Chapitre 2

CHAPITRE 2

 

Mais qu’est-ce que j’ai fait pour que l’univers m’en veuille à ce point ? C’est quoi ce putain de mauvais karma qui me poursuit ? J’essuie rageusement mes yeux et me mouche dans la manche de mon pull en cachemire. Quelle classe ! La table du déjeuner est toujours en vrac, les bouteilles de vin renversées, la bûche glacée est désormais incorporée à la nappe et coule sur mon tapis crème. J’essaie de définir le moment où tout est parti en vrille, mais je ne trouve pas.

Peut-être que c’est dès qu’ils sont arrivés, tous les quatre. Oui j’ai bien dit, quatre. Maman est venue avec un invité surprise. Un beau mari tout neuf en guise de cadeau. Autant dire que je ne m’y attendais pas du tout. Bon passons, j’ajoute en vitesse un couvert… Je garde pour moi le fait que je n’ai pas été conviée aux merveilleuses noces, mais bon, il paraît que je fais des histoires pour tout, alors autant ne rien me dire, n’est-ce pas !

On débouche le champagne… on s’échange nos présents, désolée Robert, je n’ai rien pour vous. Comme prévu ma sœur grimace à la vue du pack adrénaline que j’ai choisi de leur offrir. Lorsqu’elle voit le cadeau que ma mère a reçu, elle s’étouffe presque et vide d’un trait son verre d’eau. Je jubile, mais j’attends. Je sais que de son côté, elle m’a certainement préparé un cadeau bien pourri. Je jette un coup d’œil et, en effet, ils ont tous mis le doigt où ça blesse le plus.

Alors qu’ils s’installent à table, je file dans la cuisine pour régler quelques détails de dernières minutes. L’ambiance est lourde, pleine de sous-entendus et enfin au dessert, alors que je sers la bûche, Stéphane attire notre attention à tous. Et là sous mes yeux stupéfaits, il demande ma sœur en mariage… Une demande à Noël pour une noce à la Saint-Valentin !

Ils sont tous fous. Lola glousse comme une dinde. Ma mère est aux anges, Robert les félicite chaleureusement et moi, je suis sans voix. Un mariage avec Stéphane, c’était mon rêve à moi !

Lola tape sur son verre pour attirer l’attention. Stupidement, je pensais qu’elle allait nous remercier, mais elle aussi à une annonce à faire… Et quelle annonce ! Un bébé … Lola attend un bébé pour juillet.

Cette nouvelle, c’est la goutte d’eau de trop. Le mariage, passe encore. Après tout, ils sont ensemble depuis plus de deux ans maintenant, mais une grossesse, je ne m’y attendais vraiment pas. Ils seront toujours liés. On peut divorcer de sa femme, mais elle sera toujours la mère de ses enfants. Et Stéphane restera fidèle à Lola quoiqu’il se passe…

Le fait que ces présents (un abonnement Weight Watcher et un accès illimité sur Meetic) sous-entendent que je suis moche, grosse et incapable de rencontrer un mec potable sans eux me blesse infiniment. Voilà, clap de fin. Mon rêve se brise, ici.

Enfin grâce à eux et leurs merveilleux cadeaux je vais mincir, me sentir bien et rencontrer enfin l’homme qui comblera ma vie… Sinon, j’adopte un chien. Au moins lui, il me sera fidèle ! Forte de ce fol espoir, je me lève et m’apprête à débarrasser et nettoyer. Une fois que cela sera fait, je vais peut-être enfin pouvoir oublier cette journée. Je me saisis d’une bouteille et d’un plat lorsque j’aperçois tous ces beaux et tentants macarons. Je repose tout ce que j’avais en main. J’en mange un à la griotte, un à la framboise, un au café, un au praliné, un à la violette et enfin, un au caramel au beurre salé… Chaque délicieux biscuit est bien arrosé de champagne.

