« Une bière s’il te plaît. »
Les vendredis soirs de Sindy Grassier commençaient toujours de la même manière : une bonne pinte de bière blonde, bien fraîche, dans le bar le plus proche de la fac. Etudiante à l’université de Chicago – Illinois spécialisée en marketing, Sindy n’avait pas la vie facile tous les jours. Au contraire, elle était bien emmerdée au quotidien : entre les cours, son alternance à T&RCorporation, son appartement qu’elle devait tenir propre – en apparence tout du moins, elle n’avait jamais le temps de le faire à fond – la vie n’était pas facile. Et encore, « pas facile » c’était la manière gentille et polie pour dire qu’elle avait une vie de merde. Sindy n’exagérait pas : elle avait véritablement une vie de merde. Elle vivait loin de sa famille, elle faisait des études qui lui plaisaient à peine, et elle servait de larbin aux patrons de la boite d’architectes dans laquelle elle avait obtenu son alternance pour sa dernière année d’étude. Encore deux mois, deux tous petits mois, et ce calvaire prendrait fin. C’était la seule chose qui réconfortait la jeune femme. Enfin, ça, et une Corona servie par son barman préféré dans son bar préféré.
« Ça a été ta semaine ?
- Ouais.
- Ça, ça veut dire que non, répondit le barman avec un sourire amusé. »
Sindy haussa les épaules. Que pouvait-elle dire ? Ces derniers temps, elle avait le mal du pays, bien plus qu’elle ne l’avait jamais eu ces cinq dernières années. Encore deux mois et elle serait diplômée. Encore deux mois et elle pourrait partir d’ici. Encore deux mois et elle pourrait rentrer chez elle. Des fois, elle se demandait ce que diraient ses parents si elle abandonnait là, si près du but. Après tout, elle avait déjà sa licence en poche, et elle avait validé sa première année de master. Elle pouvait bien rentrer chez elle et revenir terminer ses études dans un an ou deux, non ? Non, bien sûr que non. Ses parents la tueraient si elle osait revenir comme une fleur chez eux sans ce bout de papier qui certifiait qu’elle avait bien bossé depuis son arrivée à la fac. Deux tout petits mois, elle pouvait le faire.
« Une autre ? »
Le barman lui proposait toujours une seconde bière, même s’il savait pertinemment qu’elle déclinait à chaque fois. Elle savait que c’était son job, et maintenant c’était quelque chose qui la faisait sourire. Pourtant, les premières fois qu’elle était venue, Sindy avait été vraiment agacée par l’attitude du barman. Il s’autorisait un peu trop de choses à son goût. Il lui posait beaucoup de questions sur elle, sur sa vie, sur ses études. Elle en était venue à se demander s’il n’était pas un serial-killer ou un truc du genre. Elle avait même décidé d’éviter le bar pendant quelques temps. En plus, il était vraiment chiant à lui demander si elle voulait une autre bière alors qu’elle avait déjà rangé son portefeuille dans son sac à main et remis sa veste sur ses épaules. A vrai dire, Sindy avait mis du temps à comprendre que ce garçon était normal, qu’il faisait son travail, et que c’était elle qui paraissait bizarre. Il lui avait fallu plusieurs mois avant de se dire que c’était elle le problème, et non ceux qui l’entouraient. Parce qu’il n’y avait pas que le barman qui l’agaçait, il y avait aussi ce conducteur du bus qu’elle prenait tous les soirs pour rentrer de la fac, et puis cette serveuse au self-service de la cafétéria. Même le concierge de son immeuble lui tapait sur les nerfs à lui adresser la parole alors qu’elle avait à peine passé le pas de la porte.
« Bonsoir mademoiselle Grassier, vous avez passé une bonne journée ? Il n’y a pas eu de courrier pour vous aujourd’hui, mais demain c’est jeudi, vous devriez recevoir un nouveau colis de la part de vos parents ! »
Lui aussi, elle le prenait pour un tueur. Après tout, connaître non seulement son nom mais aussi ses habitudes et son courrier, c’était pas banal.
