– Spyridon ! hurla Maggie au comble de l’exaspération. Mais que fais-tu là ?
Sa voix puissante se perdit dans les profondeurs du gouffre. Elle fut entraînée par un vent puissant qui venait de se lever de la mer.
Maggie n’avait rien compris à ce qui venait de se passer. Elle pensait trouver Guillemine seule au sommet du volcan, au bout de son long voyage avec Dee Dee. Quand elle avait perdu sa trace à Der-Shappah, après l’accalmie qui avait suivi le séisme, elle avait à nouveau activé ses petites antennes pour localiser sa fille. À force de chercher, elle l’avait repérée un peu plus tard. Guillemine se trouvait très loin au nord.
La sorcière s’était interrogée sur la vitesse à laquelle sa fille avait changé d’endroit. Elle avait songé à la téléportation, mais elle avait toujours pensé que Guillemine ne maîtrisait pas ce sort. Imaginer que Guillemine lui avait échappé si rapidement par la magie lui donnait une raison supplémentaire d’être aigrie contre sa fille bien trop talentueuse.
Elle avait aussitôt entraîné Dee Dee avec elle en direction du Nord. Dee Dee fut juchée sur l’immense cheval si laid. Sa grand-mère chevauchait à bride abattue le long des immenses plages de sable qui bordaient la côte. C’est à peine si elles prenaient le temps de descendre pour que la monture se repose tandis qu’elles mangeaient quelques biscuits rassis et buvaient une eau infecte.
La route était longue jusqu’au nord, mais Maggie ne faiblissait pas. Sa rage lui donnait des ailes. Dee Dee elle-même était impressionnée par la vitalité de sa grand-mère. Elle ne comprenait pas son agressivité et se gardait bien d’ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit. Cette course folle vers le nord retardait le moment où elle reviendrait à Astarax, et ce n’était pas pour lui déplaire.
Elles parvinrent à l'isthme qu’elles franchirent au galop. Maggie ne se préoccupait pas des pieds du cheval qui butait contre les pierres et les aspérités de l’étroit chemin. Elle volait littéralement en direction du haut volcan qui se dressait au bout de la route. Arrivées sur la presqu’île, Maggie tenta de faire grimper la pente à l’animal, mais ce fut peine perdue. Elles furent obligées de mettre pied à terre et de poursuivre à pied. Maggie escaladait les sentiers à vive allure. Dee Dee était obligée de courir derrière elle pour rester à sa hauteur.
Maggie avait peu parlé pendant leur voyage. Dee Dee n’avait pas ouvert la bouche non plus. Elles n’avaient rien à se dire. Maggie n’avait qu’un objectif, retrouver Guillemine et la ramener à Astarax. Elle se moquait bien de sa petite fille et de ce qu’elle pouvait penser. Mais Dee Dee n’avait plus aucune idée en tête. Elle se laissait porter par les événements, sans réfléchir. Même sa haine tenace ne la portait plus.
Le spectacle de son père et de sa mère qui se métamorphosaient en arbre ne lui avait fait aucun effet. C’était comme si elle s’était débarrassée de tout sentiment. Elle n’éprouvait plus rien. Elle était comme vide.
Quand Maggie se fut calmée, longtemps après que la métamorphose de Guillemine et Martagon en arbre fut complète et que Spyridon eut disparu, la nuit était tombée sur le sommet du volcan. Un orage terrible s’approchait. Le vent avait forci et soufflait sans pitié, poussant les nuages chargés de pluie vers le volcan. Bientôt les éclairs inondèrent le ciel de leur violente lumière. Le tonnerre gronda, menaçant et monstrueux. En bas de la montagne, l’océan était démonté. Les vagues venaient se fracasser sur la presqu’île et leur écume retombait en nuées de flocons mousseux sur les rochers. Le déluge se déversa brutalement. Les gouttes étaient énormes et s’écrasaient sur le sol en éclatant. Il ne fallut quelques instants pour que Maggie et Dee Dee soient trempées. A la lueur des éclairs qui striaient l’obscurité, elles virent l’arbre affronter sa première tempête. Il ployait sous la violence du vent. Dee Dee eut soudain peur qu’il se déracine et ne tombe dans le gouffre.
À cette pensée, elle se dit finalement que toute sensation n’était pas morte en elle. Elle songeait encore à ses parents et ne désirait pas leur disparition. Peut-être avait-elle enfin amorcé son retour à une vie plus apaisée. Elle se tenait assise contre un rocher, luttant contre les éléments qui se déchaînaient autour d’elle. Maggie était restée debout et rigide. Les bourrasques ne la déstabilisaient pas. Elle ne bougeait pas malgré le déferlement des éclairs qui perçaient l’obscurité. Voulait-elle protéger l’arbre en étant foudroyée à sa place ? C’était étrange et incompréhensible, car nul n’aurait pu dire si Maggie éprouvait un quelconque sentiment pour qui que ce soit.
