Chapitre 17 : La réserve

Devant la salle de maître Gourdon, Marlène sortit son traducteur universel. Elle devait surmonter cet obstacle. Les langues et elle, cela faisait deux. Tout ici était en italien. Si elle voulait suivre les cours ou regarder le PBM, elle allait devoir se forcer. Je l’enverai à l’instant où je quitterai l’école, se promit-elle. Ce n’est que temporaire. Les mains tremblantes, elle parvint à enfiler le collier et trembla en l’activant. Elle avait réussi mais une boule dans son estomac refusait de s’en aller.

Marlène entra dans la salle de classe de maître Gourdon. Elle s’installa sur un tapis.

- Dégage, miss stupide. C’est ma place, dit Francis, les propos traduits par le traducteur.

Marlène, peu désireuse de créer un problème, se leva pour aller plus loin. Maître Gourdon se plaça devant Marlène, un sourire rassurant sur le visage. Sans reprendre Francis, elle annonça :

- Les sons en magie intra.

Le professeur faisait comme si Marlène n’avait pas manqué l’école pendant un mois. La néomage lui en sut gré. Elle apprécia de ne pas être traitée différemment, que la normalité revienne.

- Le violon, poursuivit maître Gourdon.

- On non ! s’exclama Francis. Miss stupide va nous casser les oreilles. Ça fait chier ! On est tous passés à autre chose ! Pitié ! Plus de crissement désagréable !

La classe suivit l’avis de Francis. Maître Gourdon serra la mâchoire, se retenant visiblement d’exploser. Elle avala sa salive puis se pencha sur Marlène.

- Peut-être préférais-tu travailler dans la réserve ?

Avant que Marlène ne puisse répondre quoi que ce fut, maître Gourdon précisa :

- Je ne t’abandonne pas ! Je viendrai te voir pour m’assurer que tout va bien.

- Merci, maître. Je vais y aller. Votre proposition me touche beaucoup.

Si la professeur ne reprenait pas les autres, au moins offrait-elle une option de secours à Marlène. Maître Gourdon tendit un violon et un archer à la néomage. Marlène s’en saisit puis se leva pour rejoindre la petite pièce entre deux salles de classe.

Marlène ouvrit la porte pour découvrir une petite pièce, tout de même plus grande que sa chambre, mais en longueur. Sur les murs, des étagères croulaient sous les livres et les objets magiques en tout genre. Deux tables, sans chaise, trônaient en plein milieu. Une mince séparation permettait de passer entre les deux pour rejoindre une autre porte, en face. Marlène supposa qu'elle ouvrait sur une autre salle mais elle ignorait laquelle, n'étant jamais allée dans la salle de classe voisine.

Sur les deux tables étaient posés quelques objets. Ce ne fut pas le désordre apparent qui surprit Marlène, mais le fait qu'il y avait un autre élève dans la petite salle. Le garçon aux longs cheveux noirs avait choisi de s’asseoir sur une table. Il portait une chemise noire sur un pantalon de ville, très éloigné des jeans tee-shirt en vogue chez les jeunes. Marlène ne le connaissait pas, bien qu’il fut du même âge qu’elle. Après tout, chacun se créant l’emploi du temps à sa guise, il n’était pas étonnant qu’elle ne croisa jamais une bonne partie des élèves du collège.

Dans la gnosie, elle vit qu'il tentait de créer des images. Cependant, le résultat n'était pas brillant. On ne voyait que des flash de couleur sans forme compréhensible. Marlène plissa les paupières et tiqua. Pourquoi ce garçon était-il en retard par rapport aux autres ? Pourquoi travaillait-il dans la réserve et pas dans la salle de classe voisine ?

- Salut, dit Marlène après avoir refermé la porte derrière elle.

- Bonjour, dit le garçon sans se retourner, le traducteur modulant sa voix afin de permettre à Marlène d’entendre uniquement sa réponse en français.