« Bonsoir monsieur Farnient ! Oui, merci. J’espère que vous aussi, à demain ! »
Sindy trouvait toujours le moyen de s’enfuir. Si elle se mettait à parler avec lui, elle en avait pour des heures. Bon, vingt minutes, d’accord, mais Farnient était… chiant. Il racontait sa vie, et fallait bien avouer qu’elle n’était pas très palpitante. La preuve : même celle de Sindy était incroyable à côté de ça. Alors au choix entre parler avec le concierge et rentrer chez elle, Sindy préférait toujours la seconde option. Au moins, même si elle était seule, elle était tranquille.
L’appartement dans lequel elle vivait était minuscule, on en avait vite fait le tour. Ses parents auraient au moins pu lui payer un peu plus grand. Mais non. Il faut faire comme eux, vivre comme eux, tu ne t’adapteras pas si tu vis dans l’opulence. Voilà ce qu’ils lui avaient dit et répété quand elle avait protesté. Enfin quoi, elle n’avait même pas 15m² pour elle. D’accord, elle était seule et elle passait le plus clair de son temps à la fac ou au travail, mais ce n’était pas une raison ! Et puis, en plein cœur de Chicago, elle aurait pu avoir mieux pour le même prix. Sindy savait qu’elle aurait pu trouver un job étudiant pour pouvoir se payer un appartement plus grand, et elle avait déjà essayé de le faire en arrivant ici. Elle avait vite compris que le travail terrien n’était pas pour elle. Il était hors de question qu’elle réitère l’expérience après l’humiliation que ça avait été. Elle soupira longuement.
« Je veux rentrer. »
C’était la seule chose qu’elle était capable de dire. Les gens qui l’entouraient à Chicago n’étaient pas désagréables, d’accord, mais elle n’avait pas de véritable ami. Celui qui s’en rapprochait le plus, c’était le barman. Et sa bière. En pensant à sa boisson favorite du vendredi soir, Sindy se dirigea vers le frigo qu’elle atteignit en deux pas. Elle grommela quelque chose au sujet de la taille de l’appartement, du fait qu’elle avait hâte de rentrer chez ses parents et de retrouver sa chambre qui faisait à elle seule le triple de ce taudis qu’elle se devait d’appeler « chez moi ». La lumière du frigo lui grilla les pupilles. Elle dû cligner des yeux à plusieurs reprises avant de s’apercevoir qu’il n’y avait tout simplement rien à l’intérieur. Super. Il était vide. Au moins, quand elle rentrerait à la maison, elle aurait de quoi manger. La jeune femme décida alors de joindre ses parents, elle avait besoin de ça pour tenir. Elle avait besoin qu’on lui dise qu’elle allait réussir à terminer ses études, à rendre ce fichu mémoire qui lui prenait tout son temps libre, et qu’elle serait diplômée dans quelques semaines à peine. Ou bien elle avait simplement besoin qu’on lui secoue les puces un bon coup.
L’ordinateur mit un temps fou à se mettre en route. D’abord, Sindy avait attendu qu’il s’allume avant de se rendre compte qu’il n’avait plus de batterie. Soupir. Ensuite, l’appareil avait décidé de faire une mise à jour. En plus, ce n’était pas une petite mise à jour de quelques secondes, non, il avait fallu plus d’un quart d’heure à l’ordinateur pour redémarrer. Nouveau soupir. La jeune femme commençait à piquer du nez quand le bruit familier de l’ordinateur qui se met en route lui parvint aux oreilles. Quelques secondes seulement lui furent nécessaires pour se connecter à Facebook et lancer un appel avec sa mère. Encore un soupir. Elle ne répondait pas.
J’avais juste envie de vous parler un peu, vous me manquez. Je vais aller me coucher, j’essaierai de vous rappeler demain, écrivit-elle, le cœur lourd et les larmes aux yeux.
