Chapitre 20

Vincent et moi allumâmes les torches sur nos téléphones et les parois suintantes de la galerie furent éclairées par un mince filet de lumière. Au bout de quelques mètres de marche sur le sol en déclivité, le couloir s’élargit et forma une petite caverne, assez vaste pour que nous nous y tenions debout tous ensemble et bougions. La température était douce, le sol couvert de sable, probablement déposé par les bourrasques qui venaient de la mer. Nous nous arrêtâmes pour nous sécher et nous organiser. Nous pouvions parler à haute voix, le vent qui s'engouffrait dans le boyau tourbillonnait et sifflait autour de nous, faisant plus de bruit qu’un soufflet de forge et couvrant nos mots.

 

Au delà de la cavité, le boyau se poursuivait, c’est par là que nous continuerions. Nous vidâmes nos sacs à dos. Jerem avait sorti son petit arc et ses flèches, Alma, Astrid et moi prîmes chacune notre rameau de l’arbre de paix. Alma n’avait pas d’arme, elle viendrait à notre secours si nous étions blessés, ses potions de pimpiostrelle étaient à portée de ses mains, dans ses manches. Vincent avait rempli ses poches de petits capteurs, qu’il déposerait aux intersections le long des galeries, pour établir en temps réel la cartographie des lieux sur son téléphone et le mien. Astrid, Vincent et moi avions aussi un couteau de survie, avec un manche en bois et une lame capable de couper du bois ou de la corde, bien accroché à notre ceinture. Etions-nous suffisamment équipés pour lutter contre un magicien surpuissant, et ses séÏdes dont nous connaissions la cruauté, Ferdinand, Iga et Trevor et peut-être d’autres qui n’hésiteraient pas à nous tuer ? Probablement pas. Seule la ruse et la magie de l’arbre pourraient nous aider. Cette fois nous étions entrés dans la gueule du loup, et malgré moi je frissonnai, car je supposais avec tristesse que nous ne reviendrions pas tous de cette expédition. Je ne pouvais pas imaginer que nous faillirions, nous devions réussir à tout prix, notre mission était beaucoup plus importante que nos simples vies. Nous devions être braves, nous en avions tous conscience. Nous étions venus jusque là et il n’y avait plus aucune possibilité pour reculer. Juste avant de repartir, nous nous regardâmes les uns les autres, et nous avançâmes.   

 

Nous marchions désormais dans le silence, le bruit de la mer avait décliné avant de s’arrêter tout à fait. Nous étions attentifs au moindre son, mais nous n’entendions rien. Puis nous arrivâmes à une bifurcation. Le choix était difficile, droite ou gauche ? et désormais nous pourrions être attaqués par devant ou par derrière. Vincent qui était en tête haussa les épaules et proposa à gauche en tendant le bras. Nous acquiesçâmes en levant le pouce. 

 

En même temps il déposa un capteur dans un trou de rocher et nous poursuivîmes notre marche avec précaution. En tendant l’oreille, nous percevions au loin une rumeur, un bruit sourd, et après quelques pas, une certaine clarté apparut au loin. Nous éteignîmes les torches et nous dirigeâmes grâce à la luminosité devant nous. Lorsque nous fûmes suffisamment proches, nous vîmes que la galerie débouchait au dessus d’une vaste salle fortement éclairée, qu’elle dominait comme un balcon et longeait d’un bout à l’autre. Une haute balustrade, qui avait été taillée directement dans le roc et surmontée d’une vitre, offrait un poste d’observation discret et protégé sur ce qui se déroulait dans la pièce en dessous. Le sol était grillagé et de grosses canalisations parallèles étaient visibles en dessous. Le ronronnement qui nous avait guidés provenait d’un gros ventilateur qui regénérait l’air. Une caméra placée dans un angle haut filmait l’activité de la salle, sans balayer le balcon où nous nous trouvions.

 

Nous pûmes regarder sans être vus le laboratoire high tech qui avait été installé. Des rangées de paillasses couvertes d’appareils pour faire des analyses chimiques sophistiquées, chromatographes, évaporateurs rotatifs, microscopes, et ordinateurs alternaient avec des étagères remplies de verrerie, de grosses bouteilles de produits, de livres et de piles de revues scientifiques. Le mur du fond était composé d’une succession de hottes aspirantes pour manipuler les substances dangereuses, de fours et de réfrigérateurs, Au milieu de ce fatras de matériel, des silhouettes vêtues de combinaisons de protection avec des capuches, complétées par des chaussures de sécurité et des masques évoluaient avec aisance sans se parler. Leurs démarches étaient si mécaniques qu’on eût dit des automates, chacun semblait parfaitement savoir ce qu’il avait à faire, les tâches étaient définies, planifiées et affectées sans faille. Et je compris pourquoi. Dans l’un des angles, une petite cabine de verre abritait une ombre penchée sur un écran. Une sonnerie retentit soudain et la personne releva la tête, puis se leva et vint se placer devant la vitre. Habillée d’une combinaison rouge, il était impossible de ne pas la reconnaître, même si ses cheveux avaient été coupés très courts et qu’elle n’était plus maquillée. Son visage était toujours aussi froid et hautain, et elle scrutait le laboratoire à la recherche de l’origine de l’alarme, prête à réagir contre le responsable du désordre, c’était Iga. Ses qualités d’organisatrice devaient faire merveille dans ce laboratoire. Elle fit signe d’approcher avec son index à l’un des robots qui s’avança et s’arrêta devant elle, derrière le carreau, et nous la vîmes invectiver violemment le coupable pendant quelques minutes. Quelques instants plus tard, le calme revint, l’automate reprit son travail et Iga le sien.

