Je bifurque vers le port. Les cris des hommes résonnent derrière moi, mais je les laisse se noyer dans le vacarme de la ville qui s’éveille. Les docks sont un véritable dédale de ruelles étroites, de passages secrets et de recoins où même la lumière du jour se fait rare. Je me glisse entre deux étals, esquivant les regards suspicieux des marchands et enjambant les mendiants qui ne tendent même plus la main. L’air du marché sature mes sens. Ça sent le poisson, les épices, et la colère. Je baisse la tête, dissimulant mon visage sous mes cheveux en désordre, espérant me fondre dans la foule grouillante.
Je m’enfonce dans une allée bordée de tonneaux et de caisses empilées, puis m’arrête un instant, appuyant mon dos contre un mur de pierre glacé. Ma poitrine se soulève et s’abaisse rapidement tandis que je reprends mon souffle. Mon regard balaie la foule agitée. Les cris de mes poursuivants s’éloignent, étouffés par le brouhaha incessant du marché.
Avec le Festival des Marées qui approche, les quais fourmillent déjà d’une excitation palpable. Mais si la mer me le permet, je ne serai plus là pour participer à la fête.
Les docks deviennent de plus en plus animés à mesure que le soleil monte dans le ciel, et je surveille les bateaux qui arrivent, déchargent leurs marchandises, ceux qui se préparent à repartir. La plupart partent pêcher dans la baie et seront de retour au coucher du soleil. Mais je repère un grand voilier en cours de préparation pour le départ, et observe l’équipage qui s’affaire. Deux Marins quittent la cabine du capitaine, probablement l’escorte qui l’accompagnera à sa destination. L’île de Caligo peut-être. Ou plus loin encore ?
Je me recule, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. C’est ma chance. Si je peux monter à bord, si je peux convaincre le capitaine de m’accepter comme membre d’équipage, je serai enfin hors de portée de mon père et de ses hommes.
Les deux Marins s’éloignent vers les remparts et le capitaine du navire les regarde s’éloigner avec un air distrait. Autour de moi, la foule est de plus en plus dense et je n’ose pas sortir de l’ombre. Un jeune homme s’approche du capitaine. Je tends l’oreille pour saisir ce qu’ils se disent mais un homme, grand, aux épaules larges et à la barbe poivre et sel, s’approche de l’étale à côté de laquelle je me suis dissimulée.
Il se penche sur une petite boîte ouvragée en bois d’ébène, décorée de motifs marins.
— Qu’est-ce que c’est ? demande-t-il d’un ton bourru.
La marchande effleure la boîte du bout des doigts avant de l’ouvrir délicatement. Je me penche pour découvrir ce qu’il contient mais je suis trop loin rien de plus qu’un faible éclat blanc.
— Ça, mon bon m’sieur, ça vient des profondeurs de votre océan, récolté par les plongeurs les plus audacieux qu’vous verrez jamais. Pour sûr, c’tune perle rare, pour un homme de goût tel qu’vous, dit-elle d’une voix douce, presque chantante.
— Et ceci, madame ?
La femme laisse échapper un petit rire, avant de répondre :
— Des éclats de verre, murmure-t-elle. Polissés par des décennies de fricotage avec la mer. On dit qu’ils viennent du miroir d’un vieux navire qu’aurait coulé, et qu’aurait été censé révéler les désirs cachés de ceux qui s’regardaient d’dans. Celui.. ou celle.. qui la possède ne craindra plus les tempêtes. Ni sur la mer, ni dans la vie.
— Et ça n’a pas de prix, j’imagine.
— La mer a un prix pour chacun d’entre nous, monsieur, murmure-t-elle, sa voix à peine audible sous le vacarme du marché. Ce que vous voyez ici… ce n’est que le reflet de ce que vous cherchez.
Les mots n’ont pas vraiment de sens et mon attention est attirée par ce qui se passe sous la table. Je sens l’énergie du Safeguard vibrer avant même de le voir s’illuminer très légèrement quand Maura le dépose dans la paume de l’homme. Le crystal disparait immédiatement dans les plis de son manteau.
— Je vais vous prendre la perle… et les éclats de verre, dit-il d’une voix calme.
— C’t’un sacré bon choix, Capitaine.
