre la place tant convoité d’atiki.

-C’est insensé. Crista t’a recueilli et élevé, pourquoi tu lui voudrais du mal ? S’insurgea-t-elle au fond de son lit.

-Les rumeurs naissent avec les personnes qui les racontent et répondent aux attentes de la majorité. Ici, à Palid, la plupart des gens veulent ma destitution, voire mon arrestation. Ils goberont volontiers les accusations qui planent au-dessus de ma tête.

-Jori, nous ne disposons pas de beaucoup de temps, le coupa Dakill.

Sans se départir de son calme, le géant aux yeux gris reprit la parole.

-J’ai mis Dakill au courant pour l’éphémère.

Il s’arrêta quelques secondes, transperça Aslaug du regard, lui intimant de ne pas faire de réflexion hasardeuse,  puis reporta son attention sur Aeryl.

-Et maintenant Aslaug aussi est au courant. Ma place n’étant plus ici, je t’accompagnerais dans ta quête. J’espère que tu es prête, nous partons maintenant. J’ai déjà rassemblé tes affaires, et ce dont nous aurons besoin durant l’expédition.

-Mais… Et ici ? Tu vas laisser la direction du conseil à un assassin ? Désapprouva la jeune fille.

-Non. Dakill va me dénoncer en public et, étant donné sa grande popularité auprès du peuple et ses talents d’archer, il devrait prendre ma place sans trop de problèmes.

-Te dénoncer en public ? Répéta Aeryl, incrédule.

-Oui, mon image est déjà souillée. Et il faut que Dakill aille dans le sens de l’opinion générale pour mettre toutes les chances de son côté, expliqua-t-il tranquillement.

Le détachement dont il faisait preuve dévoilait sa grande force de caractère. Dakill avait raison, Jori se révélait être un grand chef. Même critiqué et sous le poids des accusations, il continuait de défendre fièrement ceux qui voulait l’enterrer un peu prématurément.

Sans perdre plus de temps, Aeryl et Jori quittèrent l’arbre géant en tant que criminels. La pluie fouettait les arbres avec violence, le vent s’engouffrait dans leur feuillage, les faisant crisser au passage. Aeryl n’avait quitté Palid que depuis une dizaine de minutes et elle se trouvait déjà trempée de la tête aux pieds. L’eau transperçait ses bottes de cuir et venait inonder ses pieds, ses vêtements imbibés pesaient une tonne sur elle et ses cheveux lui collaient à la peau. Si la jeune fille s’agaçait de la malchance qui les frappait, Jori, lui, ne portait pas la moindre attention à l’eau qui dégoulinait sur son visage. Il regardait droit devant lui, à l’aguet du moindre danger. Son arc dans la main droite et une flèche dans la gauche, il décocherait dès que l’ombre d’une menace se présenterait. Aeryl se sentait en sécurité avec lui, cependant elle plaça son arc dans sa main, elle aussi, pour lui montrer qu’elle était prête à combattre, si nécessaire.

-Comment arrives-tu à te repérer dans cette pénombre ? Demanda Aeryl pour briser le silence qui s’était installé.

Il se retourna et lui désigna le ciel étoilé, visible à travers les feuilles.

-Tu vois cette étoile rouge ? Elle indique le sud. Pour aller vers le nord, il faut donc marcher avec cette étoile dans notre dos.

Le silence reprit ses droits. Parler n’était vraiment pas le fort de Jori, il préférait l’action à la discussion. Les deux compagnons ne s’arrêtèrent que tard dans la nuit, pour éviter de se faire rattraper par des guerriers oxatans qui seraient à leur recherche. Ils trouvèrent refuge sur une branche assez solide d’un arbre et s’y installèrent le temps de dormir quelques heures avant le lever du soleil.

-Que feras-tu lorsque tu auras liquéfié l’éphémère ? Demanda Jori avec sa brutalité et sa maladresse habituelle.

-Je vais sauver une amie avec, répondit la jeune fille sans en dire davantage.