A un moment, Dee Dee sentit un corps gluant venir se coller contre elle. C’était Memnon. Il se réfugia derrière le rocher. Elle allongea la main et toucha la fourrure dégoulinante. Le pauvre animal était gelé. Elle l’entoura de ses bras et tenta de se souvenir d’une formule qui aurait pu le réchauffer. Mais sa tête restait vide. Elle se contenta de le serrer fort.
La nuit fut longue. Elle grelottait. Maggie avait fini par disparaître. Elle avait dû trouver un abri elle aussi. L’orage s’était éloigné mais la pluie dura jusqu’à l’aube. Le vent finit par chasser les derniers nuages et un soleil éclatant se leva. Il fit bientôt chaud au sommet du volcan, malgré la brise. La terre noire gorgée d’humidité était meuble. Quantité de petites herbes pointaient sous les rayons et formait un fin tapis. Dee Dee sortit de derrière le rocher et s’étira sous la chaleur bienfaisante. Maggie réapparut. Sa robe encore détrempée lui collait au corps.
Le vent et le soleil eurent tôt fait de les réchauffer et de sécher les vêtements et la fourrure de Memnon.
L’arbre avait résisté à la tempête. Un torrent de boue s’était formé à son pied et il avait glissé un peu plus bas sur la pente. Malgré la violence des éléments, il était resté debout. Il ne se trouvait plus au bord du gouffre, et ne risquait plus de tomber dans le précipice. Sa ramure était échevelée. Désormais, il penchait légèrement. Il était si peu rattaché à la terre qu’un simple souffle du vent aurait pu le coucher sur le sol. Mais les racines avaient repris leur travail et l’arrimaient plus profondément qu’auparavant. Il était fragile, mais tenait bon.
– Partons, dit brusquement Maggie en regardant la silhouette tordue et solide à la fois. Nous n’avons plus rien à faire ici.
Elle haussa les épaules et s’éloigna. Dee Dee appela le chien. Il s’était couché au pied de l’arbre et ne semblait pas vouloir bouger. Elle s’approcha et le caressa. Il la regarda de ses bons yeux tristes. Il avait perdu son maître et rien ne pourrait le consoler. Dee Dee vit la silhouette rouge de Maggie qui avait déjà amorcé la descente. Elle posa une main contre le tronc à l’écorce écailleuse et eut une ultime pensée pour ses parents. Elle tenta une dernière fois de convaincre Memnon de la suivre mais le chien resta obstinément à sa place.
Alors elle se mit à courir derrière sa grand-mère et la rejoignit bientôt.
Tandis que Maggie et Dee Dee descendaient le long des sentiers herbeux, Helmus surgit soudain. Il vola lourdement autour d’elles. Il avait fui pendant l’orage et revenait chercher de la compagnie. Il n’aimait pas Maggie, mais il redoutait davantage la solitude. Entre deux maux, il avait choisi le moindre. Il se posa avec réticence sur l’épaule de Dee Dee. Le cœur lourd, il se résolvait à partir avec les deux sorcières. Maggie se moqua de lui.
– Tu ne vas pas revenir à Astarax, ironisa-t-elle en le voyant. Tu as trahi Alix. Tu as déserté, elle ne te pardonnera jamais. Elle va te tordre le cou dès qu’elle t’apercevra.
À ces mots, Helmus ne perdit pas son temps. Il s’envola aussitôt dans l’azur.
Sur le sentier, elles croisèrent un jeune berger qui menait ses chèvres paître l’herbe nouvelle. Les clochettes des bêtes tintinnabulaient dans l’air frais du matin. Tandis qu’elles s’éloignaient, le garçon atteignit à son tour le sommet et vit l’arbre qui avait poussé pendant la nuit. À son pied, un chien était couché. Et juste à côté, un vieil homme contemplait le cratère.
Spyridon avait ramassé le voile d’invisibilité que Guillemine avait laissé tomber lorsqu’elle avait couru vers Martagon. ll s’en était servi pour disparaître aux yeux de Maggie et de Dee Dee quand Maggie l’avait apostrophé. Il l’avait ôté à nouveau et caché précieusement dans l’une de ses poches.
Le berger s’approcha de lui.
– Bonjour, dit-il à Spyridon. Qui es-tu ? Vois-tu cet arbre qui n’était pas là avant ?
– Oui, répondit le sorcier. Je l’ai vu pousser hier en un jour. C’est un arbre extraordinaire, magique. Il apporte la paix.
– Peux-tu me raconter l’histoire ? demanda l’enfant tandis que ses chèvres gambadaient autour de lui et se penchaient dangereusement au-dessus du vide.
