Chapitre 2
Udiir mit pied à terre aussitôt que sa monture eut stoppé sa course. Sautant du dos de l’ours, il atterrit lourdement sur le sol. À côté d’Alka, son imposante stature n’en était que plus remarquable. Malgré la taille imposante de l’animal, la tête du forgeron dépassait aisément la ligne de son dos. Sous sa veste de cuir et de peau d’ours, on devinait ses muscles puissants. Et pourtant, le plus étrange était encore dissimulé sous sa capuche de fourrure.
Il empoigna le chargement de quarante épées d’une main, comme si c’était un sac de pomme de terre, et le tendit au seigneur Jayce.
« Seigneur Jayce voilà votre commande, et désolé pour ce léger retard.
-Ce n’est rien Udiir, c’est plutôt à moi de m’excuser pour t’avoir donné un tel travail à faire en si peu de temps. Et puis je t’ai déjà demandé de me tutoyer.
-Navré, mais j’ai encore du mal à m’y faire.
-Bonjour fiston. Dit Alyssia.
La cheffe de clan s’approcha pour embrasser son fils adoptif, mais Udiir l’arrêta d’un geste de la main.
-Bonjour maman, désolé, mais je suis encore couvert de suie. Je n’ai pas eu le temps de me laver avant de descendre. D’ailleurs, je remonte tout de suite.
-Reste un peu, suggéra Mathias, tes sœurs sont revenues avec moi du front, ça fait un moment que vous ne vous êtes pas vus.
A cette nouvelle Udiir pensa rester, cela faisait en effet 3 mois que ses sœurs, Kiara et Arya, étaient parties sur le front nord-est pour appuyer les amazones. Il avait très envie de les revoir, seulement la vue du nombre important de soldats et de marchands de passage ne le rassurait pas. Finalement, le pragmatisme et la prudence s’imposèrent.
-Désolé Mathias, mais c’est trop risqué aujourd’hui.
Répondit le jeune forgeron en désignant les caravanes de marchands et les groupes de soldats tout en tirant sur la capuche de sa veste et le foulard qui dissimulait le bas du visage.
Voyant de quoi il parlait Mathias et son père firent une grimace de résignation. Udiir avait raison de s’inquiéter, personne en dehors du village et de la famille du seigneur ne devait connaître son existence.
-Bon, ben, je vais les chercher et on viendra te rendre visite à la forge dans l’après-midi. Répondit Mathias, l’air un peu dépité.
Udiir hocha la tête puis enfourcha Alka qui repartit au pas de course vers la montagne.
***
Udiir se laissa glisser de la selle d’Alka, son corps était tout endolori. De retour sur le plateau rocheux de sa forge, Udiir se tourna devant l’entrée rectangulaire creusée dans la montagne sur la gauche de sa maison. Il prit une serviette et s’y engouffra. Aussitôt l’embrasure de pierre franchie, Udiir sentit la douce chaleur produite par la vapeur d’eau qui emplissait l’air ambiant.
Un large sourire apparut sur son visage. Le forgeron descendit un petit escalier taillé à même la roche menant à une salle souterraine éclairée par plusieurs braseros. Là, se trouvait un immense bassin de source chaude qu’Udiir utilisait comme salle de bain. Arrivé au bord du bassin, ce dernier retira ses vêtements et sa veste à capuche. A présent nu, il put voir son reflet dans l’eau chaude cristalline, lui rappelant douloureusement sa véritable nature : sous sa capuche de fourrure, était apparu un faciès à mi-chemin entre l’animal et l’être humain, surmonté d’une barbe noire, sa peau était brune-noire.
Deux de ses dents, semblables à des défenses, sortaient de sa mâchoire supérieure. Ses yeux, d’un bleu orage, brillaient dans la faible obscurité de la salle.
Son corps était composé de muscles puissants qui semblaient capables de broyer la roche. Le haut de ses épaules et de son dos était recouvert d’un tatouage composé d’entrelacs.
D’un geste vif Udiir défit sa queue-de-cheval, ses longs cheveux noirs et raides tombèrent en cascade sur ses épaules. Puis, épuisé par ses deux jours de travaux intensif il plongea dans l’eau chaude du bassin.
« Aaah.
Lâcha Udiir dans un profond soupir de plaisir et de soulagement. Quel plaisir de se plonger dans l’eau chaude et de sentir ses muscles endoloris se détendre. Saisissant la savonnette et une éponge de bain, le jeune homme entrepris de se laver afin de se débarrasser de la suie et de l’odeur de chacal qui lui collait à la peau depuis deux jours.