Pour une fois, le silence observé par le géant était préférable. Aeryl n’avait pas envie de parler de Kathleen. Elle se sentait encore coupable de ce qui lui arrivait. Toutefois, elle savait que Jori n’en resterait pas là et qu’il comptait bien en apprendre davantage plus sur cette amie pour laquelle Aeryl prenait autant de risques en traversant la forêt toute entière, malgré ses dangers.

Jori de son côté, avait compris que la jeune fille portait un lourd fardeau. Il préféra la regarder discrètement s’endormir, plutôt que de la harceler avec les questions qui lui brûlaient la langue. Sans comprendre pourquoi, il s’était attaché à ce petit bout de femme qui faisait preuve d’autant d’émotivité que de volonté et de courage. Il comprenait à présent pourquoi Amos la lui avait recommandée en tant qu’élève. Mais cela n’avait plus aucune importance, ils étaient devenus des meurtriers pour les oxatans et ils ne pourraient plus jamais y revenir sans risquer de se faire arrêter. Ce coup-ci, il n’avait rien vu venir, tout était arrivé tellement vite et il ne possédait désormais plus de maison, mais surtout plus de famille. Cependant, il avait trouvé un but : celui d’aider Aeryl à aider son amie, quel qu’elle soit. Les paupières lourdes de fatigue, Jori finit par s’endormir à son tour.

*

L’épuisement se faisait de plus en plus sentir, dans les muscles, mais aussi dans la tête. Les dures nuits passées, accrochés autour du tronc d’un arbre, les repas constitués uniquement de racines et de plantes avec de temps en temps, quand ils avaient le temps de chasser, un morceau de viande. Ils se savaient suivi, et de très près. Assez souvent, ils voyaient des oiseaux messagers les dépasser à toute allure et aller prévenir les autres villages. Jori en abattait une grande partie, mais certains, assez chanceux, arrivait à se faufiler entre ses flèches. S’ils ne se dépêchaient pas, ils risquaient de se faire encercler par les archers des autres villages, d’où le rythme très dur imposé par le géant. Heureusement, plus ils se rapprochaient du nord de la forêt, moins il y avait d’oxatans.

-Regarde, constata calmement Jori. On aperçoit plus de lumière là-bas. Ce doit être l’orée de la forêt.

Aeryl en oublia sa fatigue et sauta de joie. Les montagnes se rapprochaient et avec elles la chance de sauver son amie grandissait. Bon, il fallait ensuite qu’elle arrive à traverser de nouveau la forêt sans se faire tuer ou capturer, mais ça constituait déjà une grande avancée.

-Enfin, s’écria-t-elle. Il était temps, je n’en pouvais plus de me faire traquer. Au moins, ils ne nous suivrons pas ici.

La joie de Jori était plus modérée. Aeryl le vit même se rembrunir, et se mettre davantage aux aguets qu’il ne l’était déjà. Son poing serra avec force l’arc et il avança nerveusement vers l’orée du bois.

-Notre problème à partir de maintenant n’est en effet plus les archers oxatans, mais ce que tu appelles les « bêtes sauvages des montagnes », répondit-il simplement avec froideur.

La référence à sa remarque lors de leur dernier entretien dans l’appartement de l’atiki (enfin de l’ancien atiki) fut plus douloureuse qu’un coup de poing dans le ventre. Elle se rendait compte de la méchanceté dont elle avait fait preuve, mais surtout que Jori avait été blessé par ses propos. « Finalement, peut-être est-il capable de ressentir des émotions » pensa Aeryl.

-Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je me suis mal… commença à s’excuser la jeune fille.

-Chut, l’arrêta abruptement Jori.

Ses muscles bandés se tenaient prêt à bondir à tout instant. Il se recroquevilla derrière un rocher, ne laissant dépasser que le haut de son visage, pour observer les alentours. Aeryl l’imita, sans savoir pour quelle raison. À première vue, aucune menace ne planait à l’horizon. Refoulant son envie de l’interroger sur ce qui pouvait bien le rendre si nerveux, Aeryl osa un regard au-dessus du rocher, et ce qu’elle aperçut, à une trentaine de mètres d’eux, lui procura un frissonnement de terreur.

