Chapitre 2

Par Éclat





 

  


 

    Tandis que sa joue effleurait délicatement l’interface liquide du Bêtaverse, Hécate manqua une expiration et s’étouffa quelques secondes, en silence, avec une pincée d’air.  Rien d'étonnant à cela, sa puce dorsale et Anthea avaient récemment été mises à jour, et Hécate rencontrait encore certaines difficultés à les manipuler, notamment pour gérer le maniement de son l'oxygénation semi-virtuelle.

Plus pernicieusement, l'air pénétrant ses poumons, avec aisance, désormais, était en provenance presque directe de son appartement.

Un frisson jaune primaire se déversa dans sa colonne vertébrale, sans perturber pour autant la matrice du Bêtaverse, habituée aux imprévisibles hausses d'activité nerveuse d'Hécate.

 

     Mille fois hélas, elle, ainsi que son répugnant époux, inhalaient en ce moment tous deux le même air.

Seule la frontière noire comme le verre incinéré de la conscience d'Hécate, noyée dans l'intelligence artificielle et le sommeil moléculaire se dressait, fragile malgré tout, entre eux.

 

    Hécate ne porta pas attention à la cicatrisation immédiate de sa récente coupure, sa main s'était écorchée vivement sur le mot poisseux d'accompagnement de son bouquet de fleur hirsute, et plongea le plus profondément possible dans le Dzêtachrome. 

Un souffle aérien chaud et sableux caressa délicatement de ses mille doigts de poussière rouge la pommette gauche d'Hécate. Elle ne put retenir un léger cri de surprise, qui fusa et ricocheta longtemps de serveur noir en serveur blanc, parmi les infinies limbes quantiques du Dzêtachrome.

Autour d'Hécate, le noir typique du Dzêtachrome secondaire s'agitait calmement, dans des vagues successives de vapeur et de chuchotements intelligibles.

Tout le corps tuméfié d'Hécate venait de pourfendre son autre facette : Des pieds tuméfiés par des carrés de béton trop étriqués pour leur largeur et leur morphologie naturelle, des jambes fines et à l'ossature parfois irrégulière matraquées par les coups des autres, des bourreaux et des anges innocents. Un sexe impénétrable sans la moindre trace de pilosité, fermement encré comme une lourde porte close et gémissant parfois d'être pénétré si inhumainement par Leilan, un ventre en bon état, simplement maigrichon par l'excès d'angoisses et ridé çà et là par les crevasses de l'adolescence, pour des causes bien trop archaïques pour être observées d'ici, une poitrine pesante souillée par les implants…  Une tête, enfin, ayant regagné depuis peu un semblant de conscience et encore toute étourdie de l'océan d'adrénaline, de cortisol et de colère indigo qu'elle venait de recevoir, comme ça, sans être prévenue, le visage détendu, malgré quelques crispations de rage encore éparpillées sur le front…

Puis est arrivé le dos, ah, l'infatigable dos, ayant supporté tant de choses, parfois, enraciné fermement aux poteaux d'analyse et aux piqûres lancinantes projetées en sa chair… 

À la quatrième vertèbre, une plaque de métal Amélioré aux contours abstrait comme la peau bruissantes des pêches du jardin suspendu d'Anouket, pulsait lentement, tels les éclats d'ombres dessinés sur un miroir endormi, à contre-courant complet du cœur d'Hécate. Mais la demeure d'Anthea était bien ailleurs.

Des seins, Hécate en avait deux, son sein de chair et son sein de brome.

 

Une fois sa caresse accomplie, le souffle saharien s'envola de nouveau parmi la mer numérique chuchotante s'offrant à ses ailerons de plumes, parés d'imperceptible et de reliefs argentés. Hécate entendit son glapissement diffus , avant que la créature holographique ne disparaisse complètement de son champ de vision, encore peu habitué au noir obsidienne qui cerclait ses extrémités. 

Anthea ajusta aussitôt l'écartement des lentilles de contacts de sa porteuse, et le problème n'en fut désormais plus un.

 

Étant la femme de l'illustre, de l'imminent Leilan Naokei, plus grand héros de guerre de la décennie, Hécate accédait involontairement par les augustes liens du mariage à l'ensemble de la farandole de privilèges de ce dernier et de sa sainte famille. 

En conséquence, elle était donc habituée à ce que la Personne du Dzêtachrome s'incarne pour elle, et lui fasse des agréables salamalecs du genre, afin de lui souhaiter la bienvenue.

 

Elle avait programmé cette fonctionnalité lors d'un rarissime moment de pleine conscience, il y a un mois ou quelques années, elle ne le savait plus elle-même.

À ce moment, le soir déployait ses amples pétales parme et noir galactique, à l'instar d'une fleur d'aquarelle s'ouvrant royalement à la lueur des étoiles.

À défaut de ne recevoir que la barbe naissante ébouriffé de son atroce mari sur son épaule, lors du coït généralement, râpant impitoyablement sa pauvre chair avec chevelure rustre métallique, infestée de nano-implants afin de conserver toute sa fermeté, Hécate avait décidé ce soir-là que ce serait le Dzêtachrome qui la lutinerait parfois, de toute sa magnificence multicolore, son humanisme feint et, elle le savait bien, parfaitement artificiel, sournoisement, entre deux bouffées électriques azur parmi ses innombrables veines de cuivre.