Même avec la suie et la crasse retirées, la teinte de sa peau restait sombre, à l’exception d’une tache de naissance blanche sur son torse. Le contact de l’éponge et du savon avec sa peau émit un son bruyant, lui rappelant la texture rêche de celle-ci. En effet, la peau du jeune forgeron avait une texture à mi-chemin entre la pierre et le sable ainsi que la souplesse du cuir. Udiir passa ainsi les dix minutes suivantes à astiquer chaque partie de son corps.
Il entreprit ensuite de décrasser la barbe de poils noirs drus qu’arborait son visage en dépit de ses 17 ans. Cela fait, il inspira et plongea la tête sous l’eau afin de mouiller ses cheveux, de retour à la surface, il prit un flacon de baume, en versa dans ses mains et commença à frictionner sa chevelure couleur charbon. Une mousse épaisse se forma rapidement sur le crâne du forgeron.
Plusieurs minutes plus tard Udiir sortit du bain, ses cheveux -encore humides- de nouveau attachés en queue de cheval. C’est alors que son estomac se mit à gargouiller bruyamment. Levant la tête, il vit que le soleil était à son zénith, donc que midi était proche. Udiir réalisa qu’il n’avait rien mangé depuis hier soir : il était mort de faim. Sans plus attendre il se dirigea vers sa réserve de nourriture et en sortit une grande pièce de viande ainsi qu’une poignée de légumes. Il alluma un feu dans l’âtre, il y mit la viande à griller d’un côté et suspendit une marmite d’eau afin de la faire bouillir.
Pendant que l’eau chauffait, Udiir commença à éplucher et découper les divers légumes. Une fois l’eau portée à ébullition il y déversa les légumes découpés. Au bout d’un quart d’heure, une alléchante odeur de viande grillée et de légumes bouillis envahit la maison. Quelques minutes plus tard Udiir dégustait sa soupe et sa viande grillée dans une assiette et un bol de terre cuite.
Il savoura cet instant de repos amplement mérité, dégustant chaque pièce de viande de bœuf qu’il mâchait et avalait. La soupe quant à elle lui donnait l’impression de réveiller sa bouche et sa gorge qui depuis deux jours n’avaient connu que la suie et la cendre. Udiir avait la sensation de renaître, ce qui était des plus exaltant. Son repas avalé, il émit un rot puissant et satisfait de sa collation, s’affala sur sa paillasse et s’assoupit.
***
Udiir se tenait devant une caverne, cette scène lui était familière, trop familière. Il observa ses vêtements et son corps ; il était petit et trapu, ses vêtements étaient en lambeau. Il comprit bien vite qu’il rêvait, encore. Ou plutôt il revivait un de ses plus mauvais souvenirs.
Il sentit une violente sensation d’énervement monter en lui. Il détestait quand les esprits s’insinuaient ainsi dans ses rêves pour le convoquer. Il planta ses pieds dans le sol et parla d’une voix forte qui laissait transparaître toute sa détermination.
« Esprits, je suis à votre écoute, formulez donc clairement vôtre requête au lieu de vous cacher derrière des illusions. »
Sitôt ces paroles prononcées, un puissant rugissement se fit entendre. La silhouette d’une immense créature se dessina devant l’entrée de la grotte. Un ursidé d’une taille titanesque se tenait à présent devant Udiir, pourtant ce dernier n’était pas effrayé. Il savait très bien à qui il avait à faire. L’ours, à présent à moins d’un mètre de lui, se dressa sur ses pattes arrière. C’était comme si un géant était face à une fourmi. L’ours prit la parole, sa voix semblait venir de partout à la fois.
-Chaman Udiir il faut te réveiller, les éléments et moi avons à te parler.
-Maintenant mais...
Udiir n’eut pas le temps de finir sa phrase, Ursun s’effaça avec la caverne comme happé par l’ombre. Le jeune homme flottait à présent dans une obscurité totale. Quatre silhouettes humanoïdes l’entourèrent, mais encore une fois malgré la situation Udiir n’avait pas peur, il connaissait les entités qui l’entouraient.
Udiir voulut parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. C’est alors que les voix des quatre esprits résonnèrent comme un coup de tonnerre.
-REVEILLE TOI UDIIR !!
Le jeune homme fut arraché à son sommeil. C’était comme s’il était plongé dans un bain d’eau glacée. Il toussa violemment, comme s’il avait échappé à la noyade. Udiir se redressa, et en titubant un peu, sortit de sa maison. S’avançant sur le plateau rocheux de sa demeure, il se dirigea vers la partie la plus au nord.
A cet endroit du plateau se dressaient quatre monolithes disposés en cercle. Sur chacune des pierres étaient gravés des symboles et des runes, la surface du cercle était composée d’une lisse plateforme d’obsidienne.