Un groupe d’hommes avoisinant les deux mètres de hauteur, sortit d’une grotte. Ils étaient accoutrés d’épaisses fourrures blanches, grises ou noires. En guise de casque, ils portaient des têtes de loups coupées en deux. Leur démarche était lourde et lente, et ils soutenaient une longue branche sur laquelle une biche et quelques lapins avaient été attachés. Haches et épées de tailles différentes se baladaient tantôt à leurs ceintures tantôt dans leurs mains. L’un deux se retourna et s’adressa à l’un de ces compagnons avec un accent encore plus rocailleux et prononcé que Jori.  « Rien à voir avec les tonalités mélodieuses de notre langue » songea la jeune fille avec dégoût. Aeryl se perdit tellement dans la contemplation des guerriers à tête-de-loup qu’elle fit négligemment rouler une pierre.

-Vous avez entendu ça ? Réagit l’un d’eux en pointant son nez dans la direction d’Aeryl.

Le groupe s’arrêta pour écouter le moindre bruit. Derrière son rocher, Aeryl avait rabattu sa tête et placé sa main devant sa bouche. Jori d’habitude si calme, était à cran. La mâchoire crispée, il transperça la jeune fille d’un regard plein de reproche.

-Ça venait de là-bas. Je vais voir.

Son cœur se mit à battre à tout rompre, si les guerriers venaient à les trouver, il ne ferait qu’une bouchée d’eux, sans aucun doute.

-Non, pas le temps, répondit un autre homme, à la voix encore plus grave que le précédent. La nuit va bientôt tomber.

On entendit un cri de déception, puis le groupe s’éloigna progressivement. Aeryl reprit des couleurs peu à peu. Cette fois, ils l’avaient échappé belle.

-En territoire ennemi, il faut redoubler de vigilance, la réprimanda violemment Jori. S’ils nous attrapent, ils n’auront aucune pitié.

-Je ferai plus attention dorénavant, s’excusa Aeryl, encore sous le choc.

-Bien. Montre-moi un peu de quoi tu es capable avec ton arc.

-Quoi maintenant ? S’étonna-t-elle.

-Il va faire nuit dans une ou deux heures et il serait dangereux de s’aventurer trop loin dans les montagnes en pleine nuit.

De ses yeux gris, il inspecta les alentours et choisit un arbre au large tronc. Il y dessina un cercle puis revint vers Aeryl.

-Vise le cercle.

Aeryl se releva, elle prit l’arc que lui avait offert Amos dans sa main droite. C’était la première fois qu’elle l’utilisait, mais ses sensations avec l’arc lui paraissaient familières, comme si elle l’utilisait depuis toujours. L’arc était parfaitement équilibré, pinçant de ses longs doigts la corde, Aeryl encocha une flèche. Le cercle n’était pas très grand et la distance qui la séparait de l’arbre était conséquente, mais elle se savait capable d’une telle prouesse. Elle l’avait prouvé à plusieurs reprises dans son village. Elle ferma son œil gauche, retint sa respiration puis visa. La flèche fendit l’air à toute allure puis vint se loger au centre du cercle.

Assez fière d’elle, l’archère dévoila un magnifique sourire.

-Impressionnant.

Jori applaudit de satisfaction. Puis il se pencha et ramassa une pierre.

- Nouvel exercice, poursuivit-il. Je lance la pierre, toi, tu la touches.

-Quoi ? Mais c’est impossible, protesta la jeune fille.

-Non pas impossible. Difficile.

Aeryl regarda la pierre puis son arc sans trop de convictions.

-Très bien, je vais essayer.

Jori jeta la pierre avec une force impressionnante. Elle partit très haut dans les airs en décrivant un arc de cercle. Aeryl attendit que la pierre redescende pour décocher sa flèche, qui passa tout près de la pierre sans pour autant la toucher.

-Pas mal. Cependant, tu as encore à apprendre.