Personne ne pouvait comprendre ce qu’elle traversait en ce moment. Elle tenta alors de joindre le seul qui, en dehors de ses parents, serait susceptible de lui remonter le moral. Mais lui non plus, ne répondait pas. Sindy se leva de son lit et, en trois petits pas, se posta devant la fenêtre. Dehors, il faisait nuit noire. Il devait être plus de minuit maintenant, et elle n’avait pas sommeil. Non, elle était bien trop obsédée par l’idée de rentrer chez elle pour dormir. Sindy leva la tête vers le ciel, plissa les yeux, et dans un effort surhumain tenta d’apercevoir son véritable « chez moi ». Elle n’y parvint pas, mais le seul fait de se dire que là, quelque part, l’un de ces points de lumière était en réalité l’endroit où elle avait grandi.
Ici, à Chicago, personne ne sait véritablement d’où elle vient. Elle l’avait pourtant indiqué fièrement sur son curriculum vitae et sur son dossier d’inscription à la fac, mais personne ne l’avait jamais relevé. Est-ce que seulement ses patrons avaient retenu cette information essentielle à son sujet ? Est-ce que MacHolland savait que cette fille un peu bizarre qui lui servait son café était une martienne ? Certainement pas. Il n’en avait rien à faire. Pas plus que de sa femme ou de ses clients. A ce qu’elle en savait, le co-PDG de T&R Corporation n’était intéressé par rien d’autre que ses conquêtes et l’alcool. D’ailleurs, Sindy était arrivée avec une bouteille du meilleur rhum produit par sa famille pour son premier jour. Elle voulait remercier le grand Richard MacHolland de l’avoir engagée pour son alternance, et ce même si elle n’était pas rémunérée et qu’elle n’apprenait rien sur le métier d’architecte qu’elle était pourtant censée étudier à ses côtés. Ses parents lui avaient fait parvenir cette bouteille pour l’occasion, et ce dès qu’ils avaient appris que leur fille était engagée dans le plus gros cabinet d’architectes de tout le nord des Etats-Unis. MacHolland n’avait pas attendu une seconde avant de l’ouvrir. En soi, ça aurait pu être quelque chose de génial de le voir déguster le rhum au lieu de le laisser de côté sur un buffet dans son bureau, comme l’avait fait son associé. Mais le lendemain, MacHolland n’était pas venu au travail, et Sindy avait retrouvé la bouteille vide au fond de la poubelle. Elle en avait rapidement déduit qu’il l’avait bu à lui tout seul et que ce qui l’empêchait de venir bosser ce jour-là n’était rien d’autre qu’une bonne vieille gueule de bois.
« C’est qu’il devait être bon, avait commenté Tristan Nickolson, l’ami et associé de MacHolland, avec un sourire en coin avant de partir dans l’autre sens et de laisser la jeune apprenante toute seule, sans lui donner quoi que ce soit à faire. »
Bon dieu, mais pourquoi avait-elle choisi de faire des études d’architecte ? Sindy se posait cette question de plus en plus souvent. Au départ, elle voulait vraiment exercer cette profession, considérée comme honorable sur Mars. Et puis, surtout, elle avait voulu faire plaisir à ses parents. Les Grassier étaient non seulement une grande famille martienne, mais elle était aussi à la tête de la planète. Ses parents, Friedrich et Opalina Grassier, n’étaient autres que les roi et reine de Mars. Ce qui faisait de Sindy en toute logique l’héritière du trône, puisqu’en plus elle était fille unique. Parfois, elle en voulait à son père de n’avoir pas voulu d’autre enfant après elle.
« C’est parce que tu es mon bijou, tu es parfaite ! Dis-moi Sindy, pourquoi aurais-je voulu avoir un autre enfant alors qu’il n’aurait jamais pu t’arriver ne serait-ce qu’à la cheville ? »
Elle n’avait jamais rien trouvé à répliquer, et c’était peut-être pour cela qu’elle se retrouvait actuellement à Chicago, Illinois, Etats-Unis. Sur Terre. A faire quelque chose qu’elle n’aimait pas vraiment. En était loin de sa famille, de ses vrais amis, et de son petit-ami. Pourquoi Kay ne répondait-il pas au téléphone ? D’habitude, il décrochait dans la minute, peu importe le jour ou l’heure. Il abandonnait toujours ce qu’il faisait pour parler avec Sindy. Et là, rien… Elle était décontenancée.