Pour le commun des mortels ce cercle monolithique n’était qu’une curiosité de la nature engendrée par l’érosion, mais pour Udiir la vérité était toute autre. Pour lui ce cercle était le centre de son univers, la définition de son être.
Udiir se plaça au centre du cercle, il ferma les yeux et inspira profondément comme il avait l’habitude de le faire pour communier avec les éléments. Le jeune chaman écarta les bras dans un geste très solennel. C’est alors que d’une voix aussi puissante que le tonnerre il clama :
« Esprits de l’air, de l’eau, du feu et de la terre, moi Udiir Al’Dann, chaman d’Ursun j’ai entendu votre appel, et devant vous je me présente dès lors maintenant. »
Le vent se leva, de violente bourrasque commencèrent à tourbillonner autour de Udiir. Puis la foudre frappa à plusieurs reprises autour du chaman et le tonnerre rugit. Ensuite la terre trembla, l’eau jaillit de la montagne en geysers, un violent feu fusa des fissures du sol entourant le cercle.
Et aussi vite qu’il était apparu le chaos ambiant se clama, le feu se concentra en une flamme unique au pied du monolithe Sud, les tremblements de terre se regroupèrent au monolithe Nord, l’eau au monolithe Ouest et enfin la tempête choisit l’Est.
Les quatre forces de la nature changèrent alors d’apparence, prenant une forme humanoïde : les esprits des éléments s’étaient matérialisés.
La terre avait pris la forme d’une silhouette maternelle au large ventre, dont le corps était composé de terre et de cristaux rocheux. L’eau s’était matérialisée sous une forme féminine faite d’eau liquide et de vapeur. La tempête, elle, avait choisi une forme masculine : son buste était un tourbillon de nuages zébré d’arcs électriques, dont émergeait, au sommet, un semblant de visage opaque serti d’une paire d’yeux bleus orage crépitant de foudre. Le feu quant à lui c’était transformé en un guerrier en armure de flammes et de magma, armé d’un espadon à lame fine, au regard aussi lumineux que l’astre solaire lui-même.
Les quatre esprits fixaient Udiir d’un regard sévère, se fut la terre qui parla la première :
-Udiir Al’Dann nous t’avons convoqué pour discuter de tes actes et de l’avenir de cette terre. L’incarnation de la terre-mère avait parlé avec force et sérénité, sa voix provenait des profondeurs du sol elles-mêmes.
-Que voulez-vous dire, mère Gaïa ? Demanda alors le jeune chaman.
Le feu prit la parole à son tour, sa voix faisait l’effet d’un brasier colossal.
-Ce que « NOUS » voulons dire, jeune chaman c’est que dans peu de temps tu devras sortir de l’ombre et mettre en pratique ce que nous-t-avons enseigné.
A ces mots Udiir se raidit, sentant des sueurs froides couler le long de son dos il reprit la parole.
-Sous-entendez-vous que je vais devoir faire connaître mon existence au reste du royaume ?
-Les amazones alliées au Chaos ont créé un second front un peu plus à l’est d’ici, l’ennemi se rapproche de la montagne Udiir, de ton village. Il est temps de te demander ce que tu veux faire de tes dons et de ton existence. Rester ici toute ta vie ou bien découvrir ce que tu es.
Ainsi avait parlé la tempête, ses paroles avaient été tel un roulement de tonnerre, et avant qu’Udiir ne puisse répliquer les quatre esprits disparurent dans le même chaos qu’ils étaient apparus.
Udiir tenta de les invoquer à nouveau mais les éléments restèrent sourds à ses appels. De rage le jeune chaman frappa le sol de ses poings, ses yeux bleus orage brillèrent d’un vif éclat et la foudre frappa de concert avec lui. L’impact du coup fissura le sol.
A présent à genoux Udiir releva la tête, c’est seulement à cet instant qu’il ressentit derrière lui trois présences familières. Avant qu’il ne pût se retourner, il en eut la confirmation par une voix féminine qu’il ne connaissait que trop bien.
-Udiir ? Tout va bien petit frère ?
J'ai toujours un peu de mal avec les histoires où il n'y a que de la magie, je préfère plus souvent les histoires où la magie est utilisée comme un outil de combat mais pour ton histoire, j'accroche plutôt bien. La fin était sympa et donne envie de lire la suite x)
La structuration de ton écrit est vraiment bien, tu prends le temps de décrire certaines scènes quand il le faut mais n'oublie pas de rendre le récit mouvementé, de jouer avec le dynamisme pour que le lecteur ne sente pas qu'une lecture plate. Mais si non, c'est vraiment bien !