Je vois le Marin sortir plus de pièces d’or de sa bourse que je n’en ai jamais vu et la femme les empoche d’un air blasé.
Il s’éloigne sans un mot de plus et croise le capitaine qui est descendu sur le quai, à quelques pieds de moi. Je me retiens de me jeter au grand jour. Il sort une pipe mais ne l’allume pas. Elle rebondi nerveusement nerveusement dans sa main alors qu’il s’approche de l’étale.
Il regarde les babioles qui couvrent la table avec un air distrait. Il en prend un. Le repose. Attrape autre chose. La vendeuse, qui avait été si volubile avec son précédent client, le regarde faire sans faire un geste pour le conseiller. Elle semble attendre qu’il prenne la parole le premier. Mais il ne dit rien.
Il lève les yeux vers elle et la regarde, elle, comme si elle était l’une de ses babioles. Je la regarde à mon tour. Je vois une femme d'âge mûr et aux yeux brillants mais fatigués, à la robe élégante mais usée. Je ne vois rien qui mérite une telle attention mais je ne suis pas douée pour ce genre de choses. Il parait que c’est dans l’ensemble que se trouve la beauté, et je ne vois jamais rien d’autre qu’une pile de détails compliqués. L’homme finit par se retourner en bougonnant un adieu sommaire. Je l’interpelle dans un cri un peu désespéré.
— Je cherche du travail.
Il se retourne et cherche autour de lui. Il fronce les sourcils et s’apprête à reprendre son chemin alors je bondis hors de ma cachette.
— Capitaine !
Il se retourne à nouveau et me toise des pieds à la tête.
— Je n’ai pas de travail pour toi, gamine.
Je désigne son bateau d’un coup de menton.
— Je croyais que vous manquiez toujours de bras là-dessus.
— Alors, quoi, tu veux monter à bord ? Toi ? Qu'j'te dise, fillette, la mer, elle est pas pour les p'tites fleurs comme toi.
J’ouvre la bouche pour répondre, mais il secoue la tête en poursuivant.
— T'vois, sur un rafiot comme l'notre, c’est pas une place pour les beautés de ton genre. La mer, elle a ses lois. Une femme à bord, surtout une qui attire l’œil, ça fait tourner l’vent d’travers. Et moi, j’ai plus l’temps pour les caprices du destin.
— Je peux vous être utile. Je travaillerais plus dur que n’importe lequel de vos mousses.
Le capitaine secoue la tête, résolu, et je sens qu’il m’échappe.
— La mer me parle ! je m’écrie. Elle me laisse plonger, pêcher… Je comprends les vents et les courants. Je peux être utile sur un bateau.
Il me regarde longuement avant que ses yeux ne se posent sur un point derrière moi. Il regarde la femme
— Ce sont pas des choses qu’on dit, ça, surtout pas si c’est vrai. Les Marins y z’aiment pas savoir qu’ils sont pas les seuls. Et puis ça change rien, Gamine. La marée, elle obéit qu’à elle-même, et j’prendrai pas le risque.
J’ai envie d’hurler mais je prends une profonde inspiration, le goût salé de la mer sur mes lèvres, puis je relève la tête, affrontant son regard avec calme.
— Vous faites erreur, capitaine. La mer, elle m’appelle autant… même plus que vous. Elle ne fait pas de différence entre ceux qui la respectent.
Il me dévisage un instant, ses yeux plissés par le soleil, puis il hausse les épaules.
— J'vois qu't'as du cran, p’tite. Et c’est quelqu’chose qu’j’ai toujours respecté. Mais ça suffit pas pour survivre quand la mer à ses humeurs. Bonne chance ailleurs, mais sur l’Vent d’Argile, y’a pas d’place pour toi.
Il m’adresse un sourire désolé, jette un regard à la femme derrière moi, et retourne à ses affaires.
Je recule lentement, mais avant que je ne puisse m’échapper, une main se pose sur mon épaule. Mon cœur s’arrête un instant, avant de repartir de plus belle.
Je me retourne vivement, prête à frapper, mais c’est la femme qui tient l’échoppe qui me fait face.
— Il a raison, tu sais.
Sa voix est rauque, son regard perçant.
— Pas ses balivernes sur les femmes : les Marins embarquent les femmes depuis toujours et elles font d’sacrés bons capitaines. La mer en a pas grand chose à carer d’tout ça.