 

Au pied du mur que nous surplombions se trouvaient de grands bacs métalliques remplis de déchets expérimentaux, nageant dans des liquides dont nous ne pouvions distinguer la couleur ou la consistance. De temps à autre, l’un des robot venait jeter ses détritus dans les cuves, ou vider ses seaux, un autre se munissait d’un tuyau, vidangeait les bacs en ouvrant des vannes et lavait au jet d’eau les bassins vides. Les conduites d’évacuation des déchets qui passaient sous nos pieds gargouillaient alors, éjectant la matière en décomposition sous la pression d’eau.

 

-- Nous sommes au-dessus de la zone immonde, dit Jerem avec une grimace de dégoût. Ils rejettent leurs saletés à l’extérieur, vers la mer.   

 

Nous dépassâmes le laboratoire et continuâmes à avancer jusqu’au bout du couloir qui était sans issue et débouchait sur une salle en contrebas. Sur le côté, un escalier taillé dans la pierre permettait d'accéder à l’étage inférieur, où une silhouette vêtue d’une combinaison brune était assise devant un ordinateur et nous tournait le dos.

 

Vincent posa sa main sur mon bras et désigna l’ordinateur avec ses yeux. Puis nous descendîmes tous l’escalier sans bruit, à l’exception de Jerem qui resta à distance et banda son arc, et vînmes nous placer autour de l’individu. Il bondit en arrière sur son siège quand il se rendit compte que quatre personnes l’entouraient. Il n’eut pas le temps de taper quoi que ce soit sur son clavier pour lancer une alerte, mais eut le réflexe de dégainer un revolver à sa taille. Il allait tirer sur Astrid quand Houang Ti vola sur lui et de deux coups de becs lui creva les yeux. Le coup de feu partit dans le vide en résonant dans la salle et en ricochant inutilement sur le mur. L’homme s’écroula à terre en hurlant, tandis qu’Astrid lui trancha la gorge avec son couteau. Nous entendîmes des pas de courses et la porte du fond de la salle s’ouvrit bruyamment. Trois gardes armés pénétrèrent. Sous l’effet de la surprise, ils n’eurent pas le temps de réagir. L’un tomba à terre en recevant une flèche de Jerem, Vincent lança adroitement son couteau sur le second qui chuta à son tour, et le troisième fut assommé par Alma. Elle s’était glissée derrière la porte et le frappa de toutes ses forces à l’aide d’un manche en métal ramassé par terre sur le crâne.  

 

Pendant ce temps, je m’étais assise devant l’écran d’ordinateur avant qu’il ne s’éteigne et j’entrai dans le système. Mon esprit qui n’avait plus travaillé depuis des semaines mit un peu de temps à s’activer, mais je me trouvai en terrain connu et recouvrai bientôt tous mes réflexes, les idées s’enchaînaient à toute vitesse et mes doigts couraient sur le clavier. J’étais à la recherche de la faille qui me permettrait de m’immiscer au cœur de l’installation, là où je pourrais trouver l’architecture de l’organisation et du réseau, désactiver le système de sécurité et même insérer de fausses informations pour tromper l’ennemi. 

 

Vincent avait tiré le verrou de la porte pour éviter les mauvaises surprises, Jerem et Astrid   traînèrent les corps des trois morts au fond de la pièce, derrière des étagères couvertes de classeurs et de cartons. Ils rapportèrent les armes des gardiens, des pistolets à fléchettes empoisonnées qui avaient l’avantage de faire peu de bruit. Le dernier garde qui avait simplement été assommé fut attaché sur une chaise, avec de la cordelette trouvée sur le bureau. Alma avait vu une grande quantité de films d’aventures et savait comment immobiliser un prisonnier avec des nœuds impossibles à dénouer. Encore inconscient, le garde fut bientôt ficelé comme un saucisson et un chiffon fut enfoncé dans sa bouche. Quand il sortit de sa torpeur, il ouvrit des yeux complètement affolés, ébahi de voir des étrangers envahir le repaire secret de Jahangir.

 

Vincent essaya de l’interroger tandis que je continuai à explorer le système, trouvant enfin le chemin et l’autorisation pour accéder à la partie sécurité. C’était une installation classique, ni compliquée ni même sophistiquée, l’informaticien qui l’avait conçue n’était pas un expert. Je fus bientôt parfaitement à l’aise, identifiant les différentes ramifications du réseau, visualisant les périphériques et, naviguant au coeur du système, je trouvai les profils des différents utilisateurs et leurs niveaux d’habilitations.