Il ramassa une nouvelle pierre, la lança dans les airs, puis décocha une flèche qui alla percuter de plein fouet la pierre. Aeryl fut abasourdie par la performance de l’ancien atiki, qui s’amusa de sa réaction.

-Tu dois être plus souple dans ton bras lorsque tu lâches ta flèche et tu dois aussi apprendre à viser plus vite. Mais ça viendra, ne t’inquiète pas. Il m’a fallu énormément de travail pour parvenir à ce niveau de maîtrise.

-Relance la pierre, exigea Aeryl d’un ton autoritaire.

Cette fois, Jori laissa échappa un rire franc.

-Tu l’auras cette fois, j’en suis persuadé.

Malgré sa volonté et sa concentration, la flèche ne fit que frôler sa cible encore une fois.

-Encore !

Flèche après flèche, toutes manquèrent la pierre. Le soleil allait disparaître derrière l’horizon, pourtant Aeryl persistait à vouloir toucher la pierre.

-Un dernier lancer puis on arrête, intima Jori. Ensuite, ça ne servirait plus à rien, on y voit déjà plus très clair.

Il lança la pierre en l’air, et la jeune archère tira une dernière fois la corde de son arc. La flèche vrilla en direction de la pierre. Elle semblait bien partie pour la percuter et Aeryl suivait avec attention sa trajectoire. Elle ouvrit la bouche, se préparant déjà à sauter de joie, puis la referma immédiatement lorsqu’elle s’aperçut que la flèche frôla une nouvelle fois la pierre. Voyant la déception sur le visage de sa nouvelle élève, Jori tenta, du mieux qu’il put, de la réconforter.

-Tu y étais presque. Tu es vraiment prometteuse, tu le sais ? Peu de personnes peuvent se vanter de réaliser l’exploit de s’approcher si près d’une cible en mouvement de cette taille.

-Mouais, marmonna Aeryl la mine déconfite.

*

Le lendemain, les deux compagnons d’aventure se réveillèrent dans une forme éblouissante. La longue nuit de sommeil les avait requinqués.

-C’est maintenant que les choses sérieuses commencent, déclara Jori avec gravité.

La joie qui éclairait son visage pendant l’entraînement de la veille avait disparue et laissée place à son masque solennel de tous les jours. Sa barbe mal rasée lui rajoutait bien cinq ans, voir dix. Ils entrèrent sur le territoire des hommes des montagnes et Aeryl, qui avait amassé un grand nombre d’a priori sur le paysage cauchemardesque des montagnes, fut éblouie par son charme et sa grandeur.

Les couleurs du ciel étaient des plus belles. Des volutes de nuages soyeux comme de la crème tourbillonnaient, poussés par une légère brise. Au loin, elle pouvait apercevoir les pics des sommets, véritables lances à la pointe de glace. À leurs pieds, un fin ruisseau serpentait lentement et leur indiquait le chemin à suivre. Ils s’engagèrent dans le creux de la vallée encore verdoyant, subjugués par tant de beauté. L’air, qui s’était rafraichi, emplit les poumons de la jeune fille. Jamais elle n’avait vu une telle immensité se profiler devant elle. Tout lui semblait hors d’atteinte et les montagnes, encore plus hautes que Palid, côtoyaient les nuages, qui s’accrochaient autour, tel des écharpes de laine.

-Tout n’est pas si terrible ici, finalement, lui fit remarquer Jori.

Alors qu’ils avançaient sur le terrain escarpé de la montagne, une grosse pierre fit obstacle à la jeune fille. Deux choix s’imposaient à elle : celui de contourner la pierre où celui de l’escalader. Aeryl, se sentant en pleine possession de ses moyens, décida de braver cette difficulté imprévue. Pleine d’entrain, elle sauta pour avaler la pierre d’un seul bond. Malgré son élan, elle calcula mal son coup et se retrouva déséquilibrée au sommet. Battant des bras l’air pour retrouver son équilibre, elle basculait lentement vers l’arrière. Bien qu’elle ne surplombât le sol que d’un mètre, elle cria en prenant peur. Pourtant, au moment, où elle allait abandonner sa vaine lutte avec la gravité, une main s’offrit à elle. Elle agrippa de toutes ses forces cette aide inespérée et put se dresser à nouveau solidement sur ses deux pieds, soufflant de soulagement. « Plus de risques inutiles ! » Se promit-elle mentalement.