Sindy referma la fenêtre, l’air était encore trop frais pour qu’elle ne ferme pas la nuit. Elle se changea, enfila un vieux pyjama qui avait encore l’odeur de la lessive martienne, et se glissa dans les draps tout doux. Une fois la tête posée sur l’oreiller, la jeune femme s’endormit aussitôt. Elle se mit à rêver, et ses rêves étaient peuplés de grandes pièces, de gens qui s’intéressaient à elle et de terre rougeâtre qui accroche aux chaussures. Dans son rêve, elle portait même du blanc, alors que c’était une couleur proscrite sur Mars. Qu’est ce qu’elle avait été étonnée quand elle s’était rendue compte que tout le monde sur Terre mettait du blanc ! Et encore plus quand elle avait vu ses premiers films romantiques dans lesquels les femmes portent toutes une belle robe blanche le jour de leur mariage ! Ça, c’était inimaginable sur Mars, assurément. Le mariage, il se faisait en robe verte ou mauve, selon les moyens des gens. Sindy savait qu’elle se marierait dans une robe grenat – non seulement parce qu’elle était riche et qu’elle pourrait facilement se procurer les pigments les plus chers, mais aussi parce qu’elle était la future reine et qu’elle devait en cela se démarquer du petit peuple. Ses rêves devinrent de plus en plus réels, jusqu’à temps de n’être plus que des souvenirs sortis de l’ombre par une nuit de pleine lune. Sous ses paupières closes, alors que le sommeil s’emparait de son corps entier, sa vie défilait devant ses yeux.
« Viens jouer avec nous Sindy ! Allez, viens ! »
Petite, Sindy n’était pas très sociable. A vrai dire, même en grandissant ça n’avait jamais été le cas. Sur Mars, ce n’était pas mal pris, au contraire, les gens savaient qu’elle avait des obligations au vu de son statut. Mais ici, sur Terre, tout était différent. On la prenait pour une pestiférée. Une fille bizarre. Bon, il fallait avouer qu’avec ses cheveux teints en lilas et ses converses pailletées, elle ne pouvait pas passer inaperçu. Qu’est-ce qu’elle pouvait regretter ses années sur Mars, son enfance, ses parents… Mais grâce aux songes, elle pouvait les rejoindre tous le temps de quelques minutes, quelques heures, et c’était tout ce qui comptait, même si elle ne s’en souvenait qu’à peine au réveil le lendemain.
« Allez viens ! réitère le garçon en tenant haut le ballon au-dessus de sa tête.
- Tu peux y aller, tu as une bonne heure devant toi avant ta leçon de piano. »
La mère de Sindy trouvait toujours le moyen de laisser du temps à sa fille pour être une véritable enfant. Si l’éducation de la petite n’avait tenu qu’à son père, elle aurait été enfermée dans le palais jusqu’à ses dix-huit ans – c’est-à-dire jusqu’au moment où, dans le meilleur des cas, elle aurait dû partir sur une autre planète pour faire des études. Mais heureusement il y avait eu sa mère pour lui offrir un semblant de vie normale, et puis Sindy avait obtenu son diplôme du secondaire à seulement dix-sept ans. Elle avait donc connu les joies de jouer au ballon sur le sable rouge, même si la plupart du temps elle était vêtue d’une tunique prune – qui n’était pas bien pratique pour tirer dans le but. C’était à cet âge-là, vers six ou sept ans, que Sindy avait rencontré Kay pour la toute première fois. Et depuis ce temps-là, ils ne s’étaient jamais quittés. Il avait même été convenus par leurs parents qu’un jour, lorsque le temps serait venu pour le roi de quitter le trône, les deux enfants se marieraient et fonderaient une famille. Sindy le savait, et se réjouissait de cet avenir qu’elle voulait plus que tout au monde. Pourtant, elle n’aurait jamais imaginé que ses devoirs royaux lui imposeraient une séparation aussi rude et longue avec Kay. Dans ses rêves, elle le revoyait comme il était lorsqu’ils étaient enfants, un petit garçon rondouillet, avec de petites taches de rousseur sur le nez et une tignasse d’un brun presque noir qui laissaient même, de temps à