Je secoue lentement la tête, essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur.
— Mais il a raison : les gens comme toi, ils n’ont pas le bon sang. Et quand on n’a pas le bon sang, on n’a pas le droit de dire que la Mer a choisi autrement.
Je ne réponds pas, mes muscles tendus, prête à fuir.
— Tu peux te détendre, gamine, je ne vais pas te faire de mal, reprend-elle en s'avançant dans l’ombre. Qu’est-ce qu’une petite comme toi veut faire sur un grand bateau comme ça, hein ?
Je la fixe, essayant de jauger ses intentions.
— Moi, j’dirais que tu t’es attirée des ennuis.
Je détourne le regard, espérant qu’elle se lasse de mon silence et continue son chemin. Mais les gens ne comprennent jamais que le silence est dangereux, et elle s’installe plus confortablement sur une caisse, comme si elle avait tout son temps.
— Bon, écoute, je ne suis pas du genre à fouiner dans les affaires des autres. Mais j’ai vu assez de filles comme toi finir mal ici, sur ces docks. Et t’as pas l’air d’avoir de quoi te défendre.
Mon couteau est encore caché dans la ceinture de mon pantalon, mais je sais qu’elle a raison.
— Si tu veux trouver du travail, faut qu’tu vises moins haut. Les pêcheurs y sont pas bien regardants, y t’prendraient.
— Les pêcheurs ne vivent pas assez longtemps pour apprendre de leur erreurs.
— D’la main d’oeuvre qui a des talents comme le tien, ça pourrait changer ça. Ça fait longtemps qu’on n’a pas eu des gens capable de calmer cette garce, là, dehors.
Elle désigne l’immense étude d’eau rageuse d’un geste désabusé de la main. Je n’ai jamais entendu quelqu’un parler ainsi de la mer et je me retiens de grimacer.
— T’aimes pas ça, hein ? Mais j’dis les choses comme elles sont. Y sont tous en train de préparer le festival des Marées comme si la mer, c’était quequ’chose à célébrer. Y vont surtout s’trémousser en espérant qu’elle aura pitié. Mais elle n’en a pas grand chose à carrer d’ça non plus.
Je sais que c’est faux, pourtant. La mer est toujours différente, le jour du festival des Marées, comme si elle voulait vraiment connaitre ce qui oseront aller à sa rencontre. Comme si les choix qu’elle faisait ce jour-là avaient vraiment de l’importance à ses yeux. Demain, les vagues disparaitront, les flots se pareront d’un bleu éclatant, et il faudra lutter de toutes ses forces pour ne pas se jeter dans ses bras. La femme poursuit.
— Pour les familles de Marins, c’tautre chose. Y vont r’garder leurs gosses se j’ter dans la gueule du monstre. Sûr qu’c’est un jour qui compte, même si j’dirai pas qu’c’est la fête. Y a pas la moitié de ces pauv’ gosses qui va r’sortir de là.
Elle a raison. La sélection de la mer est brutale, même pour les enfants de Marins, et la plupart de survivront pas. Ceux qu’elle choisira s’en sortent à peine mieux. La mer reprend beaucoup de ses élus ces derniers temps. Pour chaque famille qui célèbre un nouvel élu, des dizaines d’autres pleurent des enfants perdus.
— Qu’est-ce que t’en dis, toi ? Tu parles pas comme une gosse de chez nous. Tu s’rais pas une gosse de Marin qui s’fait la malle avant le festival de demain ?
— Non, Madame.
Elle se relève, époussetant sa robe d’un geste absent.
— Madame… Madame… Je m’appelle Maura. Ici, tout le monde me respecte pour une raison, alors assure-toi d’en faire autant, compris ?
Elle plisse les yeux, comme si elle pesait le pour et le contre, puis se détourne, haussant les épaules.
— Pense à ce que j’t’ai dis sur les pêcheurs. On peut pas mettre sa vie en jeu comme ça tous les jours juste parce qu’on refuse d’abandonner et être des mauvais bougres.
Elle hoche la tête, puis retourne derrière astiquer ses bibelots sans plus s’occuper de moi. Je reste cachée dans l’ombre tout l’après-midi et observe le ballet dans le port. Mais les bateaux de commerce se font rare, et les tempêtes coulent ceux qui osent prendre la mer.