– Eh bien oui, fit Spyridon, c’est un bien joli conte qui pourra devenir une légende. Il était une fois un homme et une femme qui s’aimaient énormément. Mais la femme avait subi une terrible malédiction. Pour la soigner, son époux quitta la maison et parcourut un long chemin pendant des années. Il était parti chercher une potion de guérison à l’autre bout du monde pour elle. Quand il l’eut trouvée, ils se rejoignirent en haut du volcan. L’homme donna la potion à la femme. Elle lui dit qu’elle s’était guérie toute seule depuis qu’elle aussi avait quitté leur maison. Elle était partie en voyage pour le retrouver. La potion ne soignait pas seulement les malédictions, c’était aussi un philtre d’amour. Mais cela, ni l’un ni l’autre ne le savait. Cependant ils n’en avaient pas besoin car ils s’aimaient toujours énormément. Mais ça, ils ne le savaient pas non plus, après tout ce temps. Alors quand ils se revirent, la vérité éclata à leurs yeux. Ils s’enlacèrent au bord du cratère du volcan. Ils étaient unis pour l’éternité. L’arbre se mit à pousser à côté d’eux pour témoigner de leur histoire. C’est la fin du conte.
– Et le chien ? s’enquit le petit berger passionné par l’histoire.
– C’était le chien de l’homme, expliqua Spyridon.
– Mais où sont-ils passés, l’homme et la femme ? insista l’enfant.
– Ils sont retournés chez eux, dit Spyridon.
– Mais ils ont laissé le chien ? Et il est resté tout seul ? s’indigna le berger.
– Il n’a pas voulu les suivre, fit Spyridon. Mais si tu veux, il partira peut-être avec toi.
– J’aimerais bien, avoua le jeune garçon. Je n’ai jamais eu de chien pour m’aider à garder mes chèvres. Comment s’appelle-t-il ? Tu le sais ?
– Oui, répondit Spyridon. Il s’appelle Memnon.
Le berger s’approcha du chien et entoura son cou avec ses deux bras. Il posa sa tête contre celle de Memnon et caressa la douce fourrure.
– J’ai croisé deux femmes en montant vers le cratère, dit encore l’enfant. La grande en rouge était très brutale, elle a bousculé mes chèvres. Tu les connais aussi ?
– Oui un peu, fit Spyridon. Elles aussi sont rentrées chez elles.
– Tout le monde s’en va, constata le berger avec tristesse. Et toi ?
– Je vais partir aussi, avoua Spyridon. Je n’ai plus rien à faire ici. Mais le chien va rester. Et tu vas le garder. Alors tu ne seras pas tout seul, et le chien non plus.
– Oui, fit le berger mais une certaine amertume perçait dans sa voix.
À cet instant, quelques feuilles tombèrent de l’arbre sur le sol. Certaines s’envolèrent avec le vent. Puis une branche noire à moitié brisée par la tempête se cassa tout à fait et chuta. L’enfant délaissa le chien pour la ramasser. Instinctivement, il la tendit vers le soleil. Alors un souffle étrange descendit du ciel et balaya le cratère. Effrayé, l’enfant jeta le rameau de bois noir dans le gouffre. Il tomba en tournant jusqu’en bas, au milieu des fumerolles. Une explosion de feu jaillit là où la branche avait touché le fond du cratère.
L’enfant terrifié s’enfuit en courant et appela ses chèvres. Spyridon le héla avant qu’il soit trop loin. Il lui dit qu’il ne devait pas avoir peur, c’était juste la nature qui s’exprimait. L’enfant revint à petits pas, méfiant.
–Viens, dit Spyridon, partons ensemble. Je vais descendre et récupérer mes chevaux en bas. Appelle ton ami.
– Memnon, dit l’enfant en allant caresser le chien, j’ai besoin de toi et mes chèvres aussi. Tu me suis ?
Memnon se leva d’un bond en agitant la queue. Il semblait avoir repris goût à la vie grâce au petit berger. Il marcha entre l’enfant et le sorcier. Tous trois s’éloignèrent du cratère, au milieu du troupeau. Les chèvres avaient eu le temps de dévorer toute l’herbe fraîche pendant leurs conversations. Délaissant son nouveau maître, Memnon se mit à gambader autour d’elles en aboyant de toutes ses forces. Les biquettes répondaient en bêlant sans se préoccuper de lui. Instinctivement, le chien avait compris ce que le berger attendait de lui. Ils commencèrent la longue descente vers le bas de la montagne. Alors, une douce brise agita les feuilles de l’arbre qui parut soupirer d’aise. Il ne demandait pour l’instant qu’à vivre en paix. Le vent se mit à chanter à travers sa ramure. Il restait seul mais sa légende était née.
Le chemin était interminable. Comme l’enfant et le sorcier bavardèrent tout le long de choses et d’autres, le temps passa sans qu’ils s’en aperçoivent. Ils parlèrent beaucoup des chèvres et de la fabrication du fromage. Spyridon orientait habilement la conversation vers un sujet neutre qui ne concernait ni l’arbre ni Maggie. L’enfant sans malice était heureux de partager ses expériences avec un vieil homme compréhensif. Ils avaient presque atteint le bas de la pente quand ils virent le cadavre d’un cheval étendu à terre. Ils s’approchèrent et s’arrêtèrent devant lui. L’animal avait été foudroyé par l’orage. Des lésions externes de brûlures étaient visibles sur son corps.