 

-- Combien de personnes y a-t-il ici ? demandait Vincent au prisonnier, sommes-nous loin de Jahangir ? comment sont organisés les lieux ? 

 

J’entendais dans un brouillard sonore les réponses de l’individu, ce n’étaient que des grognements inaudibles, pas un mot ne sortait de sa bouche à moitié obstruée par le chiffon, il ne dirait rien. Et puis ce fut soudain le silence. 

 

-- Il a avalé une capsule de cyanure, s’écria Vincent, il est mort !

 

Je me retournai et vis le prisonnier, sa tête sans force était tombée menton sur la poitrine, son corps mou gisait sur la chaise où Alma l’avait habilement attaché.  

 

-- La capsule devait se trouver dans l’une de ses dents, et il a réussi à la croquer en contorsionnant sa bouche, dit Astrid en examinant l’individu. Il est bien mort.

 

Alma coupa les liens et déroula la cordelette. Elle fouilla dans les poches mais il n’y avait absolument rien, simplement un symbole runique sur un badge. 

 

-- J’ai pu pénétrer dans le système, expliquai-je. Il y a une salle de contrôle avec plusieurs terminaux et plusieurs écrans. J’ai reprogrammé la diffusion sur les écrans et la bande son vingt quatre heures en arrière. Le technicien de surveillance va simplement revoir les mêmes images qu’hier, donc sans nous. Avec un peu de chance, il va mettre un certain temps à s’en apercevoir et ensuite il faudra qu’il corrige le dysfonctionnement sans en connaître l’origine. Les informaticiens ici n’ont pas l’air d’être des experts, nous avons donc un avantage sur eux. J’ai aussi rendu inopérant l’enregistrement des caméras et des micros, nous ne serons donc pas filmés. J’ai désactivé les alarmes et ouvert toutes les portes. Nous pouvons y aller, les lieux sont à nous. J’ai juste une vague idée du plan de l’endroit, c’est insuffisant pour nous aider à nous déplacer.   

 

-- Qu’y avait-il d’autre sur l’ordinateur ? demanda Vincent

-- Sûrement beaucoup d’informations, mais nous n’avons pas le temps de fouiller, j’ai paré au plus pressé, répondis-je.

 

Vincent nous donna à chacun un capteur que nous cachâmes au fond de nos poches. Nous pourrions toujours être localisés si l’un de nous se perdait.

 

-- Et maintenant, s’écria Astrid, allons nous occuper du laboratoire ! 

-- Pour information, ajoutai-je, les portes du laboratoire sont verrouillées, ils ne pourront pas sortir. Nous pouvons attaquer par en haut. 

 

Nous remontâmes l’escalier et longeâmes à nouveau la galerie jusqu’au balcon vitré qui surplombait le laboratoire. Les carreaux étaient coulissants, aussi nous pûmes dégager une ouverture et nous positionner à distance. Aussitôt une alarme se déclencha, mais trop tard, Vincent, Astrid et moi visâmes chacun l’une des silhouettes avec un pistolet à fléchettes, sauf Jerem qui utilisa son arc. Et nous tirâmes simultanément. Jerem et Astrid étaient adroits, Vincent et moi ne l’étions pas, mais après plusieurs tentatives, nous perçâmes les combinaisons et vîmes les robots tomber à terre les uns après les autres, inanimés. Folle de rage, Iga sortit de sa cabine de surveillance comme un diable de sa boite et regarda dans notre direction. Elle n’eut pas le temps de hurler, Houang Ti fonça sur elle et lui transperça les yeux. Tandis qu’elle se pliait en deux sous l’effet de la douleur, Astrid la cribla d’une volée de fléchette empoisonnées. La belle combinaison rouge ne protégea pas l’habile assistante qui tomba face contre terre, fit quelques soubresauts et ne bougea plus. 

 

Cyniquement, nous refermâmes le carreau comme s’il s’agissait d’un tombeau, tandis qu’une sorte de vapeur montait du sol. Nous vîmes se décomposer quelques uns des laborantins, ils dégageaient un gaz blanchâtre qui formait des volutes. Sous les combinaisons qui se consumaient et se désagrégeaient, les êtres qui apparaissaient étaient mi chair mi métal. Même Iga ne semblait pas humaine, son corps était désarticulé, comme celui d’une poupée de chiffon qui serait mal tombée. 

 

-- Terminée l’alimentation de la zone immonde, fit Jerem.

 

Sans perdre de temps, nous reprîmes le chemin de la salle de contrôle en contrebas et quand nous arrîvâmes, il n’y avait plus aucun cadavre, ni sur la chaise ni derrière les étagères, ne subsistaient que les vêtements des morts, comme si les créatures s’étaient évaporées. Sans chercher à comprendre ce qu’elles étaient devenues, nous nous approchâmes de la porte, Jerem avait fait le tour de la pièce, il n’y avait aucune autre issue visible. Vincent entrouvrit le battant qui donnait sur un large couloir vide. Sans craindre le regard des caméras, nous nous avançâmes lentement, armes à la main. La galerie suivait une trajectoire courbe. Des portes en bois la jalonnaient régulièrement à droite et à gauche. Nous choisîmes d’aller vers la gauche, le laboratoire se trouvant vers la droite et nous nous déplaçâmes en silence. 