Derrière moi, le marché bat son plein. La plupart des acheteurs s’intéressent à ce qui a le plus de prix pour eux : le Sifox, le poisson, et les femmes. Dans cet ordre. Et tout ça se monnaie dans un désordre bruyant.
Mais la clientèle de Maura est différente. Ceux-là n’ont besoin ni de se perdre dans l’oubli, ni dans des femmes sales, et trop maigres. Mais s’il y a une chose que je sais sur les nantis de Marisol, c’est que ce sont des trouillards. Et le Safeguard est ce qui les empêchent de finir comme nous, sans rien à perdre. Je regarde un homme à l’embonpoint insolant repartir avec deux cristaux et une broche noircie. Un autre achète un collier et le dernier, un Marin, cache précipitamment le cristal qui s’illumine faiblement dans sa poche. Maura a un bon mot pour chacun et sa bourse se rempli. Quand elle s’assoit enfin, je m’approche d’elle.
— Combien ça coûte ?
— Quoi donc, gamine ?
Je prends un objet au hasard, un compas rouillé, et le plante sous son nez.
— Ça.
— Dans les 230 Marées. Un peu plus, si le client a les poches profondes.
— Et ça ?
Je ne regarde même pas ce qui se cache dans la boite usée que je secoue devant son visage.
— 310 Marées.
— Et ça ?
J’attrape une autre boîte, plus petite, posée au bord de la table.
— Ah ça, c’est rien qu’mon déj’ner.
— Ah.
Je repose la boîte, mais elle me la fourre entre les mains.
— Prends-le, va. Mais file d’ici avant d’te faire des idées qu’tu d’vrais pas avoir.
J’accepte le sandwich avec un sourire.
Des idées, j’en ai plein la tête, et je suis persuadée que c’est ce que la mer voulait. Elle m’a montré tout ce dont j’avais besoin pour pouvoir quitter cette ville de malheur. Avec ce qu’il y a dans l’épave du bateau de Marins, j’ai de quoi faire briller les yeux des clients de Maura. Et avec autant d’argent, peu importe qui je suis, je trouverai une place sur le prochain bateau au départ vers un autre monde.
Je travers le marché en mordant dans le sandwich. À chaque coin, je m’attends à voir surgir l’un des hommes de mon père. Avec ma chance, je ne serai pas capable de les reconnaitre. Je marche lentement, mon cœur battant à tout rompre. Des silhouettes se découpent dans la pénombre : ils sont là, fouillant les étals, interrogeant les marchands. Je fais demi-tour rapidement, prenant soin de rester dans l’ombre des bâtiments pour ne pas être vue. Je n’ose respirer que lorsque je quitte la ville.
Je grimpe sur la falaise, sentant le vent salé fouetter mon visage. Au sommet, j’enlève mon pantalon, le laissant tomber à mes pieds, et accueille la caresse de l’air frais. Mes orteils s'accrochent au rebord, et je me penche au dessus du vide. Je prends une profonde inspiration, puis je me laisse tomber, plongeant vers les profondeurs en contrebas.
L'eau glaciale m'enveloppe de nouveau et j’accueille sa quiétude. Je nage quelques mètres avant de plonger vers la silhouette de l'épave. Son bois est usé et brisé par la colère incessante de la mer, qui ne lui laisse aucun répit dans son cimetière de sable. Je me laisse glisser le long du mat et mes mains effleurent le pont, étonnamment lisse et doux malgré les années passées sous l'eau. Un frisson me parcourt le dos. Des hommes sont morts ici, leurs âmes prisonnières de cette carcasse engloutie. « Vous ne naviguerez jamais seul » pensai-je tout bas.
Je m’insère dans le navire. J’y trouve les vestiges d'une vie autrefois pleine de promesses : une assiette cassée, un compas noirci, et un landau de bois fleuri. J’attrape les deux premiers et ignore le landau. Personne ne payerai pour une preuve si flagrante que des enfants ont disparus sous les flots.
Mes poumons commencent à brûler, mais je pousse encore plus profondément, pénétrant dans la cabine du capitaine. J’attrape un petit coffre qui trône sur le sol, son bois gonflé et déformé par les années passées à subir les assauts de la mer. Les secondes s'étirent, et le besoin d'air devient une urgence désespérée, griffant ma gorge avec une cruauté brutale. Je donne de puissants coups de pied et remonte à la surface, émergeant en haletant. J'avale une grande goulée d'air, mes yeux scrutant l’horizon pour m’orienter.