Marlène comprit qu'il ne voulait pas rompre sa concentration. Elle n'insista pas, s'installa sur la table voisine, posa l’archer sur le violon et tenta de produire un son mais le résultat ne fut pas fameux.

- J'espère que je ne te dérange pas, souffla Marlène.

- Absolument pas, répondit le garçon, toujours sans la regarder.

Marlène bougea un peu, de manière à voir davantage que le dos du garçon. De profil, elle le trouva très mignon. Il avait les yeux noirs sur un visage doux. En revanche, il ne souriait pas et affichait un visage franchement antipathique.

Marlène continua à faire vibrer les cordes de son violon, mais c'était horrible. Si elle ne parvenait pas à jouer du violon correctement, elle pourrait encore moins reproduire les sons dans la gnosie. Un flash de lumière déferla dans la gnosie en même temps que Marlène fit crisser son violon de manière insupportable.

Le garçon soupira, se retourna, arracha le violon des mains de Marlène et joua une note, une seule. Le son envahit la pièce. Sublime, majestueux. Cette unique note transperça l'âme de Marlène, la faisant trembler de partout. Il arrêta de jouer et Marlène resta pétrifiée. Il se retourna et recommença à travailler. Après quelques secondes, il se tourna vers elle et annonça :

- Tu n'es pas censée essayer de reproduire ça ?

- Qui pourrait recréer une telle merveille ? souffla Marlène avant de rougir de la tête aux pieds.

Le jeune homme ouvrit de grands yeux et ne prit pas la remarque comme le compliment qu'elle était, ou en tout cas n'en laissa pas l'impression. Il tourna ostensiblement le dos à Marlène avant de se remettre à travailler. La jeune femme décida d'essayer de reproduire le son. Le souci était que, trop occupée à écouter le son, elle n'avait pas cherché à le comprendre à travers la gnosie. N'osant pas lui demander de jouer à nouveau, elle ne produisit que des vibrations sans aucun sens. Lorsque le cours arriva à son terme, elle n'avait pas avancé.

Marlène releva la tête lorsqu’elle vit le garçon se lever pour rejoindre la salle de classe voisine.

- Salut, lança-t-elle, presque avec espoir.

Il s’arrêta une fraction de seconde, pivota à peine et répondit, avec une politesse froide :

- Au revoir.

Ses mots, traînés comme un soupir, semblaient lui arracher la gorge. Il disparut sans un regard, et Marlène resta immobile, la bouche entrouverte.

- Très sympathique, marmonna-t-elle en secouant la tête avant de retourner auprès de maître Gourdon.

Le professeur l’accueillit avec un sourire apaisant.

- Tu as bien avancé ?

Marlène baissa les yeux, triturant l’archet entre ses doigts.

- Pas vraiment, non, maugréa Marlène. C'est trop dur, le violon.

Maître Gourdon posa une main légère sur son épaule.

- Les choses les plus difficiles sont souvent celles qui nous apprennent le plus, dit-elle, avant de lui faire signe de rejoindre son prochain cours.

- Dites-moi, demanda Marlène à monsieur Benaleb, qu'elle avait choisi pour ce jour. Entre le classement de mes connaissances, et l'amélioration de mes protections mentales, il vaut mieux que je choisisse quoi ?

- Les deux sont aussi importantes l'une que l'autre, répondit le professeur. De plus, les deux sont liées puisque classer tes connaissances te permettra de mieux contrôler tes protections et de les renforcer plus facilement. Ceci dit, tu n'es pas obligée de choisir. Tu peux faire une heure de chaque, ou un jour sur deux.

Marlène choisit cette seconde option. Elle classa ses connaissances et décida que le lendemain, elle améliorerait ses protections mentales. À midi, elle mangea seule puis continua le classement de ses boîtes.

Le soir, elle rappela Amanda, permission de nouveau accordée exceptionnellement.

- Salut, dit Amanda d’une voix mal assurée. Alors cette journée de reprise ? Ça a été ?