 

Le tunnel était large et moyennement éclairé, il descendait en pente légère et nous repérâmes des traces de pneus sur le sable au sol. Nous nous arrêtâmes devant la première porte, c'était un débarras sans intérêt. Nous continuâmes. Derrière la seconde porte, nous trouvâmes dans une sorte de bibliothèque dont tous les ouvrages étaient entassés les uns sur les autres, sans aucune logique. Il y avait des livres dans toutes les langues, des revues, des journaux de tous les pays, poussiéreux, accumulés là depuis des décennies, peut-être même des siècles, des séries complètes sur un sujet scientifique ou un autre. Les portes suivantes révélèrent des lieux de rangement désordonnés, remplis de cartons, de chiffons, d’objets hétéroclites cassés, tordus ou même carbonisés. Nous avancions avec précaution dans le long couloir, poursuivant notre prudente exploration, quand nous perçûmes un bruit de moteur au loin. Aussitôt nous nous réfugiâmes derrière la porte la plus proche. Le bruit se rapprocha et nous reconnûmes le vrombissement caractéristique d’une jeep. La voiture roula devant notre cachette dans un bruit de tonnerre, projetant du sable dans toutes les directions qui tomba comme une pluie crépitante sur le bois de la porte. Entrouvrant le battant après le passage du véhicule, malgré le nuage de poussière soulevé, nous vîmes qu’il était conduit par Magnus, facilement reconnaissable de dos. A côté de lui, un autre individu était assis sur le siège du passager, impossible de d’identifier si c’était Ferdinand, Trevor ou quelqu’un d’autre. 

 

Le bruit diminua au fur et à mesure que la jeep s’éloignait, remontant la pente et disparaissant au tournant. Nous ressortîmes du cagibi où nous nous étions dissimulés et reprîmes notre exploration dans le sens inverse de celui de la jeep. L’une des portes donnait directement sur le rocher, n’était-elle là que pour la décoration ? D’autres portes s’ouvraient sur des salles plus vastes, toujours aussi encombrées, taillées directement dans la roche volcanique. Nous commencions à comprendre que le couloir formait une grande spirale qui desservait une multitude de pièces tout le long de son parcours. Vincent regardait de temps en temps son téléphone pour repérer notre orientation par rapport à l’île, et soudain il s’arrêta et poussa un cri étouffé. 

 

-- Nous ne sommes plus que quatre, l’un de nous a changé de direction. C’est Astrid, murmura-t-il en se retournant. Où va-t-elle ?

 

L’écran de son appareil indiquait nos emplacements grâce aux capteurs dans nos poches. Il voyait notre groupe de quatre personnes réunies au même endroit et le signal du cinquième membre de l’équipe qui s’éloignait vers la gauche.

 

-- Elle a dû s’arrêter dans l’une des dernières salles que nous avons visitées, et s’avancer plus loin. Suivons-là, elle a sûrement vu quelque chose d’intéressant et on ne peut pas la laisser toute seule. Bizarre tout de même qu’elle ne nous ait pas avertis, s’écria Jerem.    

-- Ce n’est pas normal, répondit Vincent, retrouvons la vite.

 

Nous revînmes sur nos pas et ouvrîmes la porte de la précédente pièce que nous avions explorée. Rien, c’était une sorte de cagibi. Puis nous reculâmes encore et entrâmes dans la pièce suivante, une vaste salle sombre et nauséabonde. Nous remarquâmes des traces confuses de pas et des traînées sur le sol. La peur nous étreignit soudain, que s’était-il passé ? Houang Ti quitta mon épaule et voleta dans l’espace qui sentait le renfermé jusqu’au fond de la salle. Puis il se posa sur la roche et je m’approchai, explorant le mur rugueux avec la main. Sous les pattes de l’oiseau, je sentis dans une fissure une sorte de poignée que je tournai, déclenchant un mécanisme. Un pan du mur pivota, découvrant une nouvelle galerie obscure creusée dans la pierre. Vincent alluma sa torche en mode tamisé et nous le suivîmes tandis qu’il s’enfonçait dans le boyau. 

 

A mesure que nous avancions, une odeur pestilentielle envahit l’air qui devint irrespirable, moisissures, décomposition, excréments, la puanteur était indéfinissable. Nous entendions des chocs et des bruits étouffés devant nous. Et bientôt le tunnel s’élargit, de chaque côté  des excavations profondes se répartissaient du sol au plafond, remplies d’ossements, nous traversions une nécropole probablement très ancienne, car l’état de décrépitude des lieux datait visiblement de plusieurs siècles. Devant nous un souffle rauque s’amplifia et soudain nous entendîmes un cri qui fut aussitôt étouffé.

 

-- C’est bien elle, murmura Vincent, elle est juste devant nous.