Au-dessus, la lune est le seul témoin de mon larcin. Les falaises se dressent, imposantes, alors que je grimpe, les bras chargés. En haut, je m'arrête, l'eau dégoulinant le long de mes jambes, et je regarde au loin. J’adresse un signe à la mer et murmure un remerciement.
La nuit est bien installée quand je rejoins les docks, enveloppant le port dans un voile d'obscurité que même les faibles lueurs des lanternes ne parviennent pas à percer entièrement. Les bruits du marché se sont estompés, remplacés par le murmure lointain des vagues qui viennent mourir contre les quais, et les cris occasionnels des pêcheurs éméchés qui errent encore à cette heure tardive. Je me faufile entre les ombres, épuisée, les muscles douloureux après une journée d’errance. Je rêve d’un endroit où m'allonger, même pour quelques heures, loin des regards et des dangers.
Les cloches de l’église sonnent au loin. Je sursaute. Je me faufile entre deux vieilles caisses abandonnées, leur bois craquant sous mes pieds nus. L'odeur du poisson et de la mer se mêle à celle des épices, mais je n'ai plus la force de m'en soucier.
Je me glisse sous un escalier de métal qui grince à chaque coup de vent, ramenant mes jambes contre ma poitrine pour conserver un peu de chaleur. Le froid mordant de la nuit s'infiltre à travers mes vêtements mouillés, et je frissonne. Je m’adosse contre le mur et tend l’oreille. Le vent, le cliquetis des bâches des étales, le bruit des drisses des bateaux qui claquent contre les mats. Les rires des équipages, au loin. J’écoute, et je me détend lentement.
Je pose mes trouvailles devant moi. Le coffre scintille d’une très légère lumière bleue, presqu’imperceptible pour l’oeil. Mais la vibration sous mes doigts ne trompe pas. Je retire le petit couteau de ma ceinture. Je frotte mes mains l’une contre l’autre pour en calmer les tremblements et m'attaque à la serrure ancienne du coffre. La lame glisse dans l’étroit trou de la clé mais la serrure résiste.
Je force et sens la résistance du mécanisme, un déni obstiné suivi d'une cession réticente. Un clic doux récompense mes efforts, le son étrangement fort dans le silence. Je soulève le couvercle et les charnières gémissent mais ne se soulèvent pas. Je pose mes mains contre le bois. J’appelle la magie et la chaleur s’intensifie sous ma paume. La chaleur oscille entre douleur et plaisir. La lune est bientôt pleine et la magie glisse avec souplesse. Je la façonne entre mes mains alors qu’elle reprend sa forme solide. Je le pose sur le sol et attrape de nouveau le coffre, libéré de sa protection.
À l'intérieur, je découvre un médaillon doré, et, dans un mouchoir brodé, un éparpillement de pierres précieuses qui viennent récompenser mes espoirs. Je fais glisser les pierres dans ma main et les soupèse. Elles sont fraiches et d’une douceur incomparables, mais je ne vois pas ce qui les rend si désirables. Je le fais jouer un moment entre mes doigts avant de les ranger soigneusement dans le coffre.
Je soulève ensuite le médaillon. Délicatement travaillé, il semble presque incroyablement préservé, une bulle d'air du passé capturée dans sa fermeture. Je l'ouvre avec précaution. À l’intérieur, un portrait d’une femme aux yeux gris, tenant un bébé dans ses bras. Son regard est empreint d’une tristesse infinie. C’est bien le genre des riches de penser que ça fait élégant, un air si triste. Je la regarde et je me demande si elle savait déjà, à ce moment-là, qu’elle finirait au fond de l’eau avec ce bébé qu’elle serre si fort contre elle. Quelle pensée absurde.
Je referme le médaillon d'un clic doux, le son scellant à nouveau ses secrets. Je récupère le mouchoir qui protégeait les pierres et enveloppe le cristal, qui émet une lueur pâle. Mes yeux s'attardent sur les mots brodés en fil bleu, le bleu des Marins : « Capitaine Varian », suivi en plus petit de « Avec tout mon amour ». Varian est devenu Haut Conseiller de Marisol. Sait-il seulement que son amour repose au fond de l’océan ?