Elle évita de mentionner leur échange de la veille, comme si elle comprenait que Marlène avait eu besoin de ce silence pour digérer ses émotions.

- Je classe mes connaissances et j’apprends à imiter le violon, indiqua Marlène, ravie d’avoir quelqu’un à qui parler. Et toi ?

Amanda saisit l’invitation avec enthousiasme, se lançant dans un récit coloré de sa journée. Cette conversation anodine, si éloignée de la magie et de ses propres soucis, réchauffa quelque chose en elle. Pour un moment, elle put oublier qu’elle était une néomage isolée, moquée par ses camarades. Elle pouvait redevenir Marlène, une adolescente comme une autre, riant aux anecdotes d’Amanda.

Elle s’endormit peu après, l’esprit plus léger. Dans ses rêves, la magie s’entrelassa à ses pensées, prenant des formes douces et fluides. Les mélodies du violon, imparfaites mais prometteuses, se mêlèrent aux éclats de lumière dans la gnosie. Marlène dormait, créant à pleine puissance, comme si cette sérénité retrouvée lui donnait un nouvel élan.

Le lendemain, maître Gourdon envoya de nouveau Marlène dans la réserve, où elle retrouva le garçon qui continuait à faire apparaître des tâches de couleur, sauf qu'elles avaient une forme plus distincte. Marlène était épatée par ce pas de géant fait en si peu de temps.

- Pourquoi tu n'en es que là ? interrogea Marlène, la curiosité frisant la naïveté.

S’il avançait aussi vite, pourquoi n’en était-il toujours qu’à créer des images dans l’intra ? Il la regarda, son expression devenue froide.

- Pardon ? souffla le jeune homme d'un ton glacial.

- Ben, bredouilla Marlène, les autres élèves… Ils savent déjà reproduire les cinq sens. Les images... Ça vient juste après les sons, en difficulté. Je… m'étonne que tu n'en sois que là.

Son ton n'était ni moqueur ni accusateur, mais l’autre garçon le perçut autrement. Son visage se fit dur.

- Et toi, avec tes sons pourris, tu crois en être où ? répliqua-t-il, sa voix tranchante.

Sans lui laisser le temps de répondre, il lui tourna le dos et reprit ses exercices. Marlène n'avait pas cherché à être désagréable, mais à mieux connaître le jeune homme. Sa tentative de lancer une conversation avait été un échec complet, elle devait l'admettre. Elle essaya de reproduire le son du violon mais ça ne donnait rien, vu qu'elle n'avait pas étudié le son produit par l'instrument lorsque le jeune homme en avait joué la veille. Prenant son courage à deux mains, elle demanda :

- Dis, tu veux bien… me refaire… enfin, rejouer du violon, s'il te plaît ?

Il leva les yeux au ciel, mais il obéit. D’un geste rapide, il attrapa son violon et joua une note, d’une pureté absolue. Marlène en fut presque éblouie. Elle ferma les yeux, se concentra sur les échos du son dans la gnosie, essayant de capter l’essence du son avant qu’il ne s’éteigne.

Lorsqu’il arrêta de jouer, elle le remercia mais il ne daigna pas répondre, se retournant aussitôt pour reprendre son travail.

À la fin du cours, Marlène avait fait des progrès. Ce n'était pas parfait, mais au moins, on reconnaissait que c'était du violon. Elle se sentit à la fois satisfaite et déçue. Elle avait fait un pas, mais ce garçon, lui, restait inaccessible.

- Vraiment malpoli, murmura-t-elle en le voyant sortir sans un mot.

Le renforcement et l'agrandissement du mur symbolisant ses protections mentales fatiguèrent beaucoup Marlène qui passa l'après-midi à somnoler dans la salle de repos. Le lendemain ne fut qu’une répétition des jours précédents.

- Comment as-tu trouvé le cours de monsieur Toupin ? demanda Amanda, curieuse.

- Quoi ? lança Marlène.

