– Pour la dernière fois, je te dis que le Comédien dans Watchmen, il ressemble à José Garcia.
– Ce film est déjà assez mauvais, pas besoin qu'on en rajoute !
– Moi, j'ai kiffé.
– Ah ouais ?
– Non, je déconne. J'ai bien aimé le Docteur Manhattan par contre.
– Tu es donc une personne bien.
– Toute personne dont le fave dans Watchmen n'est pas Rorschach est une personne bien.
– Même si c'est Le Comédien ?
– Disons que Le Comédien, comme c'est un violeur, il existe peu de gens qui l'apprécient vraiment. Tandis qu'il y a plein de gars qui sont fans au premier degré de Rorsach.
– Son masque est très bien fait dans l'adaptation. D'ailleurs, c'est le seul bon truc du film.
– Si tu comptes pas la moustache de José Garcia.
– C'EST PAS JOSÉ GARCIA BORDEL !
Véronique eut un fou rire incontrôlable face à la réaction indignée de Delphine. Après plusieurs minutes de conversation houleuse (« Non mais l'arc du Hibou, c'est juste ' Ouin-ouin j'arrive pas à pécho mon crush ouin-ouin friendzone ' dans le film là, tu en oublies même qu'il y a une énorme menace nucléaire ou je sais plus quoi »), elle se décida à regarder l'heure. Elles avaient bientôt rendez-vous avec une cliente. Tandis qu'elles approchaient de leur véhicule de fonction, elles virent toutes quatre (Delphine, Camille, Noémie et Véronique) un petit mot coincé sous un des essuie-glaces. Camille le déplia et pâlit.
« Si vous ne voulez pas me tuer, je vous tuerai vous. »
Elles se rapprochèrent instinctivement les unes des autres après avoir lu le mot et paniquèrent :
– Putain, qui a pu laisser ça ?! s'écria Noémie.
– Quelqu'un à qui on a refusé l'euthanasie, visiblement, rétorqua Delphine qui fixait toujours le bout de papier.
– Mais de là à venir nous laisser un mot sur la voiture et à nous menacer de mort ?
– On appelle les flics ?
– Vous allez voir les flics, on va voir Mad, décida Véronique qui pointa Noémie et Camille du doigt. Prenez le papier et dites-nous quoi.
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– Et là, il nous dit quoi, Jean-Jacques Connard ?! « Désolé mesdemoiselles mais je peux prendre qu'une main courante pour ce genre de situation » ! explosa Camille qui tournait en rond dans la salle de réunion.
– Alors on lui a rappelé qu'il était légalement obligé de prendre notre plainte mais il a refusé en disant que c'était faux, continua Noémie qui était tout aussi fébrile.
– Quand je lui ai demandé le numéro du procureur pour porter plainte directement, il m'a dit qu'il n'avait pas à nous le donner et que c'était main courante ou rien.
– On a bien insisté sur le côté « menace de mort » de la chose mais Jean-Jacques Connard a pas pris ça au sérieux en nous disant que ça devait pas être la première fois que ça arrivait à des Death planners, que c'était sûrement juste pour nous faire peur et que si on ne venait pas déposer main courante, on devait partir.
– J'ai commencé à m'énerver. Alors son collègue est venu me dire de baisser d'un ton envers son pote qui ne faisait que son travail et qu'en plus, c'était pas bon pour mon bébé. Je n'ai pas baissé d'un ton. J'ai redemandé à porter plainte. Le collègue a aussi dit qu'on pouvait pas porter plainte sur la base d'un mot posé sous un pare-brise. J'ai continué à m'énerver.
– J'ai bien senti que l'ambiance tournait mal alors j'ai voulu dire à Camille qu'on devait repartir quitte à essayer ailleurs mais elle n'était pas très opé. J'ai insisté, un des flics a voulu en rajouter une couche, je l'ai diplomatiquement envoyé se faire foutre et il a menacé de nous traîner dehors lui-même si on continuait.
– C'est là que j'ai compris qu'on arriverait à rien.
– Je suis pas sûre que tu iras plus loin avec quelqu'un d'autre, maugréa Isabelle. Même si c'est clairement des menaces de mort, dans des cas comme ça, si tu prends pas la personne sur le fait, ils font rien.
– Mais pourquoi ?
– Parce que c'est la police ? tenta Kévin.
– Calmos l'anarchiste, tempéra Maria. Ils n'ont pas tort. On a pas de suspect précis vu qu'on a refusé l'euthanasie à pas mal de monde ces derniers mois. En plus, vous n'avez vu personne mettre le mot : même s'il faut clairement porter plainte, je pense que ça va être coton.