autres, entrevoir des reflets bleus comme le plumage d’un corbeau. Cette comparaison, Sindy n’avait pu la faire qu’une fois arrivée sur Terre. Il n’y avait pas de corbeaux sur Mars, et pourtant ils peuplaient les fils électriques des rues de Chicago à la nuit tombée. Qu’est-ce qu’elle aimait plonger ses doigts dans les longs cheveux de son petit-ami… Et ses yeux sur elle qui se posaient toujours avec tant d’amour et de tendresse, si bien qu’elle avait l’impression de fondre sur place à chaque fois ! Pourtant, elle n’arrivait à rêver de lui qu’avec sa tignasse d’enfant et le regard malicieux qui l’accompagnait à chaque fois. Elle ne savait pas si elle détestait cela ou si au contraire elle adorait.
« Attention ! »
Combien de fois s’était-elle prise le ballon en pleine tronche ? Elle avait rapidement arrêté de calculer. Rien que lors de la première partie, Kay lui avait fait trois passes, et non seulement elle avait raté tous les renvois, mais en plus elle s’était prise le ballon dans la tête à chaque fois. Il lui avait fallu non pas plusieurs parties mais plusieurs années avant de comprendre qu’il fallait qu’elle se recule de quelques pas pour que la balle ne lui arrive plus dans la tête mais dans les pieds… Sindy avait alors compris que le sport n’était pas fait pour elle, et qu’elle était plutôt intellectuelle. Pas du tout manuelle, et surtout pas lorsqu’il s’agissait des leçons de piano ou d’écriture. C’était toujours un désastre. Par contre, elle savait réciter toutes les lois martiennes sans réfléchir, et elle connaissait sur le bout des doigts tout ce qui concernait la Terre. Alors pourquoi diable n’arrivait-elle pas à relancer une fichue balle à ses coéquipiers sur le terrain ? La réponse était la même que lorsqu’elle se demandait pourquoi elle n’arrivait pas à s’intégrer sur Terre : elle était bizarre. Pas dans un mauvais sens, non, ou du moins elle espérait que ce ne soit pas le cas, plutôt dans le sens où elle n’était pas tout à fait normale. Après tout, elle était Sindy Grassier, héritière du trône de Mars, non ?
« Sindy ! Il est l’heure ! »
L’ambiance du rêve changea subitement. Elle n’était plus une enfant qui jouait au foot et qui venait de trouer sa tunique au niveau des genoux en tombant, non, elle était une adolescente de quinze ou seize ans qui s’apprêtait à faire sa première apparition mondaine au bras de Kay. Ils avaient bien grandi tous les deux. Sindy n’était plus la gamine rachitique qui ne comprenait pas comment jouer au ballon – même si ça, ça n’avait pas vraiment changé. Elle était en train de devenir une véritable femme. Ses seins pointaient vers le haut comme deux petits citrons, et sa taille bien que fine laissait voir la volupté de ses hanches. Elle n’était vraiment plus une gamine, et elle en était bien consciente. Ce soir-là, elle portait une véritable robe qui avait été commandée exprès pour l’occasion. Elle n’était plus une enfant, et l’habit était fait pour le montrer. D’un rouge sang comme le sol de la planète à l’aube, le tissu était agrémenté de perle d’un blanc éclatant. Le décolleté avait été fait pour montrer tout juste ce qu’il fallait sans vulgarité. Et Sindy était accompagnée du plus bel homme de toute la réception. Déjà à seize ans Kay ressemblait à un véritable mannequin. Toute personne le voyant ne pouvait qu’être subjuguée par son charisme. Il est beau comme un dieu, lui avait d’ailleurs soufflé sa mère avant la réception. Sindy avait alors rougit comme si le compliment était pour elle – et c’était un peu le cas, après tout c’était bien son cavalier, son petit-ami. C’était sûrement ce soir-là précisément qu’elle s’était rendue compte d’à quel point elle pouvait l’aimer, et qu’elle voulait être avec lui pour toujours. Pourtant, le destin en avait décidé autrement, et son rêve se transforma encore une fois alors qu’elle se revoyait danser une valse voluptueuse dans les bras de Kay.