 

L’ossuaire s’élargit petit à petit et forma une vraie caverne. Une créature infernale, soufflant et crachant se tenait au milieu de la grotte, c’était une sorte de saurien géant qui se tenait debout en équilibre sur ses pattes arrières et sa longue queue battait le sol furieusement. Il tenait Astrid à moitié dans sa gueule et entre ses pattes avant. Tout autour par terre se trouvait un amoncellement de cadavres putréfiés, de viande déchiquetée, d’os de toutes formes d’où montait l’odeur atroce que nous sentions depuis l’entrée dans le boyau. Astrid semblait évanouie, ce qui était une bénédiction. 

 

Du regard, Vincent nous indiqua comment nous placer autour de la bête préhistorique et tirer dans sa queue pour la déséquilibrer et lui faire lâcher Astrid. Alma tendit le rameau de l’arbre en direction du saurien et nous lançâmes nos fléchettes toxiques. L’animal se cabra en arrière, pivota sur lui-même, traînant sa lourde queue derrière lui et soudain s’immobilisa, paralysé par le poison et le pouvoir de l’arbre, puis s’écroula de toute sa hauteur, laissant tomber Astrid lourdement sur le sol. Elle rebondit mollement sur les couches de détritus qui amortirent sa chute. Le monstre gisait à terre, sa gueule aux puissantes mâchoires remplies de dents pointues était grande ouverte et de la bave gluante en coulait. C’était une sorte de crocodile, sa peau couverte d’écailles épaisses était verte et noire avec des reflets bleus sous la lumière de nos torches. Ses gros yeux révulsés ne voyaient plus rien. 

 

Alma s’était précipitée vers sa soeur et s’agenouilla près d’elle. Sortant ses fioles elle commença à masser les blessures avec sa potion à la pimpiostrelle. 

 

-- Il faut la sortir de là, s’écria Vincent, c’est irrespirable.

-- Portons-là par là, répondit Jerem en tendant le doigt vers le fond de la caverne d’où partait une nouvelle galerie. Nous trouverons peut-être une sortie, ou un endroit moins immonde pour la soigner. 

 

Houang Ti volait devant l’entrée du tunnel en poussant des cris rauques, semblant nous indiquer la route. 

 

Vincent et Jerem soulevèrent Astrid, l’un par les pieds et l’autre sous les bras. Je pris la tête du cortège avec ma torche pour éclairer le chemin, et Alma nous suivit. Avant que nous ne quittions la grotte, le saurien eut un dernier mouvement réflexe, il battit l’air de sa queue et s’immobilisa tout à fait, en émettant un sifflement semblable à un ballon qui se dégonfle. Puis plus rien.    

 

Nous marchâmes pendant une cinquantaine de mètres dans le tunnel avant de déboucher sur l’extérieur. L’entrée de la galerie était masquée par un épais rideau d’arbres. Poussant les hampes végétales, nous nous retrouvâmes sur une saillie rocheuse qui surplombait la forêt, respirant enfin à pleins poumons l’air pur non vicié. Je m’élançai aussitôt au dessus des arbres à la recherche d’une source d’eau pour laver les blessures d’Astrid. Un ruisseau coulait juste au dessous de la saillie et je guidai Vincent et Jerem jusqu’à un petit bassin d’eau fraîche où nous pûmes la baigner. Lorsqu’elle fut débarrassée de la bave et des détritus collés à sa peau, Astrid fut étendue sur le sol et Alma commença ses soins. Il y avait de profondes morsures partout sur ses bras, ses jambes et son torse, qui déjà laissaient des traces vertes et des ecchymoses sur la peau. Le soleil qui filtrait à travers la ramure réchauffait son corps frissonnant. Elle n’était toujours pas sortie de son état comateux, son visage était exsangue, ses lèvres desséchées et  ses yeux restaient obstinément fermés.   

 

Alma massait sa soeur avec un onguent épais, jaune, elle frottait les blessures, les tempes, les mains et les pieds délicatement, mais avec une énergie décuplée.

 

-- A-t-elle été empoisonnée par le monstre ? s’inquiéta Jerem en se tordant les mains.

-- Oui, répondit Alma, mais je lui mets ma potion très spéciale. J’ai ajouté une graine de l’arbre de paix à la pimpiostrelle, j’espère que l’effet sera multiplié par le pouvoir de l’arbre.

 

Pendant qu’Alma prodiguait ses soins à Astrid, j’entrai à nouveau dans la galerie qui menait à la caverne du saurien avec le rameau de l’arbre devant moi pour me protéger. Lorsque je retrouvai devant le monstre mort, je tendis la branche en la pointant vers le cadavre mou étalé par terre. Alors je vis soudain le corps se décomposer en une sorte de vapeur qui se mit à tourner sur elle-même, et disparut petit à petit en s’élevant vers le plafond, entraînant avec elle vers le néant tous les restes et les ossements accumulés par la bête. Bientôt il n’y eut plus sur le sol que de la poussière qui retombait du plafond de la grotte et se déposait en une couche de poudre épaisse. Plus aucune trace ne subsistait de l’horrible créature qui avait traumatisé Astrid, elle n’aurait pas à la revoir si elle sortait de sa torpeur quand nous repasserions par la caverne.