– C'est quand même menace sur personne dépositaire de l'autorité publique. Je contacte le procureur dès que possible, avertit Madeline qui se redressa. Vous vous pensez capables de retourner travailler ?
C'était bien le cas. Le cœur serré, Delphine et Noémie prirent place à l'arrière de la voiture de Françoise qui avait proposé de la leur prêter afin d'éviter qu'elles ne soient facilement visées par de nouvelles menaces tandis que Camille s'affalait sur le siège passager. Véronique prit le volant. Avant de démarrer, toutes firent une pause.
– Ça va aller, déclara-t-elle.
– C'est une question, un espoir ou un ordre ? hésita Noémie qui pencha la tête au-dessus du siège passager.
– Un peu des trois.
– Fake it til you make it, lança Delphine.
– C'est ça, ton conseil de psy ?
– L'auto-persuasion, ça peut être très efficace, tu sais.
Camille aimait bien Delphine. Elle était drôle, elle était sûre d'elle, elle était franche et elle portait très bien le jaune pastel (qualité rare et sous-estimée). Tandis qu'elles étaient toutes quatre sur le point de tourner dans la rue qui menait à leur prochain client, elles furent stoppées par des barrières au milieu de la rue par un policier qui leur fit baisser la vitre conducteur. Tendues, elles se penchèrent pour écouter ce qu'il disait.
– Mesdames, vous allez devoir faire un détour, annonça-t-il.
– Mais nous devons nous rendre dans cette rue pour un rendez-vous, objecta Véronique qui pointa du doigt le badge accroché au rétroviseur de la voiture qui indiquait qu'elle appartenait à un·e Death planner en mission.
– À quel numéro ?
– Le 32.
Le policier leur tourna le dos pour échanger avec des collègues. Camille en profita pour scruter les alentours, elle qui n'avait pas prêté attention à quoi que ce soit durant le trajet. Elle réalisa qu'elle se trouvait devant les pompes funèbres Jeansson. Les portes de l'établissement étaient grandes ouvertes, avec plusieurs employés effondrés dehors, entourés de quelques policiers. Elle sursauta quand elle entendit la porte arrière droite se refermer avec fracas. Puis ce fut au tour de la porte arrière gauche.
Véronique jura et se fit violence pour ne pas suivre Noémie qui se ruait vers ses anciens collègues. Elle échangea avec une jeune femme menue avant de sembler manquer d'air. Camille sortit de la voiture (ce qui provoqua un « Bordel, Camille ! » de la part de sa collègue) pour s'approcher d'elle. Noémie respirait bruyamment, les yeux fixés sur le sol. Elle sembla s'effondrer sur elle-même après avoir été conduite jusqu'à la banquette arrière. Le policier revint vers eux, puis, sans sembler s'inquiéter de l'état de Noémie, leur indiqua qu'elles pouvaient circuler librement. Il repartit tandis que Delphine parlait calmement à Noémie qui semblait toujours en proie à la panique et que Véronique se garait un peu plus loin dans la rue. Elle sursauta quand Noémie laissa échapper un cri de pure rage. Camille en fut si apeurée qu'elle songea brièvement qu'elle allait en faire une fausse couche. Noémie remarqua son effroi.
– Camille, merde, désolé, désolée ! Ça va ?
– Ouais, murmura-t-elle, une main sur son ventre. Ouais, ça va. Et toi ?
– Non.
– Tu veux en parler ? offrit Véronique.
– Non.
– Tu veux rester dans la voiture pendant qu'on fait l'entretien ?
– Non.
– Tu veux qu'on attende un peu avant d'y aller ?
– Non.
– Nocturama, au fond, c'est pas le pire le album de Nick Cave, tu crois pas ? essaya Camille.
– Si. Faut pas déconner quand même. Camille, ne me dis pas que tu...
– C'est juste que j'aime bien une ou deux chansons dessus et je...
– Non.
Malgré ces péripéties, l'entretien se déroula normalement. Véronique et Camille expliquèrent calmement et posément qu'elles allaient effectuer au moins trois entretiens avant de décider d'une date d'euthanasie, exposèrent comment l'acte allait se passer, en quoi consistaient les critères d'acceptation d'une demande d'euthanasie et firent connaissance avec leur cliente. Delphine posa les bonnes questions au bon moment, releva les motifs essentiels de la demande, se rapprocha de la femme en face d'elles qui se sentit de plus en plus en confiance. Noémie participa à l'entretien, mais toutes sentirent bien qu'elle était en retrait. Alors qu'elles sortaient de la maison, Delphine téléphona à Nour pour lui récapituler leur entrevue. Camille regarda un peu plus loin et vit que la police était partie, de même que les badauds. Noémie se posta à côté d'elle.