- On est mercredi soir. C’est le jour du cours d’utilisations d’objets magiques. Tu as trouvé ça comment ?

Marlène roula les yeux.

- Je n’y suis pas allée, Amanda.

- Pourquoi ? interrogea la brune, un peu surprise.

- Je n’y allais que pour vous accompagner. J’ai eu tort d’activer un objet magique sans être capable de déterminer ses effets. Je ne le referai plus. Je n’activerai plus jamais d’objet magique de ma vie, voilà tout.

- Mais Marlène, il y en a partout ! Tu ne peux…

- Je veux utiliser la magie inter. Je m’en fiche de ces merdes en bois ou en plastique qui émettent de la lumière bleue ou font remuer les vers de terre ! Sans déconner !

- Les objets de monsieur Toupin sont simples et volontairement inutiles. Dans la vraie vie, il y en a partout ! répliqua Amanda. Je m’en sers quotidiennement !

Marlène souffla.

- Parce que tu n’as pas d’énergie ! argumenta-t-elle, de plus en plus agacée. Honnêtement, si tu avais des réserves illimitées, tu te ferais chier à utiliser des objets ou tu utiliserais la magie inter ?

- J’utiliserais des objets, comme ça, mes réserves personnelles, je m’en servirais pour devenir immortelle, indiqua Amanda.

La réponse souffla Marlène.

- Immortelle ? Comment ça ?

- La magie permet de guérir des maladies ou d’empêcher la dégénérescence des cellules. Seuls les meilleurs magiciens peuvent se le permettre et ça devient de plus en plus difficile avec le temps mais certains ont réussi à vivre trois voire quatre siècles.

Marlène avala difficilement sa salive. Elle ignorait que la magie permit cela. En même temps, seul un nombre très restreint de magiciens devaient posséder à la fois le savoir et l’énergie pour faire cela.

- Marlène, tu veux bien y réfléchir, s’il te plaît ? demanda enfin Amanda, une lueur d’espoir dans la voix.

Marlène bouillonnait.

- Ça me gonfle les objets magiques et l’étude de la nature ! s’exclama Marlène. Je m’en fous de leurs conneries ! Je veux manipuler la magie, la vraie !

Marlène s’endormit énervée ce soir-là.

Le lendemain, elle avait envie de retrouver le garçon de la réserve. Pour la première fois, elle enfila et activa le guide avec moins d’appréhension, le besoin de le comprendre prenant le dessus sur ses angoisses.

Voulant attirer son attention, Marlène se rendit auprès de la classe orchestre de l’école qui répétait dans la salle prévue à cet effet : violon, flûte traversière, tambour, guitare, trompette, clarinette, tuba, hautbois, saxophone, trombone, alto, contrebasse, harpe et même le triangle. Rien ne manquait.

Marlène écouta avec la gnosie puis se rendit au cours de maître Gourdon. En intra, elle fit un petit récital à plusieurs instruments. Le professeur la félicita puis annonça qu’elle devait passer aux sons de la vie de tous les jours, comme pour faire la bande son d'un film. Une portière qui claque. Un verre qui se brise. Un téléphone qui sonne. Le vent. Le vrombissement d'un moteur.

Marlène grimaça. Elle qui pensait pouvoir rattraper le garçon sur les images gronda. Ceci dit, ça serait bien plus facile que les instruments de musique. Il suffisait d’écouter les bruits autour de soi. Oui, elle en était certaine, elle y arriverait et le garçon serait épaté.

- Puis-je aller dans la réserve, maître ? demanda-t-elle d’une voix déterminée.

- Bien sûr, Marlène, répondit le professeur.

Il était bien là, assis, toujours de dos et s'il essayait de créer de quelque chose, aucun effet n'était visible.

- Alors, petite fille, tu as enfin réussi à faire de la musique convenable ? Ben, ce n'est pas trop tôt ! ironisa-t-il, sans même se tourner vers elle.