« Tu vas me manquer.
- Toi aussi Didi… »
Ce surnom, il n’y avait que Kay qui l’utilisait. A vrai dire, c’était même lui qui le lui avait donné et personne, à sa connaissance, ne l’avait jamais entendu. Au départ, Sindy avait trouvé ce diminutif infantilisant, mais elle avait appris à l’accepter et, avec le temps elle avait même appris à l’aimer. Comme lui, elle l’aimait. Elle l’aimait de tout son cœur et c’était un déchirement de le quitter pour aller sur Terre. Lui, il partait faire des études de science-politique à l’autre bout de la galaxie – sur Venus – tandis qu’elle, elle partait pour la Terre et ses habitants qui la prendraient toujours de haut tout ça parce qu’elle était un peu différente. Elle avait le cœur lourd, elle n’avait pas envie de partir, elle n’avait pas envie d’être loin de la seule personne qui la comprenait.
« On pourra se téléphoner, s’envoyer des messages, et puis on pourra peut-être se voir pendant les vacances aussi, je viendrais te voir et toi tu viendras aussi sur Mars. On ne sera jamais vraiment séparé, et puis en plus, je serais toujours avec toi quoiqu’il arrive… »
C’était sur ces quelques mots qu’il lui avait glissé dans la paume de main droite un collier tout en or. La chaînette était ornée d’un seul et unique pendentif, ne faisant pas plus de quelques millimètres, et qui représentait un petit point-virgule orné d’une pierre rouge.
« Tiens, murmura-t-il en lui passant le bijou autour du cou. Tu vois, le point-virgule, c’est pour marquer une pause, une simple pause. Ce n’est pas un point, parce que ce n’est pas la fin de ce que nous avons construit tous les deux. Et c’est plus long qu’une virgule, ce sera simplement une longue pause, un long moment à passer.
- Kay…
- Et la pierre rouge, c’est pour que tu te souviennes toujours d’où tu viens. Tu seras toujours une martienne, la seule et unique Sindy Grassier, la fille dont je suis tombé amoureux alors qu’elle venait de se prendre un ballon en pleine tête lors de notre première partie de foot. »
Ces derniers mots étaient prononcés avec une pointe de nostalgie ou de tristesse dans la voix. Kay non plus ne voulait pas partir, ou plutôt il ne voulait pas partir sans elle. En plus, si Sindy partait faire des études pour plaire à ses parents, lui il partait en science-politiques pour plaire à Sindy. Il ne voulait pas qu’elle soit contrainte de choisir quelqu’un d’autre tout ça parce qu’il était incapable de comprendre les enjeux politiques de telle ou telle décision. Il voulait non seulement passer sa vie à ses côtés, mais il voulait également être utile à sa nation, à la belle et grande Mars.
Driiiiiing
Le bruit de la sonnette réveilla Sindy en sursaut alors que les lèvres de Kay approchaient dangereusement les siennes comme pour leur dernier baiser, cinq ans auparavant. Depuis, ils ne s’étaient pas revu. Les calendriers de Vénus et de la Terre n’étaient jamais compatibles. Lorsque Kay terminait un semestre de cours, Sindy venait à peine d’entamer le sien. Lorsque Sindy était en vacances, Kay était en train de trimer pour ses examens. Et puis, lui, il avait dû trouver un job. Alors ils ne pouvaient jamais se voir. Et pour se parler au téléphone, c’était tout aussi compliqué. Lorsqu’ils avaient prévu de se parler tous les jours, ils n’avaient pas pensé au décalage horaires entre les deux planètes qui était pourtant évident à prévoir. Alors quand Sindy se réveillait le matin, Kay s’était couché et dormait profondément. Il n’y avait que les messages qui fonctionnaient, ils arrivaient à se parler un petit peu chaque jour. Et puis, si Sindy se sentait vraiment mal et qu’elle avait besoin d’entendre sa voix, Kay le sentait, et il restait éveillé toute la nuit en attendant l’appel de sa petite-amie.