– Jeansson est mort, déclara-t-elle.
– Quoi ?
– Il est mort. Dans son bureau.
– Un Death giver ?
– Non. Ils auraient laissé leur carte si c'était le cas.
– Qui aurait pu le tuer ?
– Pas mal de gens vu le comportement de merde qu'il avait, répondit Noémie qui s'assombrit. Je ne le regretterai pas mais ça fait chier.
– Parce que ?
– Parce qu'il fera jamais face aux conséquences de ses actes tandis que moi, je vais vivre toute ma vie avec les souvenirs et la honte et la colère, sans jamais pouvoir me dire que ce connard a payé un minimum pour ça.
Véronique et Delphine tournèrent la tête dans leur direction mais n'approchèrent pas. Camille resta coite. Oui, elle avait voulu dire que puisque Jeansson était mort, il avait peut-être eu ce qu'il méritait et que c'était une forme de justice. Malgré tout, elle savait que c'était pas vrai. Noémie l'avait expliqué bien mieux qu'elle n'aurait jamais pu le faire. Elle savait aussi que Noémie était bien plus sage qu'elle. C'était aussi pour ça qu'elle l'appréciait autant.
Intéressante, cette conclusion au harcèlement, avec la mort qui n'est pas considérée comme une forme de justice. Je n'aurais jamais pensé à distinguer les deux, donc j'ai été intriguée.
Il y a un effet coïncidence que la même journée où elles ont la menace et le passage au commissariat, il y ait l'incident aux pompes funèbres. (Ce n'est qu'en écrivant cette phrase que je me dis que peut-être que les deux sont liés.) Ça contredit un peu l'aspect "c'est un métier comme un autre" qui avait été développé jusqu'à maintenant (ce qui est peut-être fait exprès, d'ailleurs, je ne sais pas).
J'ai eu un peu de mal à suivre le déroulé des incidents ici : "Véronique jura et se fit violence pour ne pas suivre Noémie, elle-même suivie par Delphine, qui se ruait vers ses anciens collègues. La première échangea avec une jeune femme menue avant de sembler manquer d'air. Delphine lui prit délicatement le bras et la reconduisit jusqu'à la voiture. Camille sortit de cette dernière (ce qui provoqua un « Bordel, Camille ! » de la part de sa collègue) pour s'approcher d'elles." Déjà, j'ai senti que ces prénoms se ressemblaient tous un peu, en mode français avec un -i : Véronique Noémie Delphine Camille. Et puis il y a eu les raccourcis "la première", "lui", "cette dernière", "sa collègue" et j'étais en mode qui ça qui ça qui ça qui ça.
Je me demande si l'effet de la mort de Jeansson ne serait pas plus fort si on avait appris avant que Noémie se préparait à porter plainte finalement. Parce que là comme tout vient d'un coup, c'est un peu en mode "bon ben tant pis".
Détails :
• "Vous vous sentez retourner travailler ?" Manque le "de" avant "retourner.
• "C'était bien le cas." J'ai pas trouvé cette phrase nécessaire.
• "Fake it till you make it" till > til
• "L'auto persuasion, ça peut être très efficace" Faut un tiret à auto-persuasion.
• "Camille, désolée ! Ça va ?" Je sais pas, ça m'a sonné chelou dans l'état où est Noémie. Peut-être plus une répétition genre "désolée, désolée, désolée, ça va ?".
• "Iels auraient laissé leur carte si c'était le cas." Dans le reste du roman, t'utilises le "Ils" """traditionnel""" pour le pluriel mixte, pourquoi ici le "Iels" ?
J'ai un gros problème avec les prénoms aux mêmes sons, j'ai ça avec les prénoms tous les meufs qui ont un prénom en A dans une autre histoire, je sais pas d'où ça me vient.
Le "tant pis" était voulu ici, de se dire que c'est juste une grosse déception de sa part (oui, c'est moche de lui faire subir ça).
Pour le Iels, c'est juste qu'à un moment, j'ai du décidé qu'un des persos serait non-binaire mais en fait, c'est pas le cas donc oui, c'est à corriger aussi.