« Petite fille », se répéta Marlène, un sourire acide au coin des lèvres. C’était toujours mieux que les « miss stupide » subis du matin au soir.

- J'ai pris le temps qu'il faut, siffla-t-elle, en serrant les poings, furieuse qu'il lui ait volé sa réplique. Ce n'était pas…

Marlène n'eut pas le temps de finir car maître Gourdon passait une tête dans la salle :

- Et Marlène. Cette fois, essaye d'aller un peu plus vite parce qu'à cette vitesse, tu seras encore là dans un siècle. Oh ! Tu n'es pas seule ! Monsieur Pommier t'a également isolé ? continua Maître Gourdon en direction du jeune homme.

- Oui, maître, répondit le jeune homme avec politesse.

Il y avait une telle humilité dans sa voix, une courtoisie qui faisait presque mal à Marlène. Elle, qui était sur les nerfs à cause de l'attitude du garçon, se sentit un peu piquée.

- Bien, continua maître Gourdon. Au travail, Marlène !

Dès que maître Gourdon se fut retiré, le garçon lâcha un petit rire, un sourire en coin qui, cette fois, ne laissa aucune place à l'ambiguïté.

- Le temps qu'il faut, hein ? souffla-t-il, de façon moqueuse.

Marlène lui envoya un regard noir mais le jeune homme, concentré, avait les yeux fermés. La néomage n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait. Elle s’en fichait. Elle comptait lui rabattre le caquet. Elle s'entraîna et peu importait qu'elle le dérange.

Elle fit tomber des objets, tourna ses boutons, fit crisser un morceau de craie sur une ardoise, trouvée sur l'une des étagères de la réserve, si bien qu'en moins d'une heure, elle parvenait à reproduire tous les sons qu'elle avait imaginé, y compris le démarrage d'une voiture. Très contente d'avoir réussi à reproduire un son qu'elle n'avait pas étudié, mais juste entendu à de nombreuses reprises dans sa vie, elle alla annoncer ses progrès à maître Gourdon.

- Hé bien, profitons-en pour tester tes capacités en même temps que celles de monsieur Stoffer.

Sur le coup, Marlène ne comprit pas mais lorsque maître Gourdon entra dans la réserve et lui fit signe de l'y suivre, Marlène comprit qu'elle parlait du jeune homme de la réserve. Stoffer ? Le jeune homme était Lycronus Stoffer ? Pas étonnant qu’il soit aussi réticent à bavarder avec elle. Il avait l’habitude d’être raillé, insulté, moqué voire attaqué physiquement, comme Paul l’avait fait. Marlène n’en fut que plus désireuse de lui prouver qu’elle n’appartenait pas à cette catégorie de gens. N’était-elle pas amie avec Amanda, celle qui le défendait depuis le début ? Elle comptait bien rendre fière son amie.

- Lycronus ? appela maître Gourdon.

Le jeune homme rompit sa concentration pour regarder le professeur avec un regard attentif mais dénué de toute expression.

- Monsieur Pommier m'a dit que tu maîtrisais l'illusion d'images ?

Lycronus hocha la tête et Marlène serra les dents. Ainsi, le jeune homme avait terminé de reproduire les images, alors qu'elle était toujours bloquée aux sons. Elle serra les dents pour tenter de cacher sa fureur mais elle ne put s'empêcher de rougir de rage.

- Vous allez me faire un film, tous les deux. Toi les images et Marlène la bande son. Je vous donne vingt minutes pour vous préparer et ensuite, vous le présenterez devant monsieur Pommier et moi-même.

Marlène sourit. Enfin un moyen d’attirer son attention ! Lycronus n'attendit pas. Une première image apparut.

- Je te propose la scène du réveil. Le héros se lève, se rase, s'habille et se lave les dents. Ça te convient ? dit Lycronus.

- Pourquoi pas, répondit Marlène qui s’en fichait.