 

Anthea détecta en quelques femtosecondes l'arrivée totale de sa porteuse dans le Dzêtachrome primaire, et s'apprêta alors à ouvrir son Interface Intégrée, afin que sa porteuse puisse évoluer, se déplacer, interagir et faire comme bon lui semble à l'intérieur de ce dernier.

 

Un influx nerveux furieux en provenance directe du cortex pré-frontal d'Hécate entrava complètement sa démarche de ses multitudes de prolongements électriques. 

 

Depuis l'entre-deux du Dzêtachrome secondaire, là où toutes personnes aisées de la société devaient obligatoirement passer afin de minimiser le risque de potentiels, mais rarissimes cependant, dysfonctionnements quantiques, physiques, informatiques et psychiques, Hécate serrait les poings pour s'empêcher de trop penser et de laisser son impitoyable instinct de rationalité prendre le dessus sur sa conscience. Puis, au bout de quelques instants, elle contempla les marques de ses ongles élancés en forme de demi-lune gravées sur ses paumes, et les compta en chuchotant de 1 à 10. 

 

C'était la seule chose qu'elle était parvenue à trouver pour annihiler ses angoisses. 

 

Voulait-elle vraiment plonger, et pour de bon cette fois, dans le gigantesque Dzêtachrome Primaire ? Voulait-elle affronter le bruit de la foule et des avatars numériques par centaines de millions, les hurlements de couleurs parfois criardes qui s'affichaient sans rien prévenir sur ses lentilles de contact, les regards pesant ou obséquieux des personnes sur sa silhouette lorsqu'ils verront le sigle rouge de la famille Naokei imprimé sur son front ? Voulait-elle vraiment aller dans le prolongement direct de la Hiénasphère, la Hiénasphère Secondaire, plus terrible et controuvée que celle imprimée dans la réalité? Affronter des cris détonants comme des bombes, surchargés d'émotions, les musiques assourdissantes, la lumière bleutée abrutissante émanant de tous les endroits possibles et imaginables, ciel compris, la sensation horrifique de voir Leilan prendre petit à petit possession de la moindre molécule rouge de son organisme, par un moyen numérique obscur logé au plus profond des zones les plus immondes de l'Orbe des Géants… sous le prétexte absurde de l'obéissance de la femme envers son dévoué mari ?

 

Non ?  

Très bien.

 

Un orbe rosé éclatant et vibrant de liberté naquit soudain dans les paumes, grande ouvertes désormais, d'Hécate. Sa lueur, orangée aussi, réchauffa les surfaces froides désincarnées du Dzêtachrome Secondaire, qui semblèrent soupirer de soulagement, joyeusement inondées par ce nouveau soleil cristallin.

Les lèvres gercées par l'angoisse d'Hécate, et encore peu habituées à se mouvoir esquissèrent un semblant de parole : 

 

" Anthea, murmurèrent-elles de leur voix de rocaille, j'invoque le psaume neuf, alinéa cinq des Obligations du Peuple et des IA par rapport aux Nouvelles Familles "

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Cléooo
Posté le 07/04/2024
Bonjour Éclat !

J'espère que tu vas bien. Je termine à l'instant ce nouveau chapitre, qui m'a promenée entre virtualité et réalité, mais parfois un peu perdue aussi. Je pense que c'est volontaire, mais j'ai eu beaucoup de mal à délimiter à quel moment nous nous trouvions dans le vrai monde, de ceux dans le Dzetachrome (ou Dzêtachrome, tu feras attention, tu l'as parfois écrit avec un accent circonflexe, parfois non !).

On passe par beaucoup d'émotions dans ce chapitre, et j'ai ressenti une douleur sourde chez Hécate, très bien traduites par des souffrances physiques.
Tu me rectifieras si je me trompe, mais j'ai l'impression qu'à la fin de ce chapitre, elle est "arrivée" à destination dans le Dzetachrome, et que nous rentrons dans un champ d'action.

Peut-on dire aussi que tu empruntes au cyberpunk ? À quoi ressemble tes personnages quand ils sont dans le monde réel ? Et à contrario, quelle apparence revêtent-ils lorsqu'ils sont dans le Dzetachrome ?

À très bientôt !
Éclat
Posté le 07/04/2024
Bonjour Cléooo, j'espère que tu vas bien.
Tu me vois ravie, comme d'habitude, du post de commentaire, toujours aussi plaisant, constructif et agréable à lire.
Puisque tu as remarqué ce que les description du corps cachaient de plus implicite, j'estime que j'ai bien rempli ma mission de les mettre en valeur !
Je suis très heureuse que mon style d'écriture, compliqué parfois, je l'avoue, semble te plaire.
Il est en effet assez normal et voulu que ce chapitre soit un peu compliqué à comprendre, notamment dans la visualisation des différentes strates du Dzêtachrome secondaire, Primaire, le Bêtaverse, etc.