– Pauvre bête, dit Spyridon, il ne méritait pas de mourir ainsi.
– Tu le connaissais ? demanda le petit berger en se pendant au-dessus de l’animal. Regarde, il a été brutalisé. Ses pattes sont couvertes de blessures. Et il est laid.
– C’était une très vieille bête. Tu vois comme sa tête est marquée par les années ? Il s’appelait Bernhamm. Il vient de très loin.
– Je l’ai vu galoper sur la montagne, s’écria le jeune berger. Il était monté par la sorcière habillée en rouge, celle qui courait vers le sommet. Elle était folle. Comme le cheval n’arrivait plus à grimper à cause de la forte pente, elle a sauté sur le sol et a continué à escalader en l’abandonnant. Elles étaient deux. Il y avait une fille avec elle sur le cheval. Je t’ai dit que j’avais croisé deux femmes. Tu les as vues là-haut ?
– Non, je ne les ai pas vues, mentit Spyridon qui n’avait pas envie de raconter ce qui s’était réellement passé près du cratère. Elles n’ont pas dû atteindre le haut du volcan.
– Alors elles sont sûrement reparties avant l’orage, fit le garçon. Car je ne les ai pas revues. C’est bizarre. Elles l’ont abandonné quand il était encore vivant ? Elles devaient le détester.
– Oui c’est étrange, renchérit Spyridon. Pourquoi disais-tu que c’était une sorcière ?
– De l’écume sortait des naseaux du cheval, fit l’enfant. Et la femme crachait du feu. C’était horrible, j’ai eu très peur. Je me suis sauvé avec le troupeau. Je voulais protéger mes chèvres.
– Tu n’as pas plutôt fait un cauchemar ? s’étonna Spyridon.
– Si, je crois bien, répondit le berger. C’est l’orage qui approchait qui m’a tourneboulé la tête. C’est pour ça que je suis monté ce matin, pour vaincre ma peur. Et pour que mes chèvres mangent l’herbe qui a poussé après la pluie.
– Tu es très courageux, dit Spyridon. Et tu es un bon berger pour ton troupeau. Viens, nous ne pouvons plus rien faire pour ce pauvre Bernhamm.
– Les gens de mon village viendront pour l’enterrer, ajouta le jeune garçon. Regarde, il y a déjà un corbeau qui vole au-dessus de sa carcasse.
Spyridon leva les yeux et reconnut Helmus mais ne dit rien. Il se contenta de sourire.
Ils reprirent la descente. Arrivés au pied de la montagne, le jeune berger s’arrêta. Les masures d’un village apparaissaient un peu plus loin, au nord. Les paysans qui y habitaient fabriquaient des fromages avec le lait des chèvres et se nourrissaient de poissons et d’herbes sauvages. C’était là que le petit berger vivait quand il n’errait pas dans la montagne avec son troupeau. Il menait ses bêtes sur les flancs du volcan, là où poussait la meilleure herbe. Il dit au revoir à Spyridon qui continua sa route.
Tout en marchant, le vieux sorcier se retournait parfois. Pendant un moment, il aperçut le jeune garçon debout sur un rocher qui lui faisait des signes. Memnon était assis à ses côtés. Au détour d’un virage, l’enfant et le chien disparurent de sa vue. Spyridon souriait en lui-même de satisfaction. Chaque pot a son couvercle, pensait-il. Il aimait bien cette expression qui convenait à un sorcier méticuleux. Memnon avait trouvé un nouveau maître et le petit berger un compagnon.
Dès que Spyridon eut définitivement le dos tourné, le petit berger courut vers le hameau où il habitait avec sa famille, Memnon sur ses talons. Il avait hâte de montrer son chien aux villageois, et de leur raconter son aventure et la naissance de l’arbre de paix.
Spyridon parvint rapidement là où Martagon et lui avaient laissé leurs chevaux à leur arrivée, il ne trouva rien ni personne. Il soupçonna Maggie d’avoir volé les montures pour remplacer Bernhamm qui était mort. Tant pis. Il n’avait pas l’intention de continuer à chevaucher. Il marcherait. Il traversa la presqu’île et emprunta l’isthme pour retourner sur le continent. Il avait à peine fait quelques pas sur la bande de terre qu’Helmus vola vers lui. Le corbeau se posa sur son épaule. Spyridon l’accueillit chaleureusement. Il s’arrêta pour parler à l’oiseau.
– Il ne reste plus que toi et moi à l’issue de ce voyage, dit le sorcier en caressant les plumes de l’oiseau noir. Je ne reviendrai jamais à Astarax, tu t’en doutes. J’ai eu beaucoup de chance de revoir Guillemine, même si je ne lui ai pas parlé et si cela a duré très peu de temps. Désormais, je cherche la tranquillité. Les montagnes qui font face au volcan me paraissent idéales pour oublier ma vie d’avant. J’y dénicherai un endroit paisible et isolé pour construire ma cabane avec un banc sur le devant. Est-ce que tu veux vraiment venir avec moi et vivre en ermite ?