Lycronus fit apparaître un petit film, d'excellente qualité. Marlène ajouta quelques sons. Le film durait cinq minutes. Ils ne pourraient donc le passer que quatre fois avant que maître Gourdon ne leur demande de le présenter.

La quatrième fois, Marlène parvint à ajouter suffisamment de sons pour que le film soit convainquant. Elle devait l'admettre : Lycronus était doué. Niveau image, c'était parfait. Le temps écoulé étant terminé, monsieur Pommier et maître Gourdon s’installèrent dans la réserve, spectateurs prêts à passer un bon moment. Il ne manquait plus que le popcorn.

Marlène voulait en mettre plein la vue à Lycronus. En plus des sons, elle ajouta une bande musicale. Une musique douce, avec sept instruments, qu'elle inventa pour l'occasion. Lycronus, cependant, n'eut aucune réaction, comme si cela était parfaitement normal, irritant encore plus Marlène.

Les professeurs applaudirent avec solennité. Marlène n'eut rien le temps de dire à Lycronus que madame Gourdon annonçait :

- Bien, Marlène. Après la musique et les bruits, les sons d'animaux. Au travail.

Marlène regarda disparaître maître Gourdon puis se tourna vers Lycronus mais entre eux se tenaient un cheval. Marlène ne sursauta pas car sa gnosie lui en avait indiqué la présence. Il était magnifique. Un pur sang noir à la crinière légèrement argenté. Il remuait comme un vrai cheval et sentait même comme un vrai cheval. Marlène posa sa main sur lui et le contact fut déplaisant. C'était mou et visqueux, tout le contraire de ce qu'aurait dû être un cheval.

- Et si on travaillait ensemble ? proposa Lycronus. Ton accompagnement sonore était magnifique.

Lycronus lui tendit sa main droite. Marlène sourit puis la serra, le cœur joyeux. Il acceptait de faire équipe avec elle. Il avait compris qu’elle n’était pas de ceux qui le harcelaient. Quel bonheur !

- En ce moment, je travaille les illusions du toucher, expliqua Lycronus en lui rendant son sourire. Comme tu as pu le constater, je ne suis pas au point. Je trouve ce cheval bien silencieux, pas toi ?

Marlène hocha la tête. Son cœur battait à mille à l'heure. Elle se calma, respira puis tenta de reproduire le son d'un cheval. C'était complexe car il ne s'agissait pas juste d'un hennissement mais de tous les sons que pouvaient produire l'animal. Au bout d'une heure, Lycronus lança :

- Tu en penses quoi ?

Marlène posa sa main sur le dos du cheval. Cette fois, c'était doux mais froid.

- Il ne devrait pas être chaud ? demanda-t-elle.

- Hum, répondit Lycronus. Ce n'est pas encore ça alors… Toi, tes sons ne sont pas mal mais tu devrais pousser la réalité encore plus loin.

- C'est-à-dire ? demanda Marlène.

- Un cheval, ça a un cœur qui bat, une respiration, les sabots touchent le sol. Sa queue fouette le vent.

Marlène hocha la tête. Il la poussait plus loin, tout comme elle avec lui et cela lui plut.

- Le premier arrivé à la perfection offre un verre à l'autre ? proposa Lycronus.

- La nourriture est gratuite au collège, Lycronus ! répliqua Marlène en souriant.

- Je t'en prie, Lycro. Tous mes amis m'appellent ainsi.

Leurs regards se croisèrent. Les yeux noirs de Lycronus plongèrent un instant dans ceux bruns de Marlène mais ils n'y restèrent qu'un très court moment, ses paupières fermées mettant un terme à la connexion.

Marlène inspira. Au prix d'un grand effort, elle le sortit de ses pensées pour se reconcentrer.

Le cœur, les poumons, c'était facile car il suffisait de reproduire le sien, qu'elle entendait aisément. La queue dans le vent, pas trop dur non plus. Le plus compliqué était les bruits spécifiques du cheval, qu'elle n'avait jamais entendu, n'ayant jamais vu un vrai cheval. Elle était citadine. Les chevaux, en ville, il n'y en avait pas ou si peu…

- Et maintenant ? demanda Lycronus plus tard.