Ne t'inquiète pas, la signification de tous ces termes, et tous les autres d'ailleurs, sera explicitée dans les prochains chapitres. Je ne compte évidemment pas laisser mes lecteurs.trices en plan, légèrement coincés.ées dans l'incompréhension...

En ce qui concerne l'arrivée finale d'Hécate dans le Dzêtachrome... Tu n'as pas tout à fait raison... Enfin, en partie.
Je m'explique :
Sans te divulguer une partie du contenu du chapitre suivant, Hécate est entrée dans le Dzêtachrome, et j'ai en fait décrit les différentes étapes, dans la forme et non le détail, par souci de ne pas trop surcharger l'esprit du. de la lecteur.trice, pour pénétrer dans ce monde virtuel.
Mais au moment d'y entrer, Hécate s'y refuse finalement, et ouvre... Un autre univers virtuel, disons, avec l'orbe rose qui se matérialise dans ses mains.

Alors, en ce qui concerne mon potentiel emprunt au cyberpunk... Je t'avoue que je n'ai jamais lu ne serait-ce qu'une ligne appartenant à ce genre littéraire, comme pour la science-fiction d'ailleurs... Donc, je ne pense pas pouvoir te dire si j'ai fait un emprunt à celui-ci. Mais si l'écriture de Veertiligo touche de bout des doigts à ses codes, j'imagine qu'on pourra dire cela.

Je suis très contente que tu te poses des questionnements sur la structure de mon univers ainsi que celle de mes personnages, cela me fait réellement chaud au cœur.
L'apparence d'Hécate, pour commencer, sera minutieusement décrite lorsqu'elle est dans le Dzêtachrome Primaire, et pour celle des autres, je m'arrangerai pour en éparpiller vaguement un peu partout dans les chapitres, avant d'aborder leur apparition, où leur description seront donc plus complètes.

Encore merci pour le post de ton commentaire, très aimable et intéressant à lire.

Bien chaleureusement ,

Post-Scriptum : J'ai bien pris note pour l'absence d'accent circonflexe sur certaines fois où je mentionne le Dzêtachrome. Je compte bien les éradiquer après le post de ce commentaire !
Éclat
Posté le 07/04/2024
Ps 2 : Et je te souhaite une excellente fin de journée.
Cléooo
Posté le 07/04/2024
Oui tout à fait ! En tout cas, on se sent parfaitement entre deux mondes, dans de l'impalpable si je peux le formuler ainsi !
J'ai hâte d'avoir plus de détails sur les différentes strates, je pense en effet que ça m'aidera à mieux m'y retrouver.

Pour ce qui est de la fin, c'est très bien, ça expliquera alors au chapitre suivant ce qui s'est passé quand elle s'est "bloquée" !
Et pour le genre cyberpunk, je vais grossir la chose, mais on se trouve souvent dans des mondes où la robotique a pris une telle envergure qu'elle est presque partie intégrante de l'humain (cyborg et compagnie, réalité virtuel presque devenue réalité vraie). C'est souvent lié à de la dystopie futuriste.

Très bonne fin de journée à toi aussi, et à bientôt :)
Ashitaka58
Posté le 07/04/2024
Ecrire très élaborée, intéressante quoi qu'il en soit, mais pas sûr que tout le monde puisse vous suivre...

Je pense que vous appréciez la poésie, non ?
Éclat
Posté le 07/04/2024
Bonjour Ashitaka58, je vous remercie du post de votre commentaire.
Je suis enchantée et flattée que vous trouviez mon écriture élaborée et intéressante. Il est vrai que j'essaie au maximum de travailler la structure de mes phrases, le choix du vocabulaire que j'emploie, et cetera et cetera.
Vous n'êtes pas la première personne à me faire remarquer que ce chapitre est un peu égarant...
Donc, je compte peut-être légèrement revoir son assemblage, afin de clarifier mon propos, pour qu'il soit plus agréable de le lire.
Mais sachez également que je ne vais pas non plus tout expliciter dans ce chapitre, pour une question de structure narrative, entre autres. De plus, notez que je fais totalement exprès d'égarer un peu le.la lecteur.trice, pour le.la placer dans l'ambiance générale de Veertiligo, très proche de l'abstraction et du flou.

Hum... En ce qui concerne la poésie, je vous avoue que je n'en suis pas très friande, sauf quelques-une piochées au hasard sur les murs ou dans le métro parisien, et dont mon absence de culture à ce sujet m'empêche de vous citer leurs auteurs...
Et j'apprécie aussi l'écriture de Rimbaud et de la poétesse grecque Sapho.

Je vous remercie encore du post de votre commentaire, et vous souhaite une agréable journée ou début de soirée.

Et dites-moi monsieur... Excusez-moi de cette question peut être un peu déplacée, mais il me semble que vous appréciez la synthèse... N'est-ce pas ?

Ashitaka58
Posté le 08/04/2024
Mais comment avez vous deviné ? ;-)
Éclat
Posté le 08/04/2024
J'ai une boule de cristal extrêmement performante...
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