 

Je retournai auprès de mes compagnons et expliquai en quelques mots que l’arbre avait nettoyé la caverne, et que le saurien avait disparu.  

 

Les efforts d’Alma commençaient à porter leurs fruits, Astrid reprenait des couleurs, puis elle se mit à remuer légèrement, et enfin ouvrit les yeux. Grâce à la magie, les plaies boursouflées avaient dégonflé, diminué et se refermaient petit à petit, les cicatrices s’estompaient, la peau retrouvait sa teinte naturelle, et les spasmes avaient cessé. Tandis qu’Alma finissait de soigner sa soeur, nous prîmes tous un bain dans la cuvette du ruisseau et lavâmes nos vêtements que nous mîmes à sécher au soleil. Il faisait beau et chaud, et la douceur de l’air nous fit du bien. Nous savions que nous devrions bientôt retourner sous le volcan, mais nous avions l’intention de profiter de cette pause. Quand Astrid parvint enfin à parler, elle raconta ce qui lui était arrivé. Elle s’était un peu avancée dans l’une des salles pour observer une carcasse métallique d’oiseau avec des dents, quand brusquement elle avait été encerclée et soulevée par l’arrière. Avant qu’elle puisse hurler de terreur, elle avait vu deux puissantes pattes couvertes d’écailles qui l’enserraient, senti l’haleine atroce du saurien et s’était évanouie. Par la suite, elle avait repris connaissance pendant quelques secondes tandis que la bête la transportait vers son antre, et eut la force de crier avant de sombrer à nouveau dans l’inconscience.

 

Par chance, son étourdissement avait eu lieu avant d’entrer dans la grotte et elle ne se souvenait de rien. Grâce au pouvoir de l’arbre, elle ne verrait même pas le cadavre du monstre, ce qui l’aiderait à se remettre plus facilement de l’enlèvement.  

 

Rassurée sur l’état de santé physique d’Astrid, j’explorai les environs en planant au dessus de la cime des arbres. L’issue du tunnel se trouvait beaucoup plus bas en altitude que la route suivie par la jeep qui ne menait nulle part, c’est pourquoi je ne l’avais pas vue lors de mes précédentes recherches. Elle était complètement masquée à la fois par le bouquet d’arbres et par un bloc rocheux qui la rendait quasiment invisible. Au dessous de l’entrée, à partir du bassin où nous nous trouvions, la pente grimpait doucement à travers les bois. Remontant depuis les plages de la zone immonde, la forêt avait poussé de manière très dense au pied du volcan, elle était devenue impénétrable. Me faufilant sous la canopée, je cherchai les sentiers, ou du moins un trajet possible pour retourner vers l’entrée du réseau de galeries qui menaient au port, essayant de comprendre la géographie des lieux pour guider mes compagnons, si jamais nous avions besoin de fuir. Il y avait une toute petite sente qui montait d’abord en zigzaguant puis tout droit vers l’emplacement où se trouvait auparavant l’héliport, il faudrait que cela suffise. 

 

J’allais revenir vers la caverne quand j’entendis à distance le bruit mécanique des drones de Jahangir. Je volais au dessus des arbres et descendis vers le petit bassin ensoleillé, je murmurai au groupe de se dissimuler à l’abri sous les arbres. En quelques instants, les sacs à dos et les vêtements qui séchaient furent récupérés et cachés sous les buissons, et nous nous tînmes sous la ramure. Deux oiseaux métalliques aux dents pointues passèrent au dessus de nos têtes et poursuivirent leur vol sans ralentir.

 

-- Il est temps de repartir dans la galerie, dit Vincent, nous avons trop traîné et failli nous faire surprendre. Astrid a besoin de dormir. D’ailleurs la nuit va tomber, mettons-nous à l’abri dans la caverne pour nous reposer, le monstre n’y est plus.

-- Nous sommes des amateurs, reprit Jerem. J’ai fait beaucoup de randonnées dans la nature et si on veut observer les animaux sauvages, il faut être très vigilants et ne pas se faire repérer. Ici, nous sommes sans cesse imprudents, nous nous exposons sans réfléchir, nous sommes toujours à la limite.

-- C’est vrai, nous sommes des amateurs, affirma Alma, je n’avais jamais fait une chose pareille.

-- Rentrons dans la grotte, c’est plus sûr, dis-je. Nous ne savons pas si Jahangir s’attend à nous voir, mais c’est probable. A l’intérieur, au moins, nous ne craindrons plus les drones.

-- Je vais beaucoup mieux, ajouta Astrid, en fait je me sens tout à fait remise grâce à Alma, allons-y.

-- Ma potion à la pimpiostrelle avec une graine de l’arbre de paix est très efficace, fit Alma et elle esquissa un sourire en ramassant son sac à dos.

-- Une petite pause pour dormir nous fera du bien, c’est absolument nécessaire, intervint Jerem et plus personne n’osa protester.