Marlène caressa le cheval. Son dos, ses côtes, sa crinière douce, sa bouche humide, ses dents dures, ses jambes fines et musclées. Il était parfait. Il n'y avait rien à dire. Marlène aurait aimé faire des progrès aussi rapides. Elle envia beaucoup Lycronus. Le jeune homme travaillait dur, ne bavardait pas, ne se déconcentrait pas. Il allait à l'essentiel. Marlène partait souvent à droite et à gauche, et la présence de Lycronus à ses côtés n'aidait pas. Elle l'observait souvent, cessant de travailler pour examiner ses traits, s'en imprégner, pour ensuite détourner le regard et se demander ce qu'elle pensait réellement du jeune homme… sans parvenir à trouver une réponse.

- Et moi ? demanda Marlène.

Lycronus se concentra sur sa gnosie, repérant les sons qui émanaient de l'animal avant de hocher la tête avec un sourire.

- Match nul, j'ai l'impression, dit Lycronus.

- Non, dit Marlène. Tu gagnes. Tu crées l'image, l'odeur et le toucher. Moi, seulement le son.

Lycronus sourit.

- Un petit galop ? proposa-t-il.

Marlène haussa un sourcil interrogateur. Le cheval disparut pour laisser place à un autre, de la taille d'un téléphone portable. Le sol de la réserve se couvrit d'une épaisse pelouse et le cheval se mit à gambader, sautant par-dessus des rochers et des barrières. C'était magnifique, mais silencieux. Marlène se concentra et la scène prit vie. Lorsque le cours de termina, maître Gourdon et monsieur Pommier entrèrent en même temps pour voir le galop.

- Vous vous amusez bien ? dit maître Gourdon.

Marlène rougit mais Lycronus, sans perdre un instant de sa superbe, lança :

- On s'entraîne, professeur !

- Mouais… Marlène, tu sais reproduire autre chose que le son d'un cheval ? interrogea maître Gourdon.

- Amel, je t'en prie, intervint monsieur Pommier. Laisse la donc. Ils ont fait un travail fantastique. Bravo ! Filez dans le cours suivant !

Maître Gourdon n'insista pas. Lycronus suivit Marlène pour sortir avec elle de la salle de classe. Cependant, il disparut dans un couloir, laissant Marlène seule.

Le classement de ses connaissances avança sans devenir automatique. Elle choisit de classer les ballons traitant de la maîtrise de la magie intra. Elle voulait s'améliorer le plus vite possible, pour montrer à Lycronus de quoi elle était capable. Elle ne cherchait pas à attirer son attention, et encore moins à lui plaire. Il s’agissait de compétition. Elle avait conscience que Lycronus ignorait que ce fut le cas, mais ça n'était pas grave. Il lui donnait envie de se dépasser, c'était l'essentiel.

L'après-midi, Marlène commença par améliorer ses protections mentales puis recommença son classement. Lasse, elle finit par appeler Amanda qui chuchotait car elle venait de décrocher un plein cours.

- Je t’empêche d’étudier, s’excusa Marlène.

- Cours de Physique-Chimie. Je m’en fous. Vas-y !

- Dis-moi ce que tu sais sur Lycronus Stoffer.

- Pourquoi ? siffla Amanda, sur ses gardes.

Le nom était censé être interdit. Mais ça, c’était du temps de Julie. Une époque lointaine et révolue.

- Parce que je ne veux pas me contenter des rumeurs de ces imbéciles de l’école. Et puis d’abord, pourquoi tout le monde est horrible avec lui ? Il n’a pas de bouton sur le nez, que je sache !

- Ils sont jaloux, expliqua Amanda.

- De quoi ? Il s’entraîne à la magie intra. Il vient à peine de réussir à maîtriser les images et de commencer le toucher.