Helmus resta bien accroché à l’épaule de Spyridon. Il enfonça même ses griffes dans les fragiles épaules. Alors le vieux sorcier se remit en route. Les deux compagnons parcoururent l’étroit sentier jusqu’à son extrémité. Puis Spyridon prit la direction des marais et au-delà des montagnes qui se dressaient dans le lointain. Plus il s’éloignait de la presqu’île et du volcan, plus sa mémoire devenait défaillante. Sans émulation, il n’était plus capable de rattacher son esprit à quoi que ce soit. Le corbeau lui rappelait parfois quelques souvenirs lointains, mais il perdit bientôt toute notion de son passé. Au lieu de se diriger vers les marécages comme il l’avait pensé, il se mit à errer dans la campagne. Il ne savait plus où il voulait aller. Alors, perché contre son cou, Helmus le guida.
Les deux petites silhouettes décrurent rapidement à l’horizon. A un moment donné, elles durent enfiler le voile d’invisibilité car elles se volatilisèrent complètement. Sans doute Helmus eut honte et pitié du vieil homme. Plus personne n’entendit jamais parler de Spyridon ni du corbeau et nul ne sut ce qu’il était advenu d’eux. Pourtant, l’histoire farfelue que Spyridon avait contée au berger allait se répandre par le bouche à oreille. Déformée, enjolivée, elle serait colportée par des voyageurs un peu partout sur le continent. Elle parviendrait jusqu’au pays de Phaïssans où elle deviendrait une légende.
Spyridon et le petit berger ne s’étaient pas trompés quand ils avaient vu le cadavre de Bernhamm. Maggie et Dee Dee l’avaient abandonné. Lorsque elles arrivèrent à l’endroit où elles pensaient avoir laissé le grand cheval, elles le trouvèrent plus bas, couché sur le sol, inerte. La pauvre bête n’avait pas survécu à la tempête. Trop grand et abandonné en pleine pente par Maggie quand elle s’était précipitée vers le sommet du volcan, il avait été foudroyé par l’orage. Son corps lourd était tombé de toute sa hauteur et avait dérapé sur une longue distance avant de s’arrêter, empêtré dans la boue.
Maggie était à nouveau furieuse. Les éléments se liguaient contre elle. Elle devait maintenant faire le retour à pied jusqu’à Astarax. Elle ne pouvait même pas l’imaginer. De plus, elle traînait avec elle Dee Dee qui ne faisait aucun effort.
Elle avait poursuivi la descente de plus belle. Elle marchait à grandes enjambées vers le bas de la pente quand elle aperçut deux chevaux attachés sous une anfractuosité de la roche. Ils avaient été à l’abri du vent et de l’orage pendant la tempête. Ils paissaient paisiblement l’herbe alentour.
– C’est un signe que les choses s’améliorent ! s’écria-t-elle. Enfin une petite victoire après toutes ces contrariétés ! Ce sont les montures de Spyridon. Il n’en aura plus besoin. Viens, Dee Dee, nous retournons à Astarax à cheval.
Quelques minutes plus tard, les deux femmes juchées sur leurs montures galopaient vers l’isthme. Elles le franchirent au pas pour ménager les pattes des chevaux et atteignirent la longue plage de sable qui bordait la côte. Elles longèrent l’océan en direction du sud. Maggie n’était pas pressée de revoir Alix, et Dee Dee ne l’était pas davantage. Maggie n’avait pas très envie de repasser devant les ruines de Der-Shappah. Elle pensait avec justesse que de nombreux brigands étaient en train de piller ce qui restait de la ville. Ce serait bien trop dangereux de traverser cette région. Les deux femmes pourraient être attaquées et leurs chevaux seraient volés.
C’est pourquoi elles suivirent un itinéraire bien différent. Leur retour ressemblait plus à un vagabondage qu’à un voyage. Tout en avançant lentement, Maggie cherchait les meilleurs arguments pour se défendre quand il lui faudrait affronter Alix. Dee Dee avait la tête vide. Quand elle pensait à quelqu’un, c’était à son frère. Sinon elle ne pensait à rien. Comment ferait-elle pour expliquer sa mort à Alix ? Serait-elle obligée d’inventer une histoire pour ne pas subir le courroux de son arrière-grand-mère ? Et l’idée de revoir Sasa lui faisait horreur.
Plus les voyageuses se rapprochaient d’Astarax, plus la haine de Dee Dee pour sa sœur resurgissait. Dee Dee avait beau essayer de se dominer, c’était plus fort qu’elle. La proximité de Maggie qui ne cessait de grommeler et de protester ne l’aidait pas à aborder son retour sereinement.