Driiiiing
« J’arrive, j’arrive, grommela Sindy en s’extirpant des draps. »
La jeune femme enfila un peignoir et se dirigea vers la porte.
Driiiiing
Cette fois, il lui avait fallu quatre pas pour atteindre la poignée. Elle piétinait un peu, elle n’était pas très réveillée. D’un mouvement mal assuré elle tourna la clé dans la serrure sans même se demander qui pouvait bien sonner au beau milieu de la nuit. Elle se dit qu’elle n’aurait pas été surprise de voir MacHolland devant sa porte, lui qui était réputé pour se bourrer la gueule le vendredi et pour trouver ses conquêtes. Son cerveau encore embrumé par les rêves de Kay la fit se sentir toute chose à cette simple idée. Il fallait vraiment qu’elle retourne se coucher.
Driiiiiing
« Oui, oui, voilà, voilà. »
Sindy défit ensuite le loquet et, avant d’ouvrir, s’assura d’avoir bien fermé son peignoir. Ce fut à ce moment précis qu’elle se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Pourquoi quelqu’un sonnait à sa porte à cette heure-ci ? Son cerveau dériva alors de nouveau sur MacHolland et elle ouvrit la porte sans réfléchir une seconde de plus.
Stupide MacHolland, fut sa dernière pensée alors que la lumière du couloir l’aveuglait.
Si elle avait su, elle aussi aurait mis un pantalon. Et surtout, elle n’aurait jamais ouvert la porte.
Ce chapitre est très agréable à lire.
J'ai bien aimé la première accroche "un travail terrien", elle fonctionne très bien en déclenchant tout de suite des questions.
Comme l'a dit Sophie_Colomes, tu parviens à apporter cette note de SF d'une manière très naturelle.
J'espère ne pas te froisser, car je pense qu'il te faudrait retravailler tes tournures de phrases pour obtenir plus de texture.
Le fond donne envie.
Je t'en donne un exemple :
"Parce qu’il n’y avait pas que le barman qui l’agaçait, il y avait aussi ce conducteur du bus qu’elle prenait tous les soirs pour rentrer de la fac, et puis cette serveuse au self-service de la cafétéria. Même le concierge de son immeuble lui tapait sur les nerfs à lui adresser la parole alors qu’elle avait à peine passé le pas de la porte."
>> Il n’y avait pas que le barman qui l’agaçait. Il y avait le conducteur du bus qu’elle prenait le soir au retour de la fac [décrire pour appuyer qu'il la lourde]. Que dire de la serveuse au self de la cafétéria ? [décrire aussi]. Le vainqueur du palmarès était sans conteste le concierge de son immeuble. Celui-là lui tapait particulièrement sur les nerfs. Elle passait à peine le pas de la porte qu'il lui adressait la parole"
J'enlèverais la référence à Facebook en inventant une autre marque.
Tu as beaucoup de virgules avant tes "et". Cette ponctuation ne se justifie qu'avec une suite de conjonctions. "Kay et Sindy dansaient sans prêter attention aux autres convives, et ils étaient heureux", par exemple.
Bref, malgré ce que je t'ai écrit, j'apprécie ces deux premiers chapitres et j'en lirai plus.
Merci encore pour ton commentaire ! Et non, je ne prends pas mal du tout tes remarques, bien au contraire !
Parfois j’en fais trop, parfois pas assez ahah, ma plume s’améliorera avec le travail et les conseils !
Encore merci, et j’espère que malgré tout cela, la suite de ta lecture te seras agréable !