- Ce n’est pas sa maîtrise de la magie qui pose problème, grogna Amanda.

- Alors quoi ? s’énerva Marlène.

- Pourquoi tu t’intéresses à lui soudainement ? C’est parce que les autres sont méchants avec toi ? Tu as le droit de te plaindre au personnel de l’école si des élèves s’en prennent à toi !

- Personne ne me fait de mal, mentit Marlène. Je suis juste toute seule.

Et je subis des insultes, moqueries et railleries permanentes. Et je suis stupide. Elle ne voulait pas accabler Amanda alors elle garda cela pour elle, tout comme elle ne s’en plaignait ni à ses parents ni aux professeurs.

- Et tu t’es dit que comme lui aussi, il accepterait peut-être de te parler ? Monsieur Stoffer n’est pas un bouche trou !

Marlène sentit son ventre se tordre. Amanda prenait une telle énergie à défendre Lycronus. Qu’elle fut amoureuse de lui ne faisait aucun doute. En revanche, « Monsieur Stoffer » ? Marlène trouva étrange qu’elle l’appelle par son nom de famille. Qui faisait cela ?

- Évidemment que non ! s’exclama Marlène. Avant ce matin, je ne savais même pas que c’était lui !

- Lui quoi ? s’énerva Amanda.

- Hé bien… Maître Gourdon m’a proposé d’aller travailler dans la réserve parce que les autres…

La voix de Marlène s’érailla. Elle se trouva incapable de finir sa phrase.

- Tu travailles loin des connards qui profitent de la situation pour se grandir en humiliant une néomage.

Marlène baissa les yeux et une larme jaillit. Fort heureusement, Amanda, à l’autre bout du fil, ne pouvait pas s’en rendre compte.

- Quel rapport avec monsieur Stoffer ?

- Lui aussi, apparemment, travaille mieux loin des regards insistants.

- Oh… souffla Amanda.

- Ça fait des jours que je travaille avec lui et ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai appris son identité.

- Tu bosses avec un mec pendant des jours sans lui demander son prénom ? s’amusa Amanda.

- Je… n’osais pas… admit Marlène. Il ne m’a pas demandé le mien non plus ! se défendit-elle.

- Pas besoin. Tout le monde sait qui tu es. Tu es passée aux informations tous les jours pendant un mois.

Marlène frémit. Une nausée la prit qu’elle repoussa difficilement.

- Et donc ? Il te plaît, monsieur Stoffer ?

- Tu m’en veux, supposa Marlène.

- De quoi ?

Son ton la laissait paraître abasourdie par la remarque de Marlène. La néomage tenta :

- De passer du temps avec lui et pas toi ?

- Quoi ? s’exclama Amanda. Je n’ai aucune vue sur monsieur Stoffer. Pas du tout mon type !

- Tu préfères les grands bruns jouant au PBM ? proposa Marlène.

Amanda hoqueta avant de grommeler :

- Moi qui essayais d’être discrète.

- Je ne crois pas qu’il s’en soit rendu compte. Je ne crois pas que quiconque s’en soit rendu compte.

- Sauf toi, répliqua Amanda.

- Tu es mon amie. C’est normal que je prête attention à toi.

- Julie ne s’est rendue compte de rien.

Marlène préféra Amanda en tirer elle-même ses conclusions. La néomage laissa un petit temps de silence avant de reprendre :

- Bon alors ? Tu le craches, ce morceau ?

- Quoi ? gronda Amanda.

- Lycro ! Dis-moi ce que tu sais sur lui !

- Lycro ? répéta Amanda. Tu as le droit de l’appeler par son surnom. Ouah ! Les sentiments seraient-ils réciproques ?

- N’importe quoi ! On bosse ensemble, c’est tout !

- C’est ça. Et moi, je suis la reine d’Angleterre. Bon, je te laisse. Le prof va finir par me voir. Ciao !

Marlène gronda avant de refermer brutalement le guide. Amanda n’avait pas répondu à sa question.

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