Pourtant les jours passèrent et inexorablement, elles se rapprochèrent de leur destination.
Elles étaient si peu attentives à leurs montures que les pauvres bêtes s’épuisèrent. Les chevaux ne recevaient pas de soins et pas de nourriture, ils ne buvaient jamais. Seule une bête exceptionnelle comme Bernhamm, habituée aux conditions les plus dures, avait pu supporter le voyage depuis Astarax avec Maggie. Les deux bêtes faiblissaient de jour en jour et n’avançaient plus que très lentement. Cette allure exaspérait Maggie même si elle n’avait pas hâte d’arriver à destination. Elle finit par les vendre pour une bouchée de pain dans une ferme pour s’en débarrasser. Les deux femmes poursuivirent le chemin du retour à pied.
Un jour, elles aperçurent au loin les toits d’Astarax. Elles traversèrent à contre cœur la ville et se dirigèrent vers le quartier des sorciers. Parvenues à l’extrémité de la ruelle sombre, elles s’arrêtèrent quelques minutes pour prendre la mesure de ce qui allait leur arriver. L’accueil serait glacial ou brûlant, selon l’humeur d’Alix. En réalité, ni Maggie ni Dee Dee n'avaient envie de revenir dans la maison prison. Revivre dans cette demeure sinistre après leur long périple à l’air libre serait une torture. Néanmoins, elles n’avaient pas d’autre lieu où aller. Alors elles se résolurent à avancer jusqu’à la porte qui s’ouvrit devant elles.
Il n’y avait plus de porche ni de cour à l’entrée de la demeure. Il aurait été impossible d’entrer dans la maison avec des chevaux. Bernhamm n’aurait pas eu de place car même l’écurie avait disparu. Maggie et Dee Dee pénétrèrent avec précaution dans la maison prison. Derrière elles, les lourds battants se refermèrent avec un bruit sec.
Alix était debout devant elles. Derrière la vieille sorcière se tenaient Esmine et Sasa qui regardaient les voyageuses avec surprise et crainte. Maggie et Dee Dee trouvaient que les dimensions de la maison étaient vraiment très réduites. Même si tous les habitants étaient partis à l’exception d’Alix, d’Esmine et de Sasa, les pièces semblaient trop petites pour que cinq personnes puissent y vivre. Dee Dee se demandait où était Filoche.
– Vous voici donc revenues, constata Alix. Où est Guillemine ? Et pourquoi Addora se trouve-t-elle avec toi, Maggie ? Je l'avais chassée de la maison.
Maggie commença à balbutier des mots incompréhensibles. Elle qui se montrait si forte et si acariâtre au dehors ne réussissait pas à prononcer une seule phrase audible devant Alix.
– Et où est Barnazon ? s’enquit Alix Il n’avait pas envie de revenir ?
Dee Dee observait ses sœurs à la dérobée. Sasa était blanche et si maigre qu’elle en devenait presque transparente. Elle avait dû culpabiliser après le départ de Dee Dee et Barnazon. Elle avait l’air d’un fantôme qui errait dans la triste demeure. Esmine semblait fatiguée, mais elle était calme et posée. Elle avait dû énormément travailler pendant l’absence de Dee Dee. Ses progrès en magie devaient être spectaculaires. Elle avait probablement étudié tous les livres qu’elle avait rapportés de la maison de Filoche. Ni Alix ni Sasa ne devaient avoir conscience du niveau de magie qu’elle avait atteint par sa volonté et son acharnement. Dee Dee reporta son regard vers son arrière-grand-mère.
Alix était la seule qui parlait. Comme elle ne recevait aucune réponse à ses questions, elle haussa le ton. Alors Dee Dee s’exprima à son tour.
– Barnazon est mort, dit-elle. Quand nous étions dans la campagne, il est tombé dans un marais où il s’est noyé.
– Mort ? s’écria Sasa avec horreur. Mais comment est-ce possible ? Pourquoi traversiez-vous un marécage si dangereux ?
– Il est tombé, répéta Dee Dee avec obstination, tant parler de la fin tragique de son frère était encore douloureux..
– Aucune importance, intervint Alix. C’était un bon à rien, une bouche supplémentaire à nourrir. Bon débarras.
Les trois soeurs levèrent les yeux et la regardèrent. Elles étaient bouleversées par une telle méchanceté.
– Où est Filoche ? reprit Dee Dee qui regardait autour d’elle sans voir la sorcière et voulait orienter la conversation vers un autre sujet.
– Elle est morte et enterrée, répondit sèchement Alix.
– Filoche ? s’étonna Dee Dee d’une voix étranglée.
– Morte de chagrin et d’épuisement, précisa Esmine.