-Sommes-nous bientôt arrivés ? Demanda-t-elle, alors que la longue montée commençait à se faire sentir dans ses jambes.

Jori, qui enjambait les pierres sans problème, lui désigna le sommet de la montagne la plus proche en guise de réponse.

-Quoi ! On doit marcher jusqu’à là-bas, protesta-t-elle les mains posées sur les cuisses. Je ne vais pas tenir.

-On doit atteindre les températures les plus basses pour transformer ton éphémère. Tu veux toujours le faire, n’est-ce pas ?

La jeune fille soupira une fois encore.

-Oui. Mais on ne pourrait pas s’arrêter un moment le temps que je récupère. Mes jambes sont fatiguées et j’ai de plus en plus de mal à respirer.

-Et tu te plains de plus en plus aussi, la taquina-t-il.

La jeune fille ne sut pas quoi répondre. C’était la première fois qu’elle voyait le géant au regard glacial faire une plaisanterie. D’ailleurs elle n’était même pas persuader que c’en était une, il l’avait dite avec une telle neutralité… Heureusement, elle n’eut pas à répondre.

-Nous ferons une halte lorsque nous ne serons plus à découvert. Ici, nous risquons de nous faire repérer.

Après quelques cols franchit, qui semblaient interminables pour la jeune fille, les deux compagnons d’expédition trouvèrent un refuge formé de sapins aux pointes enneigées, dans lequel ils pourraient se reposer sans se faire déranger.

-Je vais dormir au moins dix heures vu comment je suis fatiguée, dit Aeryl en s’écroulant sur l’herbe, qui commençait à être gelée à cette altitude.

Recroquevillé en boule dans une couverture, Aeryl s’endormit avant que son compagnon n’eût le temps de s’asseoir. Jori, quant à lui ne trouva pas le sommeil directement. Une mauvaise impression lui tourmentait l’esprit. Quelque chose ne tournait pas rond et cela le perturbait. Ils avaient tenté d’éviter au maximum les patrouilles des guerriers à tête-de-loup et ils n’en avaient rencontré aucune, pas même de loin. Et cela ne lui plaisait pas.

Il repensa à son enfance qu’il avait passée entre ses montagnes, à courir dans ses immenses valons. Depuis son recueillement à Palid par Crista, il avait refoulé ses émotions et enfoui ses souvenirs au plus profond de lui-même. Mais à présent qu’il foulait la terre sur laquelle il était né, ils revenaient à lui comme des boomerangs.

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DraikoPinpix
Posté le 23/04/2020
Super, j'attendais un duo Aeryl/Jori, là, c'est une belle occasion de les voir ensemble :)
Je ne sais pas trop quoi penser par rapport aux accusations contre lui. Peut-être par rapport au fait qu'il n'a pas pu se défendre ? Mais bon, tes arguments sont là :)
A bientôt !
clemesgar
Posté le 01/05/2020
Salut ;)
Ces accusations envers Jori sont un petit clin d'oeil envers n'importe quelle forme de discrimination. Dans l'histoire, Jori est d'une origine différente du peuple de la forêt et même s'il a grandi au sein de ce peuple, il conserve l'apparence de son peuple d'origine: le peuple de la montagne. Et malgré son dévouement envers le peuple de la forêt, les gens ressentent de l'animosité envers lui, ce qui est profondément injuste. Je te laisse faire ta propre analyse pour déterminer s'il est coupable ou non ;)
A bientôt ;)
DraikoPinpix
Posté le 01/05/2020
Oui, les choses deviennent plus claires dans son background. Au final, ça ne m'a pas dérangée :)
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