Est-ce raisonnable d’en prendre encore un ? Probablement pas, mais qui peut résister au goût de la griotte ? En tous cas, pas moi ! Alors que j’en attrape un autre, j’entends la sonnerie de la porte d’entrée. Une légère nausée me saisit. Est-ce l’abus de macaron ou la peur ? L’angoisse de découvrir derrière cette porte un des membres de ma famille prêt pour un deuxième round. Clairement, je ne suis pas en état de le supporter. Je m’approche à pas lents, je me hisse sur la pointe des pieds. Je jette alors un œil dehors par la lucarne. Je glisse et tombe dans l’entrée dans un bruit fracassant et pourtant, je décide de ne rien faire. Après tout, je ne le connais pas ce type-là ! C’est peut-être un tueur à gages engagé par ma sœur pour être enfin débarrassée de moi !   Je m’assois sur le paillasson dos à la porte. A-t-on déjà vu plus pathétique un jour de Noël ?  Y-a-t’il pire qu’une vielle fille en surpoids, saoule, gavée de macarons, assise par terre, seule à pleurer parce que son ex va se marier et avoir un enfant avec sa propre sœur ?

Allez, ce tueur à gages c’est peut-être l’aventure de toute ma vie ! Alors, je me dois d’y faire face … Comme dirait Mary Poppins, voyons un peu ce que le vent du nord m’amène. Péniblement, je me relève. J’entrouvre la porte. Par le faible espace, je ne vois rien. Tout est noir. Il est parti. Je m’apprête à refermer lorsqu’une main se pose sur la mienne.

— Charlotte Stoll ?

Le géant sombre a une belle voix grave et pourtant très mélodieuse. Je suis incapable de lui répondre. Je ne peux que hocher la tête pour acquiescer et lorsque mes yeux croisent les siens, je suis prise d’un immense vertige. Pour la deuxième fois, en moins de vingt minutes, mes jambes me lâchent. Je bute contre quelque chose de dur, puissant et pourtant très doux.

Je suis comme sur un nuage. Je flotte, comme en apesanteur, une délicieuse odeur de Vetiver me chatouille les narines. Alors, c’est comme ça au paradis ! Je veux y rester pour toujours. 

 

∞      ∞

 

Ce paradis artificiel est bien pénible. Je suis posée sur le canapé, sans aucun souvenir de m’y être installée. J’ai la tête en vrac, mal à la nuque. Mes jambes pendent dans le vide. J’entends des sons étouffés, la télé doit être allumée.  Je ne suis pas encore prête à ouvrir les yeux et à affronter cette journée. Pourtant, il faudrait que je sache l’heure… Je travaille cet après-midi. Je décide de garder les yeux fermés encore un petit moment, je me redresse en position assise. Je détends ma nuque avec des légers mouvements de gauche à droite. Un raclement de gorge non loin de moi me fait sursauter.

Dans le fauteuil à ma droite, il y a un mec. Un beau mec. Un beau mec que je ne connais pas. Mon esprit embrumé cherche à comprendre, à savoir ce qu’il fait là, qui il est… Je le vois se lever et s’approcher de moi. Un éclair de lucidité perce le brouillard de mon cerveau. Je me souviens de lui. C’est le tueur à gages ! Putain… Qu’est-ce qu’il me veut ? Je me rappelle parfaitement qu’il a prononcé mon nom et prénom ensuite, c’est le trou noir.

— Ah … La sieste est enfin finie… oh là là, toujours cette voix si envoûtante !

— Il est quelle heure ? Alors que je pose cette question débile, je me retiens de me mettre des claques. J’ai la voix brisée, la gorge sèche.

— Six heures environ. Moi c’est Julien. Émilie m’a chargée de vous remettre un cadeau.

Oh mon éditrice chérie… M’enfin, maintenant elle ne l’est plus, mais je suis touchée qu’elle ait pensé à moi avant de vivre pleinement son rêve. 

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