Malgré la sécheresse de ses sentiments, Dee Dee éprouva un pincement au cœur en apprenant la disparition de Filoche. La sorcière avait passé tant d’années à s’occuper d’elle, de ses sœurs et de son frère. Elle ne pouvait pas oublier son implication. Maintenant qu’elle y songeait, Dee Dee revoyait le visage sans cesse exténué de Filoche. Elle s’était dépensée sans compter chaque jour et chaque nuit. Elle avait donné sa vie pour ceux qu’elle avait toujours considérés comme ses enfants. Outre la fatigue, la sorcière avait dû supporter la peine de les voir se haïr et se séparer.
– Tout ça, s’écria Dee Dee, c’est de la faute de Sasa. Si elle ne s’était pas sauvée, si elle n’avait pas été la préférée de tout le monde, rien de tout cela ne serait arrivé.
– Mais qu’est-ce que tu racontes ? riposta Alix. Tu dis n’importe quoi. Tu t’es toujours fait des idées. C’est ta jalousie maladive qui a créé le chaos. Tu n’es qu’une gamine odieuse. Si je pouvais encore le faire, je te chasserais à nouveau.
– Et si je le pouvais, je m’enfuirais encore ! s’emporta Dee Dee. Je n’ai aucune envie de rester là, éternellement enfermée dans cette maison.
– Tais-toi, la coupa Alix. J’en ai plus qu’assez de ton attitude. Tu dois rester avec tes sœurs et te calmer. Esmine a besoin que tu sois là pour se rassembler. Alors, maintenant que tu es revenue, ne t’avise jamais de repartir. Comme tu peux le voir, il ne reste plus que nous dans la maison. Je saurai bien vite si tu fais des bêtises. J’ai deux mots à dire à Maggie.
Alors elle se tourna vers sa créature et se mit à l’invectiver. Maggie n’avait pas ramené Guillemine comme Alix le lui avait demandé. Elle voulait des explications. Bien qu’elle ait tourné le sujet mille fois dans sa tête, Maggie n’avait pas trouvé de réponse valable à apporter à Alix. Elle ne voulait surtout pas lui avouer la vérité, que Guillemine s’était accrochée à son époux et que tous deux s’étaient métamorphosés en un arbre. Alix ne voudrait jamais croire une pareille histoire.
– Guillemine est tombée dans le cratère, murmura Maggie. Elle s’est jetée dans le vide. Elle ne voulait pas venir avec moi.
La vérité était à peine déguisée. Seule Dee Dee connaissait la vraie histoire. Épouvantées, révoltées, Sasa et Esmine ne pouvaient pas croire que leur mère était morte. Mais Maggie mentait mal. Alix perçut tout de suite que sa créature ne lui répondait pas correctement. Elle se mit à l’insulter de plus belle. Maggie s’enferrait dans des mensonges oiseux. Le ton d’Alix monta. Elle alimentait sa propre colère et à un moment explosa. Alors elle tendit une main rageuse et réduisit la taille de Maggie une première fois en incantant une formule magique. La sorcière géante habillée de rouge devint une femme d’une taille normale. Elle ne réussissait plus à s’exprimer, les mots étaient coincés dans sa gorge. Et comme le courroux d’Alix ne diminuait pas, celle-ci lança une seconde fois le sort. Le corps de Maggie rapetissa à nouveau. Elle avait désormais la taille d’une petite fille. Elle était incapable de réagir et de se protéger contre une attaque si violente. Les injures d’Alix continuèrent à pleuvoir. Elle était comme possédée. Elle pointait le doigt et Maggie devenait de plus en plus petite. Maggie essayait de crier mais maintenant qu’elle était minuscule, sa voix n’était plus qu’un filet inaudible. Sa hauteur était passée à celle d’une poupée. Seul un souffle sortait de la bouche de Maggie qui articulait en vain tandis que la colère d’Alix redoublait à chaque instant.
Quand Maggie fut devenue aussi petite qu’une fourmi, Alix avança son pied chaussé d’un soulier pointu et l’écrasa avec son talon. Elle était impitoyable. Elle avait détruit sa créature qui avait osé lui désobéir.
La cruauté d’Alix envers Maggie et son mépris pour Barnazon brisa quelque chose en Esmine. Alix avait dépassé les bornes. Après ce qui venait de se passer, il était devenu impossible de revenir en arrière, d’imaginer une vie apaisée dans la grande maison. Une sensation extraordinaire se déclencha brusquement dans tout son être. Esmine sentit comme un courant chaud traverser son corps. Les secrets du don d’ubiquité se révélèrent à elle. Et alors qu’elle avait cru ne jamais pouvoir le faire, elle se rassembla soudain. Sasa et Addora se fondirent en elle. Pendant quelques instants, sous les yeux médusés d’Alix, elle joua à se multiplier en trois sœurs et à se démultiplier pour se prouver qu’elle maîtrisait enfin le sort de duplication. À volonté.
Elle ne pouvait pas accepter les abominations d’Alix. Mais cette fois, elle ressentait pleinement son pouvoir. Sa propre colère se mit à enfler en elle. Son corps lui sembla devenir tout puissant, sa force était surhumaine mais contrôlable.