 

Quelques minutes plus tard, après avoir rempli nos gourdes d’eau fraîche, nous regagnâmes le tunnel et fûmes à nouveau sous la montagne. L’antre du saurien était vide, nous nous installâmes sur le pourtour pour éviter la zone centrale où l’animal dévorait ses proies. Même si l’endroit avait été purifié par l’arbre, nous éprouvions de la répugnance à piétiner le lieu où le saurien avait torturé Astrid. Nous planifiâmes les tours de garde avant d’avaler quelques biscuits, de prendre chacun notre quart ou de sombrer dans le plus profond des sommeils.

 

Quelques heures plus tard, nous étions prêts à repartir. Nous traversâmes la grotte puis suivîmes le boyau dans le sens inverse de notre arrivée et nous retrouvâmes dans la salle qui donnait sur le large couloir. Nous reprîmes quelques heures après l’avoir quitté le chemin que nous suivions avant le rapt d’Astrid. L’espèce de route sablonneuse continuait à descendre et la chaleur s’intensifia au fur et à mesure que nous avancions. Les murs n’étaient plus lisses, il n’y avait plus de portes et nous entendions un brouhaha de machines et de turbines qui s'amplifia à mesure que nous en approchions. Au détour d’un virage, alors que le vacarme était devenu insoutenable, nous aperçûmes soudain devant nous une centrale géothermique souterraine, construire en plein coeur du volcan, sur l’emplacement de la cheminée centrale. En sortie de l’usine, d’énormes tuyaux plongeaient dans les profondeurs comme à l’intérieur d’un puits, servant au transport de l’énergie transformée. Tout autour, des canalisations d’injection, des circuits et une tour de refroidissement, des pompes puissantes, des alternateurs et un générateur fonctionnaient à plein régime. Ici était fabriquée l’électricité qui alimentait tout le repaire de Jahangir, à l’abri sous le cratère du volcan. Des silhouettes vêtues de combinaisons de travail circulaient à proximité des installations, vérifiant la bonne marche des appareils sur des instruments de mesure. Il régnait une chaleur infernale, comme dans un four. 

 

-- Nous devons arrêter l’usine, dit Jerem, c’est très dangereux, tout peut exploser d’un instant à l’autre. 

-- Parce qu’ils utilisent l’énergie du volcan ? demanda Astrid

-- Oui, c’est une énergie que personne ne peut maîtriser, répondit Jerem.

-- Mais comment faire ? fit Vincent.

-- Avec le pouvoir de l’arbre, répliqua Alma en tendant son rameau vers l’usine.

 

Jerem banda son arc et Vincent prit son pistolet à fléchettes empoisonnées tandis qu’Astrid et moi rejoignîmes Alma avec nos branches pointées dans la même direction. Après quelques instants, l’usine devant nous se mit à vibrer doucement sous le fluide de l’arbre. Petit à petit, la tuyauterie et les turbines cessèrent de fonctionner, le bruit diminua et s’arrêta. Les techniciens qui au début couraient tout autour de l’installation  comme affolés par la panne, marchaient désormais au ralenti, comme s’ils étaient pris dans un magma paralysant. Puis ils décollèrent et se mirent à tourner avec le reste des éléments, détachés du sol et entraînés dans un mouvement de rotation, tout se fondit dans une masse opaque qui se formait et absorbait la matière. Celle-ci se liquéfia progressivement, devint un gaz puis disparut. Là où se trouvait une usine en marche quelques minutes auparavant, il n’y avait plus rien, que la roche noire et des cendres qui retombaient et se déposaient par terre, comme si elles avaient été soulevées par un courant d’air. Nous étions désormais seuls et  pratiquement dans l’obscurité.

 

Après quelques clignements et des crachotis, un éclairage de sécurité se mit en route, il fonctionnait probablement grâce à un groupe électrogène de secours qui avait dû se déclencher. Dans le couloir, des veilleuses positionnées à distances régulières diffusaient une pâle lumière, suffisante pour se déplacer. 

 

-- On ne peut pas aller plus loin, dit Vincent en observant les lieux déserts, c’est un cul-de-sac, nous devons remonter maintenant, Jahangir n’est pas ici.  

 

Nous repartîmes dans le sens inverse, marchant en file indienne derrière Vincent. Nous doublâmes les portes que nous avions visitées lors de notre descente et dépassâmes la  salle où nous avions éliminé les gardes, puis nous vîmes une porte vitrée qui donnait sur le laboratoire, envahi de fumées. Nous l’avions à peine passée quand nous entendîmes le moteur de la jeep. Nous poussâmes aussitôt la première porte qui se trouvait devant nous et pénétrâmes dans une nouvelle pièce. C’était une vaste salle haute de plafond, qui ressemblait à un musée d’histoire naturelle couplé à une ménagerie. Là encore l’éclairage était minimal, mais nous distinguions des étagères vitrées le long des murs, remplies de bocaux glauques, de squelettes et d’animaux empaillés. Sur le sol s’alignaient des cages contenant des bêtes vivantes, et d’autres mortes. Dans l’une des geôles fermées à double tour se trouvait un orang outan. 

 

Lorsqu’il nous aperçut, le grand singe se mit à gémir et à sauter dans son habitacle réduit. Une odeur pestilentielle émanait de son antre, il vivait au milieu de ses excréments, entouré d’un seau d’eau croupie et de restes de nourriture avariée, sans même un coin pour s’étendre et dormir ni une branche pour se percher. La cage était beaucoup trop petite pour son grand corps couvert de poils roux. Il nous regardait avec ses yeux suppliants, presque humains. 