Je range le cristal et glisse le médaillon autour de mon cou et fais une nouvelle fois l’inventaire de mes trouvailles. La mer a été généreuse avec moi. Je remonte les genoux contre moi et m’appuie contre le mur humide.
Je dois m'abandonner à l'épuisement car un bruit sec, un craquement soudain, me tire du sommeil. Je me redresse, le cœur battant à tout rompre, mes yeux cherchant quelque chose à quoi se raccrocher. Ou rien, au contraire. Je me plaque contre le mur, espérant disparaître dans les ténèbres. Un rat gigantesque détale à mes pieds. Puis plus rien. Au loin, j’entends le clapotis des vagues contre les coques, les rires fatigués des derniers pêcheurs à hisser les voiles. Je suis incapable de me détendre de nouveau, cependant, et j’apprends les bruits qui font les docks jusqu’au lever du jour.
Je ne sors que quand le marché s’est éveillé. Je vole une pomme à un marchand occupé à discuter avec la voisine, et me glisse dans les allées. Maura laisse échapper un grognement de dépit quand elle me voit me glisser derrière son échoppe. L’ignorant, je dispose mes trouvailles, le coffre, et les morceaux de trésors anciens et gorgés d'eau du naufrage, mais c'est le crystal de Safeguard qui attire son attention.
— Où as-tu trouvé ça ? demande-t-elle en retournant le crystal, parfaitement inerte, dans ses mains.
Avant qu’elle ne réalise qu’elle ne peut pas décemment espérer de réponse, l'atmosphère change. Un rire bruyant éclate dans un coin et un vendeur tire une nape sur son étal. Maura me rend précipitamment le Safeguard, mais au contact de ma peau, le cristal s’illumine violemment.
Paniquée, j’extirpe le mouchoir de ma poche et tente désespérément d’en enrouler le cristal pour dissimuler son éclat. Des Enforceurs traversent le marché et la panique disperse les badauds. Ils avancent dans l’aller, leurs capes flottant derrière eux comme des voiles sombres.
Leurs yeux se fixent sur l’éclat bleu qui scintillent autour de moi. Sur une impulsion, j’arrache le mouchoir et le tends à Maura.
— Si je me fais prendre, donne ce mouchoir à un Marin du nom de Varian, murmure-je. Dis-lui ou me trouver.
— Varian ? Elle en a de belles, la p’tite, ronchonne Maura et je sens l’inquiétude dans ses yeux.
Je fourre le Safeguard dans ma poche mais abandonne les objets restants sur sa table avant de m’enfoncer dans la foule. Je tente de fuir et me faufile entre les étales. J’avance encore et me faufile contre un mur.
Mais alors que je me détache du mur et contourne le coin, mon cœur s'effondre. Des Enforceurs, vêtus de leurs uniformes sombres, bloquent l’allée, leurs visages sévères ne laissant aucun doute sur leurs intentions. L'officier en tête, un homme dont la joue cicatrisée m'est trop familière, s'avance avec un sourire narquois.
— Je l’ai ! crie-t-il.
En un instant, ils sont sur moi. Des liens de cuir se resserrent sur mes poignets et je cesse de résister. Parfois, il vaut mieux se laisser porter par le courant que lutter jusqu’à se vider de ses force.
J'aime beaucoup la perspective de la marchande sur la mer, le ton irrévérencieux qu'elle aborde en en parlant et qui choque notre personnage principal. Ça fait plaisir de voir si tôt des opinions contraires et qui casse la vision du lecteur qui est forcément influencé par ce récit à la première personne. D'autant plus quand elle dit qu'elle a plein d'idées en tête et que c'est ce que la mer voudrait. Est-ce qu'elle a raison ou est-ce qu'elle idéalise la seule chose dans sa vie qui lui offre un futur ? À voir...
L'atmosphère est plus claire que le chapitre précédent, peut-être parce que la scène prend plus son temps dans un seul lieu. Ça accentue sa clarté.
Seul petit problème : j'ai encore du mal à comprendre l'exacte nature du Safeguard, et pourquoi il s'illumine en sa présence. Mais peut-être que j'ai sauté une ligne.
À bientôt,
Bleiz