Alix la regardait, effarée. Esmine la dominait. La jeune sorcière commença à s’accaparer les pouvoirs maléfiques de son arrière-grand-mère. Elle les aspirait littéralement comme une matière malléable avant de les absorber. Alix faiblissait au fur et à mesure qu’Esmine la dépouillait de sa magie. La vieille sorcière bouillait encore de rage. Elle ne pouvait pas laisser les choses se faire ainsi. Perdre la face devant Esmine était impensable.
Avant d’être complètement réduite à néant, alors qu’il lui restait encore un peu de ses facultés, Alix lança une malédiction à Esmine. Elle la condamna à l’éternité. Elle se débarrassa de son propre don, qu’elle transmit à son arrière-petite-fille par la force de sa volonté. Elle pouvait désormais mourir et n’aurait pas à affronter et supporter la supériorité d’Esmine. Jamais Alix n’aurait songé à abandonner cette capacité qu’elle avait acquise avec des maîtres de la magie obscure. Mais les circonstances étaient telles qu’il lui était impossible d’agir autrement.
Et comme Alix était la plus diabolique des sorcières, elle eut une dernière idée destructrice. Elle effaça d’un coup la mémoire d’Esmine par un sortilège cruel. Elle détruisit tous les souvenirs de sa jeunesse, l’existence de ses parents et de son frère, Maggie, Filoche, Déodat, sa vie à Phaïssans et dans la demeure d’Astarax au temps de sa splendeur, et tout ce qu’elle avait pu apprendre dans les livres. Alix avait déjà infligé ce sort terrible à Spyridon qui en avait encore les stigmates des années après.
Lorsque le sort maléfique l’atteignit de plein fouet, la domination d’Esmine diminua soudain drastiquement. De la femme puissante et victorieuse qui était en train de vaincre Alix, elle redevint simplement Esmine.
Alix n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle s’était épuisée à combattre son arrière-petite-fille par la magie obscure qui avait consommé les dernières traces d’énergie en elle. Esmine et elle se faisaient face. Toute colère avait disparu. Esmine avait même oublié la scène violente qui venait de se produire. Elle était hébétée. Et soudain, elle se dupliqua. Sasa et Addora apparurent à ses côtés. Tout comme elle, ses sœurs n’avaient plus aucun souvenir de leur passé.
Alix eut encore un rire sardonique qui s’étouffa dans une toux tremblotante.
– J’ai vécu pendant des siècles, murmurait-elle. Je n’aurais jamais imaginé finir comme ça. Mais je dois avouer que ce n’est pas si mal. Je me suis bien vengée. Jahangir aurait peut-être été fier de moi. Je t’ai condamnée à n'être plus rien, Esmine. Tu n’auras que de petits pouvoirs que tu ne sauras pas maîtriser. Tu vivoteras dans la maison avec tes soeurs. Cette pensée est ma consolation.
Elle parlait si bas que ses trois arrières-petites-filles ne l'entendaient pas. Elles regardaient cette chose informe qui s’amenuisait devant elles sans comprendre réellement ce qui se passait.
Cependant l’énergie d’Alix la quittait de minute en minute. Elle se desséchait comme un vieux parchemin qui tombait en poussière. Bientôt il n’y eut plus qu’un petit tas de poudre par terre.
Esmine, Sasa et Addora étaient désormais seules dans l’ex maison prison. Au début, elles se sentirent un peu perdues dans ce lieu qui leur était inconnu. Puis elles firent connaissance avec des familles de sorciers qui vivaient aux alentours. Elles se créèrent un passé avec ce qu’ils leur racontèrent et ce qu’elles imaginèrent. Elles s’inventèrent des parents, une date de naissance, une enfance passée dans la maison. Elles réapprirent dans les livres les formules magiques qu’Alix leur avait volées. Esmine ne voulait pas que la maison soit sinistre comme un tombeau. Elle était devenue gaie, amusante, elle avait probablement hérité du caractère joyeux de sa mère. Elle se mit à voyager. Elle s’ouvrit au monde et rapporta les ingrédients nécessaires à la préparation de mixtures magiques. Sasa n’aimait pas beaucoup sortir et se consacra à l’apprentissage de la fabrication de potions et onguents. Addora, que plus personne n’appela jamais Dee Dee, était plus intellectuelle. Elle écrivait sans cesse, comptait, estimait, créait. Elle se découvrit même un don pour le dessin qu’elle développa. Il n’y avait plus d’animosité entre les sœurs, car elles n’avaient plus de raison de se déchirer. Elles firent connaissance avec des cousines qui habitaient dans la ville de Coloratur, de l’autre côté de l’océan.
Bien loin de là, au nord d’Astarax, sur la presqu’île dominée par le volcan, les premières petites graines noires se formèrent sur l’arbre de paix. Certaines tombèrent par terre et furent emportées par le vent. Il faisait nuit. La lune luisait sur l’océan, la lumière était parfaite. L’arbre frissonna. Il était vivant.