J’espère que la suite te plairas :)
Ces considérations scientifiques acquises haha je dois dire que je ne suis pas certaine à 100% d'avoir compris la chute, mais je pense que je le saurai dans le chapitre suivant
En dehors de ça, j'ai beaucoup aimé ce chapitre haha, Sindy est vraiment bien décrite et j'ai beaucoup aimé découvrir son histoire et ses origines. Je me demande maintenant comment Richie va bien pouvoir être impliqué dans cette histoire haha, mon petit doigt me dit que ça promet de pas être glorieux
Merci de me corriger x) on voit la fille en lettres qui n'y connaît rien... c'est directement noté dans mon fichier, merci x)
Oui, je pense que tu comprendras mieux avec la suite ! Enfin, j'espère ahah.
Ravie que la description ait pu te plaire ! elle ne fait pas l'unanimité x)
Je te laisse découvrir la suite, mais je pense que tu es sur la bonne voie !
Merci pour tes commentaires :)
Alors dans le quatrième bloc tu écris Sac main oublie du à selon moi,
Presque à la fin dans la paume main droite autre oubli la main droite.
ce qui m’a fait rire la galère de l’ordinateur et les relations à distance toujours compliquées.
Effectivement, le "à" de "sac à main" était un oublie, à cause de la précipitation ahah ! Merci, c'est corrigé sur mon manuscrit ! Pour le second, c'est simplement un choix de ma part de ne pas mettre "dans la paume de la main droite", pour ne pas avoir de répétition de l'article : pure licence littéraire.
En espérant que la suite te plaira.
Hypé par le côté policier/sf qui entrait en jeu, j'étais très frustré de découvrir un personnage qui manque d'intérêt pour moi. Juste une étudiante solitaire qui se fait chier, comparé au couple génial du chapitre précédent, bof bof...
Et puis on apprend qu'elle travaille avec Richard. Puis le fait qu'elle vive sur Mars, Puis le fait qu'elle soit une princesse. Adakor.
Du coup de très bons passages : on la découvre elle, c'est surprenant, et on a un autre point de vue sur Richard, ce qui me fait fort plaisir.
Cependant, le ton truculent de l'écriture est moins percutant ici. Les réflexions de Sindy sont moins drôles, imprévisibles et originales que celles de Richard. Et sa relation de couple avec Kay est bien ennuyeuse quand on la compare avec cemme entre Jenna et Richie. Ils sont juste moins intéressants.
Et j'ai l'impression (dis moi si je me trompe) que tu penses pareil. Je Tai trouvé peu créatif et truculent dans la description de la backstory de Sindy, surtout quand on compare avec celle de Richard. J'ai même eu une fois la désagréable impression de lire un résumé Wikipedia (quand elle mentionne sa jeunesse dorée sur Mars).
Attention ! Le texte reste très bon, et j'ai toujours beaucoup d'attente pour la suite. La fin est très bonne : des que Richard est dans les parages, je prends mon pied.
Continue !
Je vais répondre ici à tes deux commentaires, autant faire d'une pierre deux coups !
Déjà, je suis ravie que ce début te plaise tant, du moins à ce que tu en dis ahah !
Petite explication (qui te fera comprendre le changement de personnage principal ici) : les trois premiers chapitres sont des "présentations" des personnages et de l'intrigue : l'Architecte (Richard, le meilleur d'entre tous, avouons-le nous), la Victime (Sindy, que tu viens de découvrir et qui, ne t'inquiète pas, reste dans son rôle de victime jusqu'au bout), et le Lieutenant (dont je te laisse découvrir la personnalité au prochain chapitre).
Cependant, je retravaillerai le personnage de Sindy pour la rendre moins plate.
Sur ce, ne t'inquiète pas, tu retrouveras Richard dès le chapitre 4 en tant que personnage principal, c'est promis !
J'espère que la suite te plaira, en tous cas je suis bien contente d'avoir lu tes deux commentaires ! (d'ailleurs, je m'en vais de ce pas continuer à écrire...)