 

La jeep passa bruyamment devant la porte de la salle, éclaboussant le battant d’une pluie de sable. Tremblant de frayeur, le primate s’accrocha avec ses pattes antérieures et postérieures aux montants de la cage et grimpa au plafond.  Quand le véhicule s’éloigna, il redescendit lestement et grimaça une sorte de sourire. Soudain nous entendîmes comme un claquement du côté de la porte, elle avait été verrouillée à nouveau, nous étions désormais prisonniers. Alors l’orang outan s’excita dans sa cage, il bondissait d’un bord à l’autre, se cognant contre les barreaux et vociférait sans cesse. Il agitait ses mains comme s’il voulait nous montrer quelque chose. Houang Ti quitta mon épaule et s’envola pour explorer la salle. Jerem le suivit tandis que nous regardions avec fascination le grand singe se démener. 

 

-- Il veut que nous le libérions, dit Alma.

-- Bien sûr, répondit Vincent, mais c’est peut être dangereux, il a l’air fou, il est complètement sauvage. 

-- Je ne crois pas, fit Alma en s’approchant de la cage.

 

La bête se calma tout à coup, se rapprocha d’Alma et sortit sa patte entre les barreaux; Alma caressa les longs poils rèches et rit.

 

-- Il n’est pas méchant du tout, il veut être libre lui aussi, mais comment nous le dire ? s’exclama-t-elle. Il ne peut pas parler.

-- S’il essaye de te faire mal, dit Astrid, je lui envoie une fléchette de poison, il ne t’ennuiera pas longtemps.

-- Sortons-le, reprit Alma en cherchant autour de nous des clés pour ouvrir la cage.

 

Il y avait un petit bureau à l’entrée de la salle, et dans l’un des tiroirs je trouvai un trousseau de clés. L’une d’elle déverrouilla la porte de la prison de l’orang outan. Il sortit pantelant de son antre, il était sale et il puait. Jerem à ce moment nous appela. 

 

-- Houang Ti a trouvé une sortie, dit-il, une porte cachée derrière une amoncellement de petites cages qui contenaient des animaux morts. 

 

Jerem avait ménagé un accès entre les clapiers et ouvert le battant qui donnait sur une galerie taillée dans la roche. Nous nous faufilâmes dans l’étroit boyau, suivis par le grand singe qui bondissait derrière nous. Après notre passage, Jerem donna un grand coup de pied dans les cages qui s‘écroulèrent les unes sur les autres, masquant la porte derrière laquelle nous nous trouvions, qu’il referma simplement. Le tunnel descendait dans les profondeurs de la montagne, nous avancions avec précaution à la lueur de nos torches. Le sol était humide et glissant, et les parois suintaient. Une odeur de moisi flottait autour de nous. La galerie déboucha bientôt dans une caverne ronde, assez grande, où coulait un ruisseau qui s’élargissait dans une sorte de cuvette et formait une petite mare. Le singe se précipita vers l’eau et se mit à boire en plongeant sa tête dans l’onde et en lapant directement la surface.

 

-- L’eau ne doit pas être croupie s’il la boit, dit Jerem, les singes n’aiment pas l’eau impure.    

-- Tu veux dire qu’on peut la boire nous aussi ? demanda Astrid.

-- Sûrement ! répondit Jerem en riant, mais il vaut mieux éviter de s’empoisonner si on n’en a pas besoin.

 

Quand l’orang outan se fut désaltéré, nous continuâmes à avancer dans la galerie qui repartait après la grotte. Le singe nous suivit.

 

-- Il avait soif, dit Alma, on ne lui donnait pas à boire.

-- Il n’est pas agressif, ajouta Astrid qui surveillait toujours l’animal et n’hésiterait pas à l’abattre s’il devenait méchant.

 

La galerie descendait toujours en sinuant, elle tournait légèrement dans un sens ou dans un autre, le sol était accidenté, les parois s’étrécissaient. J’avais peur que nous nous retrouvions dans une impasse, et qu’il nous faille faire demi-tour. C’était angoissant, nous ne savions pas du tout où nous étions, ni où nous allions. Nous nous éloignions peut-être de notre objectif, pour aller où ? Nous ne parlions plus, concentrés pour ne pas poser nos pieds sur des pierres pointues ou sur des zones glissantes.    

 

Puis nous entendîmes des sons assourdis, une suite de chocs réguliers, des déflagrations, des claquements, qui s’amplifièrent à mesure que nous avancions. Une lueur apparut devant nous et nous éteignîmes les torches. Le tunnel se terminait brusquement, il semblait muré jusqu’à une certaine hauteur, et surmonté par une fissure horizontale d’où provenaient la lumière et les bruits. Vincent s’approcha de l’ouverture et se hissa sur une sorte de marche pour regarder ce qui se passait de l’autre côté. 

 

-- C’est une usine, dit-il, mais impossible de savoir ce qu’